F. AUDITION DE M. PATRICE RACT-MADOUX, PRÉSIDENT DU CONSEIL D'ADMINISTRATION DE LA CAISSE D'AMORTISSEMENT DE LA DETTE SOCIALE (CADES)

Réunie le mercredi 3 mai 2000, sous la présidence de M. Jean Delaneau, président, la commission a procédé à l'audition de M. Patrice Ract-Madoux, président du conseil d'administration de la caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES).

M. Jean Delaneau, président, a souligné que la commission des affaires sociales procédait, pour la première fois, à l'audition du président du conseil d'administration de la CADES. Il a rappelé que si la CADES n'était pas un " organisme concourant au financement des régimes obligatoires de base ", ses comptes faisaient l'objet d'une annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Patrice Ract-Madoux a indiqué que les comptes 1999 de la CADES avaient été arrêtés par son conseil d'administration le 30 mars 2000, et qu'ils seraient examinés, par son comité de surveillance, le 17 mai prochain. Il a rappelé que quatre parlementaires faisaient partie de ce comité, dont deux sénateurs, MM. Charles Descours et Jacques Oudin.

Evoquant la création de la CADES par l'ordonnance du 24 janvier 1996, il a rappelé que la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 avait réaffirmé les missions de la caisse en lui confiant l'apurement d'un reliquat de dettes de la sécurité sociale, cette opération ayant été qualifiée de " réouverture " de la CADES.

M. Patrice Ract-Madoux a fait valoir que la mission unique de la Caisse était de rembourser la dette ancienne de la sécurité sociale et qu'à ce titre, l'établissement devait disparaître le 31 janvier 2014, à l'issue de cette mission. Il a observé que le système avait été construit pour assurer une " étanchéité " très forte entre la CADES et les résultats des caisses de sécurité sociale.

Il a expliqué que deux " stocks " de dette étaient inscrits au bilan. Le premier " stock ", transféré en janvier 1996, est de 137 milliards de francs, correspondant aux déficits du régime général en 1994 et 1995, et à son déficit prévisionnel de 1996 ; le deuxième " stock ", transféré par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, est de 87 milliards de francs, représentant le reliquat du déficit de 1996, le déficit de 1997 et le déficit prévisionnel de 1998. En conséquence, 224 milliards de francs de dette, qui a, par ailleurs, été presque intégralement convertie en euros, ont été inscrits au bilan de la CADES.

M. Patrice Ract-Madoux a indiqué que la CADES avait en outre pour mission de verser à l'Etat, chaque année jusqu'en 2009, 12,5 milliards de francs, cette somme constituant une recette non fiscale du budget. Il a rappelé que cette charge correspondait, sans existence d'un lien juridique explicite, aux 110 milliards de francs de dette sociale -antérieure à 1994- pris en compte par l'Etat. Le montant total de la dette à amortir par la CADES est, en conséquence, de 334 milliards de francs, dont 224 milliards de francs figurent à son bilan, les versements à l'Etat jusqu'en 2009 constituant un engagement hors bilan de la caisse. L'établissement s'est tout d'abord endetté à court terme, puis a réaménagé sa dette, en procédant à des emprunts à échéances échelonnées. La dette de la CADES est constituée par ces différents emprunts, dont le dernier doit être remboursé en 2013.

M. Patrice Ract-Madoux a rappelé que la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), dont l'assiette est très large, constituait la principale recette de la CADES. Il a observé que le taux de la CRDS avait été fixé en 1996 à 0,5 % et l'hypothèse retenue d'une croissance de son produit de 3 à 3,5 % par an permettant un remboursement de la dette au 31 janvier 2009. Il a indiqué qu'à l'occasion de la " réouverture " de la CADES, le taux avait été maintenu, mais que la période de perception avait été allongée de cinq années.

Il a indiqué que le montant net de CRDS attribué à la CADES avait représenté 21 milliards de francs en 1996 (la recette n'étant pas prélevée sur l'ensemble de l'année), 25,4 milliards de francs en 1997, 26,5 milliards de francs en 1998 et 27,6 milliards de francs en 1999. Il a observé que le produit de la CRDS en 1999 incluait, pour la première fois, 440 millions de francs, nets de provision, correspondant à des créances à recouvrer. Il a constaté que la croissance de la CRDS en 1999 s'était établie, hors prise en compte de ces créances, à 4 %, soit un taux cohérent avec les hypothèses de départ.

