B. AUDITION DE M. ERNEST-ANTOINE SEILLIERE, PRÉSIDENT, M. JEAN-PIERRE PHILIBERT, CONSEILLER POLITIQUE ET DIRECTEUR DES RELATIONS AVEC LES POUVOIRS PUBLICS, BERNARD BOISSON, CONSEILLER SOCIAL ET DOMINIQUE TELLIER, DIRECTEUR DES RELATIONS SOCIALES, DU MOUVEMENT DES ENTREPRISES DE FRANCE (MEDEF)

M. Jean DELANEAU, président - Je remercie le MEDEF d'avoir répondu à l'invitation du Sénat concernant les auditions relatives à la loi de modernisation sociale.

M. Ernest-Antoine SEILLIERE - Merci monsieur le président, madame et messieurs les sénateurs de bien vouloir nous accueillir, mes collègues et moi-même. Nous sommes très sensibles à l'attention que vous portez aux partenaires sociaux.

Le sujet qui nous rassemble est douloureux. Lorsque l'entreprise se trouve confrontée à l'obligation d'un plan social, chacun mesure l'étendue et la profondeur des dérèglements que cette décision va produire dans la vie d'hommes et de femmes qui vont en être victimes. Les prises de position politiques que ces décisions entraînent, les conflits sociaux qu'elles ouvrent, les réactions passionnelles qu'elles engendrent ne sont qu'épisodes en comparaison de la nécessité, pour tous ceux que ces décisions concernent, de reconstruire une partie de leur existence.

Mais de même que la maladie frappe l'individu et oblige au traitement, la crise, l'évolution des marchés, les conditions de concurrence frappent l'entreprise et obligent à la restructuration. Ce n'est pas en invectivant la maladie ou en essayant d'empêcher et surtout de retarder le traitement que l'on rétablira la santé de l'entreprise. Au contraire, ce faisant, on la condamne à mort à terme plus ou moins long terme.

Permettez-moi de rappeler que des dizaines de milliers d'entreprises sont sans cesse confrontées à la nécessité d'évoluer et qu'elles le font sans heurt en anticipant, formant et adaptant. Il faut leur rendre hommage pour savoir gérer leurs effectifs, leurs compétences ou au mieux les intérêts des salariés. La vigueur de la critique contre celles qui restructurent dans l'urgence doit avoir pour contrepartie un hommage à toutes les entreprises qui parviennent à l'éviter.

De plus, dans un climat de croissance forte de ces dernières années, notre système économique en France a créé près de 1.500.000 emplois. Il faut y mettre en perspective les restructurations spectaculaires, certes, et peu nombreuses au regard de ce chiffre, qui ont provoqué des initiatives législatives, notamment la loi de modernisation sociale.

Le Premier ministre, qui nous a reçus et auquel nous avons fait vivement reproche de s'être laissé aller à une improvisation législative précipitée en réaction à l'émotion soulevée par des licenciements comme ceux de Danone et de Marks & Spencer, nous a clairement indiqué que le Gouvernement avait dû répondre à un mouvement d'opinion médiatisé et que la question politique, qui est de sa responsabilité, avait commandé cette initiative. De notre côté, nous lui avons dit que tous les pays européens sont confrontés aux mêmes phénomènes et que la France est le seul pays à s'être lancé à l'emporte-pièce dans des modifications législatives. Notre pays est le seul qui réplique aux mouvements spontanés et émotionnels de l'opinion par la modification immédiate de la loi. Cependant, une gestion précipitée, qui fait de l'entreprise un enjeu politique constant, n'est pas compatible avec le maintien du projet entrepreneurial dans notre pays. C'est d'autant plus vrai que le cas est aussi unique en Europe et que ces initiatives législatives sont prises dans l'ignorance complète des partenaires sociaux qui ne sont pas consultés. Notre indignation à cet égard est connue, elle est partagée par nombre de syndicats et elle est significative de l'absence de ce partenariat entre ceux qui légifèrent et administrent notre pays et ceux qui, salariés et entrepreneurs, produisent la richesse nationale.

Cette absence de partenariat est une des faiblesses majeures de la France dans la compétition européenne et mondiale. Je la crois d'ailleurs unique au monde puisque partout ailleurs on recherche, dans la confiance et non dans la défiance et l'ignorance des partenaires sociaux, à se concerter sur des solutions efficaces.

