IV. DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ FRAGILISÉS

A. LA SITUATION PRÉOCCUPANTE DES HÔPITAUX

1. L'application problématique de la réduction du temps de travail aux hôpitaux publics

La réduction du temps de travail s'appliquera dans les hôpitaux à compter du 1 er janvier 2002.

Un protocole d'accord sur la réduction du temps de travail dans la fonction publique hospitalière a été signé le 27 septembre 2001 par Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, et quatre organisations syndicales (CFDT, UNSA, SNCH, CFE-CGC). La CGT, FO-SUD et la CFTC ne l'ont pas paraphé.

Le document constitue un « protocole de cadrage national », permettant l'ouverture des négociations dans chaque centre hospitalier. La durée du travail effectif est fixée à 35 heures par semaine. Le décompte du temps de travail s'effectue en principe sur la base d'une durée annuelle de travail effectif de 1.600 heures maximales, mais le décompte individuel du temps de travail permet de faire descendre ce plafond, grâce à la reconnaissance de sujétions particulières (pour les personnels à repos variable par exemple : 1.575 heures). Le personnel de nuit passera à 32 heures 30 par semaine à partir de 2004. Les agents bénéficient d'heures ou de jours de repos supplémentaires au titre de la RTT (réduction du temps de travail), dans la limite de 20 jours par an, en proportion de leur durée hebdomadaire de travail effectif.

Afin d'assurer la mise en oeuvre des 35 heures hebdomadaires dès le 1er janvier 2002, les établissements auront à leur disposition deux outils :

- les heures supplémentaires : le contingent d'heures supplémentaires mensuelles est de 20 heures jusqu'à 2004 compris, puis passera à 15 heures en 2005, et à 10 heures en 2006. Les cadres peuvent opter entre le régime du décompte horaire et le décompte en jours, avec 20 jours de RTT. Les personnels de direction bénéficient d'un décompte en jours (204 jours travaillés) et de 20 jours de RTT.

- le compte épargne-temps : un compte épargne-temps est mis en place, alimenté au choix de l'agent par des jours de congés annuels ou de RTT non pris et des heures supplémentaires non récupérées et non indemnisées. Celui-ci sera opérationnel dès le 1er janvier 2002. Les agents épargnant du temps ne pourront l'utiliser qu'à partir de 2004 compte tenu des modalités d'alimentation du compte épargne.

Dans la mesure où la durée du travail du personnel hospitalier est fixée par la loi (ordonnance n° 82-272 du 26 mars 1982), l'application du protocole de cadrage nécessite une intervention du législateur : c'est l'objet de l'article 17 du présent projet de loi.

En outre, un accord portant sur la réduction du temps de travail a également été signé le 22 octobre 2001 entre le ministère et les quatre syndicats de praticiens hospitaliers (PH) : l'intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), la confédération des hôpitaux généraux (CHG), la coordination médicale hospitalière (CMH) et le syndicat national des médecins chirurgiens, spécialistes et biologistes des hôpitaux publics (SNAM-HP).

Le Gouvernement a pris la décision de créer 45.000 emplois spécifiques pour la réduction du temps de travail dans la fonction publique hospitalière (757.000 agents).

Cette décision est sans équivalent dans le reste de la fonction publique : dans la fonction publique d'Etat, la réduction du temps de travail devra se mettre en place à moyens humains constants. Cette « générosité » du Gouvernement s'explique peut-être par le fait que les 45.000 emplois créés seront en réalité financés par l'assurance maladie et non par l'Etat. Votre rapporteur constate une nouvelle fois que si l'Etat sait préserver ses intérêts, il se montre volontiers dispendieux avec l'argent de la sécurité sociale...

Il est en effet paradoxal que l'assurance maladie, qui constitue la branche déficitaire par excellence, se voit ponctionnée à un double titre pour assurer le financement des « 35 heures » : par les 8 milliards de francs de recettes qu'elle abandonne en 2002 au FOREC et par la charge financière -10 milliards de francs en année pleine- qu'elle va supporter au titre des emplois créés dans les hôpitaux.

La plupart des recrutements concerneront les personnels paramédicaux. Les 45.000 emplois devraient être pourvus sur les trois années 2002 à 2004.

En 2002, le Gouvernement s'est engagé à pourvoir 12.300 emplois, soit 27,5 % du total des créations. Plus précisément, les recrutements se feront tout au long de l'année et doivent atteindre 40 % des créations d'emplois fin 2002, puis 80 % en fin d'année 2003. L'année 2004 concernera la réduction du travail de nuit et le solde des emplois soit 9.000.