Il a rappelé que la CADES bénéficiait également du produit de la vente du patrimoine immobilier privé à usage locatif des caisses du régime général. Il a précisé que les ventes des immeubles de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) avaient représenté, en 1999, 1,5 milliard de francs. Il a observé que l'ordonnance du 24 janvier 1996 prévoyait la dévolution, à la CADES, du patrimoine non vendu avant le 31 décembre 1999. Il a précisé que l'arrêté du ministre de l'emploi et de la solidarité du 27 décembre 1999, paru au Journal officiel du 30 décembre 1999, avait procédé, comme prévu, au transfert du patrimoine immobilier de la CNAVTS, évalué entre 1 à 1,2 milliard de francs. Il a précisé qu'un litige demeurait, relatif à un immeuble considéré par la CNAMTS comme un " immeuble d'exploitation ", et devant échapper, à ce titre, à la vente.

Evoquant le remboursement des créances hospitalières sur les Etats étrangers , M. Patrice Ract-Madoux a expliqué que cette recette ne devait être affectée à la CADES qu'en cas de résultat excédentaire de la CNAMTS. Enfin, il a expliqué que, même si la CADES n'avait pas pour mission d'effectuer des placements, et que son objectif était de tendre à une trésorerie zéro, une gestion de trésorerie minimale, afin de prévoir le versement à l'Etat ou le remboursement des emprunts, permettait de dégager des produits financiers.

Revenant sur le versement à l'Etat de treize annuités de 12,5 milliards de francs, il a observé que ce versement correspondait -compte tenu de la dette de référence de 110 milliards de francs- à un taux d'intérêt de 6 %. Il a ajouté que, si en 1996, le versement représentait 6,7 milliards de francs d'intérêts et 5,8 milliards de francs d'amortissement du capital, cette proportion s'établirait en 2008 à respectivement 700 millions et 11,8 milliards de francs. Il a estimé ainsi qu'au 31 décembre 1999, 84,7 milliards de francs restaient à rembourser.

Abordant la dette inscrite au bilan (224 milliards de francs), il a constaté que le résultat comptable de la CADES avait une " signification relative ". En 1996, la CADES a connu un résultat négatif d'1 milliard de francs (la situation nette étant de - 138 milliards de francs). En 1997, l'excédent était de 6,5 milliards de francs (situation nette de - 131,6 milliards de francs). A la suite de la " réouverture " de la CADES, en 1998, les comptes se sont logiquement dégradés, avec un résultat excédentaire ramené à 3,5 milliards de francs, et une situation nette de - 215 milliards de francs. En 1999, le résultat s'est élevé à 7 milliards de francs, la situation nette étant désormais de - 208 milliards de francs.

M. Patrice Ract-Madoux a précisé que le résultat pour 1999 était relativement exceptionnel, compte tenu de la prise en compte du produit de la vente des immeubles de la CNAMTS et de la CNAVTS et d'une évolution à la baisse des taux d'intérêt. Il a rappelé que le cumul des résultats excédentaires de la CADES, sur les années 1996-2014, devrait normalement, au 31 janvier 2014, avoir " épongé " la situation nette.

Il a observé que le mécanisme vertueux mis en place par la CADES n'avait de sens que si des dispositions étaient prises, parallèlement, pour assurer l'équilibre, à long terme, des régimes de sécurité sociale.

Additionnant, au 31 décembre 1999, le reste dû à l'Etat (84,7 milliards de francs) figurant hors bilan et la situation nette de l'établissement (208 milliards de francs), il a considéré qu'il restait à la caisse 292,7 milliards de francs à rembourser, ce qui paraissait possible, compte tenu du rendement de la CRDS.

Evoquant la question de l'affectation de la CRDS à une autre fin que celle pour laquelle elle est aujourd'hui perçue, il a souligné que les emprunts internationaux contractés par la CADES comportaient des clauses juridiques très précises. Il a observé que la notation AAA dont bénéficient les opérations de la Caisse était liée à l'affectation exclusive d'une imposition à l'amortissement de la dette sociale.

