II. LES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

A. DES DISPOSITIONS D'AMÉLIORATION OU DE RECTIFICATION DE LA LOI SUR LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE

L'Assemblée nationale a accepté l'ensemble des dispositions adoptées par le Sénat. En ce qui concerne la réparation des préjudices subis par les condamnés reconnus innocents et les personnes placées à tort en détention provisoire, elle a procédé à quelques coordinations. Elle a ainsi modifié le nom de la commission d'indemnisation des détentions provisoires pour tenir compte du fait qu'elle doit également statuer sur les demandes de réparation formulées par les condamnés reconnus innocents . Cette commission s'appellera donc désormais " commission de réparation des détentions ".

Comme le Sénat, l'Assemblée nationale, à l'initiative de sa rapporteuse, Mme Christine Lazerges, a adopté plusieurs dispositions destinées à faciliter l'application de la loi sur la présomption d'innocence :

- elle a ainsi prévu que le juge des libertés et de la détention, saisi d'une demande de placement en détention d'un mineur, d'une demande de prolongation de cette détention ou d'une demande de mise en liberté pourrait prononcer une mesure de liberté surveillée à titre provisoire ou une mesure de garde provisoire ;

- elle a en outre accordé un délai de cinq jours supplémentaire au procureur de la République pour faire appel à titre incident d'une ordonnance de mise en accusation lorsque la personne mise en examen a elle-même fait appel. La loi sur la présomption d'innocence a en effet donné un délai d'appel de dix jours à la personne mise en examen et de cinq jours au procureur de la République. Ainsi, le procureur n'aurait pu faire appel à titre incident en cas d'appel formé par la personne mise en examen plus de cinq jours après la prise de l'ordonnance. Cette situation aurait pu poser des difficultés dans les affaires où plusieurs personnes sont mises en accusation et où certaines d'entre elles seulement font appel de l'ordonnance.

B. LA MISE EN PLACE D'UN DISPOSITIF TRANSITOIRE POUR LA JURIDICTIONNALISATION DE L'APPLICATION DES PEINES

L'une des innovations essentielles de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes est la juridictionnalisation de l'application des peines .

Jusqu'à présent, le juge de l'application des peines statue sur les demandes formulées par les condamnés (semi-liberté, libération conditionnelle, placement sous surveillance électronique...) après avis de la commission d'application des peines. Il peut ainsi statuer sans entendre le condamné, ses décisions ne sont pas motivées, enfin seul le parquet peut faire appel de ses décisions devant le tribunal correctionnel.

En ce qui concerne les mesures de libération conditionnelle relatives aux condamnés à plus de cinq ans d'emprisonnement, elles sont prononcées par le garde des sceaux après avis du comité consultatif de libération conditionnelle.

La loi sur la présomption d'innocence prévoit qu'à compter du 1 er janvier 2001, les principales décisions du juge de l'application des peines seront prises après un débat contradictoire en présence du condamné assisté, le cas échéant, d'un avocat . La loi prévoit en outre que les décisions doivent être motivées et qu'elles peuvent faire l'objet d'un appel devant la chambre des appels correctionnels, tant de la part du condamné que de la part du parquet .

En ce qui concerne la libération conditionnelle, la loi prévoit que le juge de l'application des peines sera compétent pour prononcer les recours concernant les condamnés à des peines d'une durée inférieure ou égale à dix ans d'emprisonnement. Pour les condamnés à des peines d'une durée supérieure à dix ans d'emprisonnement, les mesures de libération conditionnelle seront prononcées par une juridiction régionale de la libération conditionnelle, ses décisions étant susceptibles d'appel devant une juridiction nationale de la libération conditionnelle.

L'Assemblée nationale a adopté, à l'initiative du Gouvernement, un amendement à la présente proposition de loi prévoyant un dispositif transitoire pour la mise en oeuvre de certaines dispositions de la loi sur la présomption d'innocence relatives à l'application des peines.

Le garde des sceaux a en effet confié à l'Inspection générale des services judiciaires une mission sur la mise en application de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

Le rapport de l'inspection met en évidence que la mise en oeuvre de l'ensemble des dispositions de la loi relatives à l'application des peines pourrait soulever des difficultés sérieuses.

Extrait du rapport de mission
de l'Inspection générale des services judiciaires

" Si certains critères relativement fiables peuvent être avancés pour apprécier l'augmentation des charges que constituera le recours en matière criminelle, ou l'instauration d'un juge des libertés, il en va tout autrement de la juridictionnalisation des peines qui constitue un contentieux nouveau, pour lequel subsistent de larges incertitudes à la fois sur le nombre des dossiers qui devront être effectivement examinés dans le cadre d'un débat contradictoire, et sur la quantité des recours susceptibles d'être exercés. (...)

