EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 22 NOVEMBRE 2023

M. Éric Kerrouche, rapporteur pour avis de la mission « Pouvoirs publics ». - La mission « Pouvoirs publics » comporte les crédits de la présidence de la République, de l'Assemblée nationale, du Sénat, de la chaîne parlementaire, du Conseil constitutionnel et de la Cour de justice de la République (CJR), laquelle a eu quelques activités ces derniers temps. Le budget total de la mission s'élève à 1 137,8 millions d'euros pour 2024, soit une hausse de près de 6 % par rapport à l'année dernière. L'augmentation concerne l'ensemble des institutions de la mission, dans des proportions variables, à l'exception de la CJR dont la dotation reste stable d'un exercice à l'autre.

À titre liminaire, je souhaite revenir sur la proposition formulée par Grégory Blanc, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Pouvoirs publics », visant à comparer le coût de nos institutions au regard d'autres organismes équivalents en Europe. Cette idée me paraît intéressante, dans la mesure où une telle comparaison, rapportée au nombre d'habitants, permettrait d'obtenir des indicateurs.

J'émets cependant deux réserves. D'une part, le périmètre de l'étude comparative devrait être élargi aux institutions de l'ensemble des démocraties occidentales, notamment en raison de la meilleure accessibilité des données dans les systèmes anglo-saxons.

D'autre part, les spécificités propres à chaque système institutionnel peuvent engendrer des biais, qui limitent parfois l'intérêt de la comparaison. Pour ne prendre qu'un seul exemple, le coût du Conseil constitutionnel et celui de la Cour de Karlsruhe sont difficilement comparables, tant leurs missions et leur poids dans le système institutionnel diffèrent.

Par ailleurs, des travaux universitaires de comparaison des politiques publiques pourraient déjà être utilisés.

J'en viens maintenant à la présentation des crédits de la mission. La dotation demandée par la présidence de la République pour 2024 progresse de près de 11 % par rapport à l'exercice précédent et s'établit à 122,56 millions d'euros.

L'augmentation sensible des dépenses de déplacements mérite d'être soulignée : 31,87 % de plus par rapport à l'an passé, pour une enveloppe globale d'un peu plus de 21 millions d'euros. Cette progression résulte d'abord de l'inflation internationale ; ensuite, du durcissement, après la période du covid, des conditions de réservation et d'annulation des hébergements, ce qui a conduit à tendre les rapports avec les grands groupes hôteliers, y compris pour les délégations étatiques ; enfin, de l'imprévisibilité de certains déplacements - la présidence estime qu'ils représentent environ 30 % du volume total des déplacements. Lors de l'audition, la présidence de la République a donné l'exemple récent du déplacement au Moyen-Orient.

Je souhaite tout de même souligner que la présidence de la République a engagé quelques démarches pour mieux encadrer le coût des déplacements. Elle a par exemple institué, depuis le début de l'année, le principe d'une refacturation systématique pour un certain nombre de participants, notamment pour les ministres et leurs accompagnants. Ces efforts doivent être poursuivis.

Les dépenses d'investissement connaissent une hausse significative de 40,23 % entre les deux exercices et s'établissent à un peu plus de 9 millions d'euros en 2024. Ces crédits sont affectés au renforcement des dispositifs de sécurité - aussi bien physique qu'informatique - et à la rénovation des emprises immobilières.

Pour financer les opérations de travaux, la présidence sollicite cette année une dotation exceptionnelle de 4,5 millions d'euros, incluse dans l'enveloppe globale des investissements, qu'elle envisage de reconduire en 2025 et en 2026. En effet, les ressources tirées de la restitution du 14 rue de l'Élysée en 2022, qui lui avaient jusqu'à présent permis de financer un certain nombre de chantiers, sont désormais épuisées.

En ce qui concerne les dépenses de fonctionnement, leur niveau atteint 19 millions d'euros, soit une hausse d'environ 6 % par rapport à l'exercice précédent. Cette évolution s'explique à la fois par l'inflation, par une sous-évaluation des crédits inscrits en loi de finances initiale (LFI) pour 2023 et par l'imprévisibilité de certaines dépenses relatives à l'activité présidentielle.

