Rapport n° 344 (2001-2002) de M. Hubert DURAND-CHASTEL , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 3 juillet 2002

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N° 344

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 3 juillet 2002

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l' approbation de l' accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela sur l' encouragement et la protection réciproques des investissements ,

Par M. Hubert DURAND-CHASTEL,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Xavier de Villepin, président ; MM. Michel Caldaguès, Guy Penne, André Dulait, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, MM. Robert Calmejane, Paul Dubrule, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Robert Del Picchia, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Philippe François, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Henri Torre, André Vallet, Serge Vinçon.

Voir le numéro :

Sénat : 286 (2001-2002)

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser l'approbation de l'accord sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements entre la France et le Venezuela, signé à Caracas le 2 juillet 2001.

De facture classique, cet accord s'inscrit dans le prolongement des nombreux accords de ce type, signés par la France dans le cadre de la politique de protection des investissements français à l'étranger. En l'absence d'instrument multilatéral régissant cette question, à l'exception de la Convention de Washington relative au règlement des différends entre États et ressortissants d'autres États, un accord bilatéral permet de donner des garanties aux investisseurs contre d'éventuels changements affectant le cadre juridique régissant les activités économiques dans le pays d'accueil des investissements.

La situation politique économique et sociale du Venezuela invite aujourd'hui à l'expectative en matière d'investissements tant la période actuelle apparaît troublée. L'état de décomposition du régime politique et l'urgence en matière économique et sociale sont apparus au grand jour lors du coup d'État de 1992. Devant cette situation, les espoirs portés par le président Chavez n'ont pas connu de concrétisation.

Les événements d'avril 2002, où la déposition du Président Chavez et son retour se sont succédé en l'espace de quelques heures n'invitent pas à l'optimisme.

Les besoins de ce pays sont cependant réels et son potentiel considérable.

Les entreprises françaises sont présentes sur ce marché alors que le régime sollicite les investisseurs et souhaite leur apporter, comme en témoignent le présent accord mais aussi le cadre juridique national, des garanties juridiques appropriées.

Dans un pays où la tradition n'est pourtant pas à la succession des pronunciamientos militaires, le développement de l'ensemble des secteurs de l'économie doit apporter des solutions à une situation sociale dégradée qui met en péril les fondements de la démocratie.

I. LA CRISE D'UN MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT FONDÉ SUR LES REVENUS PÉTROLIERS

A. LE PÉTROLE : UNE PLACE PRÉPONDÉRANTE DANS L'ÉCONOMIE VÉNÉZUÉLIENNE

1. Une croissance économique née du pétrole

Membre fondateur de l'OPEP, le Venezuela produit et exporte du pétrole depuis près d'un siècle et les revenus pétroliers ont longtemps suffi à apporter croissance et prospérité.

Le Venezuela a ainsi connu, de la fin des années 30 à la fin des années 70, une croissance en rythme annuel de l'ordre de 7 %, accompagnée d'un taux d'inflation annuel de moins de 3%. Gérée par l'État sous la forme d'une entreprise nationale Petroleos de Venezuela SA ou PDVSA, la rente pétrolière sert une politique de redistribution qui stimule le marché intérieur, favorise l'investissement privé et l'emploi.

Le Venezuela occupe le 6 e rang en termes de réserves mondiales de pétrole brut conventionnel 1 ( * ) avec 7 % des réserves mondiales de brut conventionnel et près de 50% des réserves mondiales de bruts lourds et extra-lourds.

Il est le sixième producteur mondial d'hydrocarbures 2 ( * ) avec pour principal client, les États-Unis.

Le Venezuela dispose également des 6emes réserves gazières au monde ainsi que d'un potentiel important en minerai de fer, bauxite et charbon.

2. Les conséquences du choc pétrolier, le paradoxe de l'abondance

Déstabilisée par l'afflux massif de pétrodollars dans les années 70, l'économie vénézuélienne connaît depuis lors une crise quasi structurelle, ponctuée de reprises liées au cours du pétrole.

L'afflux des capitaux lié au choc pétrolier a provoqué une appréciation du taux de change qui a entraîné une forte dégradation de la « compétitivité-prix » des biens soumis à la concurrence étrangère.

