B. L'ACCORD SUR LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES (LCP) : UNE OUVERTURE MUTUELLE TOTALE ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET LA SUISSE, AU TERME D'UNE LONGUE PÉRIODE DE TRANSITION

L'article 1 de l'accord en définit le contenu en ces termes :

« I. - Dispositions de base - Article 1 er - Objectif : L'objectif de cet accord, en faveur des ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne et de la Suisse, est :

a) d'accorder un droit d'entrée, de séjour, d'accès à une activité économique salariée, d'établissement en tant qu'indépendant et le droit de demeurer sur le territoire des parties contractantes ;

b) de faciliter la prestation de services sur le territoire des parties contractantes, en particulier de libéraliser la prestation de services de courte durée ;

c) d'accorder un droit d'entrée et de séjour, sur le territoire des parties contractantes, aux personnes sans activité économique dans le pays d'accueil ;

d) d'accorder les mêmes conditions de vie, d'emploi et de travail que celles accordées aux nationaux. »

1. La situation actuelle en matière d'accès à l'emploi

La portée des objectifs ainsi définis ne peut être clairement appréciée qu'au regard des règles de droit aujourd'hui en vigueur. En effet, la Suisse applique actuellement des contingents pour l'accès à son marché du travail, qui se traduisent par la délivrance de permis d'emploi délivrés en fonction des disponibilités éventuellement constatées dans les diverses branches professionnelles.

Ces disponibilités existent à tous les niveaux de qualification, et permettent ainsi à 74 000 frontaliers français d'aller quotidiennement travailler en Suisse , puis de regagner leur domicile en France. Ce retour journalier est obligatoire du fait de la législation en vigueur en Suisse ; dans les faits, il n'affecte guère nos compatriotes frontaliers dont le domicile se situe, pour la plupart d'entre eux, à une distance raisonnable de leur lieu de travail.

Le niveau élevé des salaires pratiqué en Suisse , et notamment dans les branches déficitaires en main d'oeuvre, rend ces trajets supportables du fait des conditions financières d'emploi au-delà de la frontière.

Au total, et en tenant compte de l'apport de la main d'oeuvre étrangère, le taux de chômage en Suisse se situait autour de 2,5 % en 2000, soit un taux bien inférieur à celui prévalant dans les pays de l'Union européenne. D'ailleurs, il n'existe pas de mouvements analogues de travailleurs frontaliers passant de Suisse en France.

2. Les évolutions impliquées par l'accord de LCP

Cet accord prévoit que les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne disposeront, au terme d'une période de transition de douze ans, des mêmes conditions de vie, d'emploi et de travail que celles accordées aux nationaux. Les droits d'entrée, de résider, de travailler, de s'établir comme travailleur indépendant, d'étudier et de s'affilier au régime suisse de sécurité sociale sont ainsi établis.

Ces droit ne s'exerceront pas immédiatement après ratification de l'accord par tous les Etats membre de l'Union européenne, mais selon l'échéancier suivant :

- année zéro : entrée en vigueur de l'accord ;

- année deux : abolition de la préférence nationale pour l'emploi en Suisse ; les Français, comme les autres citoyens de l'Union européenne, pourront alors librement accéder aux activités salariées en Suisse, sous réserve du respect de contingents globaux prévus par l'article 10 de l'accord : les minima de nouveaux titres de séjour accordés aux travailleurs salariés et indépendants de la Communauté européenne sont fixés à 15 000 par an pour les titres de séjour d'une durée égale ou supérieure à une année, et à 115 500 pour ceux compris entre 4 mois et un an. De leur côté, les citoyens suisses disposeront d'une libre circulation dans les Etats membres de l'Union européenne ;

- année cinq : date de départ de la croissance contrôlée des autorisations de travail accordées par les autorités suisses ;

- année sept : prorogation des dispositions ci-dessus décrites pour une durée indéterminée, sauf décision contraire des parties à l'accord ; cette étape a été prévue pour permettre un éventuel référendum en Suisse sur la prolongation des accords ;

- année douze : libre circulation totale des personnes, avec une clause de sauvegarde générale, qui sera gérée par le comité mixte instauré par l'article 14 de l'accord ; ce comité sera composé de représentants de chacun des Etats membres de l'Union ainsi que de la Suisse.

Cet échéancier appelle les remarques suivantes :

* la libre circulation des personnes est soumise à une « période d'essai » située entre les années cinq à douze ;

* les travailleurs frontaliers français ne seront plus soumis, dès l'application de l'accord, à l'obligation de regagner quotidiennement leur domicile en France ; un retour hebdomadaire restera requis.

Cette liberté progressive de circulation s'accompagnera d'une égalité de traitement entre Suisses et ressortissants de l'Union européenne en matière d'emploi et de rémunération.

