B. DES RÉPONSES INSUFFISANTES AU PROBLÈME DE LA DÉPENDANCE

1. Un dispositif complexe et mal maîtrisé

a) Des efforts importants

Des efforts importants ont été consentis au cours des dernières années pour apporter des réponses au problème de la dépendance des personnes âgées.

Quelques chiffres témoignent de la réalité de cet effort :

- le nombre de foyers logements a doublé entre 1986 et 1990 ;

- le nombre de lits en section de cure médicale a été multiplié par deux (de 40 000 à 80 000) entre 1983 et 1988 ;

- le nombre de places en services de soins à domicile est passé de 20 000 à 35 000 dans la même période.

Les coûts engendrés par cet effort sont importants. Les dépenses publiques d'aide à la dépendance augmentent de 8 % par an depuis 1988 et représentaient 27 milliards de francs en 1991.

La dépense moyenne par personne âgée de plus de 65 ans est passée de 35 581 francs en 1980 à 81 857 francs en 1990.

I.- Pour le maintien à domicile, plusieurs formules sont mises en oeuvre.

L'aide ménagère s'est développée, depuis 1962, sous la forme d'une prestation en nature. Les caisses de retraite ont par ailleurs institué une prestation extralégale, sous condition de ressource. Les centres communaux d'action sociale effectuent 32 % de cette activité.

Une prestation extralégale d'aide à domicile a, par ailleurs, été mise en place en 1992 par la Caisse nationale d'assurance vieillesse. Cette aide financière a été renforcée à partir de 1993 pour tenir compte des situations de dépendance chronique.

La loi n° 91-1405 du 31 décembre 1991 relative à la formation professionnelle et à l'emploi a défini le statut juridique des associations de services aux personnes. Les activités de ces associations doivent concerner exclusivement les services rendus aux personnes physiques à leur domicile. Elles doivent, dans un certain nombre de cas, être agréées par l'Etat. L'agrément les fait bénéficier du régime fiscal des associations sans but lucratif et à gestion désintéressée. Elles sont exonérées de la TVA, de l'impôt sur les sociétés, des taxes professionnelles et d'apprentissage ainsi que de la taxe sur les salaires. En outre, elles peuvent bénéficier d'exonérations de cotisations patronales pour l'embauche du premier salarié.

Diverses mesures sociales et fiscales ont été prises dans les années récentes pour favoriser l'emploi par les particuliers de salariés à leur domicile. La loi du 31 décembre 1991 portant diverses mesures d'ordre social et la loi de finances rectificative pour 1991 ont prévu la simplification des formalités et le développement des aides aux employeurs.

La loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'aide sociale (article 21) a accordé un abattement de 30 % des cotisations patronales sur les rémunérations des aides à domicile employées par des organismes agréés ou conventionnés.

Les règles d'accueil par des particuliers à titre onéreux des personnes âgées ou handicapées adultes ont, par ailleurs, été précisées par la loi n° 89-475 du 10 juillet 1989. Le président du conseil général est compétent pour instruire les demandes d'agrément, organiser la formation des personnes accueillantes et le suivi médico-social des personnes accueillies.

Il revient aux conseils généraux d'établir des contrats-types qui régissent les relations entre la personne agréée et la personne hébergée.

Enfin, les services de soins à domicile se sont sensiblement développés. On recensait, à la fin de l'année 1993, 1 390 services représentant une capacité d'accueil de 51 809 places.

2.- Pour ce qui est des structures d'hébergement pour personnes âgées, une très grande diversité peut être observée.

Les établissements de long séjour, destinés à l'accueil de personnes n'ayant plus leur autonomie de vie, ou dont l'état nécessite une surveillance constante, sont des établissements sanitaires qui dispensent des soins de longue durée. Ils sont financés par un forfait soins fixé par le préfet et pris en charge par l'assurance maladie ainsi que par un prix de journée d'hébergement supporté par le malade, sa famille ou l'aide sociale.

Les maisons de retraite accueillent pour leur part des personnes âgées valides, semi-valides et dépendantes. Elles peuvent comporter une section de cure médicale pour laquelle elles reçoivent un forfait journalier couvert par l'assurance-maladie. Pour ce qui est de l'hébergement, les dépenses sont prises en charge par les personnes accueillies et par l'aide sociale départementale.

