II. EXTRAIT DE L'AUDITION DU SECRÉTAIRE D'ÉTAT À L'INDUSTRIE LE 3 MARS 1999

Au sujet de la directive sur les services postaux communautaires, M. Christian Pierret a indiqué que le projet de loi de transposition serait déposé dans les premières semaines de 1999, et qu'il convenait de préparer l'échéance suivante programmée par la directive. Le ministre a estimé que La Poste devait conserver son caractère " hybride ", service public à part entière, assumant des missions d'intérêt général mais aussi pleinement entreprise, 40 % de son chiffre d'affaires étant déjà dans le secteur concurrentiel, et plus à l'avenir.

Le ministre a jugé que ce défi serait difficile à relever, compte tenu de la mutation du cadre règlementaire européen, des pratiques de repostage de la poste hollandaise et de la recomposition capitalistique de nombre d'opérateurs européens.

Le ministre a souhaité que La Poste soit un service public et une entreprise ouverte sur le plan international. Il a signalé le récent accord avec la poste sud-africaine, jugeant que l'opérateur français devait sans tarder trouver d'autres partenariats pour élargir son implantation européenne.

Le ministre a souligné que si le chiffre d'affaire annuel par agent s'élevait à 300.000 francs pour la Poste, il était de 550.000 francs aux Pays-Bas et de 320.000 francs en Allemagne. Il a jugé que cette réalité posait un défi d'envergure à l'opérateur national et que ce dernier devait impérativement s'allier à un partenaire européen, fut-il privé, la question de sa privatisation ne se posant en aucune façon, La Poste n'étant pas dotée d'un capital.

III. AUDITION DU VICE-PRÉSIDENT DE UNITED PARCEL SERVICES (UPS) LE 31 MARS 1999

La commission, conjointement avec le groupe d'études sur l'avenir de La Poste et des télécommunications, a procédé à l'audition de M. Anton Van der Lande, vice-président de la société United Parcel Service (UPS) et de M. Patrick Martin, directeur des affaires publiques Europe d'UPS.

M. Patrick Martin a tout d'abord présenté UPS, société fondée en 1907 et basée à Atlanta, qui réalise un chiffre d'affaires mondial de 130 milliards de francs. Disposant -a-t-il rappelé- de 1.713 centres opérationnels et de 157.000 véhicules utilitaires, la société utilise tous les jours 600 avions. UPS a d'ailleurs procédé à l'acquisition de 30 airbus et envisage d'en acheter 30 supplémentaires.

M. Patrick Martin a indiqué qu'en Europe, UPS avait son siège à Bruxelles et organisait son trafic aérien autour de l'aéroport de Cologne, qui est son " hub " aérien, ou plate-forme de correspondance.

Il a précisé qu'en France, UPS, dont le siège est à Orly, emploie 1.500 salariés dans 40 succursales. UPS expédie chaque jour plus de 30 000 colis dans ce pays, à destination et en provenance de plus de 200 pays.

M. Anton Van der Lande a estimé que l'entreprise était organisée pour travailler étroitement avec les pouvoirs publics pour l'élaboration du cadre réglementaire postal, des procédures douanières et de la réglementation aérienne. Il a indiqué qu'UPS participait aux institutions internationales comme l'organisation de coopération et de développement économique (OCDE), l'organisation mondiale du commerce (OMC), l'organisation mondiale des douanes (OMD) ou l'association internationale du transport aérien (IATA).

M. Anton Van der Lande, après avoir rappelé qu'UPS n'a pas de vocation postale en Europe, a considéré que son entreprise était concernée par la mise en place du nouveau cadre réglementaire européen en la matière.

Evoquant le caractère global et l'approche comparative d'UPS entre les différents Etats, il s'est interrogé sur les raisons qui rendent, à son sens, impossible, en France, une approche " transparente et pragmatique " du secteur postal.

Il a estimé que la transparence comptable était indispensable dans le secteur postal, et qu'un accès aux comptes de La Poste était nécessaire. Il a indiqué que, jugeant rentable l'activité courrier de La Poste, UPS craignait en conséquence que cette profitabilité ne serve à subventionner l'activité de colis express de cet opérateur, en France et à l'étranger.

