N° 130

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024,

TOME I

ACTION EXTÉRIEURE DE L'ÉTAT

Action de la France en Europe et dans le monde (Programme 105)

Par Mme Valérie BOYER et M. Jean-Baptiste LEMOYNE,

Sénatrice et Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Jean-Baptiste Lemoyne, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, André Guiol, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Claude Malhuret, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 16801715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178

Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Les crédits demandés au titre du programme 105 progressent en 2024 d'environ 8,7 % pour atteindre 2,26 Mds€. Cette hausse est mise au service du « réarmement » de la diplomatie française souhaité par le chef de l'État, en prolongeant notamment l'augmentation des effectifs entamée l'an dernier, qui doit conduire à la création de 700 ETP d'ici 2027.

Les rapporteurs se sont en particulier intéressés à l'investissement consenti à trois fonctions de notre diplomatie appelées, dans un contexte international particulièrement dangereux, à gagner en importance : la gestion de crise, la communication et l'influence, notamment numérique, et la coopération de sécurité et de défense. Ils appellent à accroître les efforts dans ces domaines.

I. UNE SALUTAIRE AUGMENTATION DES MOYENS DE NOTRE DIPLOMATIE

A. UNE HAUSSE IMPORTANTE DES CRÉDITS, MAIS UN PILOTAGE RENDU DIFFICILE PAR LE POIDS DES CONTRIBUTIONS INTERNATIONALES

1. Une hausse des crédits notable

Le programme 105 regroupe les moyens de l'action diplomatique de la France et ses crédits de fonctionnement. Il porte également une grande part des contributions versées par la France aux organisations internationales. En tenant compte des dépenses de personnel, les crédits du programme 105 atteignent 2,26 Mds€ en 2024, soit une hausse de 8,7 % sur un an, hausse comparable à celle de l'ensemble de la mission.

Crédits du programme 105 par action et par titre en 2024 (en AE)

Source : PAP du programme 105.

Le ministère se félicite en particulier de ce que les crédits hors rémunérations croissent de 166,3 M€ par rapport à 2023, qualifiant cette hausse de 13 % par rapport à 2023 d'inédite depuis 2005. Cette hausse des crédits hors rémunération se décompose de la façon suivante :

- 46 % (76 M€) provient de l'accroissement de la contribution française à la Facilité européenne pour la paix (FEP), ainsi portée à environ 144 M€. Par ce canal, le ministère entend ne contribuer, d'après les documents budgétaires, qu'aux « mesures d'assistance à caractère non létal » financées par la FEP, destinées principalement à l'Ukraine ;

- 25 % (42 M€) provient de dépenses de fonctionnement, hausse équitablement partagée entre les actions de coordination de l'action diplomatique - protocole, communication -, de soutien - ressources humaines, immobilier, numérique - et relatives au fonctionnement du réseau ;

- 14 % (23 M€) provient de dépenses d'investissement, en particulier les dépenses liées à la sécurisation des emprises à l'étranger ;

- 13% (21 M€) s'explique par la hausse des contributions internationales, au sein desquelles l'effort, en 2024, des contributions volontaires ne représente que 2,3 M€.

Le ministère calcule ainsi que les 166 M€ de hausse des dépenses hors titre II se décomposent en 129,2 M€ de hausse tendancielle et 37,1 M€ de mesures nouvelles.

2. L'action multilatérale, un poste difficile à piloter et une politique malaisée à évaluer

Une large part de ces nouveaux crédits est consacrée aux canaux d'influence de la France dans le monde. Les crédits consacrés aux contributions internationales et aux opérations de maintien de la paix représentent deux tiers du programme 105, hors crédits de personnel, soit 927,6 M€, en hausse de 98,6 M€. Cette augmentation s'explique par l'effet-change et la revalorisation de certaines contributions. Les crédits consacrés aux opérations de maintien de la paix sont en légère baisse, de 2,9 M€, en raison de la fermeture du dispositif de maintien de la paix au Mali.

Une douzaine d'organisations, dont l'ONU, le Conseil de l'Europe, l'OTAN et l'OCDE, concentre la majorité de nos contributions. Le ministère s'est engagé depuis 2021 sur une trajectoire haussière des contributions volontaires financées sur le programme 105 pour répondre à des enjeux prioritaires :

- la sécurité internationale, ce qui justifie le montant de nos contributions à l'Agence internationale de l'énergie atomique, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ainsi que pour accroître notre effort dans les domaines de la cybersécurité et de la défense européenne ;

- le renforcement de l'attractivité de la France pour les organisations internationales, alors que la compétition entre pays s'est considérablement accrue pour accueillir ces organisations ;

- le renforcement de notre présence au sein des organisations : Ainsi, 1 M€ sera affecté à l'objectif de 40 nouveaux jeunes experts associés (JEA) pour dépasser le nombre de 130 placés dans le système onusien, et 1,3 M€ à l'attractivité du territoire pour les organisations internationales.

Quinze premières contributions internationales obligatoires portées
par le programme 105 en 2024

Organisation bénéficiaire

Montant (€)

Rang

Opérations de maintien de la paix

296 870 763,33

6ème

Organisation des Nations Unies

123 160 656,70

6ème

Conseil de l'Europe

49 096 954,41

1er

Organisation du Traité de l'Atlantique Nord

43 259 148

4ème

Organisation de coopération et de développement économique

24 085 123

5ème

Organisation mondiale de la santé

22 888 937,12

8ème

Agence internationale de l'énergie atomique

21 664 771,60

6ème

Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture

20 394 336,32

6ème

Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe

18 439 720,22

3ème

Organisation internationale du travail

16 268 641,15

5ème

Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture

16 060 892,73

5ème

Cour pénale internationale

14 828 754

3ème

Organisation mondiale du commerce

9 029 095,84

5ème

Programme des Nations Unies pour l'environnement

7 056 074,77

3ème

Organisation Internationale pour les Migrations

3 508 126,26

13ème (en 2021)

Source : direction générale des affaires politiques et de sécurité.

L'enveloppe des contributions volontaires augmentera en 2024 de 2,3 M€. Ces contributions sont essentielles pour maintenir le rang de la France dans un contexte de baisse des quotes-parts françaises au fonctionnement des organisations internationales - notre part dans le budget régulier de l'ONU est ainsi passée à 4,3 % pour 2022-2024, contre 4,4 % sur la période précédente.

Cette hausse est relativement modérée si on la rapporte à celle des années passées puisqu'elle était de 3 M€ en 2020, 17,2 M€ en 2021, 9,6 M€ en 2022, et 1 M€ en 2023 mais s'ajoute aux 30 M€ soclés depuis 2020.

Cet effort a cependant été moindre que celui de certains de nos voisins, comme l'a relevé la commission des finances en janvier 20221(*) : « nous avons en moyenne bien moins augmenté annuellement nos contributions volontaires que ne l'ont fait nos partenaires, Chine comprise. La contrepartie en est de moindres gains d'influence - mesurés comme la variation de notre poids dans le financement des institutions ». Royaume-Uni et l'Allemagne ont ainsi, alors même qu'ils partaient de plus haut, augmenté leur contribution volontaire au système des Nations unies d'un facteur quatre et seize, quand la France peinait à doubler la sienne.

La commission des finances appelait en conclusion à renforcer le niveau de nos contributions volontaires, à mobiliser l'ensemble des autres leviers d'influence et à améliorer la coordination au niveau européen.

Évolution comparée du montant des contributions volontaires au système des Nations unies (en M$)

Source : commission des finances du Sénat.

