Rapport n° 177 (2001-2002) de M. Philippe RICHERT , fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 23 janvier 2002

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N° 177

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 janvier 2002

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1), sur la proposition de loi de M. Nicolas ABOUT autorisant la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman , dite « Vénus hottentote » à l' Afrique du Sud ,

Par M. Philippe RICHERT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Xavier Darcos, Ambroise Dupont, Pierre Laffitte, Mme Danièle Pourtaud, MM. Ivan Renar, Philippe Richert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Philippe Nogrix, Jean-François Picheral, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Jean Arthuis, François Autain, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Louis Carrère, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Fernard Demilly, Christian Demuynck, Jacques Dominati, Jean--Léonce Dupont, Louis Duvernois, Daniel Eckenspieller, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Jean François-Poncet, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Marcel Henry, Jean-François Humbert, André Labarrère, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Pierre Martin, Jean--Luc Miraux, Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jack Ralite, Victor Reux, René-Pierre Signé, Michel Thiollière, Jean-Marc Todeschini, Jean-Marie Vanlerenberghe, Marcel Vidal, Henri Weber.

Voir le numéro :

Sénat : 114 (2001-2002)

Culture.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi déposée par notre collègue Nicolas About vise à procéder à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, dite « Vénus hottentote », à la République sud-africaine.

Cette femme issue de l'ethnie sud-africaine des « hottentots », désormais désignée par les anthropologues par le terme de « Khoisan », a connu au début du XIXe siècle un sort funeste.

Capturée dans son enfance après le massacre de sa famille, puis réduite en esclavage par un fermier hollandais installé près du Cap, elle fut emmenée en 1810, alors âgée d'une vingtaine d'années, par un marin britannique à Londres pour y être exhibée sous le nom de « Vénus hottentote », surnom inspiré par ses particularités physiques, dont il fut fait une description au demeurant fort exagérée pour attiser la curiosité du public. Cette exhibition sordide se poursuivit à Paris où, au delà du succès populaire que, comme en Grande-Bretagne, elle rencontra, elle éveilla également l'intérêt de la communauté scientifique, à l'image d'autres « hottentotes » présentées dans des conditions similaires au XIXe siècle dans différents pays européens.

Après l'avoir observée de son vivant, le Muséum national d'histoire naturelle se fit remettre, à sa mort, son corps qui, avant d'être disséqué, fit l'objet d'un moulage. Aujourd'hui figurent encore dans les collections du Musée de l'Homme son squelette monté et le moulage en plâtre de sa dépouille mortelle, les pièces anatomiques prélevées lors de la dissection ayant en revanche, semble-t-il, été accidentellement détruites.

Le défaut d'intérêt scientifique de ces pièces est aujourd'hui avéré. Quant à l'exposition au public du moulage et du squelette de la Vénus, qui ne cessa qu'en 1976, elle fit l'objet de nombreux commentaires, accusant les responsables du Musée de l'Homme d'alimenter ainsi la fascination malsaine qu'exerça cette femme de son vivant et de continuer à donner du crédit à des thèses scientifiques aujourd'hui récusées.

Ces commentaires ont été relayés par l'apparition en Afrique du Sud de revendications visant à réclamer à la France les restes de cette femme.

Votre rapporteur se félicite que l'inscription de la proposition de loi à l'ordre du jour de notre assemblée constitue pour votre commission l'occasion de lever le voile sur des dysfonctionnements administratifs préoccupants. Elle déplorera qu'aux questions soulevées par le Sénat, des réponses contradictoires aient été apportées par le gouvernement alors que cette affaire aurait pu être réglée très simplement et, en tout état de cause, ne méritait pas cette mauvaise publicité.

L'accumulation de ce qu'il faut bien qualifier de bévues, a appelé de la part de votre commission des observations sévères, qui l'ont conduit à apporter une réponse à une affaire que, jusqu'à présent, les autorités administratives n'ont pas voulu ou pas su traiter.

I. LES DEMANDES DE RESTITUTION DE L'AFRIQUE DU SUD DES RESTES DE SAARTJIE BAARTMAN ET LA POSITION ATTENTISTE DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS

• Un mouvement d'opinion

L'exposé des motifs de la proposition de loi souligne que « longtemps présentée comme un exemple de l'infériorité africaine, Saartjie Baartman est devenue, dans son pays, le symbole de l'exploitation et de l'humiliation vécues par les ethnies sud-africaines, pendant la douloureuse période de la colonisation ». Son auteur indique également que « depuis plusieurs années, le gouvernement sud-africain réclame à la France la restitution des restes de cette femme, afin qu'elle puisse recevoir les honneurs de son peuple et reposer, en paix, dans une sépulture décente ».

