EXAMEN EN COMMISSION

La commission a procédé, sur le rapport de M. Maurice Blin, rapporteur spécial, à l'examen des crédits de la défense.

Abordant l'analyse générale du budget de la défense pour 2001, qui s'établit, hors pensions, à 188,9 milliards de francs, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a d'abord souhaité, à titre préalable, souligner, avec l'aboutissement de la professionnalisation des armées, l'ampleur d'une réforme administrative unique en son genre, accomplie dans le silence et la discrétion, et qui méritait d'être saluée, tant elle constituait aujourd'hui un véritable cas d'école au sein de l'Etat.

Il a ensuite relevé l'importance des étapes récemment franchies dans la mise en place d'une véritable politique européenne de défense, notamment avec la décision prise en décembre 1999 à Helsinki de constituer une " force commune de réaction rapide ", susceptible de mobiliser, en 60 jours, 60.000 hommes, 400 avions de combat et 100 bâtiments de marine, et de demeurer plus d'un an sur un terrain éloigné. Ce format vient d'être confirmé, le 20 novembre à Bruxelles, par la " Conférence d'engagement des capacités " qui réunissait les ministres européens de la défense.

Tout en se félicitant des progrès ainsi accomplis, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a estimé qu'il convenait de rester vigilant, de nombreux points sensibles et stratégiques restant néanmoins à définir avant que puisse être concrètement mise en oeuvre la force européenne. Il a notamment estimé que les conditions, et même le succès, de la mise en place de la force européenne lui paraissaient étroitement dépendants d'un degré minimum de convergence des choix budgétaires des pays membres. Or, dans ce domaine, l'écart se creusait entre la France et le Royaume-Uni d'un côté, et l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie de l'autre, mais surtout, et ceci lui paraissait plus grave, entre le Royaume-Uni et la France.

De fait, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a indiqué que le projet de budget de la défense pour 2001 s'inscrivait, sans aucune amélioration malgré l'ampleur des opportunités autorisées par l'amélioration de la conjoncture par ailleurs largement utilisées pour les budgets civils, dans une tendance longue de réduction des dépenses militaires.

M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a souligné qu'ainsi, de 1990 à 2000, en loi de finances initiale, le budget de la défense (hors pensions) était resté quasiment identique en francs courants, revenant de 189,4 milliards de francs à 188,9 milliards de francs, ce qui se traduisait par une diminution de 15 % en francs constants.

Depuis le début de l'actuelle loi de programmation militaire, la part du budget de la défense dans le budget général de l'Etat s'est sensiblement réduite, revenant de 12,3 % en 1996 à 11,2 % en 2001. Parallèlement, la part du budget militaire dans le produit intérieur brut (PIB) national a décru de 2,4 % en 1996 à 1,96 % en 2001, s'établissant désormais clairement en deçà du taux britannique. De fait, en 1999, la part des dépenses militaires dans le PIB s'établissait déjà à 2,19 % pour la France et à 2,47 % pour le Royaume-Uni, et la part des seules dépenses d'équipement militaire respectivement à 0,64 % et 0,79 % en 2000.

Si l'on se réfère à 1980, l'évolution est encore plus saisissante : le budget de la défense, équivalent alors à celui de l'éducation nationale, représentait 20 % du budget général. En 2001, il est devenu (hors pensions) deux fois moins important que celui de l'éducation nationale -189 milliards de francs, contre 388 milliards de francs- et ne représente plus que 11 % du budget général.

Cette évolution générale recouvre en outre un important " effet de ciseaux " entre dépenses ordinaires et dépenses d'équipement, dont la part relative s'est exactement inversée. Ainsi, en 1990, les dépenses ordinaires (hors pensions) s'établissaient-elles à 87 milliards de francs et les dépenses d'équipement à 102 milliards de francs. En 2001, la situation est exactement inverse, avec 105 milliards de francs de dépenses de fonctionnement et 83 milliards de francs de dépenses d'équipement.

