B. UNE NOUVELLE ANNÉE PERDUE

L'année 2000 devait être l'année de lancement d'une réforme de grande ampleur. Le Gouvernement l'avait subordonnée au diagnostic du rapport Charpin qu'il avait commandé.

Il s'est une nouvelle fois dérobé. Dans son intervention du 21 mars dernier 9 ( * ) , le Premier ministre s'est en effet efforcé de relativiser la portée de ce rapport pour mieux se soustraire à l'action : " Des éléments de diagnostic ont été établis par la commission présidée par le commissaire au Plan, M. Jean-Michel Charpin. Des experts s'étaient exprimés avant lui, d'autres l'ont fait depuis. Leurs conclusions parfois diverses soulignent la complexité et la difficulté de l'expertise sur ce sujet ".

Les arguments du Premier ministre résument la difficulté d'une action politique courageuse sur les retraites, que les Français savent nécessaire, et éclairent les raisons qui font de cette année 2000 une nouvelle année perdue pour la réforme des retraites.

1. Un long processus de réflexion

Les études menées sur les perspectives du système par répartition se sont succédées depuis le Livre Blanc sur les retraites de 1991.

Celui-ci était le produit d'un travail technique interministériel, coordonné par le commissariat au Plan et préfacé par le Premier ministre de l'époque, M. Michel Rocard. Cette étude exposait la situation des régimes de retraite dans leur ensemble et les perspectives d'évolution les plus probables. Il formulait également des propositions de réformes pour faire face aux effets du vieillissement démographique en France.

Le rapport " Perspectives à long terme des retraites " est le fruit des travaux menés par un groupe d'études présidé par M. Raoul Briet.

Ce rapport actualisait les perspectives déjà tracées dans le Livre Blanc mais en restreignant son champs d'études, ne prenant pas en compte la totalité des régimes spéciaux.

Rédigé en 1995, il évaluait les effets des réformes engagées en 1993 pour le régime général et les régimes alignés. Il appréciait notamment les besoins de financement futurs du régime général à 55,4 milliards de francs en 2010 et 107 milliards de francs en 2015. Pour les fonctionnaires civils, le besoin atteindrait en 2015 plus de 80 milliards de francs.

Les déséquilibres à venir de nos régimes de retraites sont connus. Ils sont inéluctables. Les faits sont têtus et le rapport Charpin les rappelle avec force.

Evolution démographique (ratio artisans/retraités)
dans les principaux régimes

(Source rapport Charpin précité)

Ce rapport, annoncé le 29 mai 1998 et remis au Premier ministre le 29 avril 1999, a confirmé les diagnostics formulés précédemment à deux reprises en 1991 et 1995 : en raison du vieillissement démographique, le système de retraite français connaîtra d'inéluctables déséquilibres avant la fin de cette décennie.

2. La victoire de Charpin, le triomphe de Teulade

Le rapport Charpin dresse un tableau qui ne peut plus être contesté. Le nombre de personnes de plus de 60 ans va croître de dix millions d'ici 2040 ; en même temps, le nombre des actifs diminuera d'un million. De 20 % de la population aujourd'hui, les retraités en représenteront un bon tiers à cet horizon.

En conséquence, et à réglementation inchangée, le maintien de la parité des niveaux de vie entre retraités et actifs obligera à augmenter le taux de cotisation d'équilibre de plus de 50 % d'ici 2040.

Si rien n'est fait, la part des retraites dans la richesse nationale augmentera de 30 %. Dans l'hypothèse d'une indexation des pensions du régime général sur les prix, les charges de retraite seront multipliées en termes réels par un facteur 2,8 et passeront de 12 % à presque 16 % du produit intérieur brut.

Compte tenu de ces évolutions, le besoin de financement du système de retraite par répartition s'élèvera en francs constants, à 190 milliards de francs par an en 2020 et 700 milliards de francs par an en 2040, soit 4 points de PIB, sous l'hypothèse d'un taux de chômage de 6 % !