Les investissements privés se sont déplacés vers les secteurs les plus abrités de l'économie, provoquant un afflux de capitaux dans ces secteurs et une raréfaction du crédit.

La politique d'austérité budgétaire menée par le gouvernement a provoqué un effondrement de l'investissement productif du secteur privé et une fuite des capitaux dont le Venezuela est désormais coutumier.

Fragilisée, l'économie du Venezuela a été confrontée à la chute des prix du pétrole en 1982 qui a conduit, l'année suivante à une crise de la dette extérieure.

La crise a mis en évidence les faiblesses de l'économie du pays, la fragilité de l'industrialisation et le manque d'efficacité de l'État. L'économie demeure très cyclique et empêche l'État de mener des politiques de long terme.

Si « l'agenda Venezuela », programme de réformes structurelles lancé en 1996 avec le Fonds monétaire international, a permis d'amorcer un redressement, les conséquences de la crise asiatique et la chute des prix du pétrole en ont anéanti les effets.

3. La part résiduelle du secteur non pétrolier

Le pétrole représente 80 % des exportations du Venezuela (contre 10 à 15% pour les économies colombiennes et mexicaines) et près d'un tiers du PIB.

Les exportations non pétrolières sont à 71 % constituées de produits liés à l'exploitation du sous-sol (minerais, produits chimiques...). Les activités de ce secteur, outre qu'elles sont fortement cycliques, sont peu génératrices d'emplois.

Entre 1990 et 2000, la part de l'industrie manufacturière a reculé de 17 à 14 % du PIB.

Longtemps soutenue par une politique de monnaie forte, la demande de biens de consommation a donc été essentiellement satisfaite par les importations.

Conjugué à des sorties massives de capitaux et à la baisse des prix du pétrole, ce phénomène a conduit à une crise sévère de la balance des paiements et à la nécessité de décider, le 12 février 2002, la libre flottaison du bolivar.

Le X e plan de la Nation (2001-2007) définit comme une priorité le développement de la production agricole et industrielle mais le tissu productif du Venezuela est à reconstruire et les infrastructures nécessaires au développement des activités productives, notamment routières, ne sont pas satisfaisantes.

4. Une dépendance des finances publiques à l'égard des cours mondiaux

Le pétrole représente 50% des recettes budgétaires

Jusqu'à l'arrivée au pouvoir du président Chavez, la politique pétrolière du Venezuela tendait à l'accroissement de parts de marché au détriment du respect des quotas de production instaurés en 1987 par l'OPEP.

Ces choix ont contribué à une forte dépendance à l'égard de la demande mondiale de pétrole, elle-même fortement corrélée à la croissance.

Après une décennie de relative stabilité, autour de 20 USD le baril, les cours du pétrole ont connu des fluctuations très importantes. 3 ( * )

Le maintien actuel d'une politique budgétaire expansionniste, il est vrai dans un environnement social fortement dégradé, et la distribution de pouvoir d'achat dans le secteur public qui stimule à la fois la demande d'importations et la fuite des capitaux, ont conduit le déficit budgétaire au niveau de 5.9 % du PIB en 2001.

Essentiellement interne en l'absence de possibilités de financement extérieur 4 ( * ) compte tenu de primes de risques trop élevées, l'endettement public devient très difficile à financer dans un contexte d'incertitude politique.

Créé en 1998 par le Président Chavez, le fonds de stabilisation macroéconomique (FIEM) géré de façon peu rigoureuse, ne devrait pas permettre de faire face au retournement de conjoncture en 2002. La tentation est grande d'opérer des ponctions sur les réserves déposées par la PDVSA, ce qui conduirait à une décapitalisation de l'entreprise.

5. Les perspectives

a) Un climat de récession

Pour l'année 2002 une récession est attendue à hauteur de 3 à 6 % dans un contexte de forte inflation liée à l'absence de mesures d'accompagnement de la dévaluation.

b) Des investissements faibles

Dans les années 90, l'investissement net privé s'établissait à moins de 2% du PIB, un niveau près de dix fois inférieur à celui de la fin des années 70.

Suite à la suppression de l'ancrage monétaire au dollar, la détente attendue sur les taux d'intérêt n`a pas eu lieu avec un impact négatif de taux élevés sur l'investissement.