En réalité, la progression des dépenses de fonctionnement est uniquement liée à celle des rémunérations et charges sociales, qui sont passées de 61 à 84 milliards de francs de 1990 à 2000, tandis que les autres dépenses de fonctionnement diminuaient de 26 à 21 milliards de francs, au détriment essentiellement de l'entretien programmé du matériel, réduit de 5,5 milliards de francs à 1,1 milliard de francs.

Au terme de cette évolution, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a estimé que le projet de budget pour 2001, qui se traduisait par une progression de 0,5 % des crédits de paiement -là où les moyens des budgets civils progressaient globalement de 1,6 %- et une diminution de 3 % des autorisations de programme -là où celles des budgets civils progressaient globalement de 4,3 %- pouvait être, au moins par comparaison, qualifié d'" étriqué " et de " contraint ".

De fait, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a estimé que le déficit des dépenses d'équipement s'accroissait par rapport aux hypothèses de la loi de programmation, même amendée par la revue de programme.

Ainsi, avec 83,4 milliards de francs, le projet de budget pour 2001 d'équipement militaire reste clairement inférieur à l'annuité théorique de la loi de programmation initiale (90,3 milliards), mais également à l'annuité issue de la revue de programme (86,1 milliards de francs).

Au total, si on applique aux crédits 2000 et 2001 le même taux de consommation effective que celui constaté en 1999, M. Maurice Blin, rapporteur spécial a estimé qu'on risquait d'aboutir, fin 2001, à un déficit de 63 milliards de francs par rapport à la loi de programmation initiale et de 50 milliards de francs par rapport à la loi de programmation amendée par la revue de programme.

Il apparaît donc clairement que, quel que soit le niveau de l'effort consenti dans le cadre du budget de 2002, l'exécution définitive de la loi de programmation militaire risque de se traduire par une année et demie de retard environ, même sur les hypothèses amendées par la revue de programme.

M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a estimé que, comparé à l'évolution actuelle de l'effort britannique, ceci risquait d'infirmer le discours tenu par la France dans les enceintes européennes et internationales, et qu'il fallait admettre désormais que la Grande-Bretagne, militairement et industriellement, était en voie de dominer l'Europe de la défense.

Abordant ensuite plus spécifiquement les crédits du titre III, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a souligné que l'évolution des effectifs prévue par la professionnalisation s'accomplissait, globalement, de façon conforme aux objectifs, mais à un coût plus élevé que prévu.

Il a par ailleurs relevé que la réduction des effectifs pesait plus lourdement que prévu sur les officiers et les sous-officiers, que le recrutement, et surtout la fidélisation de militaires du rang, enjeu essentiel et principale difficulté des armées professionnalisées, suscitait aujourd'hui des inquiétudes croissantes, plus ou moins officiellement exprimées, et qu'enfin les prévisions faites en matière de recrutement de personnels civils étaient clairement infirmées par la réalité.

De fait, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a souligné que plusieurs facteurs pèsent dès maintenant, ou pèseront rapidement, sur le volume et la qualité du recrutement au sein des armées, et surtout sur la capacité de celles-ci à conserver leur ressource : la reprise du marché du travail, l'application unilatérale des 35 heures sur le marché civil et sa transposition sur la fonction publique civile, face aux contraintes propres au métier militaire, enfin l'insuffisance évidente, en l'état actuel, des " avantages annexes " proposés, en particulier en ce qui concerne les capacités et aides au logement, et les avantages familiaux.

M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a ensuite souligné la progression considérable des dépenses de rémunérations et de charges sociales depuis 1996.

A près de 85 milliards de francs, les dépenses de rémunérations et de charges sociales représentent désormais près de 80 % du titre III, soit près de la moitié du budget militaire. De fait, en exécution, de 1996 à 1999, les dépenses de rémunérations auront progressé de plus de 8 %, celles des charges sociales de près de 17 %, tandis que les crédits de fonctionnement courant auront diminué de près de 20 %.

