B. L'ANNONCE DU PLAN GOUVERNEMENTAL D'URGENCE DE SOUTIEN À LA FILIÈRE BOVINE

1. La situation du marché français de la viande bovine

L'année 2000 semblait signaler l'amorce d'une sortie de crise, la consommation de viande bovine ayant rattrapé son niveau d'avant 1996, année pendant laquelle elle avait reculé de 8 %. Les prix à la production ont augmenté de 4 % entre janvier et juin 2000, selon une note de conjoncture de l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'agriculture (OFIVAL) en date du 14 juin 2000.

Pourtant, le marché de la viande bovine, frappé par la méfiance des consommateurs, menace de s'effondrer de nouveau à la suite d'une série de révélations inquiétantes :

- la publication du rapport d'une commission d'enquête sur la gestion de la crise par les autorités britanniques ;

- la révélation d'une tolérance de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à l'égard de la présence de farines animales, dans la limite de 0,3 % dans les aliments pour les animaux, alors que l'utilisation de ces farines, suspectée d'être le principal vecteur de l'agent infectieux de l'ESB, est interdite dans l'alimentation des ruminants depuis un arrêté du 24 juillet 1990 ;

- ou encore l'alerte alimentaire provoqué par la mise en vente accidentelle de viande provenant d'un troupeau dont l'une des vaches était atteinte d'ESB.

Les mesures alors annoncées par le gouvernement - élargissement du programme de dépistage à des tests réalisés de manière aléatoire à l'entrée des abattoirs sur la viande destinée à la consommation humaine, interdiction de l'incorporation de graisses animales dans l'alimentation des ruminants - n'ont pas été en mesure de rassurer l'opinion publique.

2. Les mesures annoncées les 14 et 21 novembre 2000 par le gouvernement

Le Premier ministre a présenté le 14 novembre de nouvelles mesures pour renforcer le dispositif destiné à éviter la propagation de l'ESB et à prévenir la transmission de l'agent infectieux à l'homme. Le ministre de l'agriculture a annoncé, le 21 novembre, un plan d'urgence pour aider les filières animales en difficulté.

a) Les sept volets du plan gouvernemental relatif au renforcement de la sécurité alimentaire

Ces mesures concernent plusieurs secteurs : l'alimentation animale, la recherche scientifique, les précautions pour les consommateurs ou l'environnement :

- la suspension de l'utilisation et de l'importation des farines animales. Interdites dans l'alimentation des bovins depuis 1990, dans celle des autres ruminants depuis 1994, elles le sont désormais dans celle des autres animaux (porcs, volaille, poissons, animaux domestiques). Cette mesure vise à éliminer les risques de " contamination croisée " du fait de mélanges, accidentels ou frauduleux, dans les élevages ou lors des livraisons ;

- la poursuite des mesures de retrait des tissus à risque. Le gouvernement a décidé en liaison avec l'AFSSA de retirer les colonnes vertébrales de la chaîne alimentaire. Par voie de conséquence, les " T-bone steaks " sont interdits ainsi que l'utilisation des vertèbres de bovins dans la fabrication de la gélatine et du suif ;

- le renforcement des contrôles. Menés sous l'autorité des préfets dans chaque département, les contrôles seront renforcés sur les sites de production et de stockage des farines, dans les usines fabriquant des aliments pour le bétail et dans les abattoirs. Un plan pluriannuel prévoira de créer 300 postes de vétérinaires-inspecteurs, techniciens vétérinaires, agents administratifs, 150 postes de médecins, pharmaciens-inspecteurs et contrôleurs du travail, 25 postes d'ingénieurs sanitaires ;

- l'extension du dépistage de l'ESB par les tests biologiques , dont la campagne est en cours. Un cahier des charges sera défini pour le développement d'un test plus sensible qui puisse être généralisé à grande échelle ;

- la préparation de mesures de retrait de la chaîne alimentaire de certaines catégories de bovins au vu des résultats du programme de tests ;

- le renforcement des mesures de précaution et de sécurisation pour l'homme dans les établissements de soins, et la fabrication de produits sanguins ;

- le renforcement de la recherche.

b) Des mesures de soutien aux professionnels des filières animales

L'interdiction d'utiliser des farines carnées pour l'alimentation de tous les animaux, la crise de confiance des consommateurs vis-à-vis de la viande bovine ont d'importantes répercussions économiques sur les filières animales. Le ministre de l'agriculture a présenté le 21 novembre dernier un plan d'urgence pour aider les professionnels à faire face à la situation.

