C. DANS LE DOMAINE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, LES RÉTICENCES EXPRIMÉES À L'ÉGARD DU PACTE DE RELANCE POUR LA VILLE NE DÉBOUCHENT SUR AUCUNE SOLUTION ALTERNATIVE

En matière économique, M. Claude Bartolone a confirmé ses réticences à l'égard du dispositif d'exonérations spécifiques prévu par le pacte de relance pour la ville, sans dessiner pour autant de véritable alternative.

1. Un constat critique prématuré sur l'effet du pacte de relance pour la ville

a) Le dispositif du pacte de relance pour la ville

Au sein de la géographie prioritaire de la politique de la ville, la loi n° 96-987 du 14 novembre 1996 relative à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville a prévu un dispositif fiscal spécifique dans les zones de redynamisation urbaine (ZRU) et les zones franches urbaines (ZFU).

Il convient de rappeler que les 214 contrats de ville conclus dans le cadre du XIe Plan (1994-1999), ont concerné 771 communes signataires et 1.300 quartiers, dont 930 quartiers prioritaires périphériques, 112 centres villes et 195 quartiers sensibles à traiter préventivement.

Au sein de cet ensemble, une liste de 750 zones urbaines sensibles (ZUS) détermine les grands ensembles et quartiers d'habitat dégradé souffrant d'un déséquilibre accentué entre l'habitat et l'emploi.

•  Les ZRU correspondent à des zones présentant des difficultés à partir de plusieurs critères à savoir, la population, le taux de chômage, la proportion de jeunes de moins de 25 ans, la proportion de jeunes sortis du système scolaire sans diplôme et le potentiel fiscal des communes de rattachement.

416 ZRU (dont 20 dans les DOM) ont été sélectionnées dans 343 communes et 76 départements parmi les 750 ZUS 8( * ) .

Le dispositif visant à conforter ou à recréer de l'activité économique dans ces quartiers très défavorisés, est constitué pour l'essentiel d'exonérations fiscales et sociales accordées aux entreprises.

Les mesures applicables en ZRU sont les suivantes :

- exonération, compensée par l'Etat, de taxe professionnelle, pour les établissements nouveaux, ou déjà existants, pendant cinq ans sur la totalité de la base imposable, plafonnée à 1 million de francs pour la création ou l'extension, et à 500.000 francs pour les établissements existants (art. 1466 A I ter, du code général des impôts),

- exonération d'impôt sur les bénéfices, totale les deux premières années puis dégressive les troisième, quatrième et cinquième années, sans plafonnement, pour les entreprises nouvelles (art. 44 sexies du code général des impôts),

- exonération de taxes foncières sur les propriétés bâties, pendant deux ans, pour les entreprises nouvelles ou les établissements créés ou repris à une entreprise en difficulté (art. 1383 du code général des impôts),

- exonération sur douze mois des charges sociales patronales du quatrième au cinquantième salarié pour les entreprises nouvelles ou existantes sur une fraction de salaire n'excédant pas 1,5 fois le SMIC.

•  Les zones franches urbaines (ZFU) ont été déterminées, après appel à projet, parmi les quartiers de plus de 10.000 habitants présentant les caractéristiques les plus dégradées en termes de chômage des jeunes, de qualification professionnelle ou de ressources des communes.

Les ZFU, qui bénéficient des exonérations fiscales et de charges sociales les plus importantes, sont au nombre de 44, dont 38 en métropole et 6 dans les départements d'outre-mer. Elles sont déterminées par le législateur qui en a fixé la liste en annexe à la loi n° 96-987 du 14 novembre 1996. La délimitation de ces zones a été fixée par deux décrets du 26 décembre 1996 9( * ) .

