EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Si l'attention des médias se focalise sur de grandes catastrophes comme le naufrage de l'Erika le 12 décembre 1999, l'essentiel des pollutions d'origine maritime par hydrocarbures découle de ce qu'il est convenu d'appeler le dégazage (ou déballastage). Ceci recouvre deux types de rejets en mer, ceux provenant des machines (sludges) et ceux provenant des espaces à cargaison (slops).

Ces pollutions d'origine intentionnelle sont d'autant plus insidieuses qu'elles se produisent quotidiennement. Or, du fait de sa position géographique, la France assume une grande partie des risques de transit pour l'Europe.

Ainsi, 308 pollutions de dégazage ont été répertoriées par les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage - CROSS- en 1999. On estime à près de 2 millions de tonnes les hydrocarbures ainsi déversés chaque année et à l'équivalent d'un Erika par semaine les rejets effectués en Méditerranée.

Afin d'y remédier, les conclusions de la commission de la Production et des échanges sur la proposition de loi de M. Gilbert Le Bris, relative à la répression de la pollution par les navires, ont été approuvées en première lecture à l'Assemblée nationale le 13 juin 2000 .

Cette proposition de loi visait à renforcer les dispositions de la loi n° 83-583 du 5 juillet 1983 réprimant la pollution par les navires.

Cependant, les dispositions de cette loi ont été entre-temps abrogées par l'ordonnance du 18 septembre 2000 pour être codifiées dans le code de l'environnement aux articles L. 218-10 à L. 218-31. Cette codification a été effectuée à droit constant, sous réserve de modifications formelles visant à intégrer les dispositions du nouveau code pénal 1 ( * ) .

A. LA PERSISTANCE DE NOMBREUSES POLLUTIONS INTENTIONNELLES PAR HYDROCARBURES

Si les rejets (déballastages) sont déjà soumis à une réglementation très stricte, tant internationale qu'interne, les comportements n'ont pas pour autant évolué du fait de la faible probabilité d'être poursuivi et du manque de dissuasion des sanctions effectivement prononcées.

1. La réglementation en vigueur

a) La convention MARPOL

La convention de Londres du 2 novembre 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, modifiée par le protocole de 1978,dite MARPOL 73-78 , est entrée en vigueur en 1982.

Certains déballastages sont possibles selon la zone dans laquelle s'effectue le rejet, sa teneur en hydrocarbures et la nature des navires. Ils peuvent être totalement interdits dans certaines zones spéciales protégées comme la Méditerranée.

L'article 4 de cette convention prévoit que " les sanctions doivent être, par leur rigueur, de nature à décourager les contrevenants éventuels, et d'une sévérité égale quel que soit l'endroit où l'infraction a été commise ".

b) une répression des infractions à cette convention prévue sur le plan interne par le loi du 5 juillet 1983 (n° 83-583)

Tout d'abord, il convient de préciser que les mécanismes prévus en matière de pollution accidentelle, tels la convention de Bruxelles du 29 novembre 1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (entrée en vigueur le 19 juin 1975), complétée par la convention de Bruxelles du 18 décembre 1971 portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (entrée en vigueur le 16 octobre 1978) ne s'appliquent pas.

Les dispositions de la loi du 5 juillet 1983 sont d'ordre pénal. Par conséquent, s'agissant de fautes intentionnelles, la souscription d'une assurance n'est pas possible. Néanmoins, l'affiliation de nombreux armateurs aux P&I Clubs anglo-saxons permet de mutualiser les risques dans une certaine mesure.

La loi du 5 juillet 1983 avait été qualifiée, lors de son adoption, de " monstre juridique " par les professeurs de droit et de " loi scélérate " par les capitaines de navires.

Elle pose le principe de la responsabilité du capitaine du navire ayant déballasté.

Les peines encourues par les pollueurs ne sont pas négligeables. En effet, l'article 1 er de la loi du 5 juillet 1983 prévoit qu'est passible d'une amende de 100.000 francs à 1 million de francs et de trois mois à deux ans d'emprisonnement tout capitaine de navire français coupable d'un déversement interdit, s'il s'agit d'un navire-citerne de plus de 150 tonneaux ou d'un autre navire de plus de 500 tonneaux. En cas de récidive, les peines sont doublées.