Les résultats en termes de gains d'influence de cette politique ne sont pas même faciles à évaluer. Le ministère évoque pour les illustrer les éléments suivants :

- dans le domaine du maintien de la paix : le renouvellement de Jean-Pierre Lacroix à la tête du Département des opérations de paix jusqu'en 2024, le soutien décisif au lancement par le bureau du procureur de la Cour pénale internationale d'une enquête sur la situation en Ukraine, l'intégration du groupe des 12 plus grands contributeurs au Fonds pour la consolidation de la paix, obtenant voix délibérative, le lancement de la stratégie des Nations Unies sur la lutte contre la désinformation ;

- dans le domaine de la sécurité internationale : la France a apporté un soutien accru à l'AIEA pour ses activités de vérification en Iran, à l'OIAC pour son travail en Syrie et en Ukraine, et a fait inscrire à l'agenda international de l'ONUDC (Office des Nations unies contre les drogues et le crime) notre priorité dans la lutte contre la criminalité environnementale.

B. LA MISE EN OEUVRE DE L' « AGENDA DE LA TRANSFORMATION » DU MINISTÈRE

1. Un effort de recrutement et de modernisation de la gestion des ressources humaines

La loi de finance pour 2021 avait, pour la première fois depuis l'entrée en vigueur de la LOLF, en 2007, stabilisé les effectifs du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Après une hausse liée au recrutement de CDD pour faire face à l'organisation de la présidence française de l'Union européenne, celle pour 2023 fléchait 73 des 100 nouveaux ETP sur le programme 105.

Ces nouveaux emplois ont été consacrés au renforcement de notre présence dans l'Indopacifique, en Afrique et en Europe orientale, ainsi que des capacités d'analyse politique, à la lutte contre les attaques cyber et la manipulation de l'information, ainsi qu'à la sécurisation de nos emprises. Une autre priorité était de soulager les postes et directions où la charge de travail était devenue trop forte.

L'agenda de la transformation annoncé par le Président de la République à l'issue des états généraux de la diplomatie, en mars 2023, prévoit de poursuivre cette tendance, notamment par le recrutement de 700  ETP d'ici 2027, selon la programmation ci-après.

Évolution programmée des effectifs du MEAE

 

22024

22025

22026

22027

TTotal

ETP supplémentaires

+150

+150

+200

+200

7700

Dans le cadre du PLF 2024, 110 ETP sont ainsi fléchés sur le programme 105, dont 5 pour la délégation à l'encadrement supérieur et 10 dans le cadre de la réinternalisation des fonctions numériques. L'ensemble de la mission « Action extérieure de l'État » gagnerait quant à elle 165 ETP.

D'après la direction des affaires politiques, les priorités de la programmation en cours, qui ne distingue toutefois pas entre les différents programmes de la mission, sont les suivantes :

Fléchage prévisionnel des postes créés par le PLF pour 2024

- consolidation des capacités d'analyse et d'anticipation : environ 46 postes ;

- communication et stratégie de riposte dans le champ informationnel : environ 25 postes ;

- numérique et cyber sécurité : environ 25 postes ;

- renforcement de la culture européenne et des cercles de solidarité : environ 9 postes ;

- rôle de la France dans les négociations internationales, enjeux globaux : environ 9 postes ;

- renforcement des 25 ambassades de présence diplomatique : environ 9 postes.

- renforcement des secrétariats généraux d'ambassade : environ 9 postes.

Des moyens nouveaux sont en outre donnés à la direction des ressources humaines pour mener à bien les réformes issues des états généraux de la diplomatie2(*), qui visent notamment à améliorer l'accompagnement du parcours des agents et la qualité de vie au travail. L'organigramme du ministère a été refondu au 1er septembre 20233(*). Près d'un million d'euros de mesures nouvelles doivent renforcer la politique sociale du ministère - avec notamment l'objectif de satisfaire toutes les demandes de place en crèche pour les enfants des agents - et améliorer l'accompagnement de la mobilité tout au long de la carrière. La préfiguration de l'Académie diplomatique et consulaire a été confiée à Didier le Bret, dont le rapport est attendu pour début 2024. La réforme statutaire est progressivement mise en oeuvre : en novembre 2023, près de 72 % des 799 diplomates éligibles ont opté pour le cadre des administrateurs de l'État.

2. Un effort bienvenu au service de la remise à niveau du réseau

Le montant global des dépenses de fonctionnement - hors dépenses de personnel - s'élèvera en 2024 à 463,5 M€, contre 413,7 M€ en 2023, soit une augmentation de presque 50 M€.

L'enveloppe des moyens des postes à l'étranger sera portée à 114,5M€ - soit une augmentation de 5,8 M€ - afin de tenir compte des effets de l'inflation dans le monde. Par ailleurs, 2,8 M€ seront dédiés à l'amélioration des conditions d'expatriation des agents. Un effort particulier est aussi consenti afin d'améliorer la sobriété et la performance énergétique et environnementale du ministère : la direction de l'immobilier bénéficiera d'un effort de 22 M€, dont 6 M€ de mesures nouvelles consacrées aux grands projets immobiliers et notamment pour l'entretien lourd à l'étranger.

Le renforcement de la sécurisation des emprises diplomatiques et consulaires est un poste de dépense primordial, dans un contexte de hausse des tensions internationales et de menaces répétées sur nos emprises à l'étranger. Une partie de l'enveloppe de mesures nouvelles de 5 M€ accordée à la direction de la sécurité diplomatique (DSD) sera consacrée à l'achat de nouveaux véhicules blindés et au renforcement de la sécurité passive de nos ambassades les plus exposées.

Les crédits de la DSD permettront de poursuivre les travaux de sécurisation nécessaires. D'après son directeur, 412 sites sur 543, soit 76 %, bénéficient aujourd'hui d'un niveau de sécurisation adapté. Tous sites confondus, entre 75 et 80 % d'entre eux ont fait l'objet de travaux de sécurisation. Dans le périmètre des seuls instituts français, seuls 60 %, soit 83 bâtiments, bénéficient d'un niveau de sécurisation adapté.

En 2024, la DSD et la direction de l'immobilier et de la logistique présenteront une programmation commune. Devraient y figurer les chantiers figurant dans le tableau ci-après.

Programmation des opérations de sécurisation en 2024

Ukraine : sécurisation de plusieurs options, dont un plateau de bureau pris à bail (500 K€) ;

Belarus ; sécurisation d'un plateau de bureau pris à bail par l'ambassade (700 K€) ;

Algérie : sécurisation de la résidence de France (2 M€) ;

Tunisie : mise à niveau sécurisation de la résidence de France (400 K€) ;

Irak (Bagdad, Erbil, Mossoul) : mises à niveau des dispositifs dans plusieurs emprises (4 M€) ;

Pakistan : mise à niveau, reprise périmétrie, zone de confinement autonome (2,6 M€) ;

Burkina Faso : sécurisation du campus diplomatique et d'un parc de logements pour les agents, initiée en 2023 (4,6 M€) ;

Cameroun, Douala : sécurisation du consulat général (3 M€) ;

Mali : sécurisation du campus diplomatique (5 M€) ;

Nigeria : mise à niveau de la sécurisation du campus diplomatique (1 M€) ;

Tchad : études préalables à la mise à niveau de la sécurisation de l'ambassade et d'un parc de logements pour les agents ( 370 K€).

Les dépenses de sécurisation sont par nature affectées d'un fort dynamisme. Celui-ci tient d'abord, conjoncturellement, à l'inflation, qui affecte toutes les composantes de la dépense. La charge de gardiennage assurée par des vigiles représente ainsi un budget de 23 M€ en 2024. Il tient en outre à la croissance de la fréquence, de l'expertise et du coût des missions de maintenance. Les équipements, de plus en plus spécialisés, parfois fragiles, requièrent un maintien en condition technique et opérationnel, lequel est rendu plus complexe par la grande diversité des conditions - climatiques et météorologiques - et des terrains - zones sismiques, glissements - dans lesquels est placé le réseau diplomatique.