Il s'est alors interrogé sur l'occasion offerte sur le recours à des financements des collectivités locales -hypothèse à son sens actuellement envisagée- pour assurer les coûts du maintien du réseau postal sur le territoire.

M. Anton Van der Lande a souhaité que La Poste respecte, conformément au contrat de plan signé avec l'Etat, son engagement de présenter une comptabilité analytique à la fin du premier semestre 1999, comme l'exige la directive communautaire du 15 décembre 1997 sur les services postaux.

S'agissant de la présence postale sur le territoire, M. Anton Van der Lande a considéré que, contrairement à la concession au secteur privé de l'activité postale dans les zones à faible densité, en cours dans les autres pays européens, le désengagement de La Poste de ces zones serait probablement, en France, financé, en vertu du contrat de plan et du projet de loi d'orientation pour le développement et l'aménagement durable du territoire, par les collectivités locales.

Il a estimé que La Poste présenterait ainsi aux régions, départements et communes une facture de 3 milliards de francs représentant sa charge actuelle d'aménagement du territoire et que les collectivités étaient en conséquence fondées à demander des comptes à l'opérateur.

M. Anton Van der Lande a précisé qu'UPS souhaitait accéder à la comptabilité du service universel postal afin de s'assurer qu'il n'existait pas de subventions croisées entre les différentes activités du prestataire du service universel. Evoquant une culture du secret héritée, à son sens, du Cabinet des Dépêches de Louis XIV à Versailles, il a préconisé une plus grande transparence dans le secteur postal français.

Il a jugé nécessaire, en outre, la mise en place d'outils de régulation économique dans cette activité, afin d'abaisser le coût du service universel et de favoriser l'émergence d'opérateurs nouveaux.

Rappelant que UPS est un acteur majeur du transport express mondial, il a considéré que son activité d'enlèvement, de suivi en temps réel, de réalisation des formalités douanières et de livraison, partout dans le monde, sous un délai garanti, de colis d'un poids inférieur à 70 kilos était un élément de la compétitivité des entreprises clientes. Evoquant les moyens importants nécessités par cette activité en termes de flotte de véhicules, d'infrastructures au sol, de moyens informatiques, de télécommunications et de personnel, il a souligné qu'UPS souhaitait disposer de ses propres moyens, " de bout en bout ".

M. Anton Van der Lande a insisté sur la différence entre le marché du courrier et des colis, dont UPS n'est pas partie prenante, et celui de l'express, apportant un niveau de services bien plus élevé, à un prix 30 fois supérieur.

Il a jugé que la confiance des clients dans la bonne fin des envois réalisés par UPS et dans leur rapidité d'exécution était essentielle, UPS disposant d'ailleurs d'une avance technologique importante pour le suivi en temps réel des colis, grâce à de considérables investissements en matière informatique.

M. Anton Van der Lande a estimé qu'UPS remplissait une fonction d'aménagement du territoire. Présent sur les lieux de production et d'expédition, l'entreprise permet l'implantation des activités qui cherchent le meilleur service logistique. En la matière -a-t-il jugé-, l'offre crée la demande.

Revenant à la libéralisation postale européenne, il a rappelé que la directive du 15 décembre 1997 proposait un cadre réglementaire transitoire, en vue d'une libéralisation future et fait observer que cette directive visait à créer un système concurrentiel régulé, pour empêcher les Postes d'abuser de leur position dominante sur leur marché d'origine.

M. Anton Van der Lande a regretté que l'application actuelle de ce dispositif ne permette pas, à son sens, une véritable croissance du secteur, pour les raisons suivantes :

- il ne consacre pas de véritable ouverture concurrentielle sur le marché du courrier ;

- il ne permet pas l'indispensable transparence comptable, contrepartie de la réservation de services à un opérateur, en vue du financement du service universel postal. Cette opacité -qui pourrait ne pas être involontaire de la part des Etats et des opérateurs- nourrit la suspicion de subventions croisées entre les différentes activités des prestataires du service universel postal, qui dissuade les nouveaux entrants de s'investir dans le marché ;

- il ne règle pas le problème du comportement de certaines postes européennes, à caractère public, qui financent, comme c'est le cas en Allemagne, une très vive croissance externe par une rente monopolistique et des aides d'Etat. Des plaintes ont d'ailleurs été déposées auprès de la Commission à ce sujet.