Emotion, manifestation, pétition, télévision, réglementation, législation, ce cycle accéléré déstabilise l'entreprise. Cela se traduira par moins de créations d'entreprises, moins de développement, moins d'embauches, plus de projets à l'étranger. À vouloir imposer à l'entreprise l'improvisation dictée par les aléas des affrontements politiques, on met en place, à l'heure de l'euro et de l'Internet, le scénario du déclin économique de notre pays. Le MEDEF vous le dit solennellement, et ce n'est pas le chiffre des investissements étrangers en France et français à l'étranger qui le démentira. Pour l'année 2000, pour les investissements étrangers en France, dont on se satisfait, on feint d'ignorer l'importance des investissements français à l'étranger. La différence nette entre les deux mouvements est, en 2000, de 900 milliards de francs, 12 % du PIB. C'est un doublement par rapport à 1999. Pas à pas s'organise, sans que nous nous en doutions, un mouvement de décapitalisation de notre pays. Au mouvement naturel de la division du travail qui conduit des pays à main-d'oeuvre chère à transférer la manufacture, on ajoute la mise en place progressive de conditions telles, que l'envie d'entreprendre s'atténue dans notre pays. Dans ces conditions, nous ne donnons pas cher de la croissance et de l'emploi en France dans les dix ans qui viennent.

Nous appelons fortement à la prise de conscience et au sursaut. J'y ajoute les données démographiques qui rendront moins sensible la baisse de l'emploi provoquée par cette décapitalisation, mais créeront des problèmes inextricables pour le financement de nos régimes sociaux. Au lieu de chercher à figer par la contrainte de la loi des situations compromises et vouées à l'échec, il faut organiser et accompagner l'évolution et le changement pour retrouver des opportunités nouvelles pour tous. Cette pédagogie de l'opinion est la tâche essentielle des pouvoirs publics en accompagnement de l'effort des partenaires sociaux.

Il s'agit, tout d'abord, de formation. En effet, chaque entreprise doit être en mesure de faire en permanence l'inventaire des compétences de chaque salarié et de déterminer avec lui des initiatives de formation nécessaire pour assurer le maintien de son employabilité. C'est tout le sens de la négociation engagée dans le cadre de la refondation sociale sur la formation professionnelle. Ensuite, il s'agit du reclassement dans des délais qui le rendent possible. À cet égard, les entreprises comprennent parfaitement qu'on leur demande de respecter délais et procédures. Enfin, il s'agit de dynamiser l'assurance-chômage qui se met en place en cas de licenciement ; c'est tout le sens de la mise en place de la réforme de cette assurance chômage conduite dans le cadre de la refondation sociale avec le syndicalisme réformateur, la mise en place du PARE qui individualise la recherche active d'emploi.

Organiser l'adaptation des salariés aux métiers qui se développent, aux activités nouvelles, favoriser leur mobilité, renforcer leur employabilité, c'est dans cette direction que tous les efforts doivent être faits contrairement aux réflexes négatifs du type de la loi dite de modernisation sociale qui vont à l'encontre de l'emploi et de la croissance.

Sur le fond, l'ensemble du dispositif adopté va complètement bouleverser les procédures de licenciements. On oublie souvent que les règles actuelles sur les licenciements économiques sont issues d'un accord interprofessionnel de 1969 sur la sécurité de l'emploi, modifié à plusieurs reprises par les partenaires sociaux ou avec leur accord et auquel on doit dès l'origine l'instauration de délais destinés à permettre une concertation correcte et la mise en place de plans sociaux. Il s'est toujours agi de concilier des impératifs économiques et la protection des salariés en rompant totalement cet équilibre et en rendant à l'avenir les licenciements économiques particulièrement difficiles voire impossibles. Ces nouvelles dispositions vont donc jouer contre l'emploi.

Je voudrais attirer votre attention sur les points suivants. En ce qui concerne l'article 31, encore appelé amendement Michelin, qui oblige l'entreprise à réduire sa durée du travail à 35 heures ou à défaut à engager des négociations sur ce thème préalablement à l'établissement de tout plan social. Si cette condition n'est pas remplie, le comité d'entreprise peut demander au juge des référés de suspendre la procédure de licenciement jusqu'à ce qu'elle le soit. Il s'agit toujours de la même croyance selon laquelle on peut créer ou préserver les emplois en réduisant la durée du travail. Nous estimons qu'il faut être singulièrement aveugle pour imaginer éviter des licenciements en augmentant le coût du travail (maintien des salaires, coût de réorganisation, etc ). Alors que la réduction de la durée du travail faisait déjà légalement partie des mesures qui devaient être envisagées dans le plan social, ce nouveau dispositif, situé en amont du plan social, va permettre toutes les manoeuvres dilatoires pendant les négociations et ensuite devant le juge pour retarder les licenciements, ce qui ne fera qu'aggraver la situation de l'entreprise.