A l'exception des peines de prison, ces dispositions s'appliquent dans la zone économique exclusive et dans les eaux territoriales aux navires étrangers, même immatriculés dans un État non signataire de la convention MARPOL.

Cependant, il convient également de souligner que dans le cas où le propriétaire ou l'exploitant du navire a donné l'ordre de commettre l'infraction, il encourt les mêmes peines que le capitaine (Art. 6 de la loi du 15 juillet 1983 devenu l'Art. L. 218-20 du code de l'environnement) . Malheureusement, cette rédaction restrictive limite les hypothèses de mise en cause des armateurs. Il est en effet difficile de prouver qu'un tel ordre a été donné.

L'article 10 de la loi de 1983, devenu l'article L. 218-24 du code de l'environnement, prévoit également la possibilité pour le tribunal de décider que le paiement des amendes prononcées à l'encontre du capitaine sera en tout ou en partie à la charge de l'armateur, s'il a été cité à l'audience.

Néanmoins, ces mécanismes de mise en cause de la responsabilité de l'armateur n'ont pas toujours été pleinement utilisés par les juridictions.

2. Une répression encore largement inefficace

a) Un champ d'application qui exclut les infractions commises par les navires étrangers en haute mer2 ( * )

Si les navires français sont soumis en tous lieux à la répression des tribunaux français, il n'en est pas de même pour les navires étrangers, les infractions commises en haute mer par ces derniers étant sanctionnées par l'État du pavillon. Dans la pratique, on se heurte souvent à l'indifférence des États délivrant des pavillons de complaisance 3 ( * ) .

Les États-Unis ont conclu des accords bilatéraux avec un certain nombre d'États du pavillon afin de pouvoir poursuivre les navires étrangers en haute mer. Une telle approche pourrait être celle de la France, notamment s'agissant de Chypre et de Malte, deux pays possédant d'importants pavillons de complaisance et candidats à l'adhésion à l'Union européenne.

b) Un problème d'identification des navires responsables

Ce sont les CROSS qui sont chargés de coordonner les interventions visant à faciliter la constatation et le recueil d'informations en vue de la répression des infractions relatives aux rejets d'hydrocarbures ou de substances nocives.

Sur la base des observations visuelles aériennes effectuées soit par la douane, soit par le Marine nationale, ils établissent des rapports circonstanciés dits " Polrep ".

Alors que l'absence d'analyses conduisait le plus souvent à une relaxe, depuis 1996, l'exigence d'un prélèvement n'est plus systématiquement requise et des photographies suffisent généralement pour prouver le flagrant délit devant les juridictions.

Dès 1983, l'Organisation maritime internationale avait adopté une recommandation incluant les photographies parmi les preuves admissibles.

Cependant, les déballastages s'effectuant surtout la nuit, les avions des douanes et de la marine repèrent difficilement les navires. De plus, ces déballastages ont souvent lieu dans le sillage d'autres navires (notamment dans les rails, ces couloirs de navigation très fréquentés). Il est alors difficile d'identifier avec certitude le navire responsable sans l'analyse de prélèvements.

Plus fondamentalement, les services des affaires maritimes sont confrontés à un manque dramatique de moyens, les effectifs d'inspecteurs actuellement en service dans les centres de sécurité étant de 54 contre 75 en 1980, alors même que le trafic de marchandises dangereuses a doublé.

Malgré les diverses mesures (dont 34 recrutements) annoncées au comité interministériel de la mer de Nantes du 28 février 2000 qui a fait de la lutte contre les déballastages sauvages une des priorités du Gouvernement, la situation demeure critique, notamment du fait du peu d'attractivité de ces métiers pour les jeunes 4 ( * ) .

Il résulte de ces diverses observations que sur les 308 pollutions signalées en 1999, dont 239 rejets volontaires, seuls 30 navires ont été identifiés, 27 procédures judiciaires étant transmises au Parquet.

c) Des sanctions prononcées trop faibles pour être véritablement dissuasives

- Dans les cas où les poursuites aboutissent, les peines prononcées ne sont pas très sévères : 250.000 francs d'amende (CA de Rennes, 19 septembre 1996) ; 300.000 francs (TGI de Paris, 16 février 1998) ; 150.000 francs d'amende (TGI de Paris, 16 juin 1999). Les peines de prison semblent exceptionnelles, même prononcées avec sursis.