Les dépenses de protocoles sont élevées mais justifiées par la densité exceptionnelle des événements internationaux organisés par notre pays en 2024, et de nature à accompagner la professionnalisation, au sein du ministère, de la fonction d'organisation de conférences internationales.

Les dépenses de protocole affichent une hausse notable en 2024, s'établissant à 18,1 M€, contre moins de 8 M€ en 2023. Le Gouvernement demande en particulier une enveloppe de 13 M€ destinée à couvrir les dépenses d'organisation de conférences internationales. Le Gouvernement rappelle que se tiendront en 2024 : la manifestation « égalité, droits des femmes, violences faites aux femmes » en mars, l'événement « Sport en Afrique, économie, développement » en mai, les commémorations liées au 80eanniversaire du débarquement en Normandie en juin et au 80anniversaire du débarquement en Provence en août, une conférence internationale sur le thème « sport et santé, alimentation » en juillet, en marge de la cérémonie d'ouverture des Jeux de Paris, le sommet de la Francophonie à Villers-Cotterêts et à Paris en octobre, et l'événement « Nutrition for growth - N4G », en décembre.

Le programme 105 est également doté de moyens supplémentaires pour améliorer l'action du ministère et le quotidien des agents, de plus en plus souvent mis à rude épreuve sur le terrain. Ainsi, les moyens de la direction du numérique s'établiront à 57,5 M€, en hausse de 5,3 M€.

II. SOUTENIR LA MONTÉE EN PUISSANCE DE CERTAINES FONCTIONS ESSENTIELLES, DANS UN CONTEXTE DEVENU PLUS CONFLICTUEL

A. UNE AUGMENTATION DES RISQUES ET DES MOYENS DE GESTION DE CRISE

1. Le centre de crise et de soutien, fleuron du savoir-faire français de la gestion de crise

Le Centre de crise et de soutien (CDCS), créé en 2008, est responsable de la sécurité des ressortissants français à l'étranger au titre du programme 105, ainsi que, au titre du programme 209, de l'action humanitaire et de stabilisation. Il est le chef de file en matière d'anticipation et de réaction face aux crises et assure la cohérence et la coordination de l'action de l'État dans ces domaines.

Il assure ainsi une mission de veille et d'alerte en matière de stabilité politique, de conflits armés ainsi que de risques naturels et épidémiologiques, 24 heures par jour et sept jours par semaine, grâce au réseau diplomatique mais aussi à ses moyens propres. Il analyse en outre les risques et planifie la réponse aux crises en veillant à la dotation des postes en plans de sécurité et en les équipant et en les formant en conséquence. Il assure un rôle d'information et de prévention par la publication des fiches « Conseils aux voyageurs » et la gestion du service « Fil d'Ariane ». Il traite enfin les affaires individuelles les plus sensibles, telles les morts violentes, disparitions inquiétantes ou les enlèvements.

Carte mondiale des zones de vigilance (octobre 2023)

Source : Portail France Diplomatie.

Sa fonction d'information du grand public, via les Fiches conseils aux voyageurs, est sans doute la plus connue, puisque ces pages totalisent 39 millions de vues en 2022. Elles sont actualisées en permanence. Leur refonte est prévue dans les prochains mois, dans le cadre de la modernisation du site internet France diplomatie, ainsi qu'une meilleure prise en compte de certaines thématiques. Une actualisation de l'application Conseils aux Voyageurs, déjà disponible pour les smartphones, devrait permettre en 2024 une meilleure utilisation par un plus grand nombre d'usagers.

Dans sa fonction de gestion de crise, le centre de crise fait office d'ensemblier, en travaillant avec un grand nombre de partenaires publics et privés : armée, centre de commandement de l'armée, services du ministère de la santé, collectivités territoriales, entreprises ou fondations d'entreprises telles CMA-CGM, Suez, Sanofi, mais aussi les grandes ONG pour le volet humanitaire de son action. La pratique des réunions interministérielles tenues au centre de crise réunissant les postes diplomatiques concernés, le cabinet de la ministre et les acteurs concernés, est désormais installée.

2. Une budgétisation qui peut être adaptée pour faire face à une situation de crise

Après une augmentation du budget de fonctionnement du centre de crise, en loi de finances initiale pour 2023, de 600 000 euros par rapport à l'année précédente, le PLF pour 2024 augmentera le budget de fonctionnement du centre de 450 000 euros, le faisant passer de 3 M€ à 3,4 M€. Cette augmentation lui permettra de recruter environ 5 ETP, faisant passer ses effectifs, qui n'étaient qu'une trentaine d'ETP en 2008 et 62 en 2014, de 104 à 109 en 2024.

Il est bien sûr impossible de budgéter finement le financement d'actions par hypothèses imprévisibles et contingentes mais, dans un contexte international et environnemental particulièrement dangereux, la charge de travail du centre de crise se maintiendra à court, voire à moyen terme. L'année 2023 a ainsi vu les crises de grande ampleur se succéder à un rythme rapproché : séisme en Turquie et en Syrie en février, évacuation du Soudan en avril, crise au Niger et au Gabon en août, séisme au Maroc en septembre, guerre dans le Haut-Karabagh en septembre, guerre en Israël en octobre.

Ces crises gagnent en outre en intensité. Celles de 2023 ont, à ce jour, coûté 8 580 736 € : 935 131 € pour le Soudan, 2 857 934 € pour le Niger et 4 787 671 € pour la crise en Israël et dans les territoires palestiniens. Une évacuation, même partielle, de nos ressortissants du Liban, qui sont environ 20 000, ferait peser une lourde charge sur les capacités du centre.

Le centre puise cependant pour son financement à d'autres sources :

- la réserve de crise : son montant reste stable à 1,5 M€, mais elle peut être réabondée en cours d'exercice ;

- le concours du mécanisme de protection civile de l'UE : il permet le remboursement par la Commission européenne d'une partie du coût d'affrètement, par le ministère, d'avions ayant servi au rapatriement de ressortissants européens, lequel peut atteindre 75 % des crédits engagés lorsque 30 % des passagers sont des ressortissants d'autres pays de l'Union européenne. Dans le cas de la crise en cours au Proche-Orient, n'y ont toutefois été éligibles qu'un cinquième des 15 vols affrétés ;

- des redéploiements en fin de gestion au sein du programme, destinés à couvrir le financement d'aléas par nature imprévisibles.

B. DE NOUVELLES ARMES DANS LA BATAILLE INFORMATIONNELLE

1. Une ambition renouvelée dans le cadre de l'agenda de la transformation

L'influence et la communication faisant partie des fonctions essentielles identifiées par l'agenda de la transformation, la direction de la communication et de la presse (DCP) du ministère bénéficiera en 2024 d'un effort budgétaire de 2,2 M€. Celle-ci emploie, en 2023, 118 agents en administration centrale et anime, à l'étranger, un réseau de 524 agents de tous statuts et de toutes fonctions, qui participent aux fonctions de communication.

Les crédits socle sont ainsi consolidés à hauteur de 5,3 millions d'euros, ce qui correspond aux besoins liés aux actions déjà engagées ou mises en place, notamment : la refonte des sites des postes et de France diplomatie sur trois ans, la prise en charge d'outils de veille ou de prestations de veilles externalisées, ou encore la participation sur quatre ans au financement de la chaîne vidéo de la Maison des mondes africains.

Sera en outre pérennisé le fonds de communication des postes, mis en place pour la première fois en 2023 afin de soutenir les projets les plus ambitieux et de renforcer la capacité des postes à mener des actions de communication. En 2023, 85 dossiers ont été financés sur un total de 96 candidatures, pour un montant dépassant 1,2 million d'euros. Ont été soutenues les actions de communication ambitieuses dans les pays à fort risque de discours hostile et de désinformation - en Afrique, au Maghreb, dans l'Indopacifique -, et la communication des postes de présence diplomatique.