Pour l'article 32, dont le Sénat d'ailleurs a très largement amélioré la rédaction en première lecture, qui prévoit que le chef d'entreprise ne peut procéder à une annonce publique sur la stratégie de l'entreprise susceptible d'affecter les conditions de travail ou l'emploi qu'après avoir informé le comité d'entreprise, laisse entièrement subsister l'incompatibilité, déjà soulignée dans un rapport de la COB, entre notre droit boursier et notre droit social. Il expose le chef d'entreprise au délit d'initié ou au délit d'entrave.

L'article 33 bis , qui supprime la possibilité de prendre en compte les qualités professionnelles des intéressés pour déterminer l'ordre des licenciements, obligera l'employeur à se priver de salariés jugés performants et essentiels pour la conduite de l'entreprise et son redressement.

Les articles 32 A, 32 bis , 32 quater , sont particulièrement inquiétants. Alors que jusqu'à présent les consultations du comité d'entreprise sur les éléments économiques justifiant la restructuration et les consultations sur le plan social devaient être conduites concomitamment, elles devront désormais l'être successivement. Ceci allongera les délais. Cependant, la loi introduit surtout un droit d'opposition du comité d'entreprise qui s'exerce au cours de la première phase de la consultation, sur la nécessité de la restructuration. Ce droit d'opposition induit le recours à un médiateur. Celui-ci, dont on ignore qui il sera, devrait disposer d'un mois pour remplir sa mission, d'où un nouvel allongement des délais d'au moins deux mois. Cet allongement s'ajoute à celui résultant de la négociation préalable sur les 35 heures et de l'organisation en deux temps de la consultation du comité d'entreprise. On y ajoutera les délais résultant d'une part de l'obligation de consulter les organes dirigeants de l'entreprise, etc. C'est au strict minimum un allongement des délais de trois mois qui en résultera et qui devient inchiffrable si ces diverses étapes de la procédure sont entrecoupées, comme on peut s'y attendre, par des procédures judiciaires en elles-mêmes dilatoires.

La nouvelle définition des licenciements économiques de l'article 33 A, est stupéfiante. Elle traduit cette volonté d'interdire à toute entreprise qui a des résultats positifs de se restructurer. On connaît le conflit politique qui s'est traduit par de nombreux amendements qui accompagnent aujourd'hui la loi et qui, en réalité, alors que certains voulaient interdire les licenciements si l'entreprise fait des profits, conduit à quelque chose de semblable.

Quant à l'obligation de réintégrer les salariés dans l'entreprise, article 34 A, si la procédure de licenciement a été déclarée nulle, par un juge, on mesure son caractère irréaliste. En effet, comment fera-t-on si l'entreprise a supprimé les activités concernées ?

En résumé, ces dispositions laissent le chef d'entreprise entre le juge, l'inspecteur du travail, le médiateur, le comité d'entreprise, les experts, les syndicats et nous estimons que cela rendra les procédures longues, complexes et coûteuses et entraînera une dégradation du climat de l'entreprise. Elles compromettront les possibilités de redressement de l'entreprise qui doit, parce qu'elle rencontre des difficultés, se restructurer. De plus, elles rendront l'adaptation dans la plupart des cas impossible. Si on voulait faire en sorte qu'il y ait moins d'entreprises en France, moins de développement d'entreprises, plus d'initiatives à l'étranger, on n'agirait pas différemment.

M. Jean DELANEAU, président - Merci monsieur le président.

M. Alain GOURNAC, rapporteur - Est-ce que le MEDEF a été consulté sur le droit de licenciement, sur tout ce qui a été ajouté avant la deuxième lecture au Sénat ?

Je voudrais avoir votre avis sur le fait que de nombreuses personnes autorisées, en particulier Laurent Fabius, ont considéré que les dispositions adoptées pouvaient constituer une menace pour l'emploi et dissuader les embauches. Partagez-vous cette inquiétude ?