Certes, plusieurs mesures spécifiques à l'ensemble de la fonction publique prises au cours de la période 1996-1999 ont pesé sur l'évolution des coûts de rémunérations et de charges sociales. Toutefois, il est clair que l'incidence financière de la professionnalisation n'a pas été évaluée à sa juste mesure. Le gouvernement estime d'ailleurs lui-même à 2,7 milliards de francs le poids de l'incidence de la professionnalisation dans l'augmentation des crédits de rémunérations et charges sociales entre 1996 et 2001.

De fait, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a souligné que si la professionnalisation se traduisait certes par une baisse des effectifs, elle impliquait -pour être réussie- une modification de leur structure de sorte qu'au total, les professionnels, même moins nombreux que les appelés, coûtaient globalement plus cher.

La nécessaire réévaluation des dépenses de rémunérations et de charges sociales, n'a pu se faire, pour rester dans " l'épure " de la loi de programmation, qu'au détriment des crédits de fonctionnement courant et d'entretien et donc de la capacité opérationnelle des armées françaises.

M. Maurice Blin, rapporteur spécial, asouligné que la diminution de 20 % en trois ans -1996 à 1999- des dépenses d'entretien et de fonctionnement courant se traduisait au niveau des analyses recueillies au cours des différentes visites effectuées sur le terrain par l'incapacité d'entretenir le matériel de façon correcte, une insuffisance croissante des pièces de rechange, et une détérioration constante de la capacité opérationnelle.

Même si cette tendance était partiellement enrayée depuis la loi de finances initiale 2000, le rapporteur spécial a estimé qu'il convenait d'être particulièrement attentif aux conditions d'exécution budgétaire définitive, qui s'écartaient souvent sensiblement des prévisions initiales. En outre, la très faible reprise ainsi amorcée ne pouvait, en aucune façon, suffire à rattraper le retard accumulé depuis trois ans.

De fait, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a estimé que l'augmentation des crédits affichée par le projet de loi de finances pour 2001 ne correspondait que très partiellement à une réelle amélioration des moyens. En effet, l'essentiel des économies de constatation sur le fonctionnement liées à la diminution des effectifs est absorbé par la hausse mécanique de la dotation carburants, majorée de 697 millions de francs dans le projet de loi de finances pour 2001, sur la base d'hypothèses d'ores et déjà dépassées -baril à 20 dollars et dollar à 6,50 francs- soit une sous-estimation de plus de 70 % du baril actuel exprimé en francs, laquelle impliquera nécessairement d'importants abondements en cours d'exercice.

M. Maurice Blin a constaté que les crédits consacrés à la revalorisation des taux d'activité des forces, fortement soulignée par le Gouvernement, restaient en réalité modiques et surtout inférieurs aux besoins.

Enfin, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a souhaité souligner l'ampleur prise d'une part par les opérations extérieures, et, d'autre part, par les différentes missions de service public auxquelles l'armée était appelée à participer, plan Polmar et ses suites avec le naufrage de l'Erika, plan Orsec et ses suites avec les tempêtes de décembre 1999.

Le rapporteur spécial a estimé que ces diverses missions, qui finissaient nécessairement par s'effectuer au détriment des missions strictement militaires, n'étaient plus conformes à la notion d'armée professionnelle, et qu'on ne pouvait durablement demander à une armée de métier de faire autre chose que son métier, à tout le moins que ce pour quoi elle avait été recrutée.

Enfin, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a relevé l'importance particulière de l'effort consacré à la gendarmerie.

Abordant ensuite les crédits d'équipement militaire fixés pour 2001 à 83,4 milliards de francs en crédits de paiement, soit une progression de 0,6 % en francs courants, et à 84,7 milliards de francs en autorisations de programme, soit une diminution de 3,1 % en francs courants, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a rappelé que ce niveau s'inscrivait en deçà de l'annuité fixée par la loi de programmation militaire, même amendée par la revue de programmes.