Solde financier des régimes de retraite
(hors transferts de compensation, produits et charges diverses* et résultats financiers à taux de cotisation inchangés sauf en cas de réforme en cours)

Scénario 1

Scénario 2

1998

2020

2040

2020

2040

CNAVTS

MF 98

- 1.400

- 149.000

- 403.200

- 124.800

- 379.600

points de cotisation

- 0,1

- 5,5

- 11,2

- 4,3

- 9,8

Salariés agricoles

MF 98

- 15.399

- 17.063

- 22.008

- 17.063

- 22.008

points de cotisation

- 21,8

- 18,0

- 18,4

- 18,0

- 18,4

AGIRC

MF 98

- 6.008

- 31.806

- 31.554

- 22.442

- 20.989

points de cotisation

- 1,7

- 5,3

- 3,9

- 3,5

- 2,4

ARRCO

MF 98

6.208

- 16.926

- 44.841

471

- 25.916

points de cotisation

0,3

- 0,5

- 1,1

0,0

- 0,6

IRCANTEC

MF 98

344

- 7.448

- 13.291

- 7.324

- 12.664

points de cotisation

0,3

- 4,5

- 6,0

- 4,4

- 5,5

CNRACL

MF 98

16.399

- 45.825

- 110.269

- 45.825

- 110.269

points de cotisation

9,2

- 16,7

- 28,9

- 16,7

- 28,9

Fonctionnaires de l'Etat

MF 98

0

- 136.651

- 280.883

- 131.256

- 254.785

points de cotisation

0,0

- 26,4

- 40,9

- 24,7

- 33,5

Banque de France**

MF 98

0

- 1.829

- 2.323

- 1.829

- 2.323

points de cotisation

0,0

- 67,2

- 74,7

- 67,2

- 74,7

CRPCEN

MF 98

- 528

- 943

- 582

- 943

- 582

IEG

MF 98

0

- 11.957

- 7.601

- 11.957

- 7.601

points de cotisation

0,0

- 39,4

- 18,4

- 39,4

- 18,4

Marins

MF 98

- 5.470

- 6.848

- 7.333

- 6.848

- 7.333

Mines

MF 98

- 13.663

- 9.138

- 4.509

- 9.138

- 4.509

Ouvriers de l'Etat

MF 98

- 7.436

- 9.518

- 9.087

- 9.518

- 9.087

points de cotisation

- 77,4

- 127,6

- 94,8

- 127,6

- 94,8

RATP

MF 98

- 2.496

- 4.428

- 5.771

- 4.428

- 5.771

points de cotisation

- 40,3

- 49,8

- 46,3

- 49,8

- 46,3

SNCF

MF 98

- 18.270

- 19.918

- 24.348

- 19.918

- 24.348

points de cotisation

- 73,6

- 56,1

- 49,0

- 56,1

- 49,0

CANCAVA base

MF 98

- 6.961

- 10.256

- 12.851

- 10.016

- 12.973

points de cotisation

- 17,5

- 17,4

- 16,4

- 16,5

- 16,0

CANCAVA

MF 98

- 471

- 2.277

- 3.110

- 2.165

- 3.123

complémentaire***

points de cotisation

- 1,0

- 3,3

- 3,3

- 3,0

- 3,2

Non-salariés agricoles

MF 98

- 39.804

- 30.444

- 24.820

- 30.444

- 24.820

ORGANIC base

MF 98

- 9.743

- 12.436

- 16.970

- 12.094

- 16.514

points de cotisation

- 19,3

- 17,1

- 17,5

- 16,1

- 16,5

CNAVPL

MF 98

2.526

554

1.140

554

1 140

CARCD***

MF 98

-

- 476

- 429

- 476

- 429

CARMF
complémentaire***

MF 98

666

- 2.937

- 4.439

- 2.937

- 4.439

points de cotisation

1,7

- 6,1

- 7,0

- 6,1

- 7,0

CARPIMKO***

MF 98

189

- 1.120

- 2.641

- 1.120

- 2.641

CAVP***

MF 98

114

- 53

- 229

- 53

- 229

* Notamment hors subvention d'équilibre de l'Etat, hors impôts et taxes affectés et hors transferts divers (par exemple l'AVPF pour la CNAVTS).

