N° 356

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 6 juin 2001

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de loi de M. Pierre FAUCHON relative à la création d'une commission départementale du patrimoine ,

Par M. Philippe RICHERT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar, vice-présidents ; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. Jean Arthuis, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Gérard Collomb, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Jacques Donnay, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, François Fortassin, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Pierre Guichard, Marcel Henry, Roger Hesling, Roger Karoutchi, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar, Jean-François Picheral, Guy Poirieux,  Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal, Henri Weber.

Voir le numéro :

Sénat : 294 (2000-2001)

Patrimoine.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La démocratie moderne cherche à expliquer plus qu'à imposer ; le dialogue est l'un de ses procédés, aussi le pousse-t-elle souvent jusque dans les détails de l'action administrative ; le consensus est l'un de ses emblèmes.

C'est pourquoi les modalités de l'action publique évoluent rapidement dans tous les domaines, non sans difficultés ponctuelles, tant il est plus facile de décider que de convaincre et d'édicter que de justifier.

Quand les procédés d'intervention « à l'ancienne » concernent une cause aussi incontournable que la protection du patrimoine architectural et sont mis en oeuvre par un corps administratif aussi indiscutable que celui des architectes des Bâtiments de France, dont chacun sait la compétence et l'inlassable mobilisation en faveur de la qualité de notre patrimoine, l'adaptation aux exigences nouvelles est nécessairement plus délicate.

C'est pourquoi votre commission a jugé opportun que la proposition de loi de M. Pierre Fauchon, relative à la création d'une commission départementale du patrimoine, la conduise à esquisser un bilan de l'application de la loi n° 97-179 du 28 février 1997, première tentative d'introduire les nouvelles exigences dans l'ensemble des procédures de protection du patrimoine architectural, que cette proposition l'incite en particulier à vérifier le bon fonctionnement du dialogue que le législateur avait souhaité susciter sur les avis conformes des architectes des Bâtiments de France, qu'elle lui donne l'occasion d'apporter au dispositif élaboré il y a cinq ans les adaptations utiles.

I. LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LE DISPOSITIF CRÉÉ PAR LA LOI DU 28 FÉVRIER 1997

1. Le législateur avait, en 1997, souhaité instiller des modalités de dialogue dans le fonctionnement des procédures de protection du patrimoine architectural

La loi n° 97-179 du 28 février 1997 relative à l'instruction des autorisations de travaux dans le champ de visibilité des édifices classés ou inscrits et dans les secteurs sauvegardés fut le résultat d'un constat, celui de l'étatisme persistant et de la tendance autoritaire des procédures de protection du patrimoine architectural. Son objectif était de généraliser la procédure de discussion des décisions des architectes des Bâtiments de France instituée dans les zones de protection du patrimoine architectural et urbain (ZPPAU) 1 ( * ) par la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État.

a) Le constat

Le premier constat fut celui de l'étatisme persistant des procédures de protection du patrimoine architectural. Cette situation, de plus en plus difficile à justifier avec le succès et les progrès de la décentralisation, accentuait les inconvénients de l'autoritarisme latent de ces procédures.

Il existe trois régimes juridiques de protection du patrimoine bâti (en dehors de celui de la loi du 2 mai 1930 sur la protection des monuments naturels et des sites, peu adapté à la protection des sites bâtis) : la législation des abords des monuments historiques instituée par la loi du 31 décembre 1913 relative aux monuments historiques, les secteurs sauvegardés créés par la loi du 4 août 1962, les ZPPAUP de la loi du 7 janvier 1983. Leurs modalités de mise en oeuvre ont évolué dans le sens d'une plus grande souplesse.

Le régime le plus ancien, le moins souple et le plus étatique est celui des abords. Les immeubles qui, situés dans un rayon de 500 mètres autour de lui, sont visibles depuis un monument inscrit ou classé ou sont visibles en même temps que lui, ne peuvent faire l'objet de travaux de nature à affecter leur aspect qu'en vertu d'une autorisation délivrée sur avis conforme de l'architecte des Bâtiments de France. Ce régime reste le plus fréquemment appliqué, comme le notait en mai 1996 le rapport de votre commission sur la proposition de loi de M. Claude Huriet, qui a conduit à l'adoption de la loi du 28 février 1997.