À ce sujet, la présidence s'est engagée à réduire de 5 % ses dépenses de fonctionnement, hors activité présidentielle, entre l'exercice en cours et le suivant : je serai particulièrement attentif au respect de cet engagement. De même, l'évolution globale des dépenses de fonctionnement constitue un point de vigilance : si leur tendance haussière est justifiée et qu'elle peut apparaître légitime, leur niveau relativement élevé m'interpelle.

À la différence des années précédentes, la présidence n'aura pas recours en 2024 au mécanisme de prélèvement sur disponibilités pour compenser son déficit budgétaire. En effet, les réserves de trésorerie, qui représentaient 17 millions d'euros en 2017, ont été mobilisées presque chaque année à ce titre et leur niveau actuel - un peu moins de 2 millions d'euros à la fin de l'exercice - ne permet plus d'y recourir.

J'en viens maintenant aux crédits des assemblées parlementaires. Les dotations de l'Assemblée nationale et du Sénat présentent des hausses différenciées : tandis que celle de l'Assemblée nationale augmente de 6,42 % entre 2023 et 2024 et s'établit à près de 608 millions d'euros, la dotation demandée par le Sénat ne progresse que d'un peu plus de 2 % et s'élève à 353,5 millions d'euros environ.

Pour chacune des deux assemblées, la progression des dotations est justifiée par le contexte inflationniste, d'une part, et par l'augmentation des dépenses de personnel ainsi que des charges parlementaires, d'autre part, à la suite de la revalorisation du point de la fonction publique à compter du 1er juillet 2023, qui concerne l'ensemble des administrations.

Les besoins de financement en investissement sont comparables pour les deux assemblées, mais s'inscrivent en revanche dans une temporalité différente. Alors que l'Assemblée nationale entreprendra, dès l'année prochaine, plusieurs chantiers d'ampleur, le Sénat attendra l'année suivante pour engager de nouveaux projets d'investissement pluriannuels majeurs.

Jusqu'en 2023, les dotations de l'Assemblée comme du Sénat ont été fixées au niveau des charges de fonctionnement, ce qui signifie que toutes les dépenses d'investissement ont systématiquement été financées par un prélèvement sur les réserves.

Si le Sénat maintient ce mode de financement pour 2024, tel n'est pas le cas de l'Assemblée nationale qui a choisi d'étendre, dès l'année prochaine, le périmètre des dépenses couvertes par la dotation de l'État à la part incompressible des dépenses d'investissement, dont le montant est estimé à 11,5 millions d'euros.

En effet, recourir aux réserves pour financer les dépenses d'investissement n'est pas soutenable à moyen terme, dans la mesure où celles-ci doivent être préservées afin de faire face à des situations exceptionnelles. Les réserves de l'Assemblée s'élèvent désormais à un peu plus de 210 millions d'euros, ce qui lui permet de garantir son fonctionnement normal pendant trois mois, tandis que celles du Sénat s'établissent à 115 millions d'euros environ.

Compte tenu de ces éléments, le Sénat sera probablement amené, lui aussi, à faire évoluer le périmètre de sa dotation à l'avenir, pour y inclure le financement des travaux importants qui sont prévus.

En ce qui concerne le Conseil constitutionnel, les crédits demandés présentent une hausse substantielle de 35 % entre 2023 et 2024. Je précise qu'ils incluent cette année une dotation exceptionnelle de 3,84 millions d'euros, qui sera affectée à deux dépenses particulières.

La première, estimée à 0,2 million d'euros, concerne l'organisation d'un événement conjoncturel : la réunion de l'Association des cours constitutionnelles francophones au Conseil constitutionnel en 2024.

La seconde, évaluée à 3,6 millions d'euros, correspond aux travaux de rénovation de l'accueil du 2 rue de Montpensier. Ce chantier doit permettre de renforcer la sécurité des accès au Conseil - nous avons tous en tête les images de rassemblements extrêmement importants de manifestants devant le bâtiment. Il sera également l'occasion d'effectuer les adaptations nécessaires à un raccordement futur au réseau de climatisation de Fraîcheur de Paris.