** Les résultats financiers ont été intégrés dans le compte de la Banque de France du fait de sa spécificité. En effet, le régime dispose d'un portefeuille important qui n'est pas utilisé comme une réserve.

*** Ces régimes disposent d'importantes réserves qui peuvent être utilisées en période de déséquilibre. En outre, certains de ces régimes prévoient d'adopter de nouvelles réformes (par exemple : baisse du rendement plus importante pour la CARPIMKO non prise en compte dans les soldes présentés).

Source : Commissariat général du Plan.

RAPPORT CHARPIN

RAPPORT TEULADE

Fécondité

1,8 enfant/femme

1,7 enfant/femme

Hypothèses démographiques

Mortalité

Projection tendancielle INSEE (1)

Projection tendancielle INSEE

Solde migratoire

+ 50.000 par an

+ 50.000 par an

Productivité du travail

+ 1, 7 % par an

+ 1,8 % par an

Croissance économique

Hypothèses économiques

Taux de chômage

9 % (Sc°1)

6 % (Sc°2)

3 % (variante)

6 %

de + 3,5 % par an sur

Effectif de la population active

Tendanciel INSEE (2)

Tendanciel INSEE + 500.000

Tendanciel INSEE + 1.000.000

Tendanciel INSEE

la période de projection

Hypothèses sociales

Indexation des pensions

Prix

Prix

Salaires

Part des dépenses

2020

15 %

14,1 %

13,5 %

10,9 %


Résultats

de retraite dans le PIB en 2040

2040

16,7 %

15,8 %

15,1 %

10,3 %

12,1 %

Besoin de financement

2020

+ 2,9

+ 2

+ 1,4

- 1,2

en points de PIB (3)

2040

+ 4,6

+ 3,7

+ 3

- 1,8

(1) correspondant à une poursuite de l'allongement de l'espérance de vie de 2 mois tous les ans.

(2) correspondant à une prolongation de l'accroissement des taux d'activité féminins et une stabilisation des taux d'activité des jeunes et des personnes âgées.

(3) par rapport à 12,1 %, part en 1998 des dépenses de retraite dans le PIB.

Scénario CHARPIN n° 2

% par an

1995-1999

2000-2004

2005-2009

2010-2014

2015-2040

Evolution de la population active

+ 0,5

+ 0,9

- 0,1

- 0,1

- 0,2

Evolution de la population active occupée

+ 0,7

+ 1,3

+ 1,1

- 0,1

- 0,2

Croissance de la productivité du travail

+ 1,4

+ 1,5

+ 1,7

+ 1,7

+ 1,7

Croissance PIB

+ 2,1

+ 2,8

+ 2,8

+ 1,6

+ 1,5

Scénario TEULADE, central

% par an

1995-2005

2005-2010

2010-2020

2020-2030

2030-2040

Evolution de la population active

+ 0,5

+ 0,0

- 0,1

- 0,3

- 0,2

Evolution de la population active occupée

+ 0,9

+ 0,3

0,0

- 0,3

- 0,3

Croissance de la productivité du travail

+ 1,8

Croissance PIB

+ 3

+ 2,3

+ 1,8

+ 1,6

+ 1,6

Ce même rapport souligne par ailleurs l'impact marginal sur les régimes de retraites d'une évolution très favorable de l'emploi ou de la productivité. Un taux de chômage de 3 % ne réduirait le besoin de financement annuel de nos régimes que de 21 % en 2020 et 13 % en 2040 ; il serait encore de 380 milliards de francs par an à ce dernier horizon.

Peu après le dépôt des conclusions du rapport Charpin, un nouveau rapport éminemment optimiste minorait de moitié les besoins de financement de nos systèmes de retraite.

En se fondant sur les données d'une étude du Conseil économique et social en date de juin 1999 10 ( * ) , un avis de cette Assemblée présenté par M. René Teulade 11 ( * ) faisait valoir qu'un " taux de croissance de 3,5 % par an pendant 40 ans (...) serait nécessaire pour permettre le financement des retraites sans augmentation de leur part dans le PIB ".

