N° 55

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 31 octobre 1995.

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi instituant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes,

Par M. Paul GIROD, Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président : René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, vice-présidents ; Robert Pagès, Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Claude Cornac, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Tizon, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir les numéros :

Sénat : 2, 45 et 54 (1995-1996).

Action sociale et solidarité nationale

Mesdames, Messieurs,

La prise en charge de la dépendance des personnes âgées constitue assurément un enjeu essentiel dans un contexte socio-économique caractérisé par l'allongement de la durée de vie et par la modification des comportements sociaux en particulier pour ce qui est des solidarités familiales.

Si les efforts entrepris, notamment par les départements à travers l'aide sociale, pour améliorer la situation des personnes ayant perdu leur autonomie de vie se sont considérablement développés, force est de constater que la dépendance n'est à ce jour pas reconnu dans sa spécificité. Or, cette question apparaît désormais très sensible puisque l'on estime à 700 000 le nombre de personnes âgées en situation de dépendance marquée.

Le Sénat a mené, depuis plusieurs années, une réflexion approfondie sur les moyens de mieux répondre au problème de la dépendance. Sur son initiative, une expérimentation a été prévue par la loi du 25 juillet 1994 et lancée dans douze départements sur la base de conventions entre ces derniers et les caisses de sécurité sociale.

Néanmoins, souhaitant remédier sans délai aux insuffisances actuelles, le Gouvernement a décidé d'anticiper sur la fin de ces expérimentations en élaborant le présent projet de loi qui institue une prestation d'autonomie.

Cette prestation sera une prestation légale de solidarité nationale. Elle sera donc attribuée de manière égale sur tout le territoire national. Son bénéfice sera ouvert dès 60 ans, sous condition de ressources.

Financée par les moyens que les départements consacrent actuellement aux personnes âgées dépendantes et, pour le surplus, par les contributions du Fonds de solidarité vieillesse, elle devrait représenter au terme d'une période transitoire de trois ans un effort financier de 20 milliards de francs.

Il s'agira d'une prestation en nature qui permettra de rémunérer des personnes ou des services d'aide à la dépendance. Sa mise en oeuvre devrait donc permettre des créations d'emplois qui ont pu être estimées aux environs de 50 000.

La prestation d'autonomie sera ouverte dans un premier temps aux personnes maintenues à domicile puis, au plus tard le 1er juillet 1997, aux personnes hébergées en établissement.

Le département, qui assure d'ores et déjà des responsabilités essentielles dans l'aide aux personnes âgées, sera compétent pour le service et la gestion de cette nouvelle prestation.

Bien qu'il s'agisse d'un dispositif de caractère social, qui relève de la compétence de la commission des Affaires sociales, votre commission des Lois a souhaité se saisir pour avis du présent projet de loi compte tenu notamment de ses implications quant à l'exercice des compétences des collectivités locales, en tout premier lieu celles du département.

C'est ainsi que votre commission des Lois a examiné dans le titre premier (« Dispositions générales ») les articles 3, 5, 6, 7, 10, 11 et 14 ; dans le titre II), (« De la prestation d'autonomie à domicile »), les articles 19 et 20 ; dans le titre V (« Dispositions diverses et transitoires »), les articles 35, 36 et 41.

Votre commission des Lois a mené ses réflexions avec un souci de parfaite coordination avec les travaux de la commission des Affaires sociales, saisie au fond, et de la commission des Finances, saisie pour avis.

I. LA DÉPENDANCE DES PERSONNES ÂGÉES : UN DÉFI MAJEUR POUR LES ANNÉES À VENIR

A. L'ÉVALUATION DE LA DÉPENDANCE

1. Les effets de rallongement de l'espérance de vie

Sous l'effet de l'allongement de l'espérance de vie -2,5 ans au cours des dix dernières années- la population des personnes âgées de plus de 75 ans n'a cessé d'augmenter.

La France comptait, en 1990, 11 millions de personnes âgées de 60 ans et plus, soit 20 % de la population, et 4 millions de personnes de 75 ans et plus, soit 7,1 % de la population. Un million de Français étaient âgés de plus de 85 ans.