" L'approche généralement pratiquée par les juges de l'application des peines rencontrés conduit, au minimum, à un doublement du temps actuellement consacré aux décisions d'aménagement de peines. Cette évaluation, qui repose sur des analyses qui mériteraient d'être approfondies, paraît optimiste.

" S'ajoute la participation à la juridiction régionale pour laquelle il est encore plus difficile, en l'état, de faire une projection fiable. A titre d'exemple, le vice-président chargé de l'application des peines au TGI d'Evreux, qui a effectué une étude d'impact, estime à 50 débats contradictoires par an la charge de la juridiction régionale, sur la base de 30 % des condamnés relevant de cette instance, pour le seul ressort de son tribunal.

" Si, sauf exception, ce surcroît de charge apparaît compatible avec le volume d'activité actuelle de ces magistrats, au titre de l'application des peines, il conduira très certainement ceux qui consacrent une partie de leur temps aux autres activités de la juridiction (la majorité) soit à diminuer ou à cesser cette participation, soit à accorder une moindre attention au milieu ouvert.

" Toutefois, la difficulté la plus sérieuse, la plus généralisée et la plus immédiate, outre celle de la localisation géographique des débats et des aménagements de locaux, est celle posée par la nécessité de créer un véritable greffe pour le JAP (juge de l'application des peines), la gestion des dossiers de détenus étant jusqu'à présent assurée par l'administration pénitentiaire . Le greffier aura, en effet, notamment pour tâches d'enregistrer les demandes, de contrôler les dossiers d'audiencement, de convoquer les parties aux débats contradictoires, d'assister aux débats et de tenir les notes d'audience, de mettre en forme les décisions rendues, d'assurer le suivi des mesures d'instruction, de tenir à jour les dossiers individuels des condamnés, d'enregistrer les appels. Ce nouveau secrétariat-greffe ne paraît pas pouvoir être constitué à moyens constants, la plupart des juridictions visitées connaissant déjà, en ce qui concerne le personnel, et pour des raisons diverses, un effectif réel insuffisant. (...)

" L'évaluation de l'activité générée par la réforme est encore plus aléatoire pour la cour d'appel. Certains chefs de cour ont néanmoins anticipé la difficulté en redéployant certains contentieux de la chambre correctionnelle (par exemple les intérêts civils) vers d'autres chambres, pour permettre l'examen des appels liés à l'application des peines. "

Compte tenu des conclusions du rapport de l'inspection générale des services judiciaires, le Garde des Sceaux a présenté à l'Assemblée nationale un amendement à la présente proposition de loi prévoyant une période transitoire pour l'application d'une partie des dispositions de la loi sur la présomption d'innocence relatives à l'application des peines.

Au cours de cette période transitoire, le juge de l'application des peines continuerait, comme actuellement, à statuer sur dossier après avis de la commission d'application des peines. Le condamné pourrait toutefois être entendu à sa demande par le juge assisté, le cas échéant, d'un avocat. Dans ce cas, l'entretien se déroulerait en l'absence de greffier. Le juge de l'application des peines devrait rendre des décisions motivées.

L'amendement gouvernemental écartait la possibilité pour le condamné de faire appel des décisions du juge de l'application des peines pendant la période transitoire. L'Assemblée nationale, à l'initiative de sa rapporteuse, Mme Christine Lazerges et avec l'accord du Gouvernement a adopté un sous-amendement prévoyant le droit d'appel pour le condamné pendant la période transitoire.

Les dispositions de la loi sur la présomption d'innocence relatives aux libérations conditionnelles des personnes condamnées à de longues peines entreront, elles, comme prévu en vigueur le 1 er janvier 2001.

Ainsi, pendant la période transitoire, qui s'étendrait du 1 er janvier au 16 juin 2001, le condamné verrait ses droits accrus (possibilité d'être entendu par le juge de l'application des peines, décisions motivées, droit d'appel) sans toutefois bénéficier de l'ensemble des garanties procédurales prévues par la loi sur la présomption d'innocence (absence de débat contradictoire).

L'objectif de l'amendement adopté par l'Assemblée nationale est d'attendre l'arrivée d'une promotion de greffiers pour mettre en oeuvre le débat contradictoire prévu par la loi sur la présomption d'innocence.

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