Le 9 février dernier, votre commission a entendu tant le rapporteur du Conseil économique et social que le Commissaire général au plan.

Il est apparu clairement à cette occasion que le rapport Teulade comportait une erreur méthodologique majeure. Ses projections ne prennent pas en compte que la pension moyenne augmente à long terme au même rythme que les salaires car les pensions servies sont fonction des salaires perçus pendant la carrière. Les salaires augmentant d'une génération sur l'autre, la pension moyenne augmente donc en terme réel du simple fait du renouvellement des générations de retraités.

Au total, les perspectives du rapport Teulade minorent de 300, puis 600 millions de francs le besoin de financement des retraits à l'horizon 2020 et 2040. Elles font même apparaître que les régimes de retraite seraient en excédent en cas d'indexation des pensions sur les prix et équilibrés en cas d'indexation sur les salaires !

Certes, le rapport Teulade, fondé sur une base intellectuellement erronée, ne pouvait guère entamer la crédibilité technique du rapport du Commissariat au plan dont le diagnostic reste intégralement fondé.

Mais, si l'on assiste ainsi à la " victoire " du rapport Charpin, c'est pourtant le rapport Teulade qui " triomphe " en définitive.

Fort des perspectives rassurantes que lui permettait de faire apparaître un oubli de taille dans l'évolution des pensions, le rapport proposait la méthode douce de l'expectative :

" Parce que l'incertitude est importante à une échéance de vingt ou quarante ans, et parce qu'encore une fois, la progressivité des évolutions en matière de retraite participe du pacte intergénérationnel, une réforme en la matière ne peut être qu'adaptative : il n'y aura pas un grand soir des retraites. Tous les cinq ans, il s'agira, au vu des évolutions constatées dans l'intervalle, d'infléchir ou non le cours des mesures prévues, ou de les prolonger . " 12 ( * )

C'est bien cette " méthode " qu'a retenue le Gouvernement. A ce titre, le rapport Teulade a rempli son office.

3. Un rapport chasse l'autre

Le 21 mars dernier, au moment d'annoncer une réforme longtemps différée, le Premier ministre a choisi en effet, à nouveau, de prendre un temps de réflexion et de créer une instance de concertation permanente, le Conseil d'orientation des retraites.

Certes le rapport Charpin estimait souhaitable un " dispositif de pilotage " permettant de suivre la mise en oeuvre d'une réforme des retraites.

Mais pour " piloter " encore faut-il savoir où l'on va. En l'absence de réforme des régimes de retraites, le Conseil d'orientation installé par le Premier ministre s'apparente franchement au " centre national de vigilance " préconisé par M. René Teulade au nom du Conseil économique et social :

" C'est pourquoi le Conseil préconise la création d'un Centre national de vigilance et de garantie sur les retraites...

" Le Conseil économique et social propose donc de retenir l'architecture suivante. Un conseil scientifique regroupant des personnalités qualifiées (économistes, démographes, sociologues) serait chargé d'établir des bilans semestriels de la situation à court et moyen terme de l'équilibre du système. (...)

" Un comité de pilotage, composé des représentants des organisations représentatives des intérêts des actifs et des retraités, aurait un pouvoir d'alerte et de proposition, sur la base des travaux du conseil scientifique. Les travaux du Centre national de vigilance et de garantie des retraites devront être rendus publics.

" Le rôle du Centre serait double. Il devrait assurer une veille des évolutions économiques, sociales ou démographiques (et par exemple des changements intervenant dans les temps de la vie) pouvant affecter, positivement ou négativement, les systèmes de retraite ; à ce titre, un bilan annuel pourrait être remis, par le comité de pilotage, au Président de la République, au Premier ministre, au Parlement et au Conseil économique et social. Le Centre devrait aussi être chargé de définir les solutions rendues nécessaires et de proposer au Gouvernement toute mesure relevant de la compétence de l'Etat, afin notamment d'assurer une gestion en cohérence des différents régimes. (...) 13 ( * ) "

Le 21 mars 2000, le Premier ministre déclarait, sous la rubrique : " Instaurer un conseil d'orientation des retraites pour organiser dans la durée la concertation sur l'avenir des retraites " :

" C'est pourquoi nous avons décidé de créer un Conseil d'orientation des retraites constitué de représentants des partenaires sociaux, de parlementaires et de personnalités qualifiées.