En effet, au cours des dernières années, s'est manifesté au sein de la société sud-africaine un mouvement en faveur de la restitution de la dépouille de Saartjie Baartman.

Ces revendications émanent essentiellement de l'organisation représentant les descendants des khoisans, la conférence nationale Griqua, qui par la voie de sa présidente, a exprimé une demande en ce sens, s'adressant par voie de presse au gouvernement français. On soulignera que les anciennes tribus aborigènes hottentote (khoi) et bochiman (san), pourchassées depuis le XVIIIe siècle jusqu'au début du XXe siècle, ne regroupent aujourd'hui que quelques milliers d'individus vivant dans le désert du Kalahari, mais également pour nombre d'entre eux en Namibie et connaissent, pour la plupart, des conditions de vie très précaires.

Ce mouvement d'opinion qui fait régulièrement l'objet de campagnes de presse a été également appuyé, semble-t-il, par des universitaires sud-africains dans la perspective de la relecture de l'histoire de ce pays à la suite de l'abolition du régime d'apartheid.

• Une question déjà évoquée au niveau gouvernemental

La question de la restitution des restes de Saartjie Baartman a été évoquée lors de rencontres au niveau gouvernemental entre la France et l'Afrique du Sud.

Répondant à une question orale sans débat de notre collègue Nicolas About à Mme la ministre de la culture et de la communication sur la « nécessaire restitution des restes de Saartjie Baartman », M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, a d'ailleurs indiqué le 6 novembre 2001 que « des représentants de l'Afrique du Sud ont demandé le retour des restes de miss Saartjie Baartman conservés au Muséum national d'histoire naturelle ».

On sait notamment que cette question a été soulevée lors de la visite officielle en Afrique du Sud de M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération, en janvier 1996, dans le cadre d'un entretien avec le Dr Ngubane, ministre des arts, de la culture, de la science et de la technologie. Il avait été alors convenu de confier à deux scientifiques, M. Henri de Lumley, directeur du laboratoire de préhistoire au Muséum national d'histoire naturelle, et M. Philip Tobias, professeur au département des sciences anatomiques à l'université de Witwatersrand à Johannesburg, une étude afin de se prononcer sur la possibilité d'une restitution et d'en définir les modalités. L'échange de correspondances entre ces deux scientifiques ne permit pas de dégager une solution susceptible de faire l'objet d'un accord entre la France et l'Afrique du Sud.

En revanche, la restitution des restes de Saartjie Baartman ne semble pas avoir été évoquée lors des déplacements en Afrique du Sud, respectivement en 1998 et en 2001, du Président de la République et du Premier ministre.

• La position du gouvernement français

D'après les informations communiquées à votre rapporteur, le ministère français des affaires étrangères considère qu'« aucune démarche officielle du gouvernement sud-africain n'a récemment attesté de la mobilisation de ces autorités sur ce dossier », et observe qu'il pourrait « sembler paradoxal que la restitution s'effectue sur la base d'une démarche française non relayée actuellement par l'Afrique du Sud ».

Autrement dit, le gouvernement estime qu'il n'est pour l'instant saisi d'aucune demande... et qu'il est urgent d'attendre.

Or, votre rapporteur a eu communication par l'ambassadeur de la République d'Afrique du Sud en France d'une lettre que lui a adressée M. Ngubane, ministre sud-africain des arts, de la culture, de la science et de la technologie, par laquelle ce dernier indique que l'Afrique du Sud continue à souhaiter la restitution des restes de Saartjie Baartman et lui demande de faire connaître cette position au gouvernement français sur une question qui n'a, selon lui, que trop duré.

Il semble donc bien que la réponse qu'a faite le gouvernement à votre rapporteur ne soit plus de mise, à moins que l'on veuille ajouter aujourd'hui un imbroglio diplomatique à des bévues administratives.

