II. UNE PROPOSITION DE LOI OPPORTUNÉMENT ENRICHIE PAR LA COMMISSION DES FINANCES

A. LA MOBILISATION DE L'ÉPARGNE RÉGLEMENTÉE AU SERVICE DE LA BITD : UNE INITIATIVE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Le dispositif de la présente proposition de loi est la dernière version d'une initiative parlementaire émanant de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

Dans une première mouture adoptée en commission en première lecture de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, à l'initiative de Pascal Allizard et Yannick Vaugrenard, le dispositif consistait en un « livret d'épargne souveraineté ». Ce produit d'épargne nouveau, aux modalités proches de celles du « plan d'épargne avenir climat », devait permettre l'acquisition de titres financiers contribuant au financement de l'industrie de défense française. Les principes d'allocation de l'épargne et les stratégies d'investissement proposés par ce nouveau livret auraient été définis par arrêté conjoint du ministre chargé de l'économie et du ministre de la défense. Ses conditions d'ouverture et ses modalités de gestion devaient être déterminées par décret en Conseil d'État.

Soutenu en séance publique par le ministre des armées, le dispositif a cependant été réécrit par la commission mixte paritaire, un compromis étant trouvé sur la transformation du livret d'épargne souveraineté en une mobilisation des encours non centralisés du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS). Le Conseil constitutionnel a toutefois censuré ces dispositions, y voyant un « cavalier législatif »18(*).

Une deuxième version de ce dispositif a été adoptée par le Parlement au sein du projet de loi de finances pour 2024. Issu d'un amendement déposé par les députés Thomas Gassilloud (Renaissance), Christophe Plassard (Horizons) et Jean-Louis Thiériot (Les Républicains), et repris par le Gouvernement dans le texte sur lequel il engagea sa responsabilité à l'Assemblée nationale, le dispositif reprend alors la rédaction issue de la commission mixte paritaire convoquée sur la LPM. Son dernier alinéa précise toutefois que le rapport attendu du Gouvernement évalue non seulement l'efficacité du dispositif mais aussi l'impact sur les finances publiques qu'aurait l'exclusion de la base imposable des intérêts des sommes inscrites sur les livrets A. Le Conseil constitutionnel a également censuré cet article pour méconnaissance du domaine des lois de finances19(*).

La présente proposition de loi reprend les dispositions adoptées par le Parlement lors de l'examen de la loi de programmation militaire. Son article 1er complète l'alinéa de l'article L. 221-5 du code monétaire et financier relatif à l'emploi des encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire et non centralisés par la Caisse des dépôts et consignations au bénéfice du logement social et de la politique de la ville. Au 31 décembre 2022, l'encours non centralisé venant des livrets A et des LDDS s'élevait à 207 milliards d'euros. Préciser que ces encours du produit d'épargne préféré des Français servent à financer aussi les petites et moyennes entreprises de défense contribuerait à banaliser utilement l'investissement dans le secteur.

Lors des travaux préparatoires, plusieurs risques soulevés par le dispositif ont été portés à la connaissance des rapporteurs, qu'il convient de nuancer.

Le risque de peser sur le financement du logement social et de la politique de la ville est inexistant, puisque ne sont concernés que les encours non centralisés à cette fin à la Caisse des dépôts et consignations

- Le risque de décollecte est probablement faible. La direction générale du Trésor ne dispose pas d'éléments permettant d'évaluer a priori une telle hypothèse. Un sondage en ligne, réalisé en novembre 2023 auprès d'un échantillon représentatif de 1 055 personnes par la société d'étude britannique YouGov pour le comparateur de produits financiers MoneyVox, affirme que 54% des Français ne sont pas favorables à la mobilisation du livret A et du LDDS au service du financement de l'industrie de défense. Un tel résultat est à prendre avec précaution : le livret A étant plébiscité par les Français pour sa liquidité et sa sécurité, il est douteux que la seule précision de ses finalités ait un effet sur son succès auprès des épargnants, surtout lorsqu'il s'agit d'une finalité concourant en définitive au renforcement des attributs de souveraineté du pays.

- Le risque de susciter un regain de revendications sectorielles visant à la création de mécanismes nouveaux d'allocation de l'épargne vers telle ou telle activité peut exister, mais il appartiendra au législateur de procéder aux arbitrages qui s'imposent, le cas échéant. Pour l'heure, la commission des affaires étrangères et de la défense a déjà exprimé son souhait qu'une priorité soit donnée au financement de la défense.

- La difficulté qui pourrait naître de l'impossibilité actuelle d'identifier toutes les entreprises de la BITD, enfin, devrait pouvoir être surmontée, avec le concours de la DGA.


* 18 Décision du Conseil constitutionnel n° 2023-854 DC du 28 juillet 2023, cons. 23.

* 19 Décision du Conseil constitutionnel n° 2023-862 DC du 28 décembre 2023, cons. 100 à 104.

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