Ainsi, au titre des dispositions transitoires, la Suisse pourra maintenir, pendant les cinq années suivant l'entrée en vigueur du texte, des limitations quantitatives portant sur l'accès à une activité économique. La possibilité est également ouverte aux autorités suisses, après la cinquième année et jusqu'à douze années après l'entrée en vigueur de l'accord, de limiter l'accroissement éventuel du nombre de nouveaux titres de séjour délivrés.

Ces mesures de protection peuvent s'expliquer par la différence de poids démographique entre l'Union européenne et la Suisse, et par le fait qu'un plus grand nombre de demandeurs d'emploi de l'Union européenne demandent à s'installer en Suisse que l'inverse. Ces dispositions transitoires ne s'appliqueront cependant pas aux travailleurs salariés et indépendants qui, au moment de l'entrée en vigueur du texte, étaient déjà autorisés à exercer une activité économique sur le territoire suisse.

Les services du Ministère des affaires étrangères estiment que, outre une ouverture du marché du travail accompagnée d'une large reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles, l'accord de libre circulation des personnes comportera à terme des bénéfices pour les ressortissants français actifs en Suisse, dont l'amélioration de la couverture sociale, et l'accès aux prestations de sécurité sociale pour l'ensemble des personnes exerçant ou ayant exercé une activité professionnelle en Suisse, ainsi que pour leurs ayants droit.

Ce jugement n'est cependant pas totalement partagé par certains des intéressés, comme votre rapporteur l'expose ultérieurement.

3. Un accord potentiellement bénéfique pour la France, mais dont les modalités d'application ont suscité des réticences dans notre pays

a) Les apports de l'accord sur la LCP pour la France

Outre le fait que la ratification de l'accord sur la libre circulation des personnes entraînera l'application des six accords sectoriels déjà présentés, et dont certains, comme celui sur les transports terrestres, sont très attendus par la France, les bénéfices spécifiques attendus de cet accord peuvent se résumer ainsi :

- L'accès des nationaux au marché du travail suisse sera plus facile avec, à terme, un effet sur la baisse des demandeurs d'emploi, notamment dans la zone frontalière ;

- La situation du marché du travail suisse et le contrôle des conditions de salaire et de travail ne seront plus opposables aux Français souhaitant y exercer une activité professionnelle salariée après une période de deux ans ;

- Les travailleurs frontaliers et les Français exerçant une activité professionnelle de moins de 4 mois ne seront pas soumis à contingentement. Tout contingentement sera levé au terme d'une période de cinq ans.

Le Ministère des affaires étrangères a par ailleurs indiqué à votre rapporteur que l'amélioration de la protection sociale des personnes exerçant une activité professionnelle en Suisse concourra à faciliter l'accès pour les Français au marché du travail suisse. Le principe, établi par l'Accord, de l'égalité de traitement, aura en outre pour conséquence d'abolir les différences de traitement fondées sur la nationalité en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. En conséquence, dès l'entrée en vigueur de l'accord, les travailleurs français exerçant une activité économique ainsi que les membres de leurs familles, quelle que soit leur nationalité, bénéficieront du même traitement dans ces domaines que celui accordé aux travailleurs suisses, ainsi que des mêmes avantages sociaux et fiscaux.

Enfin, le droit d'acquérir un logement est prévu dans la mesure où celui-ci est lié à l'exercice des droits conférés par l'Accord. Les travailleurs frontaliers ne seront désormais plus contraints de rejoindre quotidiennement leur domicile, mais seulement de façon hebdomadaire. Ils n'auront plus à effectuer de séjour préalable dans la zone frontalière avant d'obtenir le statut de frontalier en Suisse.

Le principe directeur de cet accord est donc fondé sur une ouverture complète du marché du travail suisse aux ressortissants de l'Union européenne, au terme d'une mise en oeuvre progressive de 5 ans.

Une stricte égalité de traitement entre travailleurs suisses et travailleurs de l'Union européenne est instaurée dès l'application de l'accord : le bénéfice immédiat pour les travailleurs non-suisses consiste dans une facilité accrue en matière de mobilité professionnelle , alors qu'ils peuvent actuellement se voir opposer des quotas prévalant dans une autre branche d'activité que la leur.

Le regroupement familial bénéficie également de cette ouverture, par la plus grande facilité consentie aux conjoints et enfants d'obtenir, s'ils le souhaitent, un emploi en Suisse.

