N° 78

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1995

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires culturelles ( 1 ( * ) ) sur le projet de loi de finances pour 1996, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME XIII

FRANCOPHONIE

Par M. Jacques LEGENDRE, Sénateur.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (l0ème législ. ) 2222, 2270 à 2275 et T.A. 413

Sénat : 76 et 77 (annexe n° l) (1995-1996).

Lois de finances.

Mesdames, Messieurs,

1995 a une nouvelle fois placé la francophonie sous les feux de l'actualité.

Comment ne pas percevoir l'importance de la langue dans le débat qui a opposé, au Canada, partisans et opposants à la souveraineté du Québec ? Ce débat, que le référendum du 30 octobre dernier n'a pas clos, a suscité de multiples réactions dans le monde, la répartition entre les pays plutôt favorables et les États plutôt défavorables à cette indépendance traduisant sauf exception leur appartenance à la Francophonie ou au Commonwealth. L'on doit y voir l'illustration des liens de solidarité internationaux tissés par un héritage linguistique et culturel commun.

La solidarité francophone a trouvé une nouvelle fois à s'exprimer en prenant position contre les drames qui menacent certains de ses membres, au premier rang desquels le Burundi. Une mission conjointe de l'Assemblée internationale des parlementaires de langue française (AIPLF) et du Conseil permanent de la francophonie s'est rendue en avril dernier à Bujumbura pour tenter une conciliation entre les différentes parties. Celles-ci attendent du prochain sommet de Cotonou une nouvelle manifestation de la solidarité qui unit les peuples francophones. Espérons que cette attente ne sera pas déçue.

Mais cette solidarité continue aussi de s'exercer dans un pays comme le Liban, situé au coeur du Proche-Orient, et où la tradition francophone reste, en dépit des épreuves, extrêmement vivace.

Comment également ne pas conserver à l'esprit l'enjeu que représente la langue française et la culture francophone dans le drame qui déchire actuellement l'Algérie, où vivent de très nombreux francophones même si ce pays est, jusqu'à présent, resté en marge de la communauté des États ayant la langue française en partage ?

En Asie du Sud-Est, si la langue française et la culture francophone paraissent en apparence moins solidement ancrées dans les habitudes, la francophonie est néanmoins une communauté vers laquelle se tourne un pays comme le Vietnam, qui semble confirmer sa candidature pour la tenue, en 1997, à Hanoï, du septième sommet des chefs d'État et de Gouvernement des pays ayant la langue française en partage.

C'est enfin un écrivain d'origine russe, écrivant directement en français, M. Andréï Makine, que vient de couronner le jury du prix Goncourt pour son Testament français.

I- L'ORGANISATION INSTITUTIONNELLE ET LES CRÉDITS DE LA FRANCOPHONIE

A. PARFAIRE LA PLACE DE LA FRANCOPHONIE AU SEIN DE LA STRUCTURE GOUVERNEMENTALE

1. Un élément de satisfaction : le retour de la francophonie au ministère des affaires étrangères

ï Entre mars 1993 et mai 1995, la francophonie a été rattachée à un ministère de plein exercice, celui de la culture et de la francophonie, confié à M. Jacques Toubon. Comme l'a souligné votre rapporteur, ce rattachement comportait plus d'inconvénients que d'avantages. Si elle a incontestablement favorisé la prise de position unanime de la communauté francophone en faveur de l'exception culturelle, au sommet de l'Ile Maurice en septembre 1993, ou facilité l'adoption de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, cette structure ministérielle comportait le défaut majeur de séparer l'instance de décision politique -le ministère de la culture du lieu d'exécution administrative -le service des affaires francophones abrité par le ministère des affaires étrangères. Elle ne favorisait pas non plus l'établissement de liens de coopération avec la Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques du Quai d'Orsay, où continuent d'être rassemblés l'essentiel des crédits concourant au développement de la francophonie et à la promotion de la langue française dans le monde.

ï La nouvelle structure gouvernementale, qui n'a pas été remise en cause lors de la constitution du second gouvernement de M. Juppé le 7 novembre dernier, prévoit une solution plus rationnelle.

Aux termes du décret d'attributions de M. Hervé de Charette (décret n° 95-751 du 1er juillet 1995), la francophonie redevient une compétence explicite du ministre des affaires étrangères ; son exercice est délégué à un secrétaire d'État, Mme Margie Sudre.

Les attributions du secrétaire d'État sont précisées par le décret n° 95-807 du 19 juin 1995. Mme Margie Sudre :

- « exerce, par délégation du ministre des affaires étrangères les attributions de ce dernier relatives à la promotion de la francophonie dans le monde et à la politique de coopération avec les organismes internationaux à vocation francophone (...)

- « anime et coordonne l'action des administrations intéressées à la préparation et au suivi des conférences des chefs d'État et de Gouvernement des pays ayant en commun l'usage du français (...)