Lors des nombreuses auditions auxquelles il a procédé, votre rapporteur a pu constater que tous les acteurs du monde hospitalier s'accordaient à souligner les difficultés considérables qu'allait entraîner la mise en place de la réduction du temps de travail dans les établissements hospitaliers. Chacun se demande en effet comment pourront s'effectuer ces recrutements massifs, alors même qu'un grand nombre de postes sont aujourd'hui vacants.

2. Des moyens financiers supplémentaires qui ne sont pas à la hauteur des enjeux

En 2002, la part de l'ONDAM attribuée aux hôpitaux progressera de 4,8 % à 43,18 milliards d'euros (283,2 milliards de francs) dont 1,2 %, soit 500 millions d'euros (3,3 milliards de francs), sera consacré au financement des créations d'emplois.

La Fédération hospitalière de France (FHF) avait demandé que l'on compense aux établissements hospitaliers la charge supplémentaire que représente le passage aux « 35 heures » par la suppression de la taxe sur les salaires que ceux-ci acquittent. La taxe sur les salaires représente environ 11 milliards de francs pour les hôpitaux, soit un montant proche du coût en année pleine des créations d'emplois liées à la RTT. En outre, sa suppression aurait représenté un effort financier de l'Etat comparable à celui qui a été consenti dans le secteur privé au travers des différentes aides de l'Etat.

Cette solution n'a naturellement pas été retenue par le Gouvernement puisqu'elle aurait privé l'Etat d'une recette. Le choix qui a été effectué vise au contraire à augmenter les dépenses des hôpitaux, lesquelles sont financées par l'assurance maladie...

Pour sa part, la FHF évaluait les besoins 2002 à :

- + 8,32 % dans l'hypothèse où la RTT ne pourrait être financée par la suppression de la taxe sur les salaires, en supposant que la RTT ne s'applique à compter de 2002 que pour le personnel non médical, et à + 9,10 % sinon ;

- + 4,20 % dans l'hypothèse d'une suppression de la taxe sur les salaires.

Le taux d'évolution de 4,20 %, hors impact de la RTT, peut paraître relativement élevé. Il est cependant pour une large part prédéterminé :

- 2,09 % (soit 50 % des 4,20 %) correspondent à des mesures relatives au personnel décidées par le Gouvernement : c'est le cas notamment de la revalorisation du point indiciaire, des protocoles sur les filières et de l'augmentation de la cotisation au Fonds pour l'emploi hospitalier, qui fait l'objet de l'article 18 du projet de loi ;

- 0,67 % (soit 16 % des 4,20 %) correspondent à des effets purement mécaniques liés au GVT.

Ainsi, au total, les mesures obligatoires dont la mise en oeuvre s'impose aux responsables hospitaliers sans que ces derniers puissent disposer d'aucune marge d'appréciation, représentent à elles seules un taux d'évolution de 2,76 %, soit 66 % de l'évolution budgétaire totale proposée.

De plus, les hôpitaux sont confrontés à une forte augmentation du poste des dépenses médicales (médicament, dispositifs médicaux et fournitures médicales), lequel devrait continuer à progresser sensiblement au cours des prochaines années en raison notamment de l'augmentation sensible des tarifs des produits sanguins labiles et de l'impact des innovations et de la généralisation des traitements et techniques coûteux.

Enfin, de nombreuses études confirment le retard important des hôpitaux publics dans le domaine de l'investissement. Une mise à niveau exigerait un financement complémentaire pluriannuel de plusieurs dizaines de milliards. Ces opérations de modernisation paraissent aujourd'hui prioritaires au regard notamment :

- du retard de la France dans le domaine des équipements biomédicaux de pointe. C'est le cas par exemple des IRM pour lesquels les délais d'accès varient de 9 jours à 1 an suivant les établissements publics qui ont été sondés. Avec un taux d'équipement de 3 à 4 appareils par million d'habitants, la France demeure loin derrière le Japon, les Etats-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Le cas de la tomographie par émission de positions, qui est souvent cité par les professionnels de santé, constitue un autre exemple du retard inquiétant de la France en matière d'équipements lourds et de diffusion des nouvelles technologies ;

- des exigences de sécurité et de qualité (vétusté des bâtiments, ...), parallèlement à la mise en conformité nécessaire des biens et équipements aux normes réglementaires.

Dans ce contexte, confronté à la « grogne » d'une partie de sa majorité plurielle, qui menaçait de ne pas voter le projet de loi si des efforts supplémentaires n'étaient pas dégagés en faveur de l'hôpital, le Gouvernement a été contraint de mobiliser en urgence près de 4 milliards de francs supplémentaires pour les établissements hospitaliers.