Les nouvelles actions lancées en 2024 bénéficieront de crédits à hauteur de 1,55 M€. Il s'agit de financer le renforcement des moyens de nos ambassades dans les géographies prioritaires avec une dotation minimale de communication de 5 000 euros par ambassade, la constitution d'un réseau de veilleurs en poste, ou encore la dotation d'outils techniques permettant de développer une capacité de veille, d'analyse et de documentation sur la base de sources ouvertes.

2. Des ambitions nouvelles dans la guerre informationnelle

La DCP s'engage en outre dans une politique plus résolue de lutte contre la désinformation, qui passe par la dynamisation de la présence du ministère dans les médias et sur les réseaux sociaux. Outre les éléments qui précèdent, y contribueront plus spécifiquement deux nouveautés.

D'une part, la sous-direction de la veille et de la stratégie créée le 1er septembre 20224(*), est chargée de piloter la veille sur les questions de politique internationale sur l'ensemble des médias et d'animer, sur ces questions, le réseau des postes diplomatiques et consulaires. Elle analyse et suit les dynamiques informationnelles à l'échelle internationale, fait des propositions de communication stratégique et appuie à cette fin le porte-parolat. Elle compte, pour l'heure, 19 ETP.

Cette sous-direction renforce la capacité d'analyse et d'alerte autonome du ministère. En lien quotidien avec les acteurs interministériels, notamment VIGINUM et l'état-major des armées, la DCP contribue grâce à elle à la dénonciation publique des fausses informations circulant contre la France et des manoeuvres d'ingérence étrangères menaçant nos intérêts. La DCP a en particulier développé ses relations avec des fact-checkeurs français et étrangers, ainsi qu'avec des communautés d'enquêteurs en sources ouvertes. Au Niger, une quarantaine de manipulations de l'information ont ainsi été contrées.

D'autre part, une plateforme de partage de contenus est appelée à consolider le rôle de pilotage interministériel du ministère en matière de communication de la France à l'étranger. Cette plateforme partagée permettra en effet l'élaboration de stratégies de communication communes avec les opérateurs sur les priorités de politique étrangères - une charte a par exemple déjà été élaborée avec l'Agence française de développement -, la déclinaison de ces stratégies dans les ambassades et la mise en place d'outils permettant le partage et la dissémination de contenus par l'ensemble des acteurs.

Afin que le contre-discours favorable aux intérêts français, là où ils sont contestés, n'apparaisse pas systématiquement sous le timbre du Gouvernement français, il semble aux rapporteurs utile d'investir davantage dans le soutien aux producteurs locaux de contenus servant nos intérêts. Les crédits de base de communication confiés aux postes peuvent certes y contribuer. C'est en outre l'objet du programme d'invitation de journalistes étrangers, lequel sera renforcé à l'approche des Jeux olympiques de Paris 2024, notamment aux journalistes africains et aux influenceurs sur les réseaux sociaux. Des marges de progression restent toutefois possibles en la matière.

Il importe enfin de soutenir les relations de coopération développées à une échelle plus large - avec les États membres de l'UE, le service européen d'action extérieure, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Brésil, l'OTAN, l'OCDE, l'ONU - et de défendre la régulation des plateformes au niveau international, en prenant par exemple appui sur la réglementation européenne en la matière.

C. LA POLITIQUE DE COOPÉRATION DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE

1. La coopération de sécurité et de défense, un outil d'influence de premier plan

La direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) déploie l'expertise française auprès de pays partenaires en vue de renforcer leurs capacités de sécurité et de défense. Cette politique vise aussi à développer notre influence tout en assurant une meilleure diffusion de nos valeurs. Le choix de confier à une direction unique du ministère des affaires étrangères la conception et la mise en oeuvre de coopérations structurelles, plutôt que d'en laisser l'initiative aux ministères métiers - intérieur, justice, défense... - est une spécificité française.

L'activité de la DCSD consiste essentiellement en de la formation : la direction envoie à cette fin des coopérants, issus principalement des armées, de la gendarmerie, de la police et des douanes, dans une cinquantaine d'académies, et pilote elle-même une vingtaine d'écoles nationales à vocation régionale (ENVR). Ont par exemple ce statut l'école d'administration des forces de défense à Libreville, au Gabon, ou bien l'école internationale de perfectionnement à la pratique de la police judiciaire de Djibouti, toutes deux créées en 2023.

Carte du réseau des coopérants de la DCSD 2022-2023

Source : DCSD.

Le changement de contexte politico-sécuritaire survenu ces derniers mois en Afrique de l'Ouest a eu des effets ambigus. Il a certes conduit à des ajustements : la relocalisation de l'Institut supérieur de logistique de Ouagadougou est à l'étude, l'avenir de l'Institut supérieur d'études de protection civile de Ouagadougou et de l'École des personnels paramédicaux des armées de Niamey est à ce stade incertain, et l'activité de l'Académie des frontières au Niger est gelée. Mais la demande de coopération avec la France, qui dispose d'un vrai savoir-faire, est toujours forte, et les candidats à la reprise de ces établissements sont ainsi nombreux dans la région.

Les projets pour 2024 sont nombreux ailleurs en Afrique. Citons par exemple la création d'une école de systèmes d'information et de commandement en Côte d'Ivoire, la création d'une école de sécurité environnementale des parcs naturels en Afrique centrale, ou encore l'accompagnement de la transformation en ENVR de l'École de Guerre Terre de Kinshasa, en République démocratique du Congo.

Réseau des écoles de sécurité et de défense soutenues par la DCSD

Source : DCSD.

2. Un outil d'influence encore sous-utilisé

Une réflexion est en cours depuis la fin 2022 sur la nature de ces écoles et la modernisation du pilotage par la DCSD. Celle-ci repose sur plusieurs piliers.

D'abord, celui du repositionnement géographique. Il s'agit, d'une part, de réorienter la présence française en Afrique au profit de grands pays pivots et de l'Afrique orientale et australe et, d'autre part, de miser davantage sur l'indopacifique, l'Europe continentale et les pays d'intérêt de la zone Afrique du Nord-Moyen Orient. La DCSD se fixe ainsi :

- dans la zone indopacifique : le lancement du projet d'école régionale de sécurité maritime au Sri Lanka, et un projet régional de sécurité des infrastructures portuaires devrait également démarrer en 2024, sous financement européen ;

- dans la zone Afrique du Nord-Moyen Orient : outre la poursuite des actions de coopération avec le Maroc, le Liban, la Jordanie et la Tunisie, un effort sera fait avec la Libye, notamment en matière de protection civile et de douanes ;

- dans les Balkans occidentaux : l'achèvement en 2024 du projet EVOFINDER relatif à la lutte contre les trafics illicites d'armes à feu de petit calibre, et l'inauguration du projet monté conjointement avec la Slovénie d'école régionale de cybercriminalité au Monténégro (C3BO), qui a dispensé sa première formation en mai 2023 ;

- en Amérique latine et dans les Caraïbes : la poursuite de la coopération avec la police haïtienne et des actions de protection civile et de lutte contre les stupéfiants.

Au plan thématique, la DCSD s'attache à développer son action sur des enjeux nouveaux, de fort intérêt pour la France en termes de retour en sécurité et en termes d'influence, et faisant l'objet d'une forte demande des pays partenaires, tels que : la cybersécurité, la protection civile et la sécurité environnementale, la sécurité maritime, et la lutte contre l'immigration clandestine.

La modernisation de la doctrine d'emploi des ENVR est également en chantier. Il s'agit :

- d'internationaliser le financement et/ou la gouvernance des écoles. L'Union européenne a par exemple rendu possible le programme de soutien aux centres de formation africains à la paix et à la sécurité, où figurent cinq des écoles soutenues financièrement par la DCSD. L'Académie internationale de lutte contre le terrorisme de Côte d'Ivoire a, pour sa part, bénéficié de la participation de l'Union européenne, du Canada, du Danemark, des Émirats Arabes Unis et des États-Unis.