II. UNE AFFAIRE QUI FAIT APPARAÎTRE DE GRAVES DYSFONCTIONNEMENTS ADMINISTRATIFS : OÙ L'INCOMPÉTENCE LE DISPUTE À L'ABSURDE

La réponse apportée par le gouvernement à la question de l'éventuelle restitution des restes de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud fait apparaître une incertitude sur leur régime juridique.

Au delà, elle pose la question de leur présence dans les collections du Muséum national d'histoire naturelle.

Enfin, elle fait apparaître de graves lacunes dans la gestion de ces collections.

A. LES HÉSITATIONS DU GOUVERNEMENT SUR LE STATUT JURIDIQUE DES RESTES DE SAARTJIE BAARTMAN

Dans sa réponse à la question orale de notre collègue Nicolas About, M. Michel Duffour a indiqué que la restitution des restes de Saartjie Baartman se heurtait à des obstacles juridiques.

Le secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle a en effet indiqué que les restes de Saartjie Baartman « font partie des collections nationales lesquelles, selon la loi française, sont inaliénables ». Pour cette raison, il considérait que « seule une loi pourrait permettre son rapatriement exceptionnel ».

Cette interprétation était contestable, puisqu'elle semblait exclure la possibilité que ces restes puissent être déclassés -par exemple en invoquant conjointement leur défaut d'intérêt scientifique, la nécessité de mettre fin à la « mauvaise publicité » que constituent les polémiques récentes liées au dossier de la « Vénus hottentote » et l'intérêt de pouvoir répondre, le cas échéant, à une demande de restitution émanant de son pays d'origine, une telle restitution étant possible après déclassement aux termes de l'article L. 69-1 du code du domaine de l'Etat.

Quoiqu'il en soit, il semble que l'administration n'invoque plus, désormais, l'appartenance au domaine public des restes de Saartjie Baartman.

Interrogé sur ce point par votre rapporteur, le gouvernement lui a communiqué une note aux termes de laquelle s'appliqueraient aux restes de Saartjie Baartman les dispositions du code civil issues de la loi « bioéthique » de 1994. En vertu de cette interprétation, ces restes ne pourraient, en application de l'article 16-1 du code civil, faire l'objet d'un droit patrimonial.

Ils ne pourraient dès lors être regardés comme la propriété du Muséum -qui en serait le « gardien »- ni comme celle de l'Etat, et leur restitution ne pourrait se fonder sur les règles de la domanialité publique qui régissent les collections publiques, même s'il est affirmé, de façon quelque peu contradictoire, que « l'inclusion d'une pièce insusceptible de propriété dans une collection publique n'est aucunement irrégulière, dès lors qu'elle est scientifiquement motivée ».

En conclusion de cette analyse un peu surprenante, les auteurs de la note concluent qu'il appartient aux autorités administratives d'apprécier s'il convient « de séparer ces restes humains de la collection publique considérée », étant par ailleurs indiqué que le ministère de la recherche n'exclut pas leur restitution, « sous réserve notamment d'une preuve de l'intérêt des autorités sud-africaines ».

Il n'est toutefois pas précisé, étant donné que les restes de Saartjie Baartman ne pourraient, en vertu de cette interprétation, appartenir ni à l'Etat français ni à l'Etat sud-africain, comment le premier pourrait les restituer au second.

En tout cas, l'hypothèse de l'application aux restes humains conservés dans des collections scientifiques des dispositions des articles 16 et suivants du code civil soulève un certain nombre de problèmes. Par exemple, la soustraction de ces collections ne pourrait-elle être poursuivie et réprimée comme un vol ?

Certes, il convient d'abord de s'interroger sur le bien fondé d'une telle hypothèse. On doit en effet rappeler que la loi « bioéthique » avait pour objet d'interdire qu'il soit porté atteinte à la dignité humaine, notamment en faisant commerce d'organes ou d'éléments du corps humain prélevés sur des êtres vivants ou sur des cadavres et non de définir le statut des restes humains conservés dans des collections scientifiques -de même que les textes réprimant les destructions de sépulture n'ont pas vocation à interdire la fouille archéologique d'un tombeau gallo-romain ou d'un site préhistorique.

Et si, néanmoins, le gouvernement considérait que les dispositions de la loi de 1994, il est vrai rédigées en termes très généraux, s'appliquent aux restes humains conservés dans des collections scientifiques, il conviendrait sans doute de clarifier toutes les conséquences de cette interprétation.

