C. COLLECTIVITÉS LOCALES ET TÉLÉCOMMUNICATIONS : DEUX AVANCÉES NÉCESSAIRES

1. Le produit de la taxe professionnelle de France Télécom : le Gouvernement tiendra-t-il ses engagements ?

Alors que votre commission pour avis demande depuis plusieurs années que la taxe professionnelle de France Télécom soit versée aux collectivités locales et non à l'Etat, le débat budgétaire de l'an dernier a permis au Sénat d'obtenir du Gouvernement l'assurance que le projet de loi de finances pour 2000 serait l'occasion d'envisager ce transfert conforme à la décentralisation et à l'autonomie des collectivités locales. Le système actuel, hérité de la loi du 2 juillet 1990 sur l'organisation du service public de La Poste et des télécommunications, est manifestement inadapté à l'existence d'un secteur désormais libéralisé et pourrait même entraîner des distorsions de concurrence défavorables à l'opérateur.

Rappelons que le montant en jeu s'élève à près de 6 milliards de francs en 1998 (5,604 milliards, soit le deuxième impôt payé par France Télécom après la TVA -16,7 milliards- et avant l'IS -3,6 milliards-).

Signalons aussi, au passage, que l'Etat, actionnaire à 62 % de France Télécom, a touché en 1999, 4,2 milliards de francs de dividendes au titre de l'exercice 1998, l'Assemblée générale des actionnaires ayant fixé le dividende à un euro par action.

Divers systèmes ont été proposés par le Sénat :

- effectuer un transfert pur et simple au bénéfice des collectivités d'implantation ;

- affecter le produit de cette taxe pour moitié aux collectivités d'implantation des établissements de l'opérateur et pour moitié à la péréquation nationale de la taxe professionnelle ;

- affecter une partie de ce produit à un fonds géré paritairement entre l'Etat et les élus, permettant de compenser le surcoût occasionné à La Poste par sa contribution à l'aménagement du territoire.

Votre commission pour avis attend toujours la réponse du Gouvernement. Elle observe que le groupe de travail France-Télécom/ministère de l'économie et des finances censé recenser et actualiser l'assiette de cette taxe n'a été mis en place que très tardivement.

La question reste posée : le Gouvernement respectera-t-il son engagement ? Rien n'engage, hélas, à le penser...

2. Collectivités locales et fibres noires : une liberté en trompe-l'oeil ?

Dans une optique de rationalisation de la gestion locale, mais aussi d'aménagement du territoire et de développement économique, les collectivités territoriales ont parfois déployé leurs propres infrastructures de télécommunications.

Les exemples abondent, qu'il s'agisse de la ville de Besançon, du district du grand Toulouse, de la Communauté urbaine du Grand Nancy et de divers projets en cours ou à l'étude (communauté urbaine de Lyon ; syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l'électricité et les réseaux de télécommunications, SIPPEREC).

Des expériences similaires -et souvent plus poussées- existent d'ailleurs dans les autres pays européens.

C'est ainsi qu'en Grande-Bretagne, dans les pays scandinaves, ou en Allemagne, des collectivités territoriales peuvent soit disposer de réseaux de " fibre noire " -c'est-à-dire inactivée- qui sont loués à une grande diversité d'opérateurs (24 pour le seul réseau métropolitain " fibre noire " de Stockholm par exemple), soit jouer un rôle direct dans l'offre de services de télécommunications (licences d'opérateurs des villes de Cologne ou de Düsseldorf).

Les expériences françaises actuelles sont moins abouties puisque les collectivités concernées n'envisagent pas d'exercer elles-mêmes les fonctions d'opérateur, mais bien de louer leurs infrastructures à des intervenants du secteur des télécommunications.

Or, un arrêt du tribunal administratif de Nancy du 18 mars 1999 20( * ) a remis en cause la légalité de telles interventions et placé les collectivités dans une incertitude juridique difficilement compatible avec le montant des investissements et le caractère stratégique territorialement de tels projets.

Soulignons qu'avant même que n'intervienne cette décision de justice, tant le Conseil de la concurrence que la Commission européenne avaient jugé compatibles avec le droit de la concurrence -et même bénéfiques s'agissant de l'ouverture de la boucle locale- de telles interventions des collectivités.

Le premier ministre en approuvait quant à lui le principe, au cours d'une conférence de presse le 19 janvier 1999. L'ART y était favorable.

Pour lever cette incertitude juridique, le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités locales, a adopté, lors de la discussion du projet de loi d'aménagement et de développement du territoire, sur proposition de votre rapporteur pour avis, un amendement clarifiant le cadre d'intervention des collectivités pour la location de leurs infrastructures de " fibre noire ".

Hélas, le Gouvernement, pour des motifs inavoués -jacobinisme excessif ou refus de l'actionnaire majoritaire de l'opérateur dominant de la boucle locale de voir s'y installer la concurrence ?-, suivi par l'Assemblée nationale , ont refusé de s'engager dans la voie tracée par le Sénat. Le texte finalement adopté, le nouvel article L.1511-6 du code général des collectivités territoriales, a été accueilli par la presse et les acteurs du secteur comme un mauvais coup porté au développement de la concurrence et à la liberté d'administration des collectivités territoriales .

En outre, d'après votre rapporteur, confirmé en cela par plusieurs juristes ayant analysé le texte, l'incertitude juridique est, malgré l'adoption de cet article, très loin d'être levée, comme incite à le penser l'article suivant :

LE NOUVEL ARTICLE L.1511-6 : UN " NID À CONTENTIEUX " POUR LES COLLECTIVITÉS LOCALES ?

" La rédaction (...) comporte une condition restrictive qui porte en elle bien des motifs de risques contentieux . Elle subordonne en effet le don de réaliser des infrastructures de réseaux de télécommunications à la condition " que l'offre de services ou de réseaux de télécommunications à haut débit (...) n'est pas fournie par les acteurs du marché à un prix abordable ou ne répond pas aux exigences techniques et de qualité ces [ces collectivités ou établissements] attendent ".

Ces termes semblent contenir bien des ambiguïtés. Tout d'abord, la notion de " prix abordable " appellera une définition jurisprudentielle car elle ne répond à aucune mesure objective et quantifiable (...).

La procédure de publicité est également susceptible d'être source de contentieux dès lors qu'elle n'est pas définie que d'une manière générale. Quel type de publicité ? Auprès de quels acteurs du marché ? Pour déterminer quels types de besoins ? Autant de questions auxquelles les collectivités devront répondre avant de lancer une procédure. Le formalisme ici n'est pas défini comme dans la loi Sapin sur les délégations de service public. Au surplus, l'article L.1511-6 nouveau instaure une obligation de publicité mais non de mise en concurrence. Dans l'attente d'une possible circulaire (purement indicative depuis les lois de décentralisation), les collectivités qui souhaiteraient disposer d'un réseau à haut débit, notamment en vue de favoriser la concurrence sur la boucle locale, devront s'entourer d'un maximum de précautions en procédant à la publication d'un avis d'appel public " à propositions ", sur la base d'un cahier des charges techniques assez précis ".

Source : Article de MM. François Essig et Philippe Delelis, du cabinet Deloitte & Touch, paru dans " Les échos " du 15 novembre 1999.


Votre commission pour avis regrette que les collectivités ne disposent toujours pas de la sécurité juridique indispensable à la gestion locale. Elle regrette que l'actuelle majorité n'ait pas voulu faire confiance aux collectivités !

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