B. LA DÉFENSE DU PLURALISME LINGUISTIQUE AU COEUR DE LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE DE L'UNION EUROPÉENNE

La France a inscrit la défense et la promotion du plurilinguisme parmi les priorités de sa présidence de l'Union européenne au premier semestre de l'année 1995.


• Un mémorandum adressé par la France à ses partenaires européens a conduit à l'adoption de conclusions du Conseil des ministres de l'Union européenne sur la diversité et le pluralisme linguistique le 12 juin 1995.

Communiqué dès le mois de janvier 1995, le mémorandum français soulignait les enjeux culturels, sociaux et économiques du maintien de la diversité linguistique au sein de l'espace européen. Il proposait une série de mesures susceptibles de promouvoir cette diversité :

- il suggérait tout d'abord de développer et de diversifier l'enseignement des langues vivantes, dans la formation initiale comme dans la formation continue. A cette fin, il préconisait la reconnaissance par chaque État membre d'un objectif commun : l'apprentissage de deux langues étrangères au cours de la scolarité. Il proposait aussi l'adoption d'une résolution du Conseil portant sur l'amélioration de l'enseignement des langues et sa diversification, ainsi que la signature d'une convention intergouvernementale rendant obligatoire l'apprentissage de deux langues vivantes à l'école ;

- prenant acte du nouveau défi posé au plurilinguisme par l'essor des autoroutes de l'information, le mémorandum français soulignait la nécessité d'inciter le développement d'une production européenne de services et de produits multimédias dans les différentes langues de la Communauté. Il mettait également en exergue le rôle déterminant que pouvaient être appelés à jouer les outils de traitement informatique du langage, en matière d'enrichissement terminologique et de traduction notamment ;

- rappelant le droit fondamental de chaque citoyen de l'Union européenne à recevoir une information dans sa langue, il prenait position en faveur d'un étiquetage multilingue systématique des produits de consommation, et mettait notamment l'accent sur la nécessité de préserver en ce domaine la liberté des États membres d'exiger le recours à leur langue nationale ;

- le mémorandum français soulignait enfin la nécessité de prendre en compte la diversité linguistique de l'Union européenne dans le cadre de ses relations extérieures. Il insistait en particulier sur l'insertion d'un volet linguistique dans les accords passés avec les pays associés et tiers prévoyant, par exemple, une formation diversifiée aux langues des États membres et la formation professionnelle de traducteurs et interprètes.

Les conclusions du Conseil des ministres sur la diversité et le pluralisme linguistiques dans l'Union européenne (12 juin 1995) s'inspirent des propositions formulées par le mémorandum français. Elles sont reproduites ci-après :

1. Le Conseil affirme l'importance pour l'Union de sa diversité linguistique, élément essentiel de la dimension et de l'identité européennes, ainsi que de l'héritage culturel commun.

2. Il en souligne les enjeux, tant démocratiques, culturels et sociaux qu'économiques. La diversité linguistique est également une source d'emplois et d'activités, ainsi qu'un facteur d'intégration. Elle est un atout pour le rayonnement de l'Union à l'extérieur, la plupart des langues de l'Union européenne étant en usage dans un grand nombre d'États tiers.

3. Le Conseil considère que le développement de la société de l'information offre de nouvelles chances et présente de nouveaux défis pour le pluralisme et la diversité linguistiques.

4. La diversité linguistique est une composante de la diversité nationale et régionale des États membres mentionnée à l'article 128 du Traité. La Communauté doit la prendre en compte dans son action au titre d'autres dispositions du Traité y compris les articles 126 et 127 qui concernent l'éducation, la formation professionnelle et la jeunesse.

5. Le Conseil souligne qu'il convient de préserver la diversité linguistique et de promouvoir le plurilinguisme dans l'Union, dans l'égal respect des langues de l'Union et à la lumière du principe de la subsidiarité.

6. Pour le citoyen, l'adhésion à la construction européenne passe par l'assurance de la prise en considération des langues de l'Union et par un égal accès à l'information, en conformité avec le droit national des États membres et dans le respect du droit communautaire.