La restructuration récente du secteur bancaire ouvre la voie à une plus grande efficacité dans ce domaine mais l'absence de liquidités dans l'économie liée à la fuite des capitaux obère les possibilités de prêt des banques.

L'atonie de l'investissement privé qui pèse sur les capacités productives n'a pas été compensée en 2001 par l'augmentation de 12 % des investissements publics et privés.

Les investissements directs étrangers sont en repli, passés de 4.3 USD en 2000 à 2.6 MDS en 2001.

En outre, les infrastructures publiques dégradées constituent un goulet d'étranglement pour le développement du pays.

c) Les conséquences de la dévaluation

En l'absence de production nationale très développée, la libre flottaison du bolivar ne se traduit pas de façon immédiate par une restauration de la compétitivité-prix des produits de l'industrie locale mais par un report, fortement inflationniste sur les prix à la consommation de produits importés.

Un changement des habitudes de consommation pour des produits locaux devrait toutefois pouvoir être observé compte tenu du faible pouvoir d'achat d'une grande partie de la population. Cette même faiblesse de pouvoir d'achat devrait limiter les poussées inflationnistes liées à la dévaluation.

d) Une remontée des cours du pétrole

L'orientation à la hausse des cours du pétrole 5 ( * ) devrait offrir une marge de manoeuvre budgétaire au gouvernement vénézuélien pour faire face à l'urgence sociale et à la nécessité de développer des infrastructures pour favoriser le développement.

B. UNE SITUATION SOCIALE PRÉOCCUPANTE

1. Un fort dynamisme démographique

La population vénézuélienne a cru de 10 à 24 millions d'habitants entre 1970 et 2000 avec un taux de natalité de 22.25 %o.

87 % de la population est urbaine.

2. Une société marquée par les inégalités de revenu, le chômage et la pauvreté

En 2001, le PIB par habitant atteignait environ 5 000 USD ce qui est important pour la région mais s'accompagne de fortes inégalités.

En 2000, 63 % de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté avec une situation en dégradation croissante depuis les années 70, en particulier depuis la mise en place, en 1989, d'un programme d'ajustement. Les indicateurs sociaux, dont le taux de mortalité infantile, se sont dégradés.

Le secteur informel représente aujourd'hui près de la moitié des emplois, le taux de chômage réel est probablement supérieur au taux officiel de 14 %.

Fondé sur un système de redistribution en panne qui ne fait pas face à l'augmentation de la pauvreté et des inégalités, le système politique de pacte s'est trouvé fragilisé et la classe politique discréditée.

II. UNE SITUATION DE CRISE POLITIQUE

1. Hugo Chavez et la rupture de la cogestion

A la différence de nombre de ses voisins, l'histoire politique du Venezuela moderne se caractérise par une remarquable stabilité.

Les ressources tirées de l'économie de rente ont conduit à la mise en place d'un pacte politique consensuel sur le modèle de l'alternance bipartisane. Depuis 1958 et le pacte de Punto Fijo 6 ( * ) , l'alternance se joue entre les deux partis principaux, l'AD (action démocratique) et le COPEI (parti social chrétien).

Ce modèle politique a offert au pays une grande stabilité politique, ce qui est loin d'être le cas de ses voisins, il a permis l'intégration des classes populaires dans le système politique en les insérant dans un mécanisme de redistribution.

Ce système a cependant perdu de son efficacité sous l'effet de la raréfaction des ressources conjuguée à l'archaïsme des pratiques clientélistes et à la généralisation de la corruption. La rupture est intervenue en 1989 lorsque le Président Carlos Andres Pèrez a été contraint à une politique d'austérité budgétaire.

Dans un contexte d'épuisement du modèle de rente et de perte de compétitivité économique, la corruption est devenue insupportable à une population qui profite moins des retombées de l'économie pétrolière.

L'opinion publique impute alors à l'incurie des partis la responsabilité de la situation et se révèle sensible à la rhétorique du changement radical proposée par Hugo Chavez.

Hugo Chavez est entré en politique en 1992 avec une tentative de coup d'Etat qui se solde par un échec mais lui donne une dimension messianique et fait croître sa notoriété.