- De rénover le pilotage des écoles en les autonomisant, notamment pour la recherche de financements extérieurs, en les mettant davantage en réseau par la création de synergies et d'échanges de bonnes pratiques et la constitution de réseaux d'anciens élèves, en y renforçant le soutien à la francophonie.

L'atteinte de ces différents objectifs suppose une forte capacité d'adaptation de la DCSD et une « flexibilité » du réseau et un fonctionnement « en mode projets ». La DCSD sera en effet conduite à fermer et ouvrir un volume de postes équivalent à plus de 10 % de ses effectifs. À cela s'ajoute l'objectif d'accroître l'offre de formation de 40 %, afin d'ajouter 1200 stagiaires aux 3 000 déjà bénéficiaires, chaque année, des cursus longs délivrés par les différente écoles - les stagiaires de formations courtes ou ponctuelles étant environ dix fois plus nombreux. L'atteinte d'un tel objectif nécessitera des financements, des effectifs et des travaux d'infrastructures supplémentaires.

Pour 2024, la DCSD bénéficie, au titre du programme 105, d'une hausse de ses crédits d'intervention de 7 % par rapport à l'an dernier, ce qui les porte à environ 39 M€. Une ENVR coûte un à deux millions d'euros par an, dont 300 000 de fonctionnement assurés par la DCSD elle-même.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 29 novembre 2023, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de Mme Catherine Dumas, Vice-présidente, a procédé à l'examen du rapport de Mme Valérie Boyer et M. Jean-Baptiste Lemoyne, sur les crédits du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ».

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis.- Je précise tout d'abord que c'est mon premier rapport pour avis au sein de cette commission et il en va de même pour Jean-Baptiste Lemoyne. Je voudrais d'abord dire un mot inspiré par l'amendement de la commission des finances dont nous avons pris connaissance assez tard. Il faudra, à l'avenir, améliorer la coordination de nos travaux car j'ai été assez surprise de devoir mener des auditions sans connaître les intentions des rapporteurs de la commission des finances en matière d'économies budgétaires et ces orientations, qui auraient pu guider notre travail, ont été prises sans l'ombre d'une concertation. En conséquence, l'année prochaine, je n'accepterai pour ma part de rapport budgétaire qu'à condition que l'on puisse organiser suffisamment tôt une réunion avec nos collègues de la commission des finances, par souci de cohérence, d'anticipation, et par respect pour notre travail.

J'en viens à nos principales remarques. Le programme 105 de la mission « Action extérieure de l'État » regroupe les moyens de l'action diplomatique de la France et ses crédits de fonctionnement. Il porte également une grande part des contributions versées par la France aux organisations internationales. En 2024, ses crédits progressent de près de 8,7 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, soit environ 180 millions d'euros, pour atteindre 2,26 milliards d'euros. Le ministère se félicite de la hausse, inédite semble-t-il depuis 2005, de 13 % des dépenses hors rémunérations. Observons tout de suite que le doublement de la contribution française à la « Facilité européenne pour la paix » représente presque la moitié de cet effort de 166 millions d'euros. La France consacre en effet 76 millions d'euros de plus que l'an dernier - 144 millions d'euros en tout - à ce fonds destiné prioritairement à soutenir l'Ukraine. L'impact de cette dépense n'est donc pas facile à évaluer.

Le plus gros poste parmi les dépenses d'intervention est celui des crédits consacrés aux contributions internationales et aux opérations de maintien de la paix. Ils représentent, hors crédits de personnel, deux tiers du programme, soit 927,6 millions d'euros. Sa hausse, de presque 100 millions d'euros, s'explique par l'effet-taux de change et la revalorisation de certaines contributions.

L'effort supplémentaire en faveur des contributions volontaires représentera l'an prochain 2,3 millions d'euros. Nos collègues de la commission des finances Vincent Delahaye et Rémi Féraud ont cependant bien montré l'an dernier l'attentisme français en la matière. Si la contribution volontaire de la France au système des Nations unies a bel et bien augmenté de 180 millions en dix ans, les Britanniques et les Allemands ont fait un effort, respectivement, quatre et seize fois plus grand, alors même qu'ils partaient d'un niveau plus élevé... L'impact de cet effort sur notre capacité d'influence n'est en outre pas facile à illustrer. Le ministère évoque, pêle-mêle : le renouvellement du directeur français des opérations de maintien de paix aux Nations unies, le soutien « décisif » de la France au lancement, par la CPI (Cour pénale internationale), d'une enquête sur la situation en Ukraine, le lancement de la stratégie onusienne de lutte contre la désinformation, le soutien accru à l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique), à l'OIAC (Organisation pour l'Interdiction des Armes Chimiques) ou à l'office des Nations unies contre la drogue et le crime...

D'une manière générale, je crois qu'il faudra s'interroger avec courage et lucidité sur notre place au sein de ces organisations internationales et sur notre influence. Compte tenu des moyens que nous y consacrons et de notre poids, j'estime que nous sommes, comme d'autres pays européen, à un tournant décisif : je me demande s'il est cohérent de continuer à alimenter cette dérive des moyens concomitante à la baisse de notre influence qui me préoccupe tout particulièrement.

Les crédits nouveaux du programme 105 permettront certes d'engager le « réarmement » de notre diplomatie, pour employer la formule du Président de la République, au sens où, pour la deuxième année consécutive, le ministère recrutera. Je rappelle que ses effectifs, qui avaient perdu 3 000 ETP entre 2007 et 2021, avaient alors cessé de baisser. Puis, après une augmentation factice liée au recrutement de CDD en prévision de la présidence française de l'UE, ils n'étaient repartis à la hausse qu'en 2023. En 2024, le ministère prévoit l'embauche de 165 ETP dans le périmètre de la mission « Action extérieure de l'État », dont une bonne centaine au titre du programme 105. Cette hausse s'inscrit dans la programmation dévoilée par le chef de l'État en mars dernier, à l'issue des états généraux de la diplomatie. Celle-ci prévoit 700 recrutements nouveaux d'ici 2027, avec des marches plus élevées en fin de programmation.

On se rappelle que ces états généraux ont été réunis pour apaiser les inquiétudes suscitées chez les diplomates par la réforme de leur statut, et il en va de même pour d'autres catégories de fonctionnaires. À ce jour, environ 72  des 800 diplomates concernés ont opté pour le cadre des administrateurs de l'État. La directrice des ressources humaines table sur un taux de 80 % à terme. Un recours contre la réforme a été rejeté par le Conseil d'État il y a un mois, mais il est douteux que les inquiétudes soient totalement apaisées. Je pense que les jeunes choisissent ce nouveau statut tandis que ceux qui bénéficient de l'ancien ont souhaité le conserver, ce qui me semble parfaitement logique.

Quoi qu'il en soit, les chantiers issus des états généraux sont en cours de mise en oeuvre. L'organigramme du ministère a été revu le 1er septembre dernier. À l'école pratique des métiers de la diplomatie, créée par Jean-Yves Le Drian en mars 2022, devrait succéder l'Académie diplomatique et consulaire, dont le rapport de préfiguration doit être rendu par Didier Le Bret début 2024. La DRH mène de nombreux autres chantiers touchant aux concours et à la qualité de vie au travail ; elle vante l'organisation agile - en matière de soutien consulaire par exemple - et la multiplication des task forces.