Le fonctionnement des secteurs sauvegardés est à peine moins centralisé. Ceux-ci sont créés par décision préfectorale sur avis favorable ou sur proposition de la commune intéressée ou des communes intéressées, un décret en Conseil d'État permettant de surmonter leur éventuelle opposition. Un plan de sauvegarde et de mise en valeur est établi sous l'autorité du préfet, à la préparation duquel une commission locale comportant des élus est associée. Tout travail modifiant l'état des immeubles est soumis soit à autorisation dans les formes prévues pour le permis de construire, soit à autorisation spéciale, en ce qui concerne les travaux qui ne ressortissent pas au permis de construire. L'architecte des Bâtiments de France doit donner un avis conforme et délivre l'autorisation spéciale. On dénombre 86 secteurs sauvegardés.

Les ZPPAUP sont la formule la plus récente et la plus souple de protection du patrimoine architectural. Elles sont créées sur proposition ou après accord des communes intéressées, autour des monuments historiques et dans les quartiers, sites et espaces à protéger ou à mettre en valeur pour des motifs d'ordre esthétique, historique ou culturel. Le projet de création est soumis à enquête publique et à l'avis de la commission régionale du patrimoine et des sites, qui a remplacé le collège régional du patrimoine et des sites en application de la loi du 28 février 1997. En outre, dès qu'une ZPPAUP est créée, les servitudes instituées par les articles 13, 13 bis et 13 ter de la loi de 1913 ne sont plus applicables, ce qui permet de substituer au cercle de 500 mètres résultant de la législation des abords un périmètre de protection délimité en fonction du terrain.

La principale cause de l'adoption de la loi du 28 février 1997 a été le caractère autoritaire des procédures , autoritarisme accentué dans les faits par le succès limité des ZPPAUP, formule la plus respectueuse de l'opinion des intéressés. Cette situation ne pouvait se perpétuer alors que la présomption de légitimité dont l'activité administrative, vouée par construction au service de l'intérêt public, bénéficia longtemps aux yeux de nos concitoyens, a fait place à une irréductible exigence d'explication, de discussion et de consensus.

Le rapport de votre commission sur la proposition de loi Huriet notait à cet égard que la législation des abords reposait sur « l'exercice solitaire du pouvoir que la loi confère à l'architecte des Bâtiments de France ». Un décret n° 95-667 du 9 mai 1995 avait certes institué une procédure d'appel des avis -jusqu'alors considérés non susceptible de recours, sur le fondement de la théorie des actes préparatoires- des architectes des Bâtiments de France. Première étape de la libéralisation encore inachevée des procédures de protection du patrimoine architectural, cet appel était porté devant le ministre chargé des monuments historiques par l'autorité compétente pour délivrer le permis. Cette procédure, peu adaptée à un contentieux souvent de modeste portée, n'a pratiquement pas fonctionné.

En revanche, aucune voie de recours n'existait contre les avis rendus par les architectes des Bâtiments de France au titre de la législation des secteurs sauvegardés, les plans de sauvegarde étant réputés assez précis pour encadrer l'exercice de ce pouvoir.

Et si la procédure des ZPPAUP comportait la possibilité d'un appel de l'avis de l'architecte des Bâtiments de France devant le préfet de région, l'utilisation parcimonieuse de cette formule de protection, longue, difficile et relativement coûteuse à mettre en place, a retiré presque toute portée à cette novation.

b) La solution législative

Soucieuse de donner aux architectes des Bâtiments de France les moyens juridiques de mieux exercer le rôle pédagogique et incitatif que les nouvelles exigences de la démocratie de proximité devrait leur suggérer d'assumer, consciente de la nécessité d'améliorer la transparence du processus administratif de décision, consciente aussi de l'opportunité d'appuyer la réforme nécessaire sur l'acquis législatif en étendant le champ d'application des formules existantes, votre commission a élaboré en mai 1996 des propositions inspirées de la procédure d'appel mise en place dans le cadre du régime juridique des ZPPAUP.