La nouvelle rédaction de l'article L 321-1 qui définit le licenciement pour motif économique apparaît très restrictive. La suppression du « notamment », la restriction des critères relatifs aux difficultés économiques et aux mutations technologiques, ainsi que la mention d'un troisième critère ayant trait à la sauvegarde de l'entreprise, ne risquent-ils pas de rendre cette définition inapplicable et, ce faisant, de nuire aux relations sociales dans l'entreprise ?

Ne pensez-vous pas qu'il aurait été préférable de s'inspirer davantage de la jurisprudence de la Cour de cassation qui reconnaît comme motif de licenciement économique les « réorganisations destinées à sauvegarder la compétitivité de l'entreprise » ?

De nombreux pays européens privilégient la négociation collective par rapport à la loi, celle-ci n'intervenant qu'en cas d'absence d'accord des partenaires sociaux. Pensez-vous que les partenaires sociaux auraient été à même d'aboutir à un accord sur une réforme du droit du licenciement, si le Gouvernement leur en avait reconnu la possibilité à travers, par exemple, un « droit de saisine », les termes de cet accord étant repris par la loi ? Ou bien considérez-vous que le recours à la loi constitue la seule voie possible pour moderniser notre législation ?

Imaginons que le Gouvernement souhaite faire une pause de six mois concernant ce texte. Est-ce que le MEDEF est prêt à ouvrir une négociation sur le droit de licenciement pour adapter le droit de licenciement ?

M. Ernest-Antoine SEILLIERE - Je remercie monsieur Gournac pour ces questions. Nous n'avons pas été consultés. Nous avons été laissés dans l'ignorance totale du projet de loi et des amendements. Personne ne s'est retourné vers moi ou aucun de mes collaborateurs au MEDEF pour lui demander son sentiment sur cette affaire qui a été menée entièrement dans l'ignorance de l'organisation qui représente une partie essentielle des entreprises de notre pays. C'est unique en Europe voire peut-être même au monde. C'est incompréhensible.

Votre seconde question, porte sur le fait que nous estimons que le durcissement des conditions dans lesquelles on peut restructurer les entreprises dans notre pays conduira à moins d'embauches, moins de créations d'entreprises, plus de créations d'entreprises françaises à l'étranger, et je reviens là sur le chiffre de 900 milliards de francs net de décapitalisation française au profit de l'étranger en 2000.

En ce qui concerne la question du recours à la loi, tout notre effort dit de refondation sociale -et nous avons à cet égard une négociation en cours avec nos partenaires syndicaux- est d'essayer d'identifier une règle du jeu dans laquelle le législateur se réserverait de fixer les principes puis déléguerait aux partenaires sociaux le soin de l'appliquer ou de prendre l'initiative dans des domaines jugés devoir être adaptés. Nous pensons que la démocratie sociale doit avoir un domaine autonome défini par le législateur. Dans ce contexte, vous nous demandez si nous accepterions d'ouvrir une discussion sur la loi de licenciement au cas où le législateur déléguerait pendant une période de temps. À l'évidence oui, puisque c'est le sens de toute notre démarche. Nous souhaitons que tous les problèmes sociaux puissent être approchés, négociés et discutés dans le cadre de la négociation sociale. Nous ne cachons pas d'ailleurs que nous souhaitons une nouvelle hiérarchie des initiatives dans ce domaine. Il ne nous paraît pas à cet égard que l'interprofessionnel soit nécessairement la règle du jeu unique. Au contraire, nous souhaiterions que l'entreprise, la branche et l'inter-professionnel puissent être saisis tour à tour de façon à ce que la diversité puisse être prise en compte par les textes.

M. Jean CHERIOUX - Je partage les points de vue de mon collègue Gournac et certaines appréciations que vous portez sur les textes qui vous sont proposés, mais je suis choqué par votre introduction. Certes nous sommes venus pour vous entendre sur ce texte, mais pas pour entendre un procès fait aux responsables politiques, même si je sais bien qu'ils ne réagissent pas toujours intelligemment. Toutefois, je pense que le Sénat, et en particulier cette commission, ne méritaient pas cette introduction. Au sein du Sénat, il y a des gens qui savent réfléchir, qui connaissent les problèmes économiques d'autant plus que certains ont été chefs d'entreprises.