7. A cet égard, le Conseil se félicite notamment de la résolution du Conseil du 31 mars 1995 concernant l'amélioration de la qualité et la diversification de l'apprentissage et de l'enseignement des langues au sein des systèmes éducatifs de l'Union européenne ainsi que de l'adoption des programmes SOCRATES, LEONARDO, JEUNESSE POUR L 'EUROPE.

8. Il prend également acte de l'intention de la Commission de présenter une communication relative aux aspects linguistiques de la société de l'information, établie à la suite de la demande du Conseil européen à Corfou, qu'il examinera sans délai.

9 . Le Conseil souligne l'importance qui s'attache à prendre en compte la dimension linguistique dans les relations extérieures de l'Union, notamment dans le cadre des programmes de l'Union qui associent des pays tiers.

10. Le Conseil invite la Commission à prendre en compte la diversité et le pluralisme linguistiques dans l'élaboration des politiques et actions communautaires ainsi que dans leur mise en oeuvre.

11. Le Conseil invite la Commission à effectuer l'inventaire de politiques et actions menées par la Communauté prenant en compte la diversité et le pluralisme linguistiques et à en faire l'évaluation. Il l'invite à faire rapport au Conseil dans un délai d'un an.

12. Le Conseil invite la Commission à établir un groupe de représentants des États membres, désignés par ceux-ci, chargé, sans préjudice de l'activité des comités existants et en liaison avec ceux-ci, de suivre la prise en compte de la diversité linguistique et la promotion du pluralisme linguistique dans les politiques et actions de l'Union, dans le respect des politiques nationales des États membres.

13 . Le Conseil rappelle, en outre, l'importance qu'il attache à l'égalité des langues officielles et des langues de travail des institutions de l'Union, à savoir l'allemand, le français, l'italien, le néerlandais, l'anglais, le danois, le grec, l'espagnol, le portugais, le finnois et le suédois, conformément au règlement n° 1/58 tel que modifié portant fixation du régime linguistique applicable aux institutions de l'Union. Le Conseil rappelle le statut particulier de la langue irlandaise selon l'article 8 du traité sur l'Union européenne et le traité d'adhésion du Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni.

Par ailleurs, le Conseil a également adopté le 31 mars 1995 une résolution concernant l'amélioration de la qualité et la diversification de l'apprentissage et de l'enseignement des langues au sein des systèmes éducatifs de l'Union européenne.

Sur le fondement des nouvelles compétences reconnues à la Communauté par l'article 126 du traité instituant la Communauté européenne, modifié par le traité sur l'Union européenne, dans le domaine de l'enseignement scolaire, et notamment de « l'apprentissage et la diffusion des langues des États membres », et en tenant compte des acquis des programmes Erasmus et Lingua d'une part, et des moyens consacrés à la mise en oeuvre des programmes d'action communautaire Socrates et Léonardo d'autre part, la résolution du Conseil tend à promouvoir les efforts des États membres en ce domaine, dans le respect toutefois du principe de subsidiarité.

Comme l'indique son texte même, cette résolution « a pour objet de fournir les bases d'une réflexion sur les moyens dont les systèmes éducatifs disposent en propre pour poursuivre la construction d'une Europe sans frontières intérieures et renforcer la compréhension entre les peuples de l'Union européenne. La promotion du pluralisme linguistique devient à cet égard l'un des enjeux majeurs de l'éducation. Il convient alors, tout en réaffirmant le principe d'un statut égal pour chacune des langues de l'Union européenne, de réfléchir aux instruments susceptibles d'en améliorer et d'en diversifier l'enseignement et la pratique, permettant ainsi à chaque citoyen d'accéder à la richesse culturelle enracinée dans la diversité linguistique de l'Union européenne. »

Elle met l'accent sur la nécessité :

- de promouvoir par des mesures appropriées une amélioration qualitative de la connaissance des langues de l'Union européenne au sein des systèmes éducatifs ;

- de prendre des mesures incitatives visant à diversifier les langues enseignées dans les États membres, en donnant aux élèves et aux étudiants la possibilité d'acquérir au cours de leur scolarité ou de leurs études supérieures« une compétence dans plusieurs langues de l'Union européenne ».