Enfin, différentes structures méritent d'être mentionnées, notamment des logements foyers -comportant des logements autonomes et des locaux communs- et les domiciles collectifs ou appartements thérapeutiques.

b) Des insuffisances manifestes

La réalité de cet effort ne doit cependant pas en masquer les insuffisances dues en particulier au fait que les réponses ayant été apportées au fur et à mesure que les problèmes se posaient, une très grande fragmentation et une complexité des dispositifs en sont résultées.

Parmi les insuffisances du dispositif actuel, l'évolution inquiétante de l' allocation compensatrice pour tierce personne mérite, en premier lieu, d'être soulignée.

Prestation d'aide sociale à la charge des départements, l'allocation compensatrice a été créée par la loi d'orientation du 30 juin 1975 en vue de favoriser le maintien à domicile des handicapés.

Elle peut être servie, sous condition de ressources, à toute personne handicapée qui ne bénéficie pas d'un avantage analogue au titre d'un régime de sécurité sociale, lorsque son taux d'incapacité est égal ou supérieur à 80 % et que son état nécessite l'aide effective d'une tierce personne pour les actes essentiels de la vie courante.

Le nombre de bénéficiaires de cette allocation est passé de 150 000 en 1984 à 216 000 en 1991. Les dépenses correspondantes en francs courants ont dans le même temps progressé de 4,4 à 7,1 milliards de francs.

Environ 90 000 personnes handicapées, âgées de moins de 60 ans, la perçoivent actuellement.

Or, de plus en plus souvent, cette allocation est versée à des personnes âgées. On dénombrerait désormais près de 190 000 personnes âgées de plus de 60 ans parmi les bénéficiaires de l'allocation compensatrice.

Comme l'a relevé le rapport public particulier de la Cour des Comptes de novembre 1993 sur les politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes, sur la base d'une enquête menée par les chambres régionales des comptes, l'allocation compensatrice est ainsi devenue la prestation du handicap de l'âge.

Or, il n'est pas rare que cette allocation soit détournée de sa finalité, en l'absence d'un contrôle sur l'effectivité du versement à la tierce personne aidant le bénéficiaire et d'application des règles de l'obligation alimentaire ou de la récupération sur la succession du bénéficiaire décédé lorsque ses héritiers sont son conjoint, ses enfants ou la personne qui a assuré de façon effective et constante, la charge du handicapé.

Le versement de la prestation en établissement a, par ailleurs, suscité des pratiques différentes selon les départements.

En outre, ces difficultés ont été aggravées par le mauvais fonctionnement des commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP), chargées de statuer sur les dossiers de demande et dans lesquelles les représentants des conseils généraux ont été sous-représentées alors même que le département à la charge du versement de l'allocation.

Pour ce qui est, en second lieu, des établissements d'hébergement, les formules sont très diversifiées : centres de jour, hébergement temporaire, foyers-logement avec ou sans section médicalisée, maisons d'accueil pour personnes âgées, maisons d'accueil pour personnes âgées dépendantes, centres et unités de long séjour. Sur le plan financier, la complexité est accrue du fait de la diversité des intervenants : assurance-maladie, Etat, département.

Dans les établissements publics de long séjour, les forfaits ne couvrent pas la totalité des charges liées aux soins. Le reliquat est pris en charge par le département au titre des dépenses d'hébergement. Or la tarification des prestations remboursables aux assurés sociaux est effectuée par le représentant de l'Etat sans qu'une concertation effective ait lieu avec le président du conseil général même si celui-ci est appelé à faire connaître son avis. Il semble d'ailleurs que les contentieux se multiplient à ce sujet.

L'absence de définition précise des charges liées à la dépendance a conduit à l'inadéquation des systèmes de tarification des établissements d'accueil des personnes âgées.

Enfin, il convient de noter les disparités existantes entre les structures. Dans son rapport précité, la Cour des Comptes relevait que cette situation poussait les COTOREP à orienter les personnes concernées vers des établissements ayant des possibilités d'accueil sans que ceux-ci correspondent nécessairement aux besoins des intéressés.

Ces disparités sont également observables pour ce qui est de l'aide à domicile caractérisée par une multiplicité d'intervenants et par l'absence de coordination.