Cela dit, il y a eu une grande émotion puisque le débat a débuté à la suite des derniers trains de licenciements. En réalité, le problème n'est pas celui des entreprises qui sont en grande difficulté ni celui du fait que ces plans sociaux ont sensibilisé l'opinion, mais celui de la situation de compétition des entreprises qui ont été obligées de faire face à la concurrence extérieure. Toutefois, il s'est produit une dérive sur le plan de l'interprétation, dans la mesure où ces licenciements ont été qualifiés de « licenciements boursiers ». Je suis de ceux qui pensent qu'il ne faut pas attendre qu'il soit trop tard pour faire des licenciements. Le chef d'entreprise a pour devoir d'assurer la pérennité de son entreprise. Le seul problème est de considérer que l'essentiel est le retour sur capital et la rentabilité financière.

M. Roland MUZEAU - A vous entendre, les entreprises ont toujours raison alors que les syndicats et salariés ne sont pas aptes à comprendre l'évolution économique. Comment croire alors que le dialogue social a une place ? La question de la place de la loi et de la négociation est pour nous très importante. Nous considérons que l'Etat est garant de l'intérêt général et quand il faut légiférer pour défendre cet intérêt face aux intérêts particuliers, nous devons le faire.

Quelle est votre position sur la place de la loi et celle de la négociation ?

M. Gilbert CHABROUX - Je partage la réaction de Jean Chérioux.

C'est un sujet douloureux et nous le savons tous. Vous dites que cela ressemble à la maladie et que c'est un problème de santé, mais je ne pense pas que ce soit comparable. En effet, des entreprises mettent en place des plans sociaux alors qu'elles ne sont pas malades et certaines disent qu'elles pourraient devenir malades sans que nous en sachions quoi que ce soit. Elles font des bénéfices importants et veulent en faire encore plus ; elles disent que dans cinq ans elles ne pourront pas garantir cette marge de bénéfice d'où leurs anticipations. La comparaison avec la maladie est malsaine.

Vous dites que certaines personnes s'emploient à faire de l'entreprise un enjeu politique constant, qu'il y a une absence de partenariat, que c'est une faiblesse majeure de la France et que nous mettons en scène le scénario du déclin économique de la France. Par rapport au partenariat et au rôle que, nous, les responsables politiques, pouvons jouer parfois, je voudrais poser la question des fonds publics. En effet, pourriez-vous nous donner l'importance de ces fonds versés par l'Etat ? N'avons-nous pas un droit de vérification et de contrôle de ceux-ci ?

S'il y a des problèmes économiques, ce sont les responsables politiques qui sont jugés, les reproches sont faits au Gouvernement, alors pourquoi les politiques n'interviendraient-ils pas si les problèmes sont politiques ?

M. Guy FISCHER - Sans douter du contenu de vos propos, vous ne nous avez pas surpris. En revanche, compte tenu des plans sociaux tels qu'ils sont annoncés, de l'ampleur qu'ils semblent devoir prendre, Alcatel annonce qu'elle va se défaire de 90 % de ses sites, je crois que nous n'étions pas préparés à l'entreprise virtuelle ni à des recentrages sur les métiers aussi rapides en faisant appel à des fonds asiatiques, que ce soit pour Philips ou Alcatel. Je serais tenté de dire que sous le Gouvernement Jospin, si nous avions à vérifier les investissements des fonds publics, je crois que l'on n'a jamais autant donné à l'entreprise. Son environnement, par la volonté politique n'a jamais été aussi présent. En France, on considère qu'entre 400 et 800 milliards de francs vont, soit par aides directes de l'Etat soit par aides indirectes des collectivités locales, à l'entreprise.

De plus, vous venez de réaffirmer que le droit boursier primait sur le droit social. Vous comprendrez donc que nos avis ne puissent se rapprocher. Comment donner aux salariés et aux partenaires sociaux la place légitime pour fonder un dialogue social dans l'intérêt de la nation ? Aujourd'hui, sur des sujets très douloureux, vous dites qu'on ne peut pas envisager les dix ans à venir et vous avez une vision catastrophique de la situation. Dans ces conditions, comment donner un sens au dialogue social sur des problèmes aussi douloureux que les plans sociaux ?

M. Philippe NOGRIX - Je crois que vous avez bien fait de nous rappeler que la société dans laquelle nous vivons, est sensible aux chocs événementiels. Il est vrai que nous avons beaucoup plus parlé des plans sociaux en pointant le doigt vers les entreprises que de la création des emplois que le Gouvernement s'appropriait.