B. LES QUESTIONS SOULEVÉES PAR LA PRÉSENCE DE CES PIÈCES DANS LES COLLECTIONS DU MUSÉUM NATIONAL D'HISTOIRE NATURELLE

Votre commission s'est interrogée sur la présence de ces restes dans les collections du Muséum alors que leur absence d'intérêt scientifique est manifeste, et cela depuis leur incorporation en leur sein.

• Comment la « Vénus hottentote » est entrée dans les collections nationales...

Afin de clarifier la polémique suscitée par le sort réservé par les institutions muséographiques françaises aux restes de Saartjie Baartman, votre rapporteur procédera à un bref rappel historique.

C'est à l'initiative d'Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, administrateur et professeur du Muséum national d'histoire naturelle et Georges Cuvier, professeur d'anatomie comparée au sein de cette même institution, que les restes de sa dépouille mortelle et son moulage sont entrés dans les collections nationales.

Averti par Henry Taylor, son « impresario », dès leur arrivée en France au début de 1814, le Muséum national d'histoire naturelle a en effet manifesté son intérêt pour l'observation des caractéristiques physiques de cette femme, qui, après avoir été montrée comme une bête de foire à Londres puis de manière itinérante à travers la Grande-Bretagne, subissait un sort comparable à Paris : elle était alors exhibée par un certain Réaux, exerçant l'activité de montreur d'animaux. Dans une lettre adressée au chef de la première direction de la police de Paris, Etienne Geoffroy Saint-Hilaire exprima le souhait du Muséum de « profiter de la circonstance (offerte par) la présence à Paris d'une femme bochimane pour donner avec plus de précision qu'on ne l'a fait jusqu'à ce jour les caractère distinctifs de cette race curieuse ».

Force est de constater que l'intérêt scientifique témoigné à cette femme n'avait pas d'autre objet que celui qui suscita la curiosité populaire : les particularités physiques proclamées -et d'ailleurs très exagérées comme en témoigne au demeurant le moulage- de cette femme, à savoir une stéatopygie et la conformation de ses organes sexuels.

Alors même que ses exhibitions rencontraient un grand succès populaire dont témoigne d'ailleurs la création d'un vaudeville intitulé « La Vénus hottentote », Saartjie Baartman fut, au printemps 1815, un an après son arrivée à Paris, présentée au Jardin des Plantes et observée par des scientifiques mais également par des peintres qui firent son portrait. Ces observations furent notamment conduites par Georges Cuvier et Etienne Geoffroy Saint-Hilaire.

Cet intérêt justifia qu'à la mort de la malheureuse, Etienne Geoffroy Saint-Hilaire demande au préfet de police que son « corps soit porté aux laboratoires d'anatomie du « Muséum d'histoire naturelle » et puisse devenir asile aux progrès des connaissances humaines ». Pour ce scientifique, il s'agit là de « l'occasion d'acquérir de nouveaux renseignements sur cette race singulière de l'espèce humaine» et non pas bien sûr d'établir les causes de son décès.

Alors qu'une ordonnance impériale n'autorisait de telles opérations qu'à la faculté de médecine et à l'hôpital de la Pitié, la dissection du corps a été effectuée au laboratoire d'anatomie du Muséum par Georges Cuvier qui se livra alors à l'examen des particularités physiques à l'origine de la funeste destinée de cette femme. Après avoir exécuté un moulage de la dépouille mortelle, Cuvier préleva ses organes génitaux et son cerveau, destinés à être conservés dans des bocaux, ainsi que le squelette.

Les observations effectuées lors de la dissection ont fait l'objet d'une communication de Georges Cuvier devant l'Académie de médecine.

La description donnée du corps de Saartjie Baartman est faite dans des termes qui exigent de se replacer dans le contexte de l'époque et a essentiellement pour objet d'établir des comparaisons entre ses caractères physiques et celles observées chez certains animaux. Toutefois, il reconnaît lui-même la faible portée scientifique puisqu'il note : « pour tirer des (remarques) que je viens d'exposer, quelques conclusions valables relativement aux variétés de l'espèce humaine, il faudrait déterminer jusqu'à quel point les caractères que j'ai reconnus sont généraux dans le peuple des Bochimans » 1 ( * ) .