Présentant au Sénat, le 21 mai 1996, le dispositif retenu, votre rapporteur précisait dans ces termes l'objectif de la commission des affaires culturelles : « la possibilité d'un appel, l'existence d'un lieu de dialogue permettront à notre avis d'éclaircir les motifs des décisions contestées, qu'elles soient d'ailleurs confirmées ou non. On pourra enfin confronter les points de vue et les expériences, voire dissiper le soupçon d'arbitraire qui empoisonne, particulièrement dans le cas de la police des abords, la procédure de l'avis conforme. Cela modifiera aussi, pensons-nous, le climat des rapports entre le demandeurs, les élus et les architectes des Bâtiments de France : ceux-ci auront peut-être plus à coeur de convaincre et d'expliquer, et ceux-là auront enfin le sentiment de faire valoir leurs préoccupations et l'assurance d'être écoutés. »

Ces propositions, adoptées par votre Haute Assemblée avant d'être votées conformes par l'Assemblée nationale, sont devenues la loi du 28 février 1997, dont le contenu est le suivant :

- La possibilité d'appel des avis conformes des architectes des Bâtiments de France devant le préfet de région instituée dans les ZPPAUP par l'article 71 de la loi du 7 janvier 1983, a été étendue à la protection des abords et aux secteurs sauvegardés.

- L'appel a été ouvert au maire ou à l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation de faire les travaux, à l'exclusion des pétitionnaires.

- Le ministre chargé de la culture a reçu la possibilité, symétrique de celle prévue pour les ZPPAUP par la loi du 7 janvier 1983, d'évoquer les dossiers soumis aux architectes des Bâtiments de France et aux préfets de région.

- Des commissions régionales du patrimoine et des sites comportant des représentants de l'État, des élus nationaux et locaux et des personnalités qualifiées ont été créées afin d'être consultées par les préfets sur les appels formés contre les avis conformes des architectes des Bâtiments de France. Ces commissions ont en outre repris les compétences des commissions régionales du patrimoine historique et ethnographique (COREPHAE) et des collèges régionaux du patrimoine et des sites (CRPS), qu'elles remplaçaient. L'objectif était de confier à une seule instance l'ensemble des compétences consultatives relatives à la définition et à l'application dans la région de politiques de protection du patrimoine.

2. L'application décevante de la loi

La très longue gestation du décret d'application de la loi du 28 février 1997 fut le premier indice d'une mise en oeuvre insatisfaisante.

a) Le décret d'application n° 99-78 du 5 février 1999

L'article premier de la loi avait confié à un décret en Conseil d'État le soin de préciser la composition, les attributions et le mode de fonctionnement de la commission régionale du patrimoine. Après deux années d'une laborieuse gestation, le décret n° 99-78 du 5 février 1999 a fixé la composition de la commission de façon peu conforme aux souhaits exprimés par les parlementaires lors du débat législatif.

Au cours du débat au Sénat, votre rapporteur avait précisé que l'article 1 er de la proposition de loi, prévoyant que la commission régionale du patrimoine comprendrait « des personnalités titulaires d'un mandat électif national ou local, des représentants de l'État et des personnalités qualifiées », prenait en compte cette préoccupation. Évoquant à son tour la composition de la commission, M. Louis de Broissia, rapporteur de la proposition devant l'Assemblée nationale, avait indiqué : « l'équilibre y est respecté, puisque sont garanties tout à la fois les compétences de l'État -c'est le préfet de région qui rendra l'appel- et la coopération entre les architectes des Bâtiments de France, garants du respect du patrimoine, les collectivités locales concernées et les spécialistes du patrimoine. »

Le décret n° 99-78 du 5 février 1999 a subtilement infléchi l'équilibre nécessaire de la commission en faveur des représentants de l'administration, puisque sur les trente membres de celle-ci, on ne compte que huit titulaires d'un mandat électif, nommés par le préfet de région.

b) La pérennité des pratiques

En conclusion de la discussion générale de la proposition de loi à l'Assemblée nationale, le ministre de la culture avait indiqué que le Parlement serait saisi d'un bilan de l'application de la nouvelle législation « lorsque nous disposerons d'un recul suffisant, c'est à dire, à mon sens, après un à deux ans d'application. » Plus de deux ans après la publication du décret n° 99-78 du 5 février 1999, il est temps d'esquisser cette évaluation. L'administration centrale du ministère de la culture est en train de collecter les données qui permettront de dresser le panorama complet d'une situation qui semble n'avoir guère évolué, au vu des informations recueillies par votre rapporteur. Le nombre des recours formés en application de la loi de 1997 a été de vingt-sept en 1999 et 2000. L'avis de l'ABF a été infirmé dans six cas par le préfet, celui-ci suivant dans quatre cas l'avis de la commission.