Libéré le 27 mars 1994 par décret du président Caldera, il choisit en créant le parti MVR (Mouvement pour la Vème République) de viser la conquête du pouvoir par la voie démocratique.

Élu en 1998 et réélu en 2000 pour 6 ans à une large majorité, il s'appuie tout particulièrement sur les couches les plus défavorisées de la population. Ce succès doit autant aux espoirs d'une population dont le niveau de vie a baissé qu'à la personnalité charismatique du nouveau président.

2. Une personnalité ambiguë qui rencontre des oppositions

La personnalité d'Hugo Chavez, tout comme son discours, est très ambiguë. Ses références, de Bolivar à Jésus Christ, en passant par Fidel Castro, sont éclectiques et foisonnantes.

Il arrive au pouvoir avec un programme de réformes radicales qui fait prévaloir la question institutionnelle et les réformes politiques sur les questions économiques et sociales et tend vers une forme de personnalisation du pouvoir au-dessus des partis. La nouvelle Constitution revalorise le rôle du Président de la République, qui devient à cette occasion « bolivarienne », porte le mandat présidentiel à 6 ans en prévoyant la rééligibilité du Président, elle lui confère en outre un pouvoir de nomination important et des pouvoirs exceptionnels étendus. Réduisant le rôle des partis dans une assemblée monocamérale, la Constitution affirme le rôle directeur de l'État dans la politique économique.

L'arrivée d'Hugo Chavez coïncide avec un changement de génération et l'épuisement d'un modèle.

Son discours aux accents révolutionnaires, ses amitiés embarrassantes (Castro 7 ( * ) , Kadhafi...) ses visites en Iran et en Iraq ainsi que son rapprochement avec l'OPEP lui valent rapidement la méfiance des États-Unis pour qui le Venezuela est un partenaire commercial stratégique pour ses approvisionnements énergétiques .

Les relations avec la Colombie voisine sont polluées par les accusations de soutien aux guérillas colombiennes qui opèrent à partir de camps situés en territoire vénézuélien, alimentées par le refus, jusqu'à une période récente, de collaborer à la lutte anti-guérillas.

Il fait cependant part de son intention de demander l'adhésion au Mercosur si les négociations globales avec la Communauté Andine des Nations 8 ( * ) ne progressent pas, privilégiant un partenariat avec des pays d'Amérique latine plutôt qu'avec l'Amérique du Nord.

Sur le plan interne, les observateurs constatent une militarisation croissante du régime. La nouvelle constitution consacre le rôle des forces armées et leur donne une large autonomie de gestion. Le reproche est également fait au nouveau président de vouloir museler les médias privés, qui mènent, il est vrai, contre son pouvoir des campagnes assez virulentes. Les syndicats, le patronat, l'Église et les classes moyennes rejoignent très vite les rangs des opposants.

Décrivant la personnalité du Président Chavez, Gabriel Garcia Marquez aura les mots suivants : « deux hommes opposés. A l'un, une chance persistante offrait la possibilité de sauver son pays. L'autre était en revanche un illusionniste, qui pourrait passer à l'histoire comme un despote de plus. »

Plus généralement, les trois préoccupations qui avaient porté Hugo Chavez au pouvoir, le chômage, l'insécurité et la corruption n'ont pas trouvé de solution alors que lui est reprochée une certaine dérive autoritaire.

3. Les « événements d'avril »

Le déclencheur des événements d'avril a été le conflit avec l'équipe dirigeante du groupe pétrolier PDVSA 9 ( * ) suivi d'une grève générale qui a rapidement pris une tournure politique avec l'objectif du départ du président.

Suite à des événements de rue, le Président Chavez est démis de ses fonctions au soir du 11 avril.

Le lendemain, Pedro Carmona, le « patron des patrons » vénézuéliens, porté au pouvoir par une partie de l'armée avec le soutien de l'église catholique, du patronat et d'une partie des dirigeants syndicaux, annonce la dissolution du Parlement et la destitution des titulaires du pouvoir judiciaire et du pouvoir citoyen, annonçant la tenue d'élections dans un délai d'un an. De telles annonces ne donnent pas de gages évidents quant aux intentions démocratiques du nouveau pouvoir qui évoque en outre la possibilité pour le gouvernement provisoire de démettre de ses fonctions toute autorité locale ou nationale.