Près d'1 million d'euros de mesures nouvelles financeront la politique sociale du ministère - avec, par exemple, l'objectif de satisfaire 100 % des demandes de place en crèche -, mais aussi l'accompagnement de la mobilité tout au long de la carrière et la formation. Nous n'avons en revanche jamais entendu parler en audition de la « réserve diplomatique citoyenne » évoquée par le Président en mars.

Je dirai enfin un mot de quelques postes de dépenses de fonctionnement. La direction de la sécurité diplomatique disposera d'une mesure nouvelle de 5 millions d'euros, dont une partie sera consacrée à l'achat de nouveaux véhicules blindés et au renforcement de la sécurité passive de nos ambassades les plus exposées. Nous avons tous en mémoire ce qui s'est passé en Afrique récemment et particulièrement au Niger : les personnes que nous avons auditionnées ont beaucoup insisté sur la nécessité de renforcer la sécurité des lieux où se trouve le personnel diplomatique.

Le montant des dépenses de protocole affiche une hausse notable en 2024, en passant de moins de 8 à plus de 18 millions d'euros. Le Gouvernement la justifie par le nombre élevé de chefs d'État et de gouvernement étrangers qui participeront, d'une part, aux cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux Olympiques et paralympiques et, d'autre part, aux commémorations du 80ème anniversaire des débarquements en Normandie et en Provence. Il est vrai que la France a accueilli de nombreux événements diplomatiques importants qui nécessitent un protocole de sécurité aguerri, performant et très disponible.

Cette enveloppe prend également en charge les frais des nombreuses conférences internationales - sur les droits des femmes en mars, sur le sport et la santé en marge des Jeux, ou encore le sommet de la francophonie à Villers-Cotterêts et à Paris en octobre. La professionnalisation de l'organisation de conférences internationales - telle la conférence humanitaire pour la population civile de Gaza, qui a démontré un vrai savoir-faire - est d'ailleurs un objectif du ministère. Je note qu'on aurait pu souhaiter une conférence similaire à propos des otages...

Enfin, nous n'avons pas pu approfondir les enjeux immobiliers, mais ils restent primordiaux, et pas seulement sous l'angle de leur financement par des crédits budgétaires plutôt que par les produits de cessions. Du fait, notamment, des besoins de task forces, de formations de crise, et de la rationalisation du parc engagée naguère, les locaux en administration centrale sont désormais saturés. Dans ces conditions, abriter les 700 ETP promis d'ici quatre ans par le Président de la République sera une véritable gageure.

Sans dévoiler ce que va dire Jean-Baptiste Lemoyne, j'insisterai sur la nécessité de préserver et de conforter la cellule de crise qui est probablement un des fleurons du ministère et que certains ont peut-être pu connaitre, notamment lors de la Covid ou d'autres crises.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis du programme 105. - Au sein de ce budget offensif, nous avons souhaité mettre l'accent sur trois aspects qui nous semblent fondamentaux dans l'environnement géopolitique particulièrement dangereux du moment : il s'agit d'abord de la gestion de crise - Valérie Boyer vient d'introduire le sujet -, ensuite de la communication dans un monde de guerre informationnelle et, enfin, la coopération de sécurité et de défense dans un contexte africain que vous connaissez bien.

En premier lieu, sur nos moyens dédiés à la gestion de crise, on le sait peu, mais la France dispose en la matière d'un savoir-faire envié à l'étranger. Sa maîtrise est assurée par le Centre de crise et de soutien (CDCS). Un seul exemple : le 8 octobre dernier, soit le lendemain des attaques du Hamas, le CDCS a immédiatement mobilisé 90 ETP tournant quotidiennement, la nuit et le weekend, pour rapatrier 3 500 personnes, tout en traitant les milliers d'appels et de courriels de leurs proches. À cet égard, je me permets de saluer non seulement l'action du personnel du CDCS, mais aussi ceux qui viennent le renforcer lors des pics d'activité, que ce soient des agents du ministère ou des personnels de la Croix-Rouge qui arme la réponse téléphonique. Nos collègues Jean-Pierre Grand et Rachid Temal avaient d'ailleurs eu l'occasion de saluer l'action du CDCS dans leur rapport de juin 2020 sur le suivi du rapatriement des Français de passage à l'étranger pendant la crise sanitaire. C'est donc un outil très précieux dans un contexte de multiplication des crises, de leur aggravation et de leur diversité.

Si on se retourne sur l'année 2023, et encore elle n'est pas terminée - il peut encore se passer beaucoup de choses d'ici le 31 décembre -, on constate que le CDCS est intervenu à la suite du séisme turco-syrien de février, de l'évacuation au Soudan en avril et, au cours des trois derniers mois, il y a eu les événements au Gabon, les inondations en Libye, le séisme au Maroc, la guerre dans le Haut-Karabagh, puis le 7 octobre dans son volet israélien et palestiniens. Cela montre l'intensité des crises qui mobilisent son personnel.

En 2024, le budget de fonctionnement du CDCS augmentera de 450 000 euros par rapport à 2023, pour atteindre 3,45 millions d'euros. Il s'agit là naturellement uniquement de l'aspect état-major, car le CDCS brasse infiniment plus de moyens, et en particulier les crédits humanitaires, de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'euros. Les ETP du centre, qui ont doublé en dix ans, passeront de 104 en 2023 à 109 l'an prochain. Souvenons-nous que le CDCS, créé en 2008, a fêté ses 15 ans cette année : il a commencé avec 30 personnes, a doublé en 2014, et on atteint donc l'an prochain les 109 ETP.

Il est toujours difficile de planifier le financement d'actions qui, par définition, sont imprévisibles. Néanmoins, le CDCS dispose d'une réserve de crise qui est stable à 1,5 million d'euros et qui est systématiquement réabondée en fonction des besoins et au fur et à mesure de la survenue des crises. Pour vous donner des ordres de grandeur, la gestion de la crise au Soudan d'avril dernier a coûté un peu moins d'1 million d'euros, celle du Niger 2,9 millions d'euros, et, pour l'instant, nous en sommes à 4,8 millions d'euros pour la gestion de la crise en Israël. De plus, le CDCS bénéficie de financements européens au moyen du mécanisme de protection civile de l'Union européenne lorsqu'elle rapatrie des ressortissants d'autres États membres.

Compte tenu du contexte international et environnemental, il est très vraisemblable que la charge de travail du CDCS se maintiendra à court et moyen terme. Si la situation au Proche-Orient se dégradait encore davantage, songez à ce qu'impliquerait l'évacuation de nos ressortissants du Liban, qui sont environ 20 000. Le CDCS se prépare en tout cas à toutes les éventualités.

Le deuxième aspect que nous avons examiné de plus près porte sur nos capacités de communication et d'influence, notamment dans la sphère numérique. Ce poste fait l'objet d'un effort d'un peu plus de 2 millions d'euros l'an prochain. Ces crédits permettront à la direction de la communication du ministère de renforcer ses effectifs et de mettre en oeuvre ses ambitions de lutte contre la désinformation. Celle-ci compte aujourd'hui 118 ETP, dont 19 au sein de la sous-direction créée en septembre 2022 chargée de la veille et de la stratégie. Celle-ci a vocation à surveiller les réseaux et à élaborer une riposte lorsque la guerre de l'information menace nos intérêts.

Outre cette nouvelle fonction, la DCP souhaite devenir le pilote en interministériel de la communication de la France à l'étranger, tous opérateurs confondus. Une plateforme de partage de contenus doit ainsi être créée pour rationaliser nos moyens d'influence en diffusant des contenus plus pertinents dans le réseau, qui les disséminera. Gardons en mémoire que nous publions des messages dans plus de 50 langues pour nous adapter à toutes les audiences et à tous les publics de par le monde.

La méthode est bonne. Il faut monter en puissance pour maintenir une cadence soutenue de diffusion de nos narratifs et contrer ceux qui nous sont hostiles. La cellule de veille des réseaux sociaux est pour l'heure composée de 5 personnes, ce qui ne permet pas encore de faire une veille ininterrompue.