L'effort de l'Etat est particulièrement concentré et repose sur des mesures d'exonération fiscale et sociale renforcées :

- exonération compensée par l'Etat de taxe professionnelle pour les établissements nouveaux ou déjà existants ou étendus, pendant cinq ans, sur la totalité de la base imposable, plafonnée à 3 millions de francs (art. 1466 A I quater du code général des impôts),

- exonération d'impôt sur les bénéfices totale pendant cinq ans, avec plafonnement à 400.000 francs par an, pour les entreprises nouvelles ou existantes (art. 44 octies du code général des impôts),

- exonération de taxes foncières sur les propriétés bâties pendant cinq ans (art. 1383 A du code général des impôts),

- exonération des charges sociales sur douze mois des charges sociales patronales du quatrième au cinquantième salarié pour les entreprises nouvelles ou existantes sur une fraction de salaire n'excédant pas 1,5 fois le SMIC.

b) Un jugement critique

Le bilan des 18 premiers mois de la loi du 14 novembre 1996 précitée a été présenté dans un rapport au Parlement en mars dernier 10( * ) . Ce rapport ne présente pas un ensemble de données statistiques exhaustives et homogènes mais il est établi à partir de la synthèse de missions d'enquête confiées à trois corps d'inspection générale, ceux de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), de l'Inspection générale des finances (IGAF) et de l'Inspection générale de l'Administration (IGA). Il s'agit d'une analyse qualitative plus que statistique.

Ce rapport estime que les ZRU et les ZFU n'auraient eu qu'un impact limité sur l'emploi en 1997, première année d'application de la loi, alors que le coût des dispositifs serait en moyenne relativement élevé.

Concernant les 416 ZRU, le nombre d'embauches exonérées s'élève à 2.345 en 1997, soit environ 6 embauches par ZRU. Il est souligné néanmoins que l'absence de réserves foncières sur la quasi-totalité des ZRU constitue un facteur limitant l'attractivité du dispositif.

S'agissant des 44 ZFU, la progression de l'emploi serait en revanche nettement plus marquée puisqu'elle serait de l'ordre de 9.000 embauches en 1997.

Le rapport indique qu'un certain nombre d'emplois sont transférés tout en admettant qu'un décompte précis n'est pas toujours aisé.

Présentant ce rapport à la presse le 4 mars dernier, M. Claude Bartolone a indiqué que le Gouvernement respecterait ses engagements envers les collectivités locales et les entreprises jusqu'à expiration du dispositif mais que celui-ci ne serait pas reconduit au-delà de 2006.

Il a été confirmé devant votre commission que les entreprises installées en ZFU et en ZRU pourraient continuer à disposer de mesures d'exonérations fiscales et sociales dérogatoires jusqu'au terme prévu par la loi de novembre 1996. Dans les ZRU, les droits seront ouverts jusqu'au 31 décembre 2001 et les dernières exonérations interviendraient donc le 31 décembre 2002. Pour ce qui concerne les ZFU la durée d'exonération est de cinq ans. Les dernières exonérations interviendraient le 31 décembre 2006.

Par ailleurs, le ministre a annoncé diverses mesures dites de " moralisation " que votre rapporteur préfère qualifier de mesures " d'amélioration " du pacte de relance pour la ville, dans la mesure où ce dernier, voté par le Parlement sous le contrôle du Conseil constitutionnel, n'a jamais eu pour objet de mettre en place un dispositif " immoral ".

Les mesures annoncées porteraient sur les thèmes suivants :

- réduction de moitié des exonérations de charges sociales pour les emplois simplement transférés et interdiction du bénéfice des exonérations aux entreprises ayant licencié dans l'année ayant précédé le transfert ;

- interdiction du bénéfice des aides pour les transferts d'entreprises et d'emploi d'une ZFU vers une autre ZFU ;

- instauration d'une durée minimum de travail hebdomadaire pour les contrats de travail relatifs à l'embauche de résidents des quartiers.

Sans préjuger de l'examen de ce texte par le Sénat, votre commission n'est pas défavorable au principe de la mise en place de mesures d'amélioration du pacte de relance de la ville , dès lors que celles-ci correspondent bien au but qui leur est assigné. S'agissant d'un dispositif nouveau, il est naturel que des modifications soient apportées au vu des résultats d'évaluations locales.

Pour autant, la décision du Gouvernement d'abandonner la poursuite du dispositif fiscal spécifique aux quartiers semble fondée sur un constat prématuré.

c) Un constat prématuré

Tout d'abord, le rapport ne reflète que l'année 1997, qui était la première année d'application du dispositif, dans un contexte où une incertitude était entretenue par la nouvelle majorité sur le sort du dispositif du pacte .

De plus, comme le reconnaît le rapport d'évaluation, le dispositif " n'a pu produire que des effets limités sur l'emploi compte tenu de la croissance connue en France, durant cette période, et du chômage massif auquel sont confrontés les habitants de ces quartiers " .