Les partis politiques se tiennent à l'écart du processus qui conduit à la constitution d'un gouvernement de transition et d'union nationale. Les 49 décrets-lois adoptés en novembre 2001 à l'origine du mécontentement de l'opinion, sont rapportés.

Les réactions internationales suite à l'interruption du processus constitutionnel sont attentistes et témoignent de l'isolement du président vénézuélien. Les réactions américaines et colombiennes, en particulier, lui attribuent l'entière responsabilité des événements.

Très vite la situation se retourne devant le tour peu démocratique pris par les événements, en particulier les arrestations massives auxquelles a procédé le nouveau pouvoir.

Au matin du 14 avril, le Président Chavez est de retour au pouvoir et intervient à la télévision dans une posture de conciliation et d'apaisement. Il annonce le départ des dirigeants de la compagnie PDVSA. M. Ali Rodriguez, actuel secrétaire général de l'OPEP est nommé à la tête de la société PDVSA.

4. les perspectives

Les événements d'avril témoignent à la fois de profondes divisions dans le pays et d'un attachement certain à la démocratie et aux libertés. La situation ne paraît pas stable.

Les partis politiques d'opposition cherchent à s'entendre pour provoquer un départ du Président Chavez qui soit conforme aux règles constitutionnelles (son mandat expire normalement en 2007), ils ont annoncé le 12 mai leur intention de quitter la commission nationale de dialogue créée par le Gouvernement après les événements d'avril. L'audition d'un général par la commission de liaison de l'Assemblée nationale a conduit à la mise en cause de la responsabilité des présidents des instances chargées d'enquêter sur les événements, dans la répression de la grève générale et des manifestations (une vingtaine de morts le 11 avril lors de la répression, dans des circonstances encore non élucidées, des manifestations).

Ces partis d'opposition n'offrent pas de réel projet alternatif de gouvernement.

M. Chavez a évoqué clairement les risques de guerre civile non sans aborder leur incidence sur le pétrole et les Etats-Unis.

La visite d'une délégation de la commission interaméricaine des droits de l'homme décrivait le climat politique en ces termes: « des risques clairs d'une nouvelle rupture démocratique dans le pays ».

III. L'ACCORD SUR L'ENCOURAGEMENT ET LA PROTECTION RÉCIPROQUES DES INVESTISSEMENTS

Cet accord, conclu pour une durée initiale de quinze ans, définit un cadre juridique stable pour les investissements en leur apportant la sécurité et les garanties des principes du droit international. Il vise ainsi à favoriser la mobilité des investissements directs et indirects dans le cadre d'un accord dont les dispositions sont semblables aux accords similaires tant dans son champ d'application que pour les engagements de parties ou encore le mode de règlement des différends.

A. LE CONTEXTE DES ÉCHANGES FRANCO-VÉNÉZUÉLIENS

1. La place de la France

La France entretient de bonnes relations politiques avec le Venezuela, le Président Chavez s'est rendu en France en visite officielle en octobre 2001.

Les échanges commerciaux avec le Venezuela restent modestes : le Venezuela est notre 66eme client avec 363 millions d'euros d'exportations en 2001, principalement dans le secteur de l'industrie, des biens intermédiaires, des biens d'équipement et des biens de consommation. Le montant des importations françaises en provenance du Venezuela s'établit à 298 millions d'euros, le Venezuela est notre 69eme fournisseur, et recouvre essentiellement des achats d'énergie, des achats dans le domaine de l'industrie et des biens intermédiaires.

La France a reculé en termes de parts de marché à la 8eme place en 2001 avec 1.8 %.

En matière d'investissements, la France est particulièrement présente au Venezuela dans le domaine de l'énergie hydraulique, des matériels et de la construction électrique haute tension.

L'ouverture du secteur pétrolier à compter du début des années 90 sous formes « d'associations stratégiques » 10 ( * ) , a permis la réalisation d'investissements importants qui font de Totalfinaelf le premier investisseur étranger au Venezuela.