Ces bénéfices peuvent sembler de faible importance. Cependant, en considération des traits distinctifs du marché du travail helvétique, très protecteur pour ses nationaux, ils témoignent d'un effort marqué d'ouverture et de rapprochement avec les normes en vigueur dans les pays de l'Union européenne.

b) Les réticences de certains travailleurs frontaliers français

L'accord prévoit également l'harmonisation des systèmes de protection sociale entre l'Union européenne et la Suisse . La France a choisi, pour ses ressortissants, d'appliquer le règlement européen qui établit le principe général d'affiliation du travailleur frontalier sur son lieu de travail . Ceci aurait dû conduire les frontaliers français à se rattacher au régime de sécurité sociale suisse. Cette perspective a suscité chez les intéressés de vives protestations, d'autant que d'autres pays européens, comme l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, le Portugal ou la Suède avaient opté pour une dérogation, intégrée dans l'accord qu'ils ont ratifié, permettant à leurs travailleurs déjà installés ou qui s'installeraient en Suisse d'opter pour le régime de protection sociale de leur choix. Les frontaliers français se voyaient privés de cette possibilité d'option, alors qu'ils souhaitaient, dans leur majorité, continuer à être affiliés aux régimes privés d'assurances français. Face à leurs demandes de maintien du statu quo, le ministère de l'emploi et celui des affaires européennes ont confié à trois experts issus de l'Université, du CNRS et de la Cour des Comptes, un rapport sur « l'assurance maladie des frontaliers résidant en France et travaillant en Suisse », rendu public au mois d'octobre 2000. Ce rapport analyse la situation très particulière des travailleurs frontaliers français 4 ( * ) .

Il recommande, en conclusion :

* qu'une information précise soit apportée aux frontaliers par les assurances privées françaises sur la nature et les modalités de prise en charge financière des risques qu'elles couvrent ;

* que, sous cette réserve, les frontaliers actuellement clients de ces assurances privées puissent le rester ;

* que les nouveaux frontaliers devront obligatoirement s'affilier soit, en France, à la Couverture Maladie Universelle (CMU), soit au régime suisse d'assurances sociales, c'est-à-dire exercer leur choix entre deux régimes légaux obligatoires ;

* que la situation de l'ensemble des frontaliers français travaillant en Suisse soit réexaminée au terme d'un délai de transition de sept ans, pour prendre en compte l'évolution de la situation telle qu'elle découlera de l'application de l'accord de libre circulation des personnes.

Les préoccupations des frontaliers ont été rappelées par le Président de la République lors de l'adoption du projet de loi de ratification par le conseil des ministres, le 13 juin 2001.

A l'occasion du compte-rendu de ce conseil, le porte parole du Gouvernement a déclaré que le droit, pour les frontaliers français, d'opter pour le maintien de leur affiliation au régime français d'assurance-maladie et figurant dans l'annexe 2 de l'accord, leur sera ouvert dans la définition des modalités d'application qui incombera au comité mixte, composé d'un représentant de chaque Etat partie à l'accord.

Il a été alors précisé que : « Dans ce but, une concertation sera poursuivie avec les associations de frontaliers et avec les élus des départements intéressés afin de trouver les solutions les plus satisfaisantes sur ces questions d'affiliation ».

Le cadre de cette concertation doit être précisé par le Premier ministre, et rendu public dans les semaines à venir.

Ainsi pourront être conciliées la position de principe de la France, souhaitant faire prévaloir le droit commun européen affirmant l'affiliation sur le lieu de travail, et les intérêts spécifiques des travailleurs frontaliers français.

c) Les réserves des élus français des départements limitrophes

C'est le département de la Haute-Savoie qui est particulièrement soucieux de l'impact de l'accord de libre circulation des personnes sur sa population et son économie ; en effet, à la différence des autres départements frontaliers, il subit l'attraction de la grande métropole qu'est Genève, et craint d'en devenir, à terme, une sorte de « banlieue ».

Les craintes des élus de ce département sont synthétisées dans l'annexe 3 du présent rapport.

Ils déplorent l'absence de mesures d'accompagnement du gouvernement français, alors que le gouvernement de Berne a, lui, adopté certaines dispositions visant à pallier d'éventuelles conséquences négatives de l'application des accords sectoriels. Ces mesures préventives touchent deux domaines : l'impact de l'accord sur les transports terrestres, et celui sur la libre circulation des personnes.

* S'agissant des transports terrestres, le gouvernement suisse accompagne l'ouverture accrue de son territoire au transit routier par la réalisation accélérée de deux tunnels destinés à augmenter les possibilités de ferroutage entre l'Allemagne et l'Italie. 5 ( * )

* S'agissant des salaires de ses nationaux, dont le niveau élevé pourrait fléchir avec l'arrivée en plus grand nombre d'une main-d'oeuvre européenne, le gouvernement a élaboré un projet de législation visant à établir un salaire minimal, projet qui serait soumis à l'approbation du Parlement fédéral en cas de chute importante des salaires .

Il serait souhaitable que, de façon symétrique, le gouvernement français procède à une concertation élargie sur l'impact de l'accord de libre circulation des personnes dans les zones frontalières françaises susceptibles d'en ressentir certaines conséquences négatives.

* 4 Cf. Annexe n° 2.

* 5 Voir Annexe n° 5.

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