Cette faiblesse de la répression contribue à décrédibiliser le dispositif répressif existant.

- La persistance de comportements pollueurs est généralement attribuée à l'insuffisance des sanctions encourues par rapport au coût d'une vidange dans les installations prévues à cet effet dans les ports.

Le coût d'un déballastage pour les navires varie selon les sociétés et s'échelonne de 2.000 à 12.000 francs H.T s'agissant d'un déballastage moyen de 200 m 3 .

Ces montants sont bien inférieurs aux amendes prévues par la loi de 1983 et aux amendes effectivement prononcées.

Toutefois, ces coûts ne concernent que les prix facturés et n'intègrent pas le coût découlant de l'immobilisation du navire en termes de pertes d'exploitation pour l'armateur.

Or, il est très difficile de savoir quel est le délai d'attente pour les navires souhaitant déballaster à l'heure actuelle.

Pour un pétrolier de 250.000 tonnes, le coût d'affrètement est de 70.000 $ par jour, soit environ 500.000 francs. On voit donc que les règles concernant les rejets ne seront respectées que si les navires ont la possibilité d'utiliser dans les meilleurs délais les installations de réception portuaires. Tant la convention MARPOL que la direction européenne du 7 septembre 2000 spécifient d'ailleurs qu'il faut éviter que soient occasionnés des retards anormaux pour les navires qui doivent dans le cas contraire être indemnisés.

d) Un problème de disponibilité des installations portuaires

La disponibilité des installations portuaires est une condition essentielle de l'effectivité de la réglementation concernant les rejets.

Or, le manque d'installations de déballastage disponibles est fréquemment avancé.

Cependant, une enquête de l'OMI indique que des installations de sociétés privées de réception à la fois des slops et des sludges existent à Bordeaux (Esso), à Brest, à Cherbourg, à Dunkerque (Total et Elf), au Havre et à Rouen (Shell, Esso et Mobil). D'autres ports peuvent recueillir soit des slops seuls (Caen, Concarneau, Saint-Nazaire), soit des sludges seuls (Lorient).

Seul le taux d'utilisation de l'installation publique du port autonome de Marseille (2/3) est connu. Les installations des autres ports français étant privées et appartenant soit aux raffineries soit à des sociétés indépendantes, le taux d'utilisation de leurs installations ne fait pas l'objet d'une obligation de déclaration.

Le ministère de l'Équipement a diligenté une mission en octobre 2000 en vue de procéder au recensement des capacités existantes et des besoins d'installations nouvelles ou complémentaires puis de mettre en place un programme d'équipement.

Cette mission, dont les résultats auraient dû être communiqués le 15 décembre dernier, devrait également vérifier l'adéquation des installations avec la nature du trafic maritime de chaque port.

Par ailleurs, il faut noter que les nouvelles normes de construction des navires, en prévoyant des systèmes de séparateurs d'eau et d'hydrocarbures, de filtrage, de citernes à ballast séparé et d'incinérateurs à bord, devraient permettre de réduire considérablement les besoins en installations de réception à moyen long terme.

Plus qu'un problème de coût ou de disponibilité des installations, c'est donc davantage la faible probabilité d'être identifié et la plus faible probabilité d'être condamné qui sont à l'origine du maintien du nombre de pollutions intentionnelles à un niveau insupportable .

3. Une proposition de loi qui s'inscrit dans le cadre plus large de réflexions concernant la sécurité maritime.

a) La prévention du déballastage en mer par l'obligation de déballastage dans les installations portuaires de réception des déchets

Lors de l'examen par l'Assemblée nationale en première lecture du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports , un amendement de M. Gilbert Le Bris, auteur et rapporteur de la présente proposition de loi, présenté conjointement avec M. Jean-Yves Le Drian, a été adopté.

Il prévoit que les navires faisant escale dans un port maritime français devront déballaster dans les stations portuaires prévues à cet effet et qu'il pourra être interdit aux bateaux ne justifiant pas avoir effectué cette opération de quitter le port .

