MOTION

présentée par
M. Charles Descours
au nom de la commission des Affaires sociales

TENDANT À OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE6 ( * )

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat,

Considérant que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 ne contient rien de ce qu'il devrait contenir pour permettre un débat lucide et volontaire sur la financement de la protection sociale ; qu'il constitue en revanche l'appendice supplétif d'une politique de l'emploi aventureuse et d'une politique fiscale improvisée ;

Considérant que telle a bien été la conclusion des partenaires sociaux ; qu'en effet l'ensemble des conseils d'administration des caisses de sécurité sociale ont émis un avis négatif à l'encontre du présent projet de loi ;

Considérant en premier lieu qu'à travers un système de tuyauterie, compliqué à dessein, le projet de loi vise avant tout à organiser une ponction massive sur la sécurité sociale pour financer les trente-cinq heures ;

Considérant, en effet, que l'essentiel des ressources nécessaires à ce financement est prélevé directement ou indirectement sur la branche famille et le fonds de solidarité vieillesse ;

Considérant qu'en définitive, le budget de l'Etat ne contribue plus en aucune manière au financement des trente-cinq heures ; qu'il s'exonère ainsi lui-même de la théorie -vivement contestée par les partenaires sociaux- des " retours " pour les finances publiques de la réduction du temps de travail, dont seule la sécurité sociale fait désormais les frais ;

Considérant en second lieu que la loi de financement de la sécurité sociale n'est pas seulement devenue la loi de financement des trente-cinq heures ; qu'elle acquiert également le statut peu enviable d'instrument d'une politique fiscale improvisée ;

Considérant qu'en instituant une ristourne dégressive de la contribution sociale généralisée (CSG), le Gouvernement détourne une contribution sociale pour poursuivre un objectif fiscal ; qu'il est significatif que cette mesure soit au coeur des " dispositions fiscales " présentées par le ministre de l'Economie et des Finances, que dès lors, il n'est pas étonnant qu'elle soit désastreuse dans ses conséquences et fragile d'un point de vue constitutionnel ;

Considérant, de même, que réduire sans compensation l'assiette de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), dès la première embellie conjoncturelle, revient à mettre le doigt dans un engrenage qui ne peut que fragiliser la signature de la Caisse d'amortissement de la dette sociale et rendre plus coûteuse la gestion de cette dette ;

Considérant, a contrario , que le projet de loi de financement ne contient rien de ce qui devrait y figurer, rien qui puisse s'apparenter à la mise en oeuvre de choix de santé publique, rien qui puisse résoudre le problème à venir des retraites ;

Considérant qu'en première lecture, le Sénat a profondément modifié le projet de loi tel que présenté par le Gouvernement et adopté par l'Assemblée nationale ;

Considérant qu'il a tout d'abord souhaité purger le projet de loi de l'ensemble des dispositions qui dénaturent les lois de financement de la sécurité sociale ;

Considérant qu'il a ainsi désamorcé les branchements successifs, mis en place par le Gouvernement pour financer les trente-cinq heures au détriment de la sécurité sociale ;

Considérant qu'il a ce faisant rétabli les excédents de la branche famille et du fonds de solidarité vieillesse et restauré ainsi les moyens tant de mener une politique familiale ambitieuse que de contribuer à la garantie des retraites ;

Considérant, de même, qu'il a souhaité substituer à la ristourne dégressive de CSG un mécanisme de crédit d'impôt qui trouve sa place dans le projet de loi de finances ;

Considérant, en outre, qu'il a supprimé un certain nombre de dispositions étrangères aux lois de financement telle l'abrogation de la loi relative à l'épargne retraite, cette abrogation d'une loi non appliquée étant la contribution paradoxale et unique du Gouvernement au défi que représente l'avenir de nos régimes de retraite ;

Considérant qu'en examinant le dispositif du projet de loi relevant véritablement du champ des lois de financement de la sécurité sociale, le Sénat a su se montrer constructif ;

Considérant qu'en première lecture, il a ainsi adopté sans modification 19 articles, qu'il en a amendé 24, améliorant en particulier le dispositif du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, afin de mieux protéger ces dernières ;

Considérant qu'il a tenu également à enrichir et à compléter le projet de loi ;

Considérant qu'il a ainsi proposé un statut du fonds de réserve des retraites permettant d'assurer, sous le contrôle étroit du Parlement, un emploi financièrement efficace et juridiquement transparent des sommes collectées ;