Je n'ai pas compris que dans la balance entre le dynamisme des entreprises et le catastrophisme par rapport à l'avenir, vous ayez plutôt penché vers le catastrophisme. Je suis pourtant persuadé que nos entreprises ont encore une réserve de dynamisme qui va leur permettre de rebondir sur les obligations qu'on leur fixe.

Il est également important de faire une analyse prospective afin d'agir le plus en amont possible. En outre, nous sommes tous persuadés que le rôle de la formation est primordial. Vous avez parlé de l'employabilité et je crois que, de fait, nous aurions, les uns et les autres, intérêt à beaucoup travailler sur ce thème.

Actuellement, nous disons que les plans sociaux résultent essentiellement de l'évolution du marché. J'aimerais connaître votre point de vue sur l'influence des 35 heures sur la disparition des emplois actuels. Les plans sociaux ne seraient-ils pas là pour préserver la mise en place des 35 heures ?

Par ailleurs, j'essaie toujours de respecter l'équilibre entre l'utilisation des fonds publics et les prélèvements fiscaux car si on estime avoir un droit de regard sur l'utilisation par l'entreprise des fonds publics, je pense que l'entreprise a aussi le droit d'avoir ce même droit sur la préparation des textes législatifs qui vont régir sa façon de travailler.

Je pense que nous devrions être modestes, nous les politiques, sur l'utilisation des fonds publics, car quand nous avons besoin d'argent, les gouvernements savent privatiser.

Pour moi, le partenariat nécessite quatre choses : une volonté d'écoute sans laquelle il ne peut commencer, une confiance sans laquelle il n'y aura pas d'écoute, un respect les uns des autres et enfin un droit de regard et une évaluation de ce qui a été décidé entre partenaires. Voilà ce que j'attends des rapports sociaux entre les entreprises et les salariés.

M. Ernest-Antoine SEILLIERE - Monsieur Chérioux, vous indiquez que nous avons pensé que l'improvisation législative dans ce domaine répondait à l'émotion de l'opinion et qu'il aurait peut-être mieux valu attendre. Je ne voulais pas être critique vis-à-vis du monde politique. Le MEDEF n'a pas d'autres moyens que de présenter des analyses assises sur le fait qu'il est mandaté par les entrepreneurs. Nous n'avons aucun autre pouvoir que celui de la parole. Par conséquent, si nos propos sont considérés comme inacceptables et irrespectueux, comment allons-nous faire pour exister ?

Vous avez également évoqué la question des licenciements boursiers. Nous ne sommes pas capables de donner un seuil de degré de profitabilité permettant de dire s'il faut ou non restructurer l'entreprise. Nous ne savons pas le faire. Dès lors nous ne pensons pas que le législateur puisse s'engager dans cette voie. En effet, la grande diversité des situations fait qu'il faut laisser à l'entrepreneur le soin d'apprécier la nécessité d'une éventuelle restructuration. L'entrepreneur est comptable vis-à-vis de ses clients et de ses salariés. Le procès qui est fait à l'entrepreneur d'obéir aux seuls actionnaires, est un procès d'intention.

M. Jean CHERIOUX - C'est ce que je voulais vous faire dire. J'aurais voulu que vous insistiez sur les nécessités du marché, c'est-à-dire sur la défense des parts de marché. Vous n'avez pas réagi suffisamment sur le procès que l'on vous faisait sur le seul souci de faire gagner de l'argent au marché.

M. Ernest-Antoine SEILLIERE - Nous représentons environ 700.000 entreprises sur les 1.200.000 qui existent et il n'y a guère que 1.500 à 2.000 entreprises cotées qui obéissent au marché. Toutes les autres obéissent à la survie de l'ensemble formé par les salariés, les clients et les actionnaires. Quand on fait un procès aux entreprises, on le fait souvent aux multinationales qui ont des établissements chez nous, qui obéissent aux lois du marché mondial et qui ne sont pas représentatives de ce qu'est l'entreprise. Nous avons beaucoup de mal à nous dégager de la critique faite à de très grands acteurs mondiaux.

M. Jean CHERIOUX - Ce n'est pas la question que je vous posais. Je voulais juste que vous fassiez une mise au point indiquant que votre priorité est de permettre aux entreprises de subsister en se projetant sur l'évolution du marché, et non uniquement sur des préoccupations d'ordre boursier.