Se refusant à augmenter la dotation hospitalière incluse dans l'ONDAM 2002, il a été obligé de recourir à des expédients peu glorieux, mobilisant les différents fonds hospitaliers existants.

Ainsi, ce plan de soutien aux établissements hospitaliers sous dotation globale est composé, selon le Gouvernement, de 3 milliards de francs de crédits supplémentaires et de 900 millions de francs « d'accélération de crédits déjà existants » .

Selon le Gouvernement, les 3 milliards de crédits nouveaux se décomposeraient comme suit :

- 1 milliard sur la dotation globale 2001 ; ces crédits supplémentaires ne seront pas reconductibles ;

- 1 milliard au titre du fonds de modernisation des établissements de santé (FMES) en 2002 ;

- 1 milliard au titre du fonds de modernisation des hôpitaux (FIMHO), lequel est financé sur les crédits santé du ministère de l'emploi et de la solidarité.

Vient s'ajouter en outre, selon le Gouvernement, l'accélération des 900 millions de francs disponibles au titre du FMES 2001.

La présentation choisie par le Gouvernement est naturellement très avantageuse et a pour objectif de « gonfler » au maximum les enveloppes ainsi dégagées.

En réalité, l'effort nouveau effectif en faveur des hôpitaux est beaucoup plus réduit. La loi de financement pour 2001 prévoyait déjà un abondement de 300 millions de francs pour le FMES en 2001 : l'effort supplémentaire n'est donc que de 300 millions de francs. Les 900 millions de francs auxquels se réfère le Gouvernement comprennent les 300 millions de francs du solde excédentaire du FMES au début de l'exercice 2001.

En 2002, l'effort supplémentaire pour le FMES n'est que de 500 millions de francs, puisque l'article 15 du projet de loi prévoyait déjà une dotation similaire pour 2002.

Enfin, il faut attendre l'examen des crédits de la santé par l'Assemblée nationale, le 12 novembre prochain, pour avoir une idée plus précise des crédits dégagés au titre du FIHMO : ce fonds a en effet la particularité d'être toujours richement doté en autorisations de programme (AP) et très chichement en crédits de paiement (CP). Ainsi, le projet de loi de finances initiale pour 2002 prévoit, avant examen par l'Assemblée nationale, 300 millions de francs d'AP et aucun CP ! Dès lors, on peut légitimement se demander si le milliard promis au FIMHO sera réel (CP) ou virtuel (AP).

Au total, l'effort supplémentaire certain repose uniquement sur l'assurance maladie et ne représente à ce titre que 1,8 milliard de francs, qui se décomposent ainsi :

- 300 millions de francs pour le FMES 2001 ;

- 500 millions de francs pour le FMES 2002 ;

- 1 milliard de francs pour la dotation globale 2001.

L'effort total n'atteindrait donc, dans le meilleur des cas, c'est-à-dire si le FIMHO bénéficiait de 1 milliard de francs en crédits de paiement, que 2,8 milliards de francs.

Le plan de soutien du Gouvernement aux hôpitaux ne représente in fine qu'une somme comprise entre 1,8 et 2,8 milliards de francs.

L'habileté politique de la ministre est réelle, qui a su convaincre le groupe communiste de l'Assemblée nationale que près de 4 milliards de francs supplémentaires avaient été dégagés... Il est clair que la multiplication des fonds, qui parcellisent le financement de la sécurité sociale, permet assez aisément de telles opérations qui reviennent in fine à comptabiliser deux fois les mêmes sommes : Mme Guigou a ainsi pu annoncer qu'elle débloquait de nouveaux moyens, lesquels avaient déjà été votés par le Parlement lors de la précédente loi de financement !

Dès le lundi 29 octobre à 9 heures 30, Mme Elisabeth Guigou réunissait d'ailleurs les directeurs d'agence régionale de l'hospitalisation (ARH) afin de décider de l'affectation dans les hôpitaux publics des dotations supplémentaires votées par l'Assemblée nationale le vendredi 26 octobre, et ce alors même que le Sénat ne s'était pas prononcé sur les dispositions en question et que l'Assemblée nationale n'avait pas encore adopté l'ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Votre commission considère pour sa part que la répartition impromptue de ces dotations par la ministre relève d'une précipitation et d'une fébrilité qui font peu de cas du respect des droits du Parlement et des principes qui régissent nos finances publiques.

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