" Il aura pour tâche, en premier lieu, d'assurer le suivi des conséquences des évolutions économiques, sociales ou démographiques sur les régimes de retraite. Il établira régulièrement un bilan qu'il adressera au Gouvernement et au Parlement, et qui sera rendu public.

" Il lui reviendra ensuite de veiller à l'équité et à la nécessaire solidarité entre les régimes.

" Il devra proposer des mesures au Gouvernement si les réformes engagées ne lui semblaient pas à même d'assurer l'équilibre à terme des différents régimes, ou si les évolutions constatées devaient amener à des disparités entre les régimes susceptibles de menacer la cohésion du système de répartition. Il restera bien sûr de la responsabilité du Gouvernement de trancher et d'agir.

" Il reviendra au Conseil de suivre les discussions qui seront menées dans chaque régime dans la voie de l'équilibre. Garant du maintien de la cohésion du système de retraite, il vérifiera que les efforts engagés par chacun des régimes sont répartis de façon équitable. A l'issue de ces négociations, il en établira un bilan. "

Avec une célérité inhabituelle dans le traitement du dossier des retraites, le Gouvernement mettait en place ce conseil par décret n° 2000-93 en date du 10 mai 2000 et procédait aux nominations nécessaires dès le 26 du mois.

Mission du Conseil d'orientation des retraites
(article 2 du décret du 10 mai 2000)

Le Conseil d'orientation des retraites a pour missions :

1° de décrire la situation financière actuelle et les perspectives des différents régimes de retraite, compte tenu des évolutions économiques, sociales et démographiques ;

2° d'apprécier les conditions requises pour assurer la viabilité financière à terme de ces régimes ;

3° de veiller à la cohésion du système de retraite par répartition, en assurant la solidarité entre les régimes et le respect de l'équité, tant entre les retraités qu'entre les différentes générations.

Le conseil peut formuler toutes recommandations ou propositions de réformes qui lui paraissent de nature à répondre aux objectifs précédemment définis. Il remet au Premier ministre, au moins tous les deux ans, un rapport d'ensemble analysant la situation des régimes de retraite et proposant les mesures jugées nécessaires pour assurer leur équilibre à long terme. Ce rapport est communiqué au Parlement et rendu public.

Quelques mois plus tard, le rapport d'orientation annexé à l'article premier du présent projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 résume ainsi la mission du Conseil d'orientation des retraites, se référant implicitement au centre national de " vigilance " proposé par le rapporteur du Conseil économique et social :

" Pour assurer une vigilance constante sur l'évolution de nos systèmes de retraite, le Gouvernement a créé le conseil d'orientation des retraites. Par la pluralité des membres qui le composent (partenaires sociaux, parlementaires, personnalités qualifiées), il assurera un questionnement permanent sur les retraites. Ce conseil garantit que la réforme des retraites sera menée dans le respect de l'équité entre les régimes. Il proposera au Gouvernement des mesures d'ajustements en fonction des évolutions de la situation économique et des projections démographiques. "

Votre rapporteur, qui siège, au titre du Sénat, au sein de cet organisme, se félicite de la qualité des premiers travaux du Conseil. Ceux-ci laissent présager une indépendance d'esprit que le Gouvernement n'avait peut-être pas prévue.

Il reste que, la bibliothèque, riche déjà, des contributions sur l'avenir des retraites, s'enrichira, dès juin 2002, d'un nouveau rapport.