M. Anton Van der Lande a estimé que les postes cherchaient à ajouter, à leurs activités traditionnelles, des services à plus forte valeur ajoutée, comme l'express, traditionnellement développés par des entreprises privées.

Il a jugé que ce comportement n'allait pas sans poser de questions, quant aux risques pris par l'actionnaire public de ces postes, quant à la valeur très élevée d'acquisition de certaines entreprises rachetées et quant à la légitimité d'un financement par le contribuable européen de la stratégie de croissance externe des opérateurs publics -d'autant plus douteuse en France que La Poste, dépourvue de capital, ne distribue pas en retour de dividendes à son actionnaire-.

M. Anton Van der Lande a déploré que la période transitoire, établie par la directive avant une plus grande libéralisation, ait été interprétée par les gouvernements européens comme une période " de dopage avant la compétition ", qui s'accompagne, en France, d'un manque total de lisibilité des circuits de financement entre l'Etat et La Poste ainsi que d'une impossibilité de comparaison entre les charges de l'opérateur et celles des entreprises privées.

Il a regretté qu'aucun des quatre critères, permettant à son sens de juger la réussite d'un processus de libéralisation, ne soient réunis dans le cas du secteur postal : présence de nouveaux entrants ; amélioration de l'offre au client ; baisse des prix ; rentabilité et innovation des entreprises du secteur.

Pour la France, M. Anton Van der Lande a souhaité que les obligations comptables du prestataire du service universel postal soient précisées dans un texte de loi, qui permette de disposer des comptes du service universel, des services réservés, des services postaux hors service universel et des services rendus sur les autres marchés. Il a estimé indispensable de distinguer les coûts de la levée, de la distribution, du tri, du transport et des coûts commerciaux postaux.

Il a souhaité que la comptabilité analytique de La Poste puisse être accessible aux autres acteurs du marché postal, ainsi qu'aux élus locaux.

Il a jugé la mise en place d'une autorité de régulation indépendante indispensable pour assurer " un contrôle anti-dopage " du secteur. Il a précisé qu'UPS souhaitait d'ailleurs une coordination des différentes instances de régulation européennes.

M. Anton Van der Lande a appelé de ses voeux un débat français sur le financement des missions d'intérêt général de La Poste.

M. Gérard Larcher, président du groupe d'études sur l'avenir de la Poste et des télécommunications, a évoqué la croissance significative de l'activité d'UPS, qui transporte chaque jour 5 % du produit intérieur brut américain, chiffre qui contraste avec l'évolution plus modérée de l'activité de l'opérateur français sur le marché de l'express.

Il a interrogé le vice-président d'UPS sur son analyse de la stratégie de certains opérateurs postaux européens, tendant à une prise de contrôle de grands intégrateurs mondiaux et à une introduction en Bourse.

Soulignant que La Poste cherchait un partenaire dans le domaine de la messagerie internationale, il a considéré que UPS et Federal Express étaient les deux derniers candidats en lice. Il a demandé quel serait l'impact du développement du commerce électronique sur le marché de la messagerie.

M. Anton Van der Lande a tout d'abord répondu que le développement d'UPS en Europe, bien que soutenu, était toutefois inférieur aux prévisions initiales de cette société, en raison de la concurrence déloyale de certains opérateurs notamment allemand, néerlandais et anglais.

Rappelant qu'UPS est le plus grand opérateur de messagerie américain, il a indiqué que, sur son marché domestique, cette société perdait aussi des parts de marché, mais maintenait sa profitabilité grâce à un avantage comparatif en termes de suivi informatique des envois et d'ampleur de la flotte et du réseau mondial.

Il a jugé que le développement du commerce électronique offrirait des opportunités pour La Poste, compte tenu de sa présence territoriale importante, atout dont ne disposent pas les intégrateurs internationaux.

Evoquant la stratégie mondiale très ambitieuse de l'opérateur postal néerlandais, il a toutefois relevé que ce dernier n'était encore présent ni en Allemagne, ni aux Etats-Unis, ni en Asie. S'agissant de la Poste allemande, il a jugé qu'elle avait un objectif de primauté mondiale et que son développement dans le secteur de l'express était largement lié à la perspective de sa prochaine introduction en Bourse.