Par ailleurs, l'étude présente très largement des chiffres agrégés alors que les résultats des ZRU et des ZFU sont contrastés . En particulier, le dynamisme du bassin d'emploi, mais surtout l'existence d'un projet de développement du quartier et de la ville, piloté sous le contrôle des élus locaux, joue pour beaucoup et explique les résultats plutôt honorables constatés à Nantes, Garges-Sarcelle, Meaux, Vaulx-en-Velin, Lille-Roubaix.

En fait, le rapport d'évaluation met en évidence trois facteurs liés à l'environnement des zones franches qui expliquent la diversité des résultats :

- le dynamisme économique de l'agglomération et du bassin d'emploi environnant ;

- l'existence d'un projet de développement du quartier et de la ville : en particulier, la reconstruction ou le développement d'une zone commerciale joue un rôle d'accélérateur considérable pour le succès de la zone franche ;

- l'existence de réserves foncières dans la zone : les possibilités ouvertes au sein des seuls locaux d'habitation pour les implantations d'entreprise sont souvent insuffisantes.

Les collectivités locales sont souvent conscientes de ces lacunes et tentent d'y remédier par une politique d'investissement. Mais il s'agit d'un effort de longue haleine qui ne portera ses fruits qu'à échéance de quelques années .

A cet égard, il est particulièrement regrettable de constater le retard avec lequel le Gouvernement a effectivement mis en place l'établissement public d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA) qui devait justement faciliter les interventions de remembrement des espaces commerciaux et artisanaux.

En tout état de cause, il est beaucoup trop tôt pour porter un jugement définitif sur le dispositif . Il est souligné dans le rapport lui-même que " les effets en termes d'emploi vont se renforcer dans l'avenir, de nombreuses collectivités locales ayant réalisé des aménagements permettant d'atteindre de nouvelles activités et emplois ".

S'agissant du coût, il convient de rappeler qu'il s'agit pour les emplois nouvellement créés, non pas de subventions, mais d'exonérations d'impôt sur des richesses qui n'auraient peut-être pas été générées en l'absence d'une aide spécifique.

Pour toutes ces raisons, il apparaît nécessaire d'apprécier le dispositif dans la durée et de ne pas porter de jugement hâtif sur son avenir .

Conclure d'ores et déjà à la non-reconduction du dispositif, c'est anticiper sur une décision qui peut encore être révisée et faire peser, en tout état de cause, une suspicion à l'égard d'un mécanisme qui commence seulement à entrer en régime de croisière.

2. L'absence d'une véritable alternative

Au-delà de la disparition annoncée des ZRU et des ZFU à l'horizon 2002, les solutions alternatives tardent à se dessiner.

Le 5 mars 1999, une mission parlementaire a été confiée à Mme Chantal Robin Rodrigo, députée des Hautes-Pyrénées et M. Pierre Bourguignon, député de Seine-Maritime afin de préparer un nouveau rapport sur le volet économique de la politique de la ville. Celui-ci, intitulé " le territoire de la cité au service de l'emploi ", a été remis au Premier ministre le 1 er juin 1999. Selon M. Claude Bartolone, le rapport propose " de mettre à disposition des acteurs locaux une boîte à outils complète et adaptée à chaque territoire " 11( * ) .

A la lecture du résumé des propositions (cf ci-après), l'inquiétude de votre rapporteur est que la " boîte à outils " apparaisse si complète que les décideurs ne sachent quel instrument retenir, pour faire face efficacement à leurs besoins.

Pour l'instant, le ministre délégué semble dans le domaine économique s'en tenir à des déclarations relativement vagues et imprécises. Il est indiqué ainsi que " l'enjeu n'est pas de prôner un développement économique, comme la précédente majorité a tenté de le faire (...), il s'agit d'intégrer les quartiers dans le flux économique des villes et des agglomérations ". 1

Même si la formule est séduisante, on ne voit toujours pas ce que le ministère compte faire pour la mettre en pratique.