En cas d'infraction, l'armateur et le capitaine du navire sont passibles d'une amende de 1.000 à 40.000 euros selon la taille du navire.

Ce projet de loi devrait être définitivement adopté le 21 décembre 2000. Cette disposition ayant été adoptée en termes identiques par les deux assemblées, elle n'est plus en discussion.

Ce type d'initiatives nationales n'est pas toujours sans effets secondaires en raison de la concurrence existant entre les ports de la façade atlantique.

Par ailleurs, une directive communautaire a été adoptée le 7 septembre 2000. Elle impose la réalisation d'installations de réception des déchets d'exploitation des navires et des résidus de cargaison dans tous les ports de l'Union européenne et l'obligation pour les navires d'y effectuer les déballastages.

Tous les navires devront notifier, avant leur arrivée au port, leur intention d'utiliser les installations et la quantité de déchets se trouvant à bord. La directive laisse une large marge de manoeuvre aux États s'agissant des structures de réception, lesquelles pourront être privées.

Au moins 25% des navires devront être contrôlés. Les sanctions prévues par les dispositions nationales de transposition (dans un délai de deux ans) devront être efficaces, proportionnées et dissuasives.

b) Les réflexions visant à améliorer l'identification des contrevenants au moyen de " boîtes noires " ou de transpondeurs

La répression du déballastage se heurtant principalement à des difficultés d'identification des contrevenants, l'installation de transpondeurs et de " boîtes noires " permettrait respectivement de suivre les navires en continu et de déterminer les responsabilités en cas de déballastages.

Ces dispositifs sont notamment à l'étude dans diverses instances (Organisation maritime internationale, Comité central des armateurs de France) et la Commission européenne a annoncé qu'ils feraient partie d'un paquet II qui doit être examiné au conseil des ministres des transports les 20 et 21 décembre prochains. Les conclusions du Conseil européen de Nice de décembre 2000 invitent par ailleurs les États membres à anticiper ces mesures au plan interne.

La ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement a indiqué que la France proposerait à la prochaine réunion du comité de la sécurité maritime à l'OMI d'étendre l'obligation d'emport d'un enregistreur de données prévue pour 2002 pour les navires de commerce neufs transportant des passagers à d'autres types de navires et de prévoir l'enregistrement d'informations relatives aux déballastages.

Les nombreux points avancés dans la discussion requièrent donc avant tout l'augmentation des moyens mis à la disposition des services chargés de la sécurité maritime ainsi que des réflexions aux niveaux européen et international.

En revanche, le but de la présente proposition de loi est uniquement de rendre les sanctions dissuasives en renforçant les sanctions pénales, le texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale proposant de tripler le montant des amendes et de doubler les peines d'emprisonnement.

Le second volet de cette proposition de loi envisage de spécialiser des juridictions en matière de déballastage afin de développer une véritable capacité d'expertise.

* 1 en cas de récidive, le maximum des peines d'emprisonnement et d'amende encourues est doublé ; les mentions relatives aux minima des peines d'amende ou des peines privatives de liberté encourues sont supprimées ; lorsqu'un délit est puni d'une peine d'amende dont le montant maximal est inférieur à 25.000 F, l'amende encourue est désormais de 25.000 F et de 50.000 F en cas de récidive

* 2 les eaux territoriales sont situées dans les 12 milles à partir des côtes, la zone économique exclusive prenant le relais sur 188 milles, la haute mer se situant au-delà.

* 3 Jusqu'en 1992, les compagnies pétrolières implantées en France étaient tenues en vertu d'une loi du 30 mars 1928 de posséder une flotte pétrolière sous pavillon français proportionnelle aux quantités de pétrole consommées en France. Sous la pression économique, les compagnies ont eu de plus en plus recours à des pavillons de libre immatriculation dits de complaisance qui représentent en 1999 50% de la flotte mondiale contre 3% en 1948.

* 4 Deux mois avant la catastrophe de l'Erika, huit postes d'inspecteurs des affaires maritimes étaient mis en concours. Seuls trois candidats se sont présentés et un seul a été admis.

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