Si le coût substantiel du projet mérite d'être souligné, il n'en demeure pas moins que cet investissement me paraît nécessaire pour garantir la sécurité du personnel et des membres de l'institution.

Le Conseil constitutionnel a par ailleurs engagé plusieurs démarches pour mieux faire connaître son travail, ce que je salue. On peut notamment citer le lancement, depuis la fin de l'année dernière, du site internet qpc360.conseil-constitutionnel.fr, qui recense désormais l'ensemble des décisions liées au contrôle a posteriori. L'évolution des consultations du site internet depuis son déploiement atteste son utilité.

J'en viens maintenant aux dépenses de fonctionnement : la variation constatée entre les prévisions d'exécution pour 2023 et les crédits demandés pour 2024 interroge. A priori, celles-ci diminueraient de 31 % par rapport aux prévisions d'atterrissage en exécution pour 2023 et de 42 % par rapport au montant exécuté en 2022.

Les hypothèses retenues pour la construction du budget 2024 en ce qui concerne les dépenses de fonctionnement demeurent trop générales et les baisses constatées paraissent peu en phase avec le contexte inflationniste, d'une part, et les projets à venir, d'autre part.

Je ne peux que regretter de ne pas disposer d'éléments d'information plus exhaustifs et j'invite le Conseil constitutionnel à veiller, de manière plus attentive à l'avenir, à la qualité et à la transparence des informations budgétaires transmises.

Enfin, les crédits de la CJR s'élèvent à 984 000 euros. Ce budget n'appelle pas de remarque particulière, mais je souhaite tout de même souligner que le loyer dont elle s'acquitte représente plus de la moitié de ses dépenses. Malgré les interrogations récurrentes sur la pérennité de cette institution dans le temps - qui ont pu limiter l'opportunité d'un déménagement -, la pertinence de ce choix immobilier m'interroge, eu égard notamment au montant cumulé des sommes investies depuis 1993 pour cette location. Cela pose la question de la rationalité de la gestion immobilière de l'État.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La CJR ne siège-t-elle pas au palais de justice sur l'île de la Cité ?

M. Éric Kerrouche, rapporteur pour avis. - Pour les auditions uniquement. Le reste du temps, l'institution est logée dans des locaux situés rue de Constantine et loués à une compagnie d'assurances.

En conclusion, l'analyse de l'évolution des dotations dans le temps permet de dégager deux tendances générales : d'une part, les institutions de la mission « Pouvoirs publics » tardent à demander une revalorisation de leurs crédits à un niveau adéquat, ce qui conduit, in fine, à une hausse plus substantielle des dotations demandées, par effet de rattrapage ; d'autre part, celles-ci compensent leurs déficits budgétaires - pour partie liés à de lourds investissements immobiliers destinés à la rénovation et à l'entretien du patrimoine historique - en ayant recours à des prélèvements récurrents sur leurs réserves, ce qui n'est pas soutenable à moyen terme.

Si les efforts budgétaires consentis par les différents pouvoirs publics jusqu'à présent et la dynamique inflationniste actuelle justifient une revalorisation des dotations octroyées, j'invite toutefois les institutions de la mission à privilégier, pour l'avenir, une progression plus linéaire de leur dotation dans le temps.

Voilà, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais vous présenter et au terme desquelles je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Pouvoirs publics ».

M. François-Noël Buffet, président. - On peut effectivement s'interroger sur la possibilité pour la CJR de réintégrer le palais de justice.

M. Éric Kerrouche, rapporteur pour avis. - Nous avons interrogé le président de la CJR à ce propos : il n'y est pas opposé, mais il se demande si cela est opportun étant donné le statut particulier de l'institution.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est une blague !

M. Éric Kerrouche, rapporteur pour avis. - Je ne porte pas de jugement de valeur, je vous répète la réponse qui m'a été donnée.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Pouvoirs publics ».

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