LES QUARANTE DEUX PROPOSITIONS DU RAPPORT
DE Mme ROBIN RODRIGO ET DE M. BOURGUIGNON

1. Créer un contrat de développement local urbain

2. Assurer la présence des services publics traditionnels.

3. Affirmer l'importance des diagnostics partagés.

4. Repérer les besoins et coordonner l'offre entre intervenants.

5. Identifier l'offre immobilière et définir des stratégies d'implantation.

6. Mettre en place un nouveau système de financement de la politique de la ville.

7. Recentrer l'usage de l'épargne populaire.

8. Définir le territoire d'intervention.

9. Identifier un lieu d'accueil des porteurs de projets au sein même des quartiers.

10. Adopter une démarche active pour dépister les porteurs de projets.

11. Assurer les premières dépenses nécessaires au montage des projets.

12. Soutenir la bancarisation des projets.

13. Accompagner le démarrage de l'activité sur la durée.

14. Mettre en relation les porteurs de projets et les entreprises locales.

15. Faciliter l'accès au crédit bancaire.

16. Lutter contre la vacance.

17. Soutenir et accompagner les actions engagées dans la lutte contre les discriminations dans le monde du travail.

18. Garantir le principe de l'égal accès de tous les citoyens à l'emploi.

19. Construire un service public à l'image de notre pays.

20. Valoriser les réussites professionnelles.

21. S'appuyer sur les expériences existantes en Europe.

22. Coordonner les pratiques de l'ensemble des intervenants pour les adapter aux particularités des quartiers.

23. Faciliter l'accès des habitants au service public de l'emploi.

24. Fournir au service public de l'emploi des moyens humains et financiers adaptés.

25. Développer des actions permettant au demandeur d'emploi d'accéder rapidement à une situation de travail.

26. Ouvrir l'accès aux stages avant seize ans.

27. Développer l'apprentissage en s'appuyant sur l'accompagnement des jeunes et les formations intégrées en entreprise.

28. Redonner des représentations du monde du travail aux jeunes des quartiers en difficulté.

29. Ajuster et systématiser les dispositifs d'accompagnement aux attentes du public concerné.

30. Généraliser les structures d'accompagnement et de médiation.

31. Cumuler les dispositifs d'insertion et le travail salarié.

32. Harmoniser le statut et le revenu durant le parcours d'insertion.

33. Articuler les actions du service public de l'emploi et des entreprises.

34. Réactiver la clause du mieux-disant social.

35. S'appuyer sur les entreprises de travail temporaire.

36. Soutenir les entreprises d'insertion.

37. Professionnaliser les métiers émergents.

38. Diversifier les partenaires pour assurer une pérennisation.

39. Dynamiser l'offre de services d'aide à la personne.

40. Elargir les modes de financement du titre emploi-service.

41. Ouvrir aux adultes les emplois-jeunes.

42. Inventer les métiers de demain.

Au cours de son audition devant la Commission, M. Claude Bartolone a évoqué deux pistes :

- l'amélioration de l'accès à l'emploi : il a mentionné des mesures déjà en cours, qu'il s'agisse de la mobilisation de l'ANPE dans la mise en oeuvre du programme TRACE, du programme de lutte contre les discriminations à l'embauche ou des emplois-jeunes ;

- le programme de renouvellement urbain pour recomposer les quartiers d'habitat social et les intégrer au reste de la ville.

A cet égard, il a précisé que des aides, " notamment fiscales ", pourraient être accordées aux entreprises qui accepteraient de s'implanter dans les nouveaux espaces sur la base d'un véritable projet partagé.

En définitive, il a renvoyé à un dispositif à venir , " dans le cadre du projet de loi sur l'urbanisme et du programme d'accompagnement qui sera décidé lors d'un CIV de fin d'année ".

Les propositions nouvelles sur le plan économique sont donc renvoyées à l'issue de cette discussion budgétaire.

*

* *

Ainsi, il semble bien que la politique de la ville soit très largement à la recherche d'une " ligne claire ", et des moyens d'utiliser plus efficacement des fonds aujourd'hui à disposition qui atteignent presque 35 milliards de francs par an.

De ce point de vue, les indécisions et l'attente ne peuvent que laisser un sentiment d'inquiétude au moment où la reprise de la croissance est une chance mais aussi un risque d'aggravation des inégalités.

Face à ce budget, votre commission a ressenti un sentiment d'impatience : impatience de voir les résultats de certaines mesures prises qui témoignent d'une salutaire prise de conscience ; impatience de mieux voir définies les options retenues en matière de développement économique et social des quartiers.

Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, votre commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à la ville dans le projet de budget pour 2000.

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