Or, la situation de dépendance se présente plus fréquemment au-delà de 80 ans, même si selon une enquête de l'INSEE publiée en octobre 1993, la durée de vie sans incapacité a augmenté (3 ans pour les hommes, 2,6 ans pour les femmes).

Sur la base des données pour 1990, il apparaît que 16% des personnes âgées de plus de 80 ans vivaient en institution, une personne sur cinq étant hospitalisée dans un service de long séjour pour un prix variant entre 7 000 et 15 000 francs par mois.

Les besoins d'aide des personnes dépendantes ressortaient également clairement de quelques données :

- 150 000 à 200 000 personnes étaient clouées à leur lit ou dans un fauteuil ;

- 190 000 à 260 000 personnes avaient recours au service d'un tiers pour procéder à leur toilette ;

- 833 000 à 975 500 personnes avaient recours à une aide pour sortir.

Une étude de l'INSERM de 1990 a évalué à 700 000 le nombre de personnes âgées très dépendantes.

2. Des perspectives de développement de la dépendance

Les prévisions démographiques mettent en évidence que les situations de dépendance et les charges qui en résultent devraient se développer au cours des prochaines années.

En 2020, la France pourrait compter 17 millions de personnes âgées de 60 ans et plus, dont presque 2,1 millions de 85 ans et plus.

Plus de quatre millions de personnes auront dépassé 75 ans en l'an 2000. Elles seront plus de cinq millions en 2010. 396 000 personnes subiraient une incapacité sévère en l'an 2000. Elles seraient 524 000 dans cette situation en 2020 et 682 000 en 2040.

Le nombre de personnes subissant une incapacité moyenne augmenterait dans des proportions encore plus importantes : 1 945 000 en l'an 2000, 2 473 000 en l'an 2020 et 3 106 000 en 2040.

Pour prendre la mesure de ces évolutions, il faut rappeler que 1 710 000 personnes se trouvaient dans une telle situation en 1988.

Ces prévisions doivent néanmoins être appréciées en tenant compte, d'une part, des difficultés à définir très précisément l'autonomie d'une personne, d'autre part, des disparités entre les départements.

Pour ce qui est de la définition de la situation de dépendance, plusieurs tentatives ont été faites par des institutions spécialisées -telles que l'Organisation Mondiale de la Santé ou la Direction Générale de la Santé- sans susciter un consensus. La dépendance n'est pas non plus définie par les textes relatifs aux unités de long séjour et aux sections de cure médicale.

Il existe par ailleurs des centaines de grilles d'évaluation de la dépendance établies notamment par la Caisse nationale d'assurance-vieillesse des travailleurs salariés pour évaluer les besoins en aide ménagère, par la Caisse nationale d'assurance maladie pour effectuer certains contrôles ou encore par l'Organisation Mondiale de la Santé qui a opéré une classification des déficiences, incapacités et handicaps dont le résultat fut l'établissement d'un système de mesure de l'autonomie fonctionnelle. Le Ministère des Affaires sociales a, pour sa part, établi une grille (AGGIR) initialement conçue pour les personnes vivant en établissement avant d'être expérimentée pour les services à domicile.

Pour ce qui est, en second lieu, de la situation dans les départements, des disparités existent et doivent être prises en compte dans les prévisions.

Si le taux moyen de personnes âgées de plus de 75 ans s'établit à 7,1 % en 1990, il est dépassé dans 62 départements. Certains d'entre eux, en particulier dans le sud et le centre, approchent, voire dépassent les 10 % de la population.

Les prévisions de prise en charge peuvent être rendues plus difficiles par le fait que beaucoup de personnes âgées ne prennent pas leur retraite sur le lieu où elles ont travaillé. Il en résulte des disparités entre départements et à l'intérieur même des départements. En outre, les mouvements de population à la recherche d'un travail vers les villes diminuent les capacités d'entraide au profit des personnes âgées dans les zones rurales.

Page mise à jour le

Partager cette page