D'un montant total de 3,2 milliards de francs , ce plan comporte :

- une campagne publique d'information déclinée sur plusieurs supports : un numéro vert, des encarts dans la presse écrite, le site internet du ministère de l'agriculture, un guide d'information pratique pour la restauration scolaire ;

- des actions au niveau communautaire pour renforcer la sécurité sanitaire et en harmoniser les règles dans l'Union européenne (analyse par la Commission des enjeux économiques et environnementaux d'une suspension de l'utilisation des farines carnées pour l'alimentation des animaux ; extension du programme de tests prévu pour 2001 dans l'UE aux animaux à risque) ;

- un programme de substitution aux farines animales. La France défend auprès de l'UE la mise en oeuvre d'un plan en faveur des protéines végétales. Sur le territoire national, le gouvernement devrait encourager les productions de soja de qualité, tournesol et colza (450 millions de francs d'aides) ;

- des aides financières aux secteurs touchés. A la demande de la France, la Commission a ouvert aux opérateurs français l'accès au dispositif de stockage privé et envisagera, si besoin, des mécanismes d'intervention complémentaires. Les entreprises d'aval (abatteurs...) devraient bénéficier de prêts bonifiés d'une durée de cinq ans avec différé de remboursement de trois ans (500 millions de francs au total), pour faire face à leurs besoins de trésorerie, et du report sur un an de la moitié des cotisations patronales pour les employeurs de main d'oeuvre. D'autres mesures seront destinées aux éleveurs bovins : 400 millions de francs de crédits du Fonds d'allégement des charges, report pour trois ans de 30 % à 50 % de leurs cotisations personnelles (soit un report de 1,24 milliard de francs), accélération du versement des primes en cours et notamment de la prime à la vache allaitante. D'autres filières touchées par la suspension des farines animales devraient être aidées. Le secteur avicole bénéficiera de 75 millions de francs pour ses opérations de promotion à l'exportation. Enfin, une cellule de suivi sera mise en place au sein de l'OFIVAL.

3. Des mesures insuffisantes et peu convaincantes

Derrière l'annonce très médiatique d'un plan de 3,2 milliards de francs en faveur de l'élevage bovin se cachent beaucoup d'imprécisions, et des crédits déjà alloués, 1,2 milliard de francs de simples reports de cotisations et 1 milliard de francs pour le reste de la filière.

Les éleveurs attendaient des aides directes au revenu, ils devront se contenter, pour l'instant, de mesures pour alléger leurs charges financières et sociales. Certes, le gouvernement français est bridé par Bruxelles et le ministre de l'agriculture, qui espère infléchir la position communautaire, a souligné qu'il ne s'agissait pas d'un " solde de tout compte ". Il conviendra notamment, au niveau communautaire, d'évaluer une majoration des aides directes pour compenser la baisse en cours.

Mais le coût total des mesures envisagées et des conséquences non encore évaluées de cette crise de la filière bovine dans son ensemble devrait se chiffrer en milliards de francs, bien plus que les 3,2 milliards annoncés par le gouvernement. Qui paiera la facture ?

Les éleveurs et la filière paient, déjà, le coût économique et social de l'effondrement des marchés. Le coût du retrait des farines animales est, lui, estimé à 5 milliards de francs par les professionnels. De leur côté, les entreprises devront assumer aussi le surcoût de la suppression des farines et de la réorganisation nécessitée par l'extension des tests sur l'ESB. Au total, la facture s'approcherait de 10 milliards de francs sans même tenir compte d'un éventuel plan de soutien au développement des protéines végétales. Une somme équivalent au tiers du budget du ministère de l'agriculture pour 2001.

Les professionnels se disent en partie satisfaits par l'annonce des mesures gouvernementales en faveur de la filière mais estiment également qu'il est possible d'aller plus loin. Il faut un signal fort en direction des éleveurs et de l'ensemble des acteurs de la filière bovine. A cet égard, les professionnels réclament notamment la compensation intégrale des pertes subies par rapport aux cours de marché d'avant la crise, une prise en charge totale des cotisations sociales, des intérêts d'emprunt et des reports des annuités en capital, le versement immédiat des aides dues aux éleveurs.

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