A cette fin, le Conseil préconise le développement des échanges avec les locuteurs de la langue vivante étudiée, sous la forme de séjours linguistiques, d'invitation de professeurs étrangers, ou le développement « d'échanges virtuels » exploitant les nouvelles possibilités offertes par les technologies de l'information.

Il recommande la mise en place ou le développement d'un enseignement précoce des langues vivantes dès l'école élémentaire, l'amélioration de l'apprentissage des langues étrangères dans l'enseignement technique et professionnel, ainsi qu'une formation linguistique accrue des professeurs enseignant d'autres matières que les langues étrangères, afin de favoriser autant que faire se peut un enseignement bilingue de certaines matières.

Pour favoriser la diversification des langues vivantes enseignées dans l'Union européenne, le Conseil estime que « les élèves devraient avoir, en règle générale, la possibilité d'apprendre deux langues de l'Union européenne autres que la ou les langues maternelles durant une période minimale de deux années consécutives, et si possible durant une période plus longue, pour chaque langue au cours de la scolarité obligatoire ; cet enseignement se différencie d'une initiation ». Il souhaite aussi que « l'offre enseignement dans le domaine des langues qui se trouvent être moins diffusées et moins enseignées puisse être renforcée et diversifiée dans toute la mesure du possible, à tous les niveaux d'enseignement et dans tous les types de cursus ».

Dans cette perspective, le Conseil invite la Commission de Bruxelles à soutenir les actions des États membres tendant à la réalisation des objectifs qu'il définit, et à présenter, tous les trois ans, un rapport succinct sur le déroulement des actions entreprises pour encourager l'amélioration et la diversification de l'enseignement des langues vivantes au niveau des États membres de l'Union européenne.

Votre rapporteur ne peut que se féliciter de ces nouvelles orientations arrêtées à l'échelle communautaire.

Guidé par le sentiment que l'éventail des langues étrangères proposées à l'apprentissage des élèves au cours de la scolarité se resserrait autour de l'anglais, votre rapporteur proposait en juin 1994 à la commission des affaires culturelles, qui devait l'accepter, la création d'une mission d'information sur l'enseignement des langues vivantes dans l'enseignement scolaire français.

Cette mission, que présidait votre rapporteur, a présenté ses conclusions lors d'une réunion de la commission des affaires culturelles tenue le 15 novembre dernier.

Pour remédier à l'uniformisation constatée des langues étrangères au bénéfice de l'anglais, la mission d'information propose la mise en place d'un « nouveau contrat pour l'enseignement des langues », composé de cinquante mesures, ordonnées autour de dix actions.

La recherche d'une diversification linguistique suppose que soit rendu obligatoire l'enseignement d'au moins deux langues vivantes dans l'enseignement général comme dans l'enseignement technologique ou professionnel, que soit accru le recours à l'enseignement à distance et la constitution de réseaux d'établissements. Elle repose aussi sur l'information impartiale des familles et des élèves. L'apprentissage précoce des langues dans le primaire doit être entouré de précautions afin de ne pas concourir à renforcer le « tunnel du tout anglais ; il nécessite par ailleurs un important effort de formation initiale et continue des instituteurs et des professeurs des écoles.

La mission suggère par ailleurs que soit améliorée la prise en compte des spécificités linguistiques régionales, de leur caractère frontalier, des jumelages existants et des besoins des entreprises grâce à l'élaboration de schémas régionaux pour l'apprentissage des langues vivantes. L'immersion linguistique des élèves et des enseignants doit être encouragée notamment par le développement d'échanges à l'échelle européenne. L'enseignement des langues dites « minoritaires » (portugais, italien, néerlandais, arabe, turc, russe, chinois, japonais ...) doit être réactivé, et la relève des professeurs de ces langues assurée selon un plan de recrutement établi à moyen et long terme.

Il convient également de veiller à l'adaptation des méthodes d'enseignement des langues vivantes en privilégiant l'expression orale des élèves. Enfin, la diversification de l'enseignement des langues étrangères suppose que soit renforcée et adaptée la formation initiale et continue des professeurs de langue.

Pour mettre en oeuvre cette nouvelle politique, la mission d'information suggère que soit instituée auprès du ministre de l'éducation nationale une commission nationale chargée notamment de déterminer les besoins linguistiques et de définir une politique de recrutement des enseignants.

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