2. Les initiatives du Sénat en faveur d'une meilleure prise en charge de la dépendance

a) Les réflexions et propositions du Sénat

La Haute assemblée a adopté le 18 novembre 1990 une proposition de loi de notre collègue Lucien Neuwirth dont l'objet était précisément la création d'une allocation destinée à pallier les conséquences de la dépendance.

Le groupe de travail sur la dépendance des personnes âgées, constitué au sein de la commission des affaires sociales du Sénat, sous la présidence de notre collègue Jean Chérioux et dont le rapporteur était notre collègue Philippe Marini, a par la suite recommandé quatre orientations pour remédier à ces déficiences :

- le remplacement de l'allocation compensatrice par une prestation spécifique pour les personnes âgées dépendantes ;

- le développement des contrats d'assurance dépendance ;

- une meilleure coordination des actions des différents intervenants ;

- la révision du système de tarification en hébergement.

Une proposition de loi (n° 295, 1992-1993) présentée par MM. Jean-Pierre Fourcade, André Jourdain, Philippe Marini et plusieurs de nos collègues a fait suite à ces réflexions ainsi qu'à celles développées au sein de l'Assemblée des présidents de conseils généraux.

Cette proposition de loi créait une allocation destinée aux personnes âgées dépendantes à partir de soixante cinq ans, sans condition de ressources.

Etaient en outre prévues la mise en jeu de l'obligation alimentaire à l'égard des enfants du demandeur disposant d'un revenu supérieur à un montant fixé par décret et la récupération sur héritage.

L'allocation devait être modulée en fonction du degré de dépendance, lequel devait être évalué en fonction d'une « grille de dépendance unique » au plan national.

La compétence pour attribuer cette allocation était conférée au président du conseil général, après avis de la commission d'admission à l'aide sociale statuant sur un dossier instruit par une équipe médico-sociale.

L'allocation devait prendre la forme, prioritairement, de prestations en nature lorsque le bénéficiaire était maintenu au domicile (services ménagers, matériels techniques adaptés...). En cas de placement du bénéficiaire, l'allocation aurait été versée directement à l'établissement de soins.

Quant au financement, les ressources du fonds départemental de la dépendance, chargé de servir l'allocation, devaient être initialement constituées par les seules sommes que le département consacrait aux personnes âgées dépendantes dans le cadre de l'aide sociale. Mais ces ressources pouvaient être complétées par une dotation de l'Etat au département pour le cas où les besoins au titre de l'allocation « dépendance » s'accroîtraient plus vite que le total des dépenses d'aide sociale du département.

b) Les initiatives du Sénat dans le cadre de la loi du 25 juillet 1994

A la suite de ces réflexions et propositions, une nouvelle initiative a été prise par le Sénat, lors de l'examen de la loi n° 94-367 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, qui a conduit à la mise en place de dispositifs expérimentaux d'aide aux personnes âgées dépendantes.

L'article 38 de la loi du 25 juillet 1994 est ainsi libellé :

« Des conventions conclues entre certains départements, des organismes de sécurité sociale et, éventuellement, d'autres collectivités territoriales définissent, dans le cadre d'un cahier des charges établi, au plan national, par le ministre chargé des affaires sociales, les conditions de la mise en oeuvre de dispositifs expérimentaux d'aide aux personnes âgées dépendantes.

Un comité national présidé par le ministre chargé des affaires sociales et comprenant des représentants des deux assemblées du Parlement, des collectivités territoriales, des organismes de sécurité sociale et du comité national des retraités et des personnes âgées est chargé d'évaluer ces expérimentations. »

Ces expérimentations ont été mises en oeuvre, à compter du 1er mars 1995, pour les personnes âgées restant à domicile.

Douze départements ont été retenus pour ces expérimentations, au vu des propositions de la caisse nationale d'assurance vieillesse et après avis de l'Assemblée des présidents de conseils généraux et du comité national des retraites et des personnes âgées.

D'une durée de deux ans, ces expérimentations devaient apporter des éléments d'appréciation pour la mise en place définitive de la prestation.

Cependant, se fondant sur l'urgence d'une généralisation de cette aide à l'ensemble des personnes ne pouvant assumer la charge des frais entraînés par la perte de leur autonomie, le Gouvernement a choisi de présenter le présent projet de loi sans attendre la fin des expérimentations en cours. Celles-ci ne devraient pas être prolongées au-delà du 1er janvier 1996.

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