M. Jean Delaneau, président, s'est félicité que la CADES ait le souci de donner une information adaptée à la communauté financière mais s'est demandé si les pouvoirs publics partageaient ce souci ; il s'est interrogé en effet sur les circonstances dans lesquelles l'Etat n'avait pas souhaité percevoir en 1999 l'intégralité des sommes qui lui étaient dues afin de " dégonfler " les recettes de cet exercice budgétaire.

Il a constaté que ce choix conduisait la CADES à faire figurer, fin 1999, une dette de 5 milliards de francs à son bilan. Il a souhaité connaître l'échéancier habituel des versements à l'Etat et l'échéancier particulier retenu pour 1999 et 2000. Se référant au rapport de M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, sur l'exécution du budget de 1999, il a souhaité savoir si la CADES avait dû acquitter, comme en faisait état ce rapport, des intérêts de retard sur le versement que l'Etat lui avait demandé de différer.

M. Patrice Ract-Madoux a indiqué que le versement annuel de 12,5 milliards de francs se décomposait en acomptes trimestriels, 2,5 milliards de francs pour les trois premiers trimestres et 5 milliards de francs pour le dernier trimestre. Il a rappelé que les marchés financiers étaient relativement agités à la fin de l'année 1999, en raison des incertitudes liées au bogue de l'an 2000, et que l'on avait enregistré alors une tension sur les taux à court terme. Or, pour faire face à l'échéance des 5 milliards de francs dus à l'Etat, l'établissement aurait été obligé d'emprunter. La décision de reporter ce versement au 9 février 2000 a été prise d'un commun accord entre le ministère de l'économie et des finances, qui n'était pas pressé de recouvrer sa créance, et la CADES, qui ainsi évitait d'emprunter à un taux élevé. Ce report n'a pas eu pour conséquence le paiement à l'Etat d'intérêts de retard : au contraire, la CADES a pu dégager des produits de trésorerie. Enfin, le versement du premier trimestre 2000 (2,5 milliards de francs) s'est effectué dans des conditions normales, le 31 mars 2000.

M. Patrice Ract-Madoux a précisé en outre que, si le versement de 5 milliards de francs était inscrit en recette non fiscale de l'Etat pour 2000, il constituait bien une charge de l'exercice 1999 de la CADES.

M. Charles Descours, rapporteur, s'est interrogé sur l'existence d'un plan d'amortissement de la dette sociale.

Evoquant le taux d'intérêt de 6 % calculé par le président de la CADES, il a demandé à M. Patrice Ract-Madoux s'il lui apparaissait normal que la CADES n'ait pas été en mesure de procéder à une renégociation de ce taux. Il a demandé dans quelles conditions la CADES assurait désormais la gestion du parc immobilier des immeubles des caisses. Il s'est interrogé sur le statut de la CADES, qui n'est pas " un organisme concourant au financement des régimes obligatoires de base ". Il a demandé si les frais d'assiette et de recouvrement de la CRDS, supportés par la CADES, se justifiaient.

Il s'est interrogé également sur la possibilité d'un remboursement anticipé de la dette sociale, compte tenu de la situation économique, et sur l'éventualité d'une affectation à la CADES des excédents du régime général, prévisibles d'ici 2005.

Enfin, citant les prises de position récentes d'un certain nombre de responsables politiques et syndicaux, il s'est interrogé sur l'affectation éventuelle de la CRDS au fonds de réserve pour les retraites.

M. Patrice Ract-Madoux a rappelé que les comptes de la CADES étaient élaborés selon la double règle de la comptabilité publique et des établissements de crédit. Il a indiqué qu'au-delà de l'analyse de ces comptes quelquefois difficilement " lisibles ", il s'était efforcé de donner à la commission des affaires sociales une approche plus économique. Evoquant le plan d'amortissement de la dette sociale, il a relevé qu'il suffisait de comptabiliser les différents emprunts émis par la CADES, ainsi que leurs échéances, pour disposer de ce schéma.

Concernant le versement annuel de 12,5 milliards de francs, il a insisté à nouveau sur le fait qu'aucune disposition juridique ne liait ce versement à la dette de 110 milliards de francs autrefois prise en charge par l'Etat. Il a reconnu que le taux de 6 % paraissait élevé, compte tenu de la baisse des taux intervenue dans les années 1998-1999, mais que, d'une part, ce taux correspondait à la situation des années 1996-1997 et que, d'autre part, il devait être apprécié sur l'ensemble de la période.

