N° 217

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 7 février 2002

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir , réprimer et punir la traite des personnes , en particulier des femmes et des enfants ,

Par M. Jean-Paul DELEVOYE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Xavier de Villepin, président ; MM. Michel Caldaguès, Guy Penne, André Dulait, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Robert Del Picchia, Jean-Paul Delevoye, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Philippe François, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Henri Torre, André Vallet, Serge Vinçon.

Voir le numéro :

Sénat : 118 (2001-2002)

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser la ratification du protocole additionnel à la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.

Adopté le 15 novembre 2000 par l'Assemblée générale des Nations Unies, tout comme la convention contre la criminalité organisée, dite « convention de Palerme », ce protocole répond au souci exprimé par de nombreux Etats de compléter cette dernière en adoptant des dispositions spécifiques à la traite des personnes, compte tenu de l'ampleur prise par ce phénomène et, surtout, du rôle croissant qu'y jouent les réseaux criminels organisés.

Ce protocole contre la traite des personnes n'est pas, loin s'en faut, le premier instrument international visant à lutter contre le trafic et l'exploitation des êtres humains. Il se distingue toutefois des textes existants par son approche globale de toutes les formes de traite des personnes, par sa vocation essentiellement pénale et répressive, et plus encore par la prise en compte des caractéristiques relativement nouvelles de ces activités criminelles désormais aux mains de groupes structurés et transnationaux.

Votre rapporteur donnera tout d'abord quelques indications sur l'ampleur du phénomène de la traite des personnes, face auquel les instruments internationaux existants demeurent insuffisants. Il analysera ensuite le contenu et l'apport du protocole contre la traite des personnes avant d'aborder son articulation avec les textes européens et ses incidences sur la législation française.

I. LE DROIT INTERNATIONAL ET LA TRAITE DES PERSONNES

De nombreuses conventions internationales ont abordé la question de la traite des êtres humains. Elles constituent un ensemble fourni et complexe de règles qui, pourtant, ne répondent que très imparfaitement aux exigences de la lutte contre des trafics qui ont totalement changé d'échelle. En effet, loin de se réduire, ce phénomène s'amplifie par le fait de réseaux très organisés et très puissants qui réalisent des profits considérables en exploitant les facilités des communications internationales et les failles des systèmes répressifs. Dans ce contexte, l'adoption d'un instrument international à vocation répressive axé sur la lutte contre ces réseaux ne saurait apparaître comme superfétatoire.

A. LE DEVELOPPEMENT DE L'ACTION DES RÉSEAUX CRIMINELS DANS LA TRAITE DES PERSONNES

La traite des personnes revêt des formes multiples et constitue un phénomène clandestin par nature, si bien qu'il est particulièrement difficile d'avancer, en la matière, des statistiques ou mêmes de simples évaluations.

On pense en premier lieu au proxénétisme, mais il faut également mentionner l'emploi d'étrangers sans titre dans les ateliers clandestins, ainsi que des situations plus récemment mises en lumière, comme l'exploitation de femmes et d'enfants réduits à la mendicité, aux rapines, ou au pillage des horodateurs.

Pour s'en tenir à la forme la plus répandue, à savoir la traite en vue de la prostitution , le rapport établi il y à un an par la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes 1 ( * ) , a fait le point sur l'accroissement de la part des étrangers dans la prostitution et le rôle des réseaux criminels dans son développement.

L'Organisation internationale pour les migrations estime qu'elle concernerait de 200.000 à 300.000 femmes sur le seul territoire de l'Union européenne. Elle constate également que les chiffres vont en augmentant , sous l'effet d'un afflux de femmes en provenance d'Afrique et d'Europe centrale et orientale. Le phénomène a touché en priorité les pays dans lesquels le contrôle de la prostitution est faible, voire inexistant, comme les Pays-Bas ou l'Allemagne, puis il s'est étendu, atteignant notamment la France.

Selon Interpol, environ la moitié de la prostitution répertoriée en Europe de l'ouest serait liée à ces femmes venues de l'étranger qui se trouvent sous la coupe de bandes organisées. La caractéristique majeure de cette prostitution est qu'elle n'est pas reliée à des démarches individuelles, ou à de simples proxénètes isolés, mais qu'elle est entretenue et développée par des réseaux extrêmement organisés et puissants.

En effet, les structures criminelles se retrouvent à tous les stades de la traite :

- lors du recrutement dans le pays d'origine, tantôt forcé, comme en témoignent des exemples de ventes de femmes et d'enfants ou d'enlèvement, parfois obtenu contre la promesse fallacieuse d'un sort meilleur et d'un emploi dans nos pays occidentaux,

- lors du transfert à l'étranger , parfois organisé régulièrement, mais le plus souvent clandestin ou irrégulier,

- et enfin lors de l'arrivée dans le pays de destination , où ces personnes sont le plus souvent exploitées sous la contrainte, sans moyens d'échapper à l'emprise de leurs « employeurs ». Généralement, ces criminels imposent à leurs victimes un travail forcé, tel que la prostitution ou un travail domestique, censé rembourser leur « dette », c'est à dire les frais correspondant à l'achat de faux papiers ou à l'obtention de visas, au voyage et au logement.

Les constats opérés par les services de police montrent que les victimes de ce trafic sont de plus en plus jeunes, et que leurs exploiteurs n'hésitent pas à recourir à des formes très violentes d'intimidation - menaces ou agressions physiques, pressions psychologiques, pressions sur la famille restée dans le pays d'origine - pour les maintenir sous leur dépendance. La situation irrégulière de la plupart des victimes de la traite est aussi un moyen de pression très efficace.

Autre caractéristique, les victimes ne restent pas nécessairement exploitées par le même groupe, mais sont souvent transférées, c'est à dire en pratique « vendues », à d'autres réseaux, opérant dans d'autres villes, voire d'autres pays.

Ce trafic fonctionne comme une véritable activité économique visant à exploiter un « marché » dans un souci de forte rentabilité. Il s'agit d'ailleurs d'une activité très lucrative, eu égard aux faibles coûts de départ et à l'emploi de la contrainte, alors que les risques encourus sont relativement faibles.

En France, la Direction centrale de la police judiciaire, qui possède un office spécialisé en la matière - l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains - procède chaque année au démantèlement d'une vingtaine de réseaux . Ces derniers sont pour l'essentiel originaires d'Europe de l'est et des Balkans, notamment l'Albanie, la Bulgarie, la République tchèque et l'Ukraine, mais aussi d'Afrique, en particulier le Nigéria et le Cameroun.

Ces réseaux, en plein développement, disposent d'une puissance financière considérable 2 ( * ) leur assurant de multiples facilités dans les pays d'origine et parfois dans les pays de transit. L'étendue des complicités dont ils disposent dans les différents stades de la mise en place du trafic et leur caractère transnational rendent difficiles l'action des services de police, et surtout la répression et le démantèlement de ces réseaux.

De manière générale, cette criminalité semble le fait de petits groupes indépendants mais travaillant en réseaux , très mobiles, agissant selon les méthodes des organisations mafieuses : contrôle d'un territoire, recours à l'intimidation et à la violence contre les victimes, respect de la loi du silence, transfert massif des produits du trafic vers leurs familles, dans leurs pays d'origine.

* 1 Rapport de Mme Dinah DERICKE déposé le 31 janvier 2001- document Sénat n°209 (2000-2001).

* 2 Selon le rapport précité de la délégation du Sénat aux droits des femmes, ce trafic représenterait 15 à 20 milliards de francs, uniquement pour la France, dont 70% reviendrait aux proxénètes.

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