M. Ernest-Antoine SEILLIERE - Il faut bien comprendre que, dans le droit français, le rôle de l'entrepreneur est de respecter la survie de la personne morale et celle-ci est un ensemble regroupant les salariés, les actionnaires et les clients. Au contraire, dans le droit anglo-saxon, le seul objet de l'entreprise est de faire gagner de l'argent aux actionnaires.

Monsieur Muzeau, vous avez repris la question de la place de la loi et de la négociation. Nous pensons que le domaine de la loi a envahi l'organisation et la vie de l'entreprise. Nous croyons aussi que dans la psychologie politique française, la loi est toujours jugée comme devant être là pour protéger le salarié contre les abus possibles de l'entrepreneur. Il existe sûrement des abus, mais, dans la majorité des cas, l'entrepreneur sait qu'il ne peut réussir qu'avec l'appui et le concours de ses salariés, dans un climat social qui rend possible le développement d'un projet commun. Quand on soumet à l'intervention de la loi le détail de la vie de l'entreprise, en prenant comme prétexte les abus possibles, on rend la vie de l'entrepreneur plus difficile. Le problème de l'entrepreneur aujourd'hui est de retenir les compétences, de les utiliser et de les former.

Monsieur Chabroux, le MEDEF n'a jamais demandé une subvention. Nous demandons juste un allégement des charges et ce n'est pas demander une subvention que de rendre à l'entreprise le trop perçu. Quand nous pouvons faire baisser les cotisations parce qu'un risque social est mieux géré, nous considérons qu'il s'agit d'un retour de charges prélevées sur l'entreprise. Quant aux subventions que les collectivités locales mettent à disposition des entreprises, c'est pour appeler celles-ci. Nous ne demandons pas que l'entreprise soit subventionnée mais simplement qu'on ne lui prenne pas plus que ce qu'on lui prend ailleurs.

Vous jugez que la comparaison avec la maladie est excessive et j'en conviens volontiers. Cela dit, la prévention existe et c'est en faisant à temps les examens que l'on peut éviter le déclenchement de la maladie. Pour l'entreprise, certaines font de la prévention par une gestion fine des problèmes sociaux, qui fait que les plans sociaux n'apparaissent pas. On peut reconnaître que, lorsqu'apparaît un plan social, c'est que l'on n'a pas voulu ou pu ou osé prévenir à temps. La diversité est tellement vaste qu'il est difficile de vouloir imposer des comportements.

Monsieur Fischer, vous dites que l'on n'a jamais autant donné à l'entreprise. Nous souhaitons que l'on donne moins à l'entreprise, qu'on lui prenne moins et que le système soit neutre. Nous n'aimons pas l'idée qu'ayant pris beaucoup à l'entreprise, on sélectionne et on complique à l'extrême les conditions dans lesquelles on lui fait rendre.

Quant au dynamisme et au catastrophisme, je ne penche pas vers le catastrophisme. Le MEDEF essaie d'être actif et est parfois excessif dans sa dénonciation des travers car il a la conviction qu'il est encore temps de le faire. Si on voulait bien donner à l'égard de l'entreprise des signaux de compréhension de la situation que nous pensons être les bons, il n'y a aucune raison pour que nous ne rebondissions pas dans le bon sens. Si après la loi de modernisation sociale, après les lois sur les 35 heures, l'on met à nouveau en place une législation sociale, alors dans dix ans, notre PIB se développera beaucoup moins qu'ailleurs et on ne créera plus d'emplois dans notre pays ou beaucoup moins qu'ailleurs en Europe. L'attitude actuelle des entrepreneurs, consiste à avoir l'esprit ailleurs, à cause de la persistance avec laquelle l'opinion a mis en accusation l'entreprise. S'il n'y a pas un sursaut de conscience de l'attractivité de notre espace économique, dans les dix ans à venir la situation française se sera dégradée par rapport à celle des autres pays européens.

Vous avez mis en place l'euro, les politiques de gauche ou de droite l'ont voulu et l'on ne peut pas revenir dessus. Par ailleurs, vous ne pouvez rien face à l'essor d'Internet. Or le couple euro-Internet crée une situation d'ouverture pour l'entreprise telle que si vous n'avez pas conscience du danger qui frappe notre activité et notre espace économique, ce que je viens de décrire se fera et nous en serons bouleversés.

M. Jean DELANEAU, président - Merci.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page