M. Anton Van der Lande a précisé que, s'agissant d'une éventuelle alliance avec La Poste, UPS considérerait systématiquement toutes les occasions commerciales mais qu'il était, en l'état du cadre concurrentiel européen -à son sens insatisfaisant- difficile d'envisager sérieusement un investissement important. Il s'est étonné que la poste allemande avait pu investir ces derniers mois entre 20 et 30 milliards de francs pour sa croissance externe, des réserves de financement existant encore à son sens, qu'il s'agisse de sa future capitalisation boursière, du prix toujours élevé du timbre allemand ou de la vente du patrimoine immobilier de cet opérateur.

Il a souligné que La Poste française avait peu de chance de résister à une concurrence aussi déloyale.

M. Jean François-Poncet, président, a fait observer que le paysage postal européen avait évolué très rapidement, l'opérateur allemand semblant désormais représenter un concurrent plus redoutable que son homologue néerlandais.

M. François Gerbaud a demandé si une décentralisation de son trafic aérien était envisagée par UPS, compte tenu de la congestion actuelle de certains grands aéroports. Il a demandé si UPS se cantonnerait, en Europe, à l'axe Londres-Francfort-Milan, le plus dense, surnommé " la banane bleue ". Il a souhaité savoir si UPS entendait ester en justice pour une meilleure application de la directive de 1997. Il a enfin interrogé le vice-président sur les perspectives de réduction des coûts et des délais de livraison de son entreprise.

M. Anton Van der Lande a précisé que UPS disposait d'une flotte aérienne très moderne et donc silencieuse, l'intégralité des aéronefs répondant aux normes du chapitre III de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), fait qui, conjugué à l'accroissement de la capacité unitaire des avions, limitait les nuisances sonores. Il a considéré qu'une interdiction éventuelle des vols de nuit remettrait totalement en cause l'activité d'UPS, rendant impossible une livraison le lendemain. S'agissant de l'organisation du trafic aérien d'UPS, il a précisé que la société entendait développer d'autres " hubs " en Europe.

Il a estimé qu'UPS saisirait la juridiction européenne en cas de mauvaise application de la directive par les Etats membres, une plainte étant d'ailleurs pendante contre l'Allemagne.

Il a indiqué que la réduction continue des coûts permettait à UPS de maintenir sa profitabilité, malgré des pertes de marché, grâce à une automatisation accrue du triage et des systèmes informatiques et à une modernisation de la flotte.

M. Pierre Hérisson a demandé quelle était la stratégie mondiale d'UPS. Evoquant la fin du partenariat, au 1er avril 2001, entre Chronopost et TNT Post Group, il s'est interrogé sur l'éventualité d'une alliance entre La Poste et UPS après cette date.

Il a demandé si l'absence de capital de l'opérateur français était un obstacle à la conclusion d'un partenariat mondial. Il a interrogé M. Anton Van der Lande sur sa vision de l'Etat français en tant qu'actionnaire, employeur et régulateur.

M. Ladislas Poniatowski a estimé que, si la France ne respectait pas la directive européenne du 15 décembre 1997, l'Allemagne la respectait encore moins. Il a demandé si UPS avait porté cette affaire devant la justice.

M. Anton Van der Lande a réaffirmé qu'UPS n'entendait pas s'investir dans le secteur du courrier traditionnel. S'agissant de l'alliance avec Chronopost, il a déclaré qu'une proposition raisonnable intéresserait vraisemblablement UPS, mais que le rapprochement entre La Poste et l'Allemand DPD, concurrent d'UPS, ne facilitait pas la conclusion d'une telle alliance.

Il a jugé que l'absence de capital n'était pas un obstacle dirimant à la conclusion d'un accord avec La Poste, dont le principal atout résidait dans l'étendue de son réseau. Il a d'ailleurs souligné que UPS, malgré sa taille, n'était pas coté en Bourse et s'apparentait à une " coopérative capitaliste ".

Estimant que ses développements précédents l'amenaient à émettre un jugement négatif du rôle de l'Etat en tant que régulateur, il a évoqué les procédures actuellement en cours auprès des juridictions européennes, à l'initiative d'UPS, contre l'opérateur allemand.

M. Gérard Larcher a souligné les mutations accélérées du secteur postal européen, que révèle, notamment, la stratégie allemande.

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