En 1999 est entré en vigueur le contrat de construction d'une ligne du métro de Caracas par un consortium d'entreprises « Frameca » qui renforce l'implantation des entreprises françaises.

Les principaux clients du Venezuela sont les États-Unis et ses principaux voisins d'Amérique du sud (Brésil, Colombie, Mexique, Équateur...). Le Venezuela est largement intégré dans l'économie sud-américaine.

2. La politique vénézuélienne à l'égard des investissements étrangers

Le Venezuela est devenu plus attractif pour les investissements étrangers depuis le début des années 1990 avec l'ouverture du secteur pétrolier et la libéralisation du secteur des banques et des télécommunications. S'agissant du secteur des hydrocarbures, un certain nombre d'incitations fiscales ont été mises en place et des garanties apportées aux investisseurs dans un secteur où l'importance des investissements exige un cadre juridique stable et protecteur.

Le décret loi qui régit la protection des investissements étrangers assure l'égalité des traitements avec les investisseurs nationaux. La nouvelle Constitution prévoit, en l'absence d'autres précisions, que certains secteurs d'activité pourront être réservés à l'Etat ou à des investisseurs vénézuéliens ; les restrictions sont actuellement assez limitées.

L'emploi de personnels étrangers est en revanche encadré de façon relativement stricte en nombre et en rémunérations 11 ( * ) .

En matière fiscale, la France a signé en 1992 un accord pour éviter les doubles impositions.

En matière de règlement des litiges, le recours à l'arbitrage international en matière de marché public est subordonné à la conclusion d'un accord sur les investissements.

3. Les opportunités d'investissement

Les potentialités du pays sont très importantes et de nombreux secteurs, outre celui des hydrocarbures, ont été récemment libéralisés.

C'est notamment le cas des secteurs des activités minières, de la production sidérurgique et d'aluminium.

En matière d'infrastructures de transport, de distribution d'électricité et d'eau, d'assainissement, des travaux de modernisation peuvent faire l'objet de projets mixtes, notamment avec les collectivités locales.

B. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DE L'ACCORD

1. Le champ d'application de l'accord

L'article premier énonce de façon non limitative les investissements concernés par l'accord : biens meubles et immeubles, actions, obligations ou encore « les concessions accordées par la loi ou en vertu d'un contrat, notamment les concessions relatives à la prospection, la culture l'extraction ou l'exploitation de richesses naturelles, y compris celles qui se situent dans la zone maritime des Parties contractantes ».

Il vise les investissements effectués avant et après l'entrée en vigueur de l'accord, conformément à la législation du pays d'accueil.

Le critère de la nationalité est utilisé pour les personnes physiques, celui du siège social pour les sociétés. L'accord vise également les personnes morales contrôlées, soit par les personnes physiques ayant la nationalité de l'une des Parties, soit par une société ayant son siège social sur le territoire de l'une des Parties.

Le revenu est entendu comme toutes les sommes produites par un investissement, telles que bénéfices, redevances ou intérêts.

2. Les engagements des Parties.

L'accord dispose de façon générale que « chacune des Parties contractantes encourage et admet les investissements effectués par les nationaux et sociétés de l'autre Partie sur son territoire et dans sa zone maritime ».

L'article 3 pose l'engagement du traitement juste et équitable et énumère une série d'entraves proscrites, il prescrit en outre la « bienveillance dans l'examen des demandes d'entrée et d'autorisation de séjour, de travail et de circulation des nationaux ayant réalisé un investissement ou exerçant des fonctions spécialisées ».

L'article 4 est relatif au traitement national ou à celui de la nation la plus favorisée. De façon classique, l'accord exclut de ce traitement les dispositions d'accords particuliers (zone de libre échange, union douanière ou marché commun).

L'article 5 est relatif aux mesures d'expropriation, interdites hors les cas d'utilité publique et qui ne doivent pas être contraires à des accords particuliers. L'article définit les conditions d'indemnisation, dont le montant et les modalités de versement doivent être arrêtées à la date de l'expropriation et qui doit être « prompte et adéquate ».

Le même article pose la règle du traitement national ou de la nation la plus favorisée lors de dépossession en cas d'événements politiques ou de guerre.