• ... et comment elle y est restée

On rappellera que les restes de Saartjie Baartman -du moins son squelette- et le moulage de sa dépouille mortelle ont été conservés au Muséum national d'histoire naturelle et présentés au public au Jardin des Plantes puis au Musée de l'Homme où ils ont été transférés lors de sa fondation en 1937.

Votre commission s'est étonnée qu'en dépit de son absence manifeste d'intérêt scientifique -souligné au demeurant par ses propres responsables, la « Vénus hottentote » ait été conservée au Muséum et présentée au public jusqu'à une date récente.

Interrogé dans le cadre d'un documentaire 2 ( * ) diffusé à deux reprises sur France 3, le professeur Langanay, directeur du laboratoire d'anthropologie biologique du Muséum, indiquait que le squelette de Saartjie Baartman « n'est rien d'autre que le squelette d'une femme de petite taille » et qualifiait de « raciste » la dissection effectuée par Georges Cuvier.

Les conceptions qui inspirèrent les observations formulées à l'époque de Cuvier et de Geoffroy Saint Hilaire n'ont heureusement désormais plus cours. On comprend donc d'autant plus mal les réticences exprimées par le Muséum à se défaire de ces pièces.

Comme l'a indiqué un responsable des collections du Musée de l'Homme à votre rapporteur, aucune des caractéristiques de ce squelette ne justifie sa présence dans ces collections.

On voit mal comment dans ces conditions cette pièce pourrait contribuer « aux travaux sur la vie et la culture du peuple San », que M. Michel Duffour a estimé souhaitable de conduire en collaboration avec des scientifiques sud-africains « pour marquer tout l'intérêt et la considération que la France porte à ce problème ».

Les études génétiques, dont l'opportunité est invoquée par certains, pourraient au demeurant être réalisées préalablement à la restitution. Toutefois, votre rapporteur émettra des doutes sur l'utilité de telles recherches si elles sont limitées à une seule représentante de l'ethnie khoisan. A supposer même que l'étude de ce squelette présente un intérêt scientifique, il serait envisageable de conserver sous une autre forme les informations qu'il recèle et de le rendre à l'Afrique du Sud.

Les conditions de sa présentation au public soulèvent également bien des interrogations.

Le squelette et le moulage ont été présentés au public au Jardin des Plantes puis au Musée de l'Homme. Ces pièces étaient exposées parmi d'autres squelettes, moulages et photographies d'humains de tous les continents dans l'ancienne galerie d'anthropologie physique du Musée de l'Homme d'où elles ont été retirées en 1974 pour être rentrées dans les réserves.

Toutefois, sur décision du directeur alors en fonction, le moulage a été remis temporairement dans la salle de préhistoire « à la demande du public » avant qu'en 1976, à la cessation des fonctions de ce dernier, le directeur du laboratoire d'anthropologie biologique du Muséum national d'histoire naturelle ne le fasse à nouveau rentrer dans les réserves.

Le squelette et le moulage figurent toujours sur les inventaires des collections et sont conservés dans des conditions relativement satisfaisantes, autant que votre rapporteur ait pu en juger.

On relèvera que le moulage fut à nouveau présenté au public en 1994 à la demande de Mme Françoise Cachin, alors directeur du musée d'Orsay, dans le cadre d'une exposition consacrée à la sculpture anthropologique au XIXe siècle 3 ( * ) . D'après les éléments transmis à votre rapporteur par le Muséum, cette présentation qui a duré quelques mois à Paris, puis trois mois à Arles, s'effectua contre l'avis du directeur du laboratoire d'anthropologie biologique.

Depuis lors, ces pièces n'ont pas été présentées au public et leur accès est limité aux personnes autorisées par le directeur général du Muséum sur recommandation de l'ambassade d'Afrique du Sud.

C. DES LACUNES INQUIÉTANTES DANS LA GESTION DES COLLECTIONS DU MUSÉUM

Le sort réservé aux restes de Saartjie Baartman fait également apparaître des négligences administratives difficilement excusables.

En effet, s'agissant des bocaux contenant les restes prélevés à l'occasion de l'autopsie, il a été répondu à votre rapporteur, qui a interrogé les responsables du Muséum sur ce point,  qu'aucun inventaire n'en faisait mention.

Leur existence ne semble attestée que par des souvenirs transmis oralement par les responsables successifs de la conservation des collections. L'anthropologue Steve J. Gould raconte également avoir vu un des bocaux contenant les restes de Saartjie Baartman sur une étagère au Musée de l'Homme, juste au dessus du cerveau de Broca 4 ( * ) .