- « participe sous l'autorité du ministre des affaires étrangères à la mise en oeuvre de l'action diplomatique et des relations bilatérales et multilatérales de la France dans le monde. »

2. Des imperfections persistantes

Si le retour de la francophonie au ministère des affaires étrangères constitue indéniablement un progrès, on peut regretter que Mme Margie Sudre ne dispose pas explicitement, comme Mme Catherine Tasca dans le Gouvernement formé par M. Pierre Bérégovoy en avril 1992, de l'autorité sur la Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques.

Certes, le décret du 19 juillet 1995 sur les moyens mis à disposition du secrétaire d'État pour exercer ses attributions n'opère aucune distinction entre le service des affaires francophones, dont disposait explicitement M. Toubon, et la Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques. Il se contente en effet d'indiquer que le secrétaire d'État « dispose, en tant que de besoin, des services compétents du ministère des affaires étrangères ».

L'on doit y voir la marque du refus du secrétaire d'État d'accepter la restriction de son autorité au seul service des affaires francophones et de sa volonté de l'étendre autant que faire se peut à l'ensemble de la Direction générale. Il est d'ailleurs significatif que Mme Margie Sudre se soit fait le porte-parole de la Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques (DGRCST) au cours de la présente discussion budgétaire.

II serait toutefois préférable que les attributions du secrétaire d'État à la francophonie soient explicitement étendues aux relations culturelles extérieures et à la conduite de la politique audiovisuelle extérieure, dont les crédits sont, pour l'essentiel, inscrits au budget de la

DGRCST. Il se peut en effet que l'absence de directeur général durant six mois 1 ( * ) , ait contribué à favoriser l'établissement de liens privilégiés avec cette administration. En tout état de cause, il importe que ce « bastion du Quai d'Orsay » bénéficie d'un pilotage politique, auquel n'a pas le temps de se consacrer le ministre des affaires étrangères. Le placement de la direction générale sous l'autorité directe du secrétaire d'État contribuerait par ailleurs à accroître l'efficacité de l'action francophone en dotant le ministre d'un réel pouvoir d'orientation sur le budget de la DGRCST, qui représente plus de 5 milliards de francs.


• L'on doit enfin regretter que Mme Margie Sudre puisse seulement « faire appel » à la Délégation générale à la langue française, service du Premier ministre mis à disposition du ministre de la culture depuis mars 1993.

Ce rattachement conduit à distinguer artificiellement, au sein de la politique francophone conduite par la France, des interventions extérieures placées sous la responsabilité du ministère des affaires étrangères et une action intérieure, la défense de la langue française sur le territoire national, relevant du ministère de la culture.

Il convient de rétablir en ce domaine l'unicité de la volonté politique en plaçant la délégation générale à la langue française sous l'autorité du ministre chargé de la francophonie.

La francophonie fêtera en mars prochain le dixième anniversaire de son accession au rang de portefeuille ministériel. C'est en effet au Président de la République, M. Jacques Chirac, qu'il revient d'avoir consacré la place de la francophonie au sein de l'appareil gouvernemental, en instituant un secrétariat d'État auprès du Premier ministre, dont la responsabilité fut confiée à Mme Lucette Michaux-Chevry.

Il serait souhaitable que les structures gouvernementales de la francophonie puissent être amendées à la faveur de cet anniversaire afin d'accroître leur efficacité.

L'idéal consisterait en l'accession de la francophonie au rang de ministère délégué auprès du ministère des affaires étrangères et dans l'élargissement de ses compétences aux relations culturelles extérieures d'une part, à la conduite de la politique audiovisuelle extérieure, d'autre part. Pour exercer ses compétences, le ministre délégué devrait pouvoir disposer sans restriction du service des affaires francophones et de la Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques, ainsi que de la Délégation générale à la langue française.

* (1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Pierre Laffitte, Albert Vecten, Jean Delaneau, Jean-Louis Carrère, vice-présidents ; André Egu, Alain Dufaut, André Maman. Ivan Renar, secrétaires ; François Autain, Honoré Bailet, Jean Bernadaux, Jean Bernard, James Bordas, Jean-Pierre Camoin, Jean-Claude Carie, Robert Castaing, Marcel Charmant. Philippe Darniche, Marcel Daunay, André Diligent, Ambroise Dupont, Daniel Eckenspieller, Alain Gérard, Jean-Paul Hugot, Pierre Jeambrun, Alain Joyandet, Philippe Labeyrie, Pierre Lacour, Henri Le Breton, Jacques Legendre, Guy I.emaire, François Lesein, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin, François Mathieu, Philippe Nachbar, Sosefo Makapé Papilio, Michel Pelchat, Jean-Marie Poirier, Guy Poirieux, Mme Danièle Pourtaud, MM Roger Quilhot, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Claude Saunier, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Marcel Vidal, Henri Weber.

* 1 M. Jean-David Lévitte a été appelé auprès du Président de la République pour exercer les fonctions de conseiller diplomatique en mai dernier ; son successeur. M Pierre Brochand, a pris ses fonctions le 2 novembre dernier.

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