La question cruciale que devra arbitrer le Conseil sera la suivante : va-t-il embarrasser le Gouvernement en formulant rapidement des " recommandations ou propositions " ou attendra-t-il sagement son rapport de juin 2002 pour " proposer les mesures jugées nécessaires " ?

L'année 2000 n'est en matière de retraite qu'une année perdue. Or, devant les ajustements importants à réaliser, le facteur temps est déterminant. Déjà l'ensemble de nos partenaires ont conduit ou programmé les aménagements nécessaires. L'Allemagne -dont le Gouvernement ne peut pourtant pas être suspecté d'ultra-libéralisme- vient de décider dans la concertation la mise en oeuvre d'une réforme ambitieuse. La France attend toujours les premières mesures et il ne semble pas que l'année 2001 soit porteuse de cette même ambition.

Les réformes des retraites en Suède, en Allemagne et en Italie (1)

En Suède, un consensus s'est dessiné autour de la nécessité de réformer le système de retraite existant. Après concertation, le Parlement suédois a voté le 8 juin 1998 une loi introduisant un nouveau système de retraite original.

Ce système mixte est fondé sur les revenus professionnels antérieurs. Une cotisation de 18,5 % est prélevée et donne des droits à une retraite dont le montant peut atteindre un plafond de 213.400 francs annuels. 16 % des 18,5 % sont utilisés en répartition pure et financent les pensions de l'année. Les 2,5 % restants sont épargnés et produisent des intérêts sur un " compte de réserve à prime " propre au salarié. Celui-ci peut choisir l'organisme qui gérera son compte.

Ce nouveau système est à la fois généreux, équitable, solidaire et intelligent . Généreux parce qu'indexé sur la croissance moyenne des revenus, il fait participer les retraités aux fruits de la croissance. Equitable parce qu'il verse des prestations en rapport avec l'espérance de vie, étant ainsi sensible aux variations démographiques. Solidaire parce qu'une pension de base est prévue pour les plus démunis. Intelligent parce que ce système refuse les idéologies. Il conjugue à la fois répartition et capitalisation au profit de tous. Enfin, il respecte le désir d'autonomie des assurés en leur laissant moduler l'âge et le montant de leur retraite.

Le Gouvernement allemand a présenté un plan de réforme des retraites le 26 septembre dernier .

Approuvé par les députés de la coalition qui soutient le Gouvernement, le plan intitulé " La réforme des retraites 2000 : un pas courageux pour une meilleure assurance " prend acte des mauvaises perspectives du système de retraite actuel. Pour maîtriser les cotisations autour d'un taux de 20 %, le Gouvernement prévoit trois grandes mesures.

La première applicable dès 2010 et étalée sur quinze ans est la baisse du taux de remplacement. Les retraités verront leur revenu tomber de 70 % à 64 % du salaire moyen. Pour compenser cette diminution du rendement des retraites, le Gouvernement prévoit la possibilité pour les allemands de souscrire à des fonds privés. Une incitation est prévue pour tous les salariés : les plus modestes recevront des subventions ; les plus aisés des réductions d'impôt. Enfin, le plan prévoit une prise en compte plus généreuse des personnes qui ont interrompu leur carrière professionnelle, notamment les nombreuses femmes qui ont suspendu leur activité pour élever leurs enfants.

La réforme des retraites en Italie se fait par touche successive. Ce pays disposait à l'origine d'un régime public qui assurait l'ensemble des prestations.

En 1992, la réforme Amato a modifié les règles de l'âge de la retraite qui fut porté progressivement de 55 à 60 ans pour les femmes et de 60 à 65 ans pour les hommes. La base de calcul était élargie des 5 aux 10 dernières années de cotisation pour les actifs et sur l'ensemble de la carrière pour les nouveaux embauchés. Par ailleurs, les retraites sont indexées sur l'inflation, sauf disposition contraire.