Si l'on se réfère aux quelque 600 000 dossiers instruits chaque année par les architectes des Bâtiments de France, ces chiffres révèlent un fonctionnement très insatisfaisant du dispositif institué en 1997, sauf à créditer les architectes des Bâtiments de France d'une infaillibilité qu'ils ne songent sans doute pas à revendiquer.

Aussi était-il nécessaire, dans l'esprit même de la déclaration ministérielle rappelée plus haut, de revenir sur le fonctionnement des procédures de protection du patrimoine architectural afin d'y instiller l'esprit de dialogue qui caractérise le fonctionnement des démocraties modernes dans les ramifications les plus fines de l'appareil administratif.

Notre collègue Pierre Fauchon a opportunément pris l'initiative de lancer le débat en déposant une proposition de loi relative à la création d'une commission départementale du patrimoine.

3. La solution proposée par la proposition de loi

L'exposé des motifs de la proposition de loi résume parfaitement l'intention de son auteur en indiquant que cette proposition « vise à réformer de manière plus substantielle la procédure d'autorisation, afin précisément de renforcer le rôle de conseil de l'architecte des Bâtiments de France au détriment de son rôle discrétionnaire de censeur. La solution proposée consiste à substituer à un homme seul un collège réduit composé d'une manière équilibrée et placée sous l'autorité du représentant de l'État. »

Si les principaux éléments de la proposition de notre collègue, en particulier la départementalisation de la procédure et bien entendu la volonté de substituer enfin le dialogue à l'exercice solitaire du pouvoir, sont apparues à votre commission comme des pistes à suivre, celle-ci a relevé quelques incertitudes dans les modalités envisagées pour la mise en oeuvre de ces orientations.

a) Le transfert partiel du pouvoir d'avis des architectes des Bâtiments de France

La proposition de loi organise le transfert, dans certains cas, à une commission départementale, du pouvoir d'avis conforme des architectes des Bâtiments de France. Elle ne conserve en effet à l'architecte des Bâtiments de France sa pleine compétence que dans les cas où il approuve le projet qui lui est soumis.

Dans toutes les autres hypothèses, le pouvoir d'émettre l'avis conforme est transféré à des commissions départementales, y compris vraisemblablement dans le cas où l'architecte des Bâtiments de France aurait l'intention de donner une approbation sous réserve. Comme le diable se cache dans les détails, c'est dans les réserves assortissant les visas que se situent vraisemblablement bon nombre d'initiatives contestées des ABF. La réserve équivalant en pratique à un refus virtuel, on ne comprendrait pas la raison d'être d'un transfert de pouvoir ne concernant pas les cas sans doute les plus nombreux et peut-être les plus litigieux.

b) Le risque de généralisation d'une démarche conflictuelle

Le transfert de pouvoir a lieu, en cas de délivrance du visa sous réserve, même si le pétitionnaire est d'accord avec les exigences exprimées par l'architecte des Bâtiments de France, ce qui peut arriver -et doit souvent arriver compte tenu de l'usage mesuré et raisonnable que les ABF font de leur pouvoir dans la plupart des cas. Non seulement la commission court alors le risque d'être inutilement surchargée, mais encore le transfert tend à donner un caractère conflictuel à un débat initialement consensuel.

Pour prévenir cet inconvénient sensible, on pourrait imaginer de ne transférer la compétence à la commission que dans deux cas : refus de visa ou désaccord du pétitionnaire sur les réserves assortissant un visa. Mais la nécessité de constater le désaccord du pétitionnaire avant le transfert d'un dossier à la commission ferait de celui-ci le maître de la répartition des compétences entre les autorités administratives et introduirait dans la procédure de délivrance des autorisations des délais inutiles.

Il semble justifié, dans ces conditions, d'explorer de préférence à la piste du transfert de pouvoir la possibilité d'apporter des améliorations déterminantes à la procédure mise en place en 1997. C'est la voie que votre commission a choisi d'emprunter, en retenant dans le dispositif élaboré par M. Pierre Fauchon la proposition de départementaliser la procédure d'appel des avis des architectes des Bâtiments de France et celle de fixer dans la loi la composition de la commission départementale.

* 1 Devenues zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) à la suite de la loi n° 93-24 du 8 janvier 1993.

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