Il a précisé que la marine était la principale bénéficiaire de l'exercice 2001, avec 649 millions de francs de crédits supplémentaires par rapport à 2000, ainsi que les services communs (essentiellement Délégation générale pour l'armement (DGA), Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et Direction du renseignement militaire), qui bénéficient de 149 millions de francs supplémentaires. Parallèlement, les moyens de l'armée de Terre continuent de diminuer fortement. S'agissant des programmes, le projet de budget 2001 se traduit par une sensible progression des crédits de développement et de fabrication, mais au détriment des études, dont les moyens diminuent de plus de 6 %, ce que M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a vivement déploré.

M. Maurice Blin, rapporteur spécial, s'est également inquiété de la forte diminution des crédits affectés aux munitions et à l'entretien programmé des matériels. Rappelant que la forte baisse des crédits d'entretien programmé du matériel, et ce, malgré un transfert de 135 millions de francs en provenance du titre III lié aux opérations d'" externalisation ", était justifiée par le ministère de la défense par la mise en place de deux nouvelles structures : la structure intégrée de maintien en conditions opérationnelles des matériels aéronautiques de la défense (SIMMAD) et le service de soutien de la flotte, le rapporteur spécial, considérant que ces deux systèmes ne devaient pas être pleinement opérationnels avant 2003, a estimé regrettable de continuer d'ici là à réduire aussi drastiquement les crédits d'entretien.

Abordant ensuite très rapidement les différents programmes en phase de développement ou de fabrication, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a relevé l'ampleur des délais généralement constatés entre le lancement du programme de développement et la livraison des premiers matériels opérationnels : ainsi par exemple 14 ans pour le porte-avions Charles-de-Gaulle, d'ailleurs à nouveau en panne, ou 16 ans pour le Rafale. Ceci ne pouvait que contribuer à un dépassement des devis initiaux, et sans doute également à une certaine obsolescence des matériels.

Il a également relevé l'ampleur du vieillissement de certains d'entre eux, comme les C160-Transall, appelés à être remplacés par les Airbus-400M, ou les Puma appelés à être remplacés par les NH90, avec, dans les deux cas, un " trou " important entre 2005 et 2010.

M. Maurice Blin, rapporteur spécial, s'est enfin inquiété de la diminution des crédits accordés au " programme simulation " du nucléaire, et à l'insuffisante reprise des crédits de l'espace, compte tenu de l'ampleur des carences constatées en ce domaine à l'occasion du conflit du Kosovo. Par ailleurs, il a souligné le retard actuellement pris par le programme missiles M51, en raison de désaccords importants entre la DGA et EADS.

M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a également déploré qu'aucune inscription budgétaire n'ait " gravé dans le marbre " la commande des Airbus A 400M, succès pourtant essentiel de la politique européenne de défense ; de fait il a considéré que l'inscription au collectif de fin d'année de 18,2 milliards de francs, à rapporter aux 40 milliards de francs correspondant à la commande globale, pouvait constituer un mauvais signal, à l'égard tant de l'industriel concerné que de nos partenaires européens.

En conclusion, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a estimé nécessaire de souligner l'accroissement de l'écart entre la France et le Royaume-Uni, tant au niveau militaire qu'à celui de l'industrie de défense, conformément d'ailleurs au discours clairement affiché des Britanniques.

Il a enfin exprimé son inquiétude sur la prochaine loi de programmation, compte tenu notamment des tentations, parfois publiquement exprimées, du ministère de l'économie et des finances d'utiliser le budget de la défense comme variable d'ajustement des finances publiques françaises, dans un contexte éventuellement menacé par une moindre amélioration de la conjoncture, et surtout par l'explosion des dépenses sociales et de celles de la fonction publique.

A cet égard, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a estimé absolument indispensable de procéder à la " sanctuarisation " des dépenses d'équipement en général, et de l'équipement militaire en particulier.

Suivant l'avis de son rapporteur spécial, la commission a décidé de proposer au Sénat de rejeter les crédits de la défense pour 2001.

Réunie le mercredi 22 novembre , sous la présidence de M. Alain Lambert, président , la commission a décidé de proposer au Sénat le rejet des crédits de la défense (dépenses en capital) ainsi que de l'article 34 du projet de loi de finances pour 2001 .

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