Le principe de la liberté des transferts est posé sans restriction par l'article 6 de l'accord et vise notamment les intérêts, dividendes, bénéfices, les redevances découlant des droits de propriété intellectuelle commerciale et industrielle et des concessions, les rémunérations des nationaux sont également visées dans cet article qui précise que les transferts visés sont effectués « sans retard au taux de change normal officiellement applicable à la date du transfert ».

La garantie des investissements est évoquée à l'article 7 qui prévoit, dans un second alinéa, que les investissements objet de la garantie devront avoir obtenu l'agrément préalable de l'autre Partie.

3. Le processus de règlement des différends

Aux termes de l'article 11, les différends susceptibles de survenir entre les Parties contractantes, à défaut d'avoir été réglés par la voie diplomatique, sont soumis à un tribunal d'arbitrage.

Une option est ouverte pour les différends survenus entre un national ou une société d'une Partie contractante et l'autre Partie contractante : à la demande du national ou de la société en question, le différend est soumis, soit, de façon classique, à l'arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), soit à la juridiction compétente de l'État dans lequel l'investissement a été réalisé.

L'article 10 prévoit le primat d'éventuelles dispositions plus favorables contenues dans des engagements particuliers sur les dispositions de l'accord.

CONCLUSION

Après avoir été longtemps un modèle de croissance économique et de stabilité politique en Amérique latine, le Venezuela vit actuellement une période de transition ; transition politique vers un mode de gouvernement encore incertain entre renouveau démocratique et autoritarisme , transition économique vers un modèle où la richesse pétrolière ne suffit plus à la prospérité du pays et où il convient de rechercher un mode de développement alternatif.

Dans ce contexte incertain, la tradition démocratique vénézuélienne et son insertion réelle dans le commerce mondial des hydrocarbures sont des atouts non négligeables. Les investisseurs français, très présents sur le marché des hydrocarbures peuvent aussi jouer un rôle dans la reconstruction d'un marché intérieur et le développement d'infrastructures propices aux activités économiques.

En levant des incertitudes quant au cadre juridique régissant les investissements entre la France et le Venezuela, cet accord est de nature à développer les échanges économiques nécessaires entre les deux pays.

C'est pourquoi votre commission vous demande de bien vouloir l'adopter.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du 3 juillet 2002.

A la suite de l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé avec les commissaires.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a souhaité obtenir des précisions sur les relations entre le Venezuela et Cuba, indiquant que les exportations de pétrole avaient pour contrepartie l'envoi de médecins cubains. Elle a également sollicité des détails sur les conditions du retour au pouvoir de M. Hugo Chavez.

M. Hubert Durand-Chastel, rapporteur, a indiqué que le retour du président était dû à sa grande popularité au sein de la partie la plus défavorisée de la population venezuelienne, mais aussi aux erreurs considérables de ses adversaires, qui ont procédé à des arrestations massives et à la suspension de certaines libertés.

M. Xavier de Villepin, président, a indiqué que les Etats pétroliers étaient souvent des pays marqués par de grandes inégalités et a cité les exemples de l'Angola, du Nigeria ou encore de l'Algérie.

Il a ensuite évoqué les conditions économiques difficiles que connaît actuellement l'Amérique latine, notamment des prévisions de croissance très faibles, et a évoqué la visite récente au Sénat du président colombien Uribe. Il a fait part de ses inquiétudes quant aux résultats des élections brésiliennes, dont les conséquences, en termes d'investissement, pourraient achever de déstabiliser la région. Il a indiqué que la classe politique traditionnelle au Venezuela s'était effondrée sous l'effet de la corruption et de « la mauvaise gouvernance ». Dressant le bilan des rapports entre le Venezuela et ses voisins, il a conclu sur l'incertitude de la situation intérieure vénézuelienne, qui exige une attention suivie.

La commission a alors approuvé le présent projet de loi .

PROJET DE LOI

(Texte présenté par le Gouvernement)

Article unique

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements, signé à Caracas le 2 juillet 2001, et dont le texte est annexé à la présente loi 12 ( * ) .