Lutter contre les infox, c'est aussi soutenir les producteurs d'information locaux qui participent à une présentation objective des faits face à ce qu'il faut appeler tout simplement des trolls. Pour percer le mur de la désinformation, il ne faut pas se contenter d'une communication meilleure mais qui resterait estampillée « Gouvernement français ». Le Quai réserve certes des moyens pour que nos postes identifient et soutiennent les « bons » journalistes et influenceurs, notamment dans la perspective de JO de Paris.

Enfin, nous avons examiné l'action du ministère en matière de coopération de sécurité et de défense. C'est une spécificité française que de faire piloter par les affaires étrangères les coopérations et formations qui relèvent, ailleurs, des ministères métier - défense, justice, intérieur, douanes etc...

Le PLF 2024 prévoit près de 120 millions d'euros pour la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) qui met en oeuvre cette coopération structurée avec les États partenaires dans le champ sécuritaire. Deux tiers des crédits sont consacrés à la masse salariale pour rémunérer ce réseau de 313 coopérants, dont 249 coopérants militaires et 64 experts techniques internationaux. S'y ajoutent des crédits d'intervention de l'ordre de 40 millions d'euros, contre 36 en 2023, ce qui va permettre d'être toujours plus présents sur l'aspect formation qui peut être étoffé. Il y a déjà un réseau d'une vingtaine d'écoles nationales à vocation régionale (ENVR) et d'une cinquantaine d'académies de par le monde qui bénéficient à environ 3 000 stagiaires à l'année et 30 000 stagiaires dans le cadre de formations infra-annuelles plus courtes. La DCSD se fixe l'objectif d'accroître cette offre de 40 %, en ligne d'ailleurs avec les propos du ministre des armées et des chefs d'état-major qui avaient dit vouloir accroître l'offre de formation des cadres militaires étrangers.

L'Afrique de l'ouest est la zone où les coopérations restent les plus denses. En dépit des événements récents au Burkina Faso ou au Niger, la demande de France reste forte dans la région. Deux ENVR y seront créées en 2024 : une école de systèmes d'information et de commandement en Côte d'Ivoire, et une école de sécurité environnementale des parcs naturels en Afrique centrale, sans même parler des redéploiements en cours dans le contexte sahélien actuel.

Une réflexion sur la modernisation de cet outil a été engagée fin 2022. Elle vise à mettre les ENVR en réseau, à les autonomiser, à diversifier leur financement, à y renforcer la francophonie. Je signale que la DCSD agit ailleurs qu'en Afrique : ainsi, dans les Balkans, ou dans la zone indopacifique - une ENVR va d'ailleurs ouvrir au Sri Lanka.

J'en termine en formulant une remarque générale sur la conception des documents budgétaires et, donc, sur l'information des parlementaires. Les outils de mesure de la performance mériteraient d'être revisités. Ainsi, l'indicateur « renforcer la sécurité de la France au travers de celle de nos partenaires » contient trois objectifs : d'abord, le taux de réalisation des objectifs de coopération de sécurité et de défense, qui est assez vague ; ensuite, le coût unitaire de formation des élèves, qui n'évolue guère dans le temps ce qui peut faire douter de sa pertinence ; enfin, la part des femmes participant aux formations. Il importe bien sûr de contribuer à l'égalité entre les femmes et les hommes en toutes circonstances mais je pense qu'il serait également important, voire plus, de disposer d'indicateurs sur le nombre de personnes formées et éventuellement sur leur trajectoires à l'issue de leur formation car il y a là aussi un enjeu d'influence qui peut être intéressant.

Pour conclure, dans ce monde fait d'accumulation de crises, de délitement du système multilatéral et d'émergence de nouveaux théâtres d'opérations, comme le terrain informationnel, ne boudons tout de même pas notre plaisir de voir le réarmement de notre diplomatie réellement engagé en termes de moyens humains et financiers. Nous vous proposons donc, avec Valérie Boyer, d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 105.

Mme Catherine Dumas, présidente. - Merci beaucoup pour vos exposés. Avant de laisser la place aux interventions, je reviens sur les propos de Valérie Boyer qui portent sur nos relations avec la commission des finances : je pense que c'est un sujet que nous aborderons à nouveau quand le président Perrin sera de retour. Je vous félicite également d'avoir apporté sur le Centre de crise et de soutien des précisions particulièrement intéressantes dans le monde en plein vertige qui est le nôtre. J'informe également la commission que mercredi prochain, nous auditionnerons David Colon, grand spécialiste de la guerre de l'information.

M. Rachid Temal. - Pour avoir travaillé en effet sur le centre de crise, je me félicite en effet qu'il dispose de quoi travailler. S'agissant de la guerre de l'information, je souhaiterais, pour fixer les ordres de grandeur, savoir ce que font d'autres pays amis ou concurrents - Britanniques, Américains, Russes ou Chinois - pour situer notre niveau de protection. En second lieu, s'agissant des experts militaires, pouvez-vous développer la question des liens avec le ministère des Armées, de façon générale et notamment en Afrique : comment cette action s'articule-t-elle avec la réorganisation de nos bases militaires ?

M. Alain Joyandet. - Je veux saluer le travail des rapporteurs et apporter un témoignage avant de soulever deux questions. D'abord, je crois qu'il faut vraiment souligner la qualité des personnels du Quai d'Orsay : nous avons dans notre administration du Quai d'Orsay une diplomatie absolument exceptionnelle ; je pense que c'est une des meilleures du monde, qu'il s'agisse des seniors ou des juniors. Ma deuxième remarque concerne le Centre de crise créé en 2008 : s'il n'existait pas, il faudrait l'inventer car cette entité est à la fois exceptionnelle et très efficace.

Ma première question porte sur le ressenti et les commentaires que vous avez recueillis au cours des auditions sur la réforme de notre diplomatie. Quelles en seront les conséquences pratiques en termes d'effectifs ?

En second lieu, comment expliquez-vous, malgré la qualité de nos moyens humains, la perte d'influence de la France dans le monde ?

M. Olivier Cadic. - À mon tour de remercier nos deux rapporteurs qui ont dressé un portrait éloquent des bons côtés de l'action de nos ambassades. Je m'associe aux propos de Valérie Boyer et voudrais mettre en garde contre le risque de saupoudrage des contributions volontaires parce que c'est une importante source d'inefficacité. Nous n'avons plus les moyens d'être partout à la fois et il faut définir les objectifs qui justifient ces contributions volontaires. Je suggère à ce titre, aux rapporteurs et même à la commission, d'entendre notre ambassadeur à l'ONU qui m'a éclairé sur le niveau ainsi que la portée de ces contributions volontaires.

Merci également au rapporteur d'avoir souligné l'importance du centre de crise et de soutien dont je rappelle qu'il a été créé en 2008 à la demande de l'Assemblée des Français de l'étranger. On a notamment pris conscience de son intérêt lors des attentats malheureux du Bataclan qui a suscité de très nombreux appels de l'étranger ; le CDC est alors devenu CDCS et on a pu en constater l'utilité lors des attentats de Nice qui ont suivi le 14 juillet. Je fais ici le lien avec les remarques de Jean-Baptiste Lemoyne sur les indicateurs figurant dans la documentation budgétaire auxquelles je souscris pleinement. Le CDCS est en effet la seule administration qui est certifiée qualité ISO 9002, ce qui s'accompagne nécessairement d'un suivi sur la base d'indicateurs pertinents. Je suggère de réfléchir à une extension de cette certification au CDCS afin d'améliorer le suivi de leur performance.