D'après les indications fournies par le Muséum, ces pièces n'auraient jamais été présentées au public.

Par ailleurs, le sort qu'elles ont connu ne semble pas pouvoir être établi avec certitude : selon le témoignage d'un agent du Musée de l'Homme en fonction alors, elles auraient pu être détruites dans un accident survenu en 1983 ou en 1984 -la date restant imprécise-, l'étagère de l'armoire métallique les abritant s'étant effondrée.

Cette réponse qui se réduit à une simple supposition est préoccupante, s'agissant de pièces figurant dans des collections et de surcroît de restes humains.

Ces péripéties qui confinent à l'absurde révèlent d'inquiétantes lacunes dans la gestion des collections du Muséum, lacunes qui ne se réduisent malheureusement pas à ce cas isolé.

L'absence d'inventaire fiable comme les mauvaises conditions de conservation constituent le lot commun des collections d'anthropologie du Musée de l'Homme. D'après les témoignages recueillis par votre rapporteur, il semble notamment que les collections de momies ne bénéficient pas d'un traitement adéquate faute des locaux et d'équipements adaptés et qu'il vaudrait encore mieux procéder à leur restitution.

La proposition de loi est l'occasion de mettre en lumière une situation déplorable à biens des égards, situation à laquelle le gouvernement doit apporter des réponses.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

• Des atermoiements auxquels il convient de mettre fin

Votre commission a estimé nécessaire de rappeler les atermoiements et les incohérences qui ont présidé au traitement de ce dossier qui sont de nature à porter atteinte au crédit international d'un établissement public aussi prestigieux que le Muséum national d'histoire naturelle.

Votre rapporteur ne pourra que regretter cette accumulation de faux-pas susceptibles d'être interprétés comme le signe d'une opposition de fond du gouvernement français à la restitution de la dépouille de la « Vénus hottentote », position qui est d'autant plus difficilement compréhensible que les autorités sud-africaines ont formulé une demande en ce sens.

On peut donc se féliciter que le Président About, d'abord par une question orale du 6 novembre 2001, puis par le dépôt de la présente proposition de loi, ait cherché à attirer l'attention du Parlement sur ce dossier et, surtout, à trouver une issue honorable à une affaire navrante.

Certes, l'examen du dossier auquel s'est livré votre rapporteur permet de conclure que le gouvernement et l'administration n'avaient aucun besoin du concours du législateur pour traiter le dossier.

Il n'est en effet besoin d'une loi ni pour sortir les restes de la « Vénus hottentote » des collections du Muséum -dans lesquelles il est d'ailleurs permis de penser qu'ils n'auraient jamais dû entrer- ni pour permettre une restitution de ces restes à l'Afrique du Sud.

Votre rapporteur aurait donc aimé croire qu'il suffisait de rappeler au gouvernement ses compétences et ses responsabilités pour obtenir enfin qu'il prenne les dispositions nécessaires, d'une part, pour retirer le squelette de Saartjie Baartman des collections du Muséum, dans lesquelles son intégration constitue un perpétuel rappel des raisons contestables pour lesquelles il y est entré, de l'exposition tout aussi contestable dont ses restes et le moulage de son corps ont trop longtemps fait l'objet et, d'autre part, pour restituer les restes de sa dépouille mortelle à l'Afrique du Sud.

Toutefois, votre commission considère que, compte tenu de la position exprimée par le gouvernement sud-africain et des réponses attentistes que fournit le gouvernement français, elle est fondée à intervenir pour mettre fin à une situation qui n'a que trop duré même si une loi n'était pas nécessaire pour procéder à une restitution à laquelle ne s'oppose, en fait, aucun obstacle administratif ou juridique.

• Les conclusions de votre commission

Votre commission vous proposera cependant de retenir une rédaction différente de l'article unique de la proposition de loi, qui tend :

- dans un premier alinéa, à sortir des collections du Muséum national d'histoire naturelle la dépouille de Saartjie Baartman ;

- dans un second alinéa, à prévoir le transfert de la propriété de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud. L'autorité administrative disposera d'un délai de deux mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi pour y procéder.