Un nouveau train de réformes fut mis en oeuvre par le Gouvernement Dini en 1995. Le minimum vieillesse et les pensions d'invalidité sont à l'avenir financés par la solidarité nationale. Une part des cotisations familiales est transférée au financement des retraites. Les règles de calcul des pensions sont entièrement remaniées et uniformisées entre les régimes : les cotisations versées pendant la carrière sont capitalisées fictivement au rythme de la croissance du produit intérieur brut. La retraite est calculée à partir d'un taux appliqué à ce montant. L'âge de départ reste différé mais il devient possible de liquider ses droits de manière flexible, moyennant pondération du montant de la pension. Les coefficients tiennent compte de la durée moyenne de la retraite. Les pensions des fonctions publiques sont par ailleurs alignées sur celles du privé.

La négociation avait prévu alors une adhésion facultative à des fonds de pension par capitalisation. Cette mesure alors peu attractive a été renforcée au début de l'année 2000 par des avantages fiscaux incitatifs. La réforme du TFR - traitement de fin de rapport - devrait ouvrir de nouvelles possibilités pour les salariés.

Trois pays, trois situations initiales, trois méthodes de réforme. Au-delà des différences, votre rapporteur voudrait souligner les approches convergentes de la Suède, de l'Allemagne et de l'Italie.

Ces réformes s'appuient sur un même diagnostic : les régimes de retraite par répartition devront faire face à des déséquilibres financiers majeurs dans le futur. Tous ces pays ont conscience qu'un nouvel équilibre est à trouver entre la durée du travail, les sommes à cotiser et les prestations à verser.

Ces réformes s'appuient sur des réponses équivalentes mais qui respectent les traditions nationales. L'appel à la capitalisation est général : la Suède, l'Italie et l'Allemagne se refusent à " mettre tous leurs oeufs dans le même panier ". L'appel à l'autonomie est consacré : l'âge de la retraite est retardé mais en même temps, ceux qui désirent partir plus précocement ou plus tardivement voient leurs droits calculés de manière équitable. Les réformes recherchent l'égalité : les particularités générant des inégalités sont alignées.

Votre rapporteur note que ces réformes sont le fait de gouvernements sociaux-démocrates. Ils offrent autant de pistes à suivre. Il s'interroge donc sur les causes de l'immobilisme du gouvernement français.

(1) Une délégation de votre commission a effectué en septembre 2000 une mission en Suède et en Italie pour y étudier la réforme des systèmes de retraite. Le rapport détaillé de cette mission sera prochainement examiné par la commission et donnera lieu à publication d'un rapport d'information.

Le 21 mars dernier, le Premier ministre a choisi de minorer les difficultés futures de nos régimes en prétendant de la nécessité de " les replacer dans un contexte nouveau -celui d'une croissance forte- et dans la perspective désormais crédible du retour au plein emploi ".

Or, il est démontré qu'une forte croissance n'a un impact que marginal sur le déficit futur. Le Premier ministre profite néanmoins d'une amélioration conjoncturelle pour différer les mêmes mesures indispensables au règlement des problèmes structurels.

Dans le rapport annexé au présent projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, le Gouvernement déclare " conformément au calendrier qu'il s'était fixé, le Gouvernement s'est engagé dans la voie de consolidation de son régime de retraite par répartition, afin de garantir les retraites de tous les Français ".

En octobre 1998, le rapport annexé à la loi de financement pour 1999, annonçait : " le Gouvernement prendra les décisions qui s'imposent ". Mais le présent rapport, en octobre 2000, est tout attentisme puisqu'il indique que " sur la base de ce diagnostic (celui du rapport Charpin d'avril 1999), et après avoir largement consulté, le Gouvernement travaille pour préparer l'avenir (...) en engageant la concertation ".

* 9 Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur l'avenir des retraites, Hôtel de Matignon le 21 mars 2000.

* 10 Perspectives socio-démographiques à l'horizon 2020-2040, étude rapportée par Mme Lebatard au nom de la section des Affaires sociales.

* 11 L'avenir des systèmes de retraite, avis du Conseil économique et social présenté par M. René Teulade, rapporteur au nom de la section des Affaires sociales - 12 janvier 2000.

* 12 Avis du Conseil économique et social précité, p. 25.

* 13 Avis du Conseil économique et social précité, p. 42.

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