Considérant de même qu'il a adopté un mécanisme de maîtrise de l'évolution des dépenses médicales faisant appel à la responsabilité individuelle des médecins et contribuant à l'amélioration des pratiques médicales, dans l'intérêt des patients, que ce dispositif a vocation à se substituer au système actuel des lettres-clés flottantes, système pernicieux, absurde et injuste et donc au total inefficace ;

Considérant enfin qu'il a souhaité mettre en oeuvre un dispositif assurant une plus grande lisibilité et une plus grande sincérité des comptes sociaux, à travers notamment la modification du rôle et des compétences de la Commission des comptes de la sécurité sociale ;

Considérant en revanche, que le Sénat a décidé de rejeter solennellement l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) pour 2001 ;

Considérant que cette décision est d'une exceptionnelle gravité car cet objectif constitue un élément central des lois de financement de la sécurité sociale dont les auteurs de la réforme de 1996 ont voulu qu'il exprime les priorités de notre système de soins tel qu'approuvé par le Parlement ;

Considérant, cependant, que, dépourvu de tout contenu en santé publique, l'ONDAM n'est aujourd'hui qu'un arbitrage comptable, inévitablement contesté, entre les contraintes financières de l'assurance maladie et le souci des pouvoirs publics d'apaiser les tensions que connaît notre système de soins ;

Considérant, dès lors, que le Sénat n'a pas souhaité ratifier la dérive de l'objectif de dépenses de 2000, ne serait-ce qu'implicitement au travers du " rebasage " de l'objectif pour 2001, qu'il s'est en outre déclaré hors d'état de prétendre que 693,3 milliards de francs permettront de soigner correctement les Français en 2001, qu'il s'est refusé enfin à engager son autorité en approuvant un objectif dont le Gouvernement s'empressera de s'affranchir quelques mois plus tard ;

Considérant que le Sénat a pris cette décision en toute connaissance de cause tant la dérive observée depuis trois ans lui a semblé traduire le dévoiement de l'ONDAM et devoir être sanctionnée clairement ;

Considérant en effet que ce n'est pas seulement un " agrégat " qui dérive, mais avec lui notre système de soins et le débat démocratique autour de la sécurité sociale ;

Considérant que le dévoiement de l'ONDAM constitue un point de désaccord fondamental entre le Sénat et, sinon l'Assemblée nationale, du moins la majorité qui soutient le Gouvernement ;

Considérant que l'Assemblée nationale en nouvelle lecture ne s'est pas contentée d'acter ce désaccord essentiel ;

Considérant qu'elle a rétabli l'ensemble des circuits financiers étrangers aux enjeux de la protection sociale et qui constituent autant de détournements et de manipulations des recettes et des dépenses de la sécurité sociale pour financer les trente-cinq heures et conduire une politique fiscale au demeurant mal ajustée ;

Considérant, de surcroît, qu'à l'occasion de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a renchéri dans cette voie en branchant deux tuyauteries supplémentaires, la première au détriment du fonds de solidarité vieillesse pour compenser partiellement les exonérations de CRDS, la seconde au préjudice de l'assurance maladie pour faire face à l'augmentation des dépenses du fonds de financement des trente-cinq heures ;

Considérant qu'elle n'a pas davantage hésité à maintenir un certain nombre de dispositions qui n'ont constitutionnellement pas leur place dans des lois de financement telle l'abrogation de la loi Thomas ou les exonérations de CRDS ;

Considérant, s'agissant de cette dernière mesure, que le Gouvernement a demandé au Parlement de voter " par précaution " une mesure identique en deuxième partie du projet de loi de finances pour 2001 ;

Considérant que cette démarche dénote une désinvolture inacceptable à l'égard tant du juge constitutionnel que des votes du Parlement ;

Considérant qu'il est pour le moins paradoxal, dans ces conditions, que l'Assemblée nationale ait tenu à supprimer le dispositif introduit par le Sénat, concernant la gynécologie médicale, au motif qu'il n'aurait pas sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale ;

Considérant que l'Assemblée nationale a ainsi non seulement rétabli l'intégralité des dispositions contestées par la Haute Assemblée mais qu'elle a écarté l'essentiel des améliorations et corrections de bon sens apportés par le Sénat, de même que la totalité des articles additionnels dont il avait souhaité enrichir le projet de loi ;

Considérant qu'elle a ainsi refusé de suivre le Sénat dans ses propositions pour améliorer le sort des victimes de l'amiante et maintenu un système sans précédent de transaction juridique forcée ;

Considérant que l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, a ainsi entendu signifier qu'elle avait dit son dernier mot dès sa première lecture ;

Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

* 6 En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, cette motion est soumise au Sénat avant la discussion des articles.

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