M. Philippe Folliot. - Je m'associe aux propos élogieux qui ont été tenus sur la qualité du travail de nos rapporteurs. Ma première question concerne notre réseau diplomatique qui, comme vous l'avez indiqué, ne peut pas être étendu à l'infini. Pour autant, j'avais interpellé la ministre sur le fait que nous ne disposons toujours pas de permanence diplomatique au Guyana qui, à ce jour, est l'un des plus pauvres d'Amérique du Sud mais va devenir l'un des plus riches compte tenu des gisements de pétrole qui y ont été découverts. Or nous avions constaté sur place que notre pays passe à côté de possibilités d'expansion pour nos firmes parce que les chefs d'entreprise du Guyana sont obligés d'aller chez leur voisin du Suriname afin d'obtenir un visa pour venir en France. Il me parait important d'appuyer la demande de permanence diplomatique au Guyana que nous avions faite dans notre rapport. Nous avons ouvert une représentation diplomatique peu après l'accession à l'indépendance d'autres petits pays promis à un développement économique rapide comme le Qatar, le sultanat de Brunei, le Koweït, Bahreïn, ou d'autres. Or voilà près de 40 ans que le Guyana est indépendant et nous n'avons toujours pas réagi en conséquence.

Ma deuxième question concerne les guerres et les enjeux de désinformation. Ne serait-il pas opportun de nous appuyer sur un certain nombre de nos compatriotes originaires notamment des pays du Sahel et qui en connaissent les langues vernaculaires : ils pourraient peut-être nous aider, que ce soit par le biais de la réserve ou par d'autres moyens, à diffuser sur notre pays un récit peut-être plus positif que celui qu'on entend souvent.

Mme Catherine Dumas, présidente. - J'abonde évidemment dans le sens de cette suggestion relative au Guyana, d'autant plus que nous avons constaté sur place que les Chinois étaient déjà bien implantés dans ce pays...

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis. - M. Temal, je concède que nous n'avons pas procédé à un tel benchmark et c'est certainement un travail à poursuivre : je souscris à votre suggestion. Dans ce domaine, les comparaisons ont nécessairement des limites, puisque, par exemple nous ne disposons pas, comme la Russie, d'usines à trolls. Nos outils sont assurément différents car nous avons une autre déontologie.

Le lien de notre coopération de sécurité et de défense avec les armées est très étroit. D'ailleurs le directeur de la DCSD est traditionnellement un militaire - c'est aujourd'hui un général de corps d'armée. La réorganisation de nos bases est un autre chantier, mais je dirais qu'il y a un tout de même un lien avec notre sujet car si on souhaite avoir une empreinte un peu différente, peut-être moins forte, avec des bases allégées, il faut en revanche mettre l'accent sur l'augmentation du nombre de stagiaires, la densification du réseau d'écoles nationales à vocation régionale et d'académies locales pour continuer à maintenir un lien fort avec les forces de sécurité de tous ces pays partenaires.

M. Joyandet, lors des auditions, la DRH nous a signalé que 72 % des personnels concernés, qui sont environ 800, ont à ce stade opté pour l'entrée dans le nouveau corps d'administrateurs d'État. L'objectif de 80 % devrait être atteint prochainement. S'agissant des conséquences pratiques, je citerai la réorganisation de la DRH, qui est devenue à mon avis une direction beaucoup plus stratégique, qui a ouvert des chantiers relatifs aux parcours, à la gestion de la mobilité, et la gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences. Ces outils sont assez répandus dans de grandes organisations ; sans doute moins utilisés jusqu'ici au ministère des Affaires étrangères, ils deviennent essentiels à la faveur de la réforme.

En ce qui concerne plus généralement les raisons de notre perte d'influence dans le monde, et en évitant l'auto-flagellation, il faut d'abord observer que l'oligopole des alliés de 1945 est battu en brèche par l'émergence, depuis quelques décennies, de nouveaux acteurs à la fois étatiques - les grands émergents comme la Chine, le Brésil ou l'Afrique du Sud, qui cherchent à se structurer dans un Sud global - et non étatiques comme certaines ONG, entreprises ou coalitions diverses et variées. Il en résulte que se faire entendre nécessite un renforcement de moyens et une agilité pour arriver à marquer des points, être rapide et structurer des coalitions au bon moment. L'anticipation, les capacités d'analyse et la réactivité me paraissent ici des facteurs clés.

Enfin, M. Folliot, le sujet du Guyana est très important au regard non seulement des ressources de ce pays mais aussi des relations compliquées avec son voisin vénézuélien. J'ai noté, en ce moment même, l'existence de prétentions vénézuéliennes, notamment territoriales, qui méritent un suivi très attentif pour réagir le cas échéant.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. - J'ajouterai une observation en réponse à la question d'Alain Joyandet, qui se situe au coeur de nos préoccupations. Le thème de l'influence de la France dans les relations et dans les institutions internationales mériterait probablement une mission car le sujet est fondamental. Il faut explorer les pistes d'évolution des institutions au niveau français mais aussi des pays de l'Union européenne car celle-ci n'a pas de stratégie.

Enfin, lors de nos auditions, j'ai appris l'existence des conseillers diplomatiques des préfets de région. Compte tenu des crises qui nous affectent de différentes façons, je pense que la présence de cet interlocuteur local est essentielle.

Mme Hélène Conway-Mouret. - La présence de ces diplomates en préfecture est effectivement très utile, notamment pour les entreprises - en particulier les PME - qui souhaitent partir à l'international pour la première fois et trouvent ainsi des conseils, un interlocuteur et également un relai vers de Business France qui fait d'importants efforts en matière d'exportation vers l'étranger.

Mme Catherine Dumas, présidente. - Je vous remercie et vous propose de passer au vote.

La commission adopte le rapport pour avis sur les crédits du programme 105 - « Action de la France en Europe et dans le monde ».

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mardi 7 novembre 2023

- Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères : MM. Jonathan Lacôte, directeur général adjoint des affaires politiques et de sécurité, Alexandre Peaudeau, chef de mission de coordination et de gestion, Jérôme Bresson, directeur adjoint de la direction de coopération de sécurité et de défense et François Reydellet, sous-directeur des affaires domaniales et administratives, du patrimoine et de la décoration ;

Mardi 14 novembre 2023

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères : Mmes Anne-Claire Legendre, porte-parole, directrice de la communication et de la presse et Sophie Thellier, cheffe du Pôle administratif et financier de la Direction de la communication et de la presse.

Mercredi 15 novembre 2023

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères :

MM. Philippe Lalliot, directeur du centre de crise et de soutien et Éric Pasquel, chef de l'Unité de gestion administrative, budgétaire et soutien logistique ;

MM. Thibaut Fourrière, directeur de la sécurité diplomatique, Arnaud Sampic, chef du bureau de l'administration et de la comptabilité et Mme Carole Blestel, chargée de mission ;

Mme Agnès Romatet-Espagne, directrice des ressources humaines.

Jeudi 23 novembre 2023

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères : Mmes Anne-Marie Descôtes, secrétaire générale, Marion Flavier, chargée de mission au secrétariat général et M. Grégor Trumel, sous-directeur du budget.


* 1 Contributions financières : mieux assurer la place de la France dans le multilatéralisme, rapport d'information n° 392 (2021-2022) de MM. Vincent DELAHAYE et Rémi FÉRAUD, fait au nom de la commission des finances, déposé le 26 janvier 2022.

* 2 « Pour un plan de réarmement de la diplomatie française », rapport de Jérôme Bonnafont en conclusion des états généraux de la diplomatie, mars 2023.

* 3 Arrêté du 24 août 2023 modifiant l'arrêté du 28 décembre 2012 portant organisation de l'administration centrale du ministère des affaires étrangères.

* 4 Arrêté du 9 août 2022 modifiant l'arrêté du 28 décembre 2012 relatif à l'organisation de l'administration centrale du ministère des affaires étrangères.

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