*

* *

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le mercredi 23 janvier 2002 sous la présidence de M. Xavier Darcos, vice-président, la commission a examiné, sur le rapport de M. Philippe Richert , la proposition de loi n° 114 (2001-2002) autorisant la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman , dite Vénus hottentote , à l' Afrique du Sud .

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Ivan Renar a considéré comme honteux que la France n'ait pas su régler à la fois rapidement et dignement cette affaire.

S'il a regretté qu'il faille une loi, il a toutefois estimé qu'elle était nécessaire. Il a indiqué que l'attitude du gouvernement mettait en difficulté l'Afrique du Sud, réticente à formuler une demande susceptible de recevoir de la part de la France une réponse négative sur une affaire qui, au sein de ce pays, peut susciter des débats de politique intérieure entre les différentes ethnies.

Il a jugé nécessaire d'exprimer la réprobation que suscite le sort de Saartjie Baartman et de faire prévaloir dans cette affaire la morale.

M. Jean-Luc Miraux , après avoir également considéré qu'il fallait répondre favorablement à la requête de l'Afrique du Sud, a souhaité éviter que l'adoption de la proposition de loi ne constitue un précédent qui risquerait d'encourager d'autres demandes de restitution.

M. Xavier Darcos, président , après avoir exprimé la même inquiétude, s'est interrogé sur les conditions de gestion et de conservation des collections du Musée de l'Homme. Il a également souhaité que la mission d'information de la commission sur la gestion des collections des musées se penche sur le fonctionnement de ce musée, qui relève de la tutelle du ministère de l'Education nationale.

En réponse aux intervenants, M. Philippe Richert, rapporteur , a souligné que la restitution des restes de Saartjie Baartman, qui aurait dû être effectuée sans recourir à la loi, ne posait pas de problème au regard de la conservation des collections, dans la mesure où ils ne présentent aucun intérêt scientifique justifiant leur maintien dans ces collections.

Il a observé qu'en tout état de cause, si l'on estimait nécessaire de conserver des informations sur son squelette, ce serait facilement réalisable en recourant aux techniques actuellement disponibles.

Il a indiqué que d'autres demandes de restitution portant sur les collections du Muséum ont été adressées au gouvernement français qui envisage pour certaines d'y apporter une réponse favorable sans toutefois avoir encore arrêté la procédure administrative à suivre. Il a souhaité qu'une réflexion soit engagée sur le statut des collections scientifiques de ce type. Il s'est interrogé, à ce titre, sur les conditions dans lesquelles les dispositions de la loi relative aux musées de France concernant le statut des collections leur seraient appliquées.

Il s'est également inquiété des conditions de conservation des collections du Musée de l'Homme, qui ne sont pas de nature à assurer leur intégrité, et il est convenu avec M. Xavier Darcos, président, que l'examen de la proposition de loi constituait une justification supplémentaire de la création d'une mission d'information sur la gestion des collections des musées.

Enfin, il a estimé nécessaire que la restitution puisse être l'occasion pour la France de reconnaître les erreurs du passé. A cet égard, il s'est étonné des déclarations faites par le gouvernement, en réponse à la question orale sans débat de M. Nicolas About, considérant que la restitution des restes de Saartjie Baartman impliquerait la responsabilité de la France alors qu'elle ne pouvait être considérée comme responsable du sort qui lui avait été réservé.

La commission a ensuite procédé à l'examen du dispositif proposé par le rapporteur.

Après leur avoir apporté une modification de précision proposée par MM. Louis Duvernois et Jean-Luc Miraux , elle a adopté à l'unanimité les conclusions proposées par son rapporteur .

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

PROPOSITION DE LOI

relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud

Article unique

A compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi, les restes de la dépouille mortelle de la personne connue sous le nom de Saartjie Baartman cessent de faire partie des collections de l'établissement public du Muséum national d'histoire naturelle.

L'autorité administrative dispose, à compter de la même date, d'un délai de deux mois pour les remettre à la République d'Afrique du Sud.

* 1 Extraits d'observations faites sur le cadavre d'une femme connue à Paris et à Londres sous le nom de Vénus hottentote par M. Georges Cuvier.

* 2 « On l'appelait la Vénus hottentote », documentaire de Zola Maseko (1998)

* 3 Exposition « De la Vénus hottentote à la Tehura de Gauguin » - Les dossiers du musée d'Orsay

* 4 Steve J. Gould, Le sourire du flamant rose, Le Seuil

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