Répondant à la question sur la gestion du patrimoine immobilier, il a indiqué que le souhait des responsables de la CADES était de ne pas alourdir les frais de structure de la Caisse : trois personnes chargées des salles de marché, trois " contrôleurs ", une personne pour la gestion administrative, une assistante de direction et le président du conseil d'administration, soit un total de neuf agents publics. En conséquence, une convention a été signée avec la CNAVTS, selon laquelle les personnels affectés à la gestion des immeubles poursuivaient leur mission, un plan de reconversion de ces personnels étant par ailleurs prévu.

M. Patrice Ract-Madoux a observé qu'un changement d'affectation de la CRDS ne pouvait être décidé que par une disposition législative. Il a rappelé toutefois que la signature de la CADES sur les marchés financiers reposait sur l'affection de cette recette fiscale au remboursement de la dette sociale.

Concernant l'affectation éventuelle des excédents de la sécurité sociale d'ici 2005, il a estimé qu'il s'agissait d'une " idée dangereuse ", puisqu'elle mettait à mal l'étanchéité, souhaitée en 1996, entre la Caisse et le régime général de sécurité sociale. Il a observé en effet que la CADES pourrait, dans ce cas, être également sollicitée pour financer d'éventuels déficits.

Concernant les frais d'assiette et de recouvrement, M. Patrice Ract-Madoux a précisé que les contributions assises sur les revenus d'activité et de remplacement étaient quotidiennement reversées par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) à la CADES, au fur et à mesure de leur collecte, et que les contributions assises sur les autres revenus étaient centralisées par les services financiers de l'Etat (recettes des impôts, trésoreries, recettes des douanes), avant d'être reversées à la CADES.

Il a indiqué que les frais d'assiette et de recouvrement étaient à la charge de la CADES : le montant des contributions versées par les organismes collecteurs subissait un prélèvement égal à 0,5 % ; la part de CRDS sur les revenus du patrimoine perçue par voie de rôle par le réseau du Trésor public était versée à la CADES sur la base des rôles émis et non des recouvrements effectués. En contrepartie, les sommes versées faisaient l'objet d'un prélèvement de 4,1 % constitué des frais d'assiette et de recouvrement (0,5 %) ainsi que des frais de dégrèvement et de non-valeurs prévus à l'article 1641 du code général des impôts (3,60 %).

Evoquant l'éventualité d'un remboursement anticipé de la dette sociale, il a indiqué que les hypothèses " raisonnables " montraient que la CADES remplirait sa mission à la date prévue. Il a précisé qu'il était nécessaire de concilier plusieurs hypothèses très favorables (taux de croissance élevés, taux d'intérêt bas, inflation basse) pour envisager un remboursement intégral de la dette sociale douze à dix-huit mois avant l'échéance du 31 janvier 2014.

M. Jean Chérioux s'est interrogé sur la signification des 12,5 milliards de francs versés à l'Etat. Il a demandé si la CADES avait bénéficié de la baisse des taux intervenue en 1998 et en 1999.

M. Patrice Ract-Madoux a précisé que le versement des 12,5 milliards de francs avait remplacé le versement, d'un montant supérieur, que devait effectuer -initialement- le Fonds de solidarité vieillesse (FSV).

M. Patrice Ract-Madoux a indiqué que la CADES avait effectivement bénéficié de la baisse des taux, en lançant des emprunts à taux fixe pendant cette période. Il a précisé que 20 % des emprunts restaient à taux variables et que deux emprunts étaient indexés sur l'inflation, le premier remboursable en 2006, le second en 2013. Il a observé que cette diversification représentait une plus grande sécurité et permettait de faire face à des échéances échelonnées dans le temps.

M. Michel Esneu s'est interrogé sur la progression importante de la CRDS, entre les 21 milliards de francs de 1996 et les 27,6 milliards de francs prévus pour 1999.

M. Patrice Ract-Madoux a répondu que le chiffre de 1996 (21 milliards de francs) devait être relativisé, puisque la CRDS avait été perçue sur les seuls onze derniers mois de l'année. Il a observé que la croissance de la CRDS, hors éléments exceptionnels, était de l'ordre de 4 % l'an. Il a précisé que le retour à l'emploi de nombreux chômeurs n'avait pas une conséquence déterminante pour le rendement de la CRDS (contrairement à celui de l'impôt sur le revenu), puisque les indemnités chômage sont soumises à cette imposition.

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