ANNEXE -
ETUDE D'IMPACT13 ( * )

Etat du droit et situation de fait existant et leurs insuffisances

Outre les risques économiques encourus comme dans toute opération d'investissement, les entreprises qui investissent dans un pays étranger s'exposent à des risques de nature spécifiquement politique. Nationalisation, traitement discriminatoire, par exemple pour l'accès à des infrastructures ou à des matières premières, limitation de la possibilité de rapatrier en France les revenus retirés de l'investissement réalisé en sont de possibles manifestations.

La France et le Venezuela sont tous deux Parties à la convention de Washington du 18 mars 1965 mais l'objet de celle-ci reste spécifique et limité au règlement de différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d'autres Etats. En conséquence, ce dispositif conventionnel n'instaure pour les Etats Parties aucune obligation de nature à prévenir les conséquences préjudiciables pour les investisseurs étrangers de ces risques politiques.

En l'absence de tout cadre multilatéral traitant de manière globale de protection des investissements internationaux, la protection juridique des investisseurs français à l'étranger (hors OCDE) ne peut dès lors reposer que sur des accord bilatéraux, les législations des Etats d'accueil n'étant pas toujours suffisamment protectrices et étant, en tout état de cause, susceptibles de modifications à l'avenir.

Bénéfices escomptés en terme

. d'emploi

Les conséquences en termes d'emplois sont impossibles à quantifier, même s'il va de soi que favorisant les investissements français, cet accord ne peut qu'améliorer à terme nos exportations et l'emploi dans les secteurs concernés.

. d'intérêt général

La signature d'un tel accord s'inscrit dans le cadre de bonnes relations bilatérales entre la France et le Venezuela.

D'une façon plus générale, les accords de ce type sont de nature à modifier la perception du risque des investisseurs français potentiels et donc à développer les investissements français au Venezuela. Les investissements français dans ce pays sont encore assez faibles (700 M. FF en 1999), mais le potentiel du Venezuela, au 4 e rang de l'Amérique latine pour le PIB et 4 e producteur de pétrole au sein de l'OPEP, est important.

. d'incidence financière

Cet accord permettra à l'Etat, conformément à l'article 26 de la loi de finances rectificative n° 71-1025 du 24 décembre 1971, d'accorder par l'intermédiaire de la COFACE, des garanties aux investisseurs français pour leurs opérations au Venezuela.

. de simplification des formalités administratives

En faisant de la COFACE l'interlocuteur de toute entreprise française victime des suites d'un événement de nature politique, cet accord a le mérite, sinon de simplifier, au moins de clarifier la procédure à suivre pour obtenir l'indemnisation des pertes subies.

. de complexité de l'ordonnancement juridique

Cet accord n'entraîne aucune complexité juridique.

* 1 Derrière l'Arabie Saoudite, l'Iraq, les Émirats, le Koweït et l'Iran.

* 2 Avec une production de 161 717 000 tonnes en 1999 d'après l'AIE.

* 3 Il a connu des cours extrêmes en décembre 1998 à 9.5 USD pour atteindre 37.4 USD en septembre 2000 .

* 4 Fin février, l'état vénézuélien est noté B2 par l'agence Moody's et donc considéré comme « risque spéculatif ».

* 5 le baril de brut vénézuélien atteint 22 USD.

* 6 Par lequel les partis en présence s'engageaient à respecter les résultats électoraux de décembre 1958 et à gouverner ensemble pendant une période déterminée.

* 7 Il signe notamment avec Cuba un accord sur la fourniture quotidienne de 53 000 barils de pétrole.

* 8 Colombie, Pérou, Équateur, Bolivie, Venezuela ont créé en 1973 le Pacte andin devenu en 1994 la communauté andine des nations qui constitue une zone de libre échange avec l'objectif de la constitution à terme d'un marché commun.

* 9 Notamment sur l'obligation de continuer à vendre à perte sur le marché intérieur et d'alimenter le budget de l'Etat en produisant plus que ses ventes et ses capacités de stockage .

* 10 La commercialisation du brut reste du ressort de PDVSA.

* 11 90 % des salariés d'une entreprise vénézuélienne qui doivent avoir la nationalité et les rémunérations des personnels étrangers ne peuvent excéder 20% du total des rémunérations.

* 12 Voir le texte annexé au document Sénat n° 286 (2001-2002).

* 13 Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des parlementaires.

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