CHAPITRE V
EFFETS DE L'AMNISTIE

Article 14
Effet extinctif de l'amnistie

Le présent article énonce l'effet principal de l'amnistie qui participe de sa définition même : l'effacement de la condamnation ou l'extinction de l'action publique. Les faits perdent leur caractère délictueux, l'infraction ne pourra plus donner lieu à des poursuites et, si une condamnation est déjà intervenue, un terme sera immédiatement apporté à son exécution.

Le premier alinéa , énonçant le principe de l'effacement, fait référence aux articles 133-9 à 133-11 du code pénal et aux articles 6 et 769 du code de procédure pénale qui en explicitent les contours, contrairement aux lois d'amnistie antérieures qui précisaient directement les effets de l'amnistie dans le corps du dispositif. En effet, l'applicabilité du nouveau code pénal à Mayotte, aux territoires d'outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie, résultant de l'ordonnance n° 96-267 du 28 mars 1996 ratifiée par la loi n° 96-1240 du 30 décembre 1996, date de 1996 et il n'était pas possible en 1995 de procéder par simples références.

Le nouveau code pénal consacre sa section III du chapitre III du titre III du livre premier à l'amnistie.

Aux termes de l'article 133-9, « l'amnistie efface les condamnations prononcées. Elle entraîne, sans qu'elle puisse donner lieu à restitution, la remise de toutes les peines. Elle rétablit l'auteur ou le complice de l'infraction dans le bénéfice du sursis qui avait pu lui être accordé lors d'une condamnation antérieure ».

L'article 133-10 précise que « l'amnistie ne préjudicie pas aux tiers ».

Enfin, l'article 133-11 dispose qu' « il est interdit à toute personne qui, dans l'exercice de ses fonctions, a connaissance de condamnations pénales, de sanctions disciplinaires ou professionnelles ou d'interdictions, déchéances et incapacités effacées par l'amnistie, d'en rappeler l'existence sous quelque forme que ce soit ou d'en laisser subsister la mention dans un document quelconque. Toutefois, les minutes des jugements, arrêts et décisions échappent à cette interdiction. En outre, l'amnistie ne met pas obstacle à l'exécution de la publication ordonnée à titre de réparation ».

L'article 6 du code de procédure pénale cite l'amnistie parmi les causes d'extinction de l'action publique et son article 769, dans son deuxième alinéa, prévoit le retrait du casier judiciaire des fiches relatives à des condamnations effacées par une amnistie.

Sa commission des Lois ayant observé que l'article 17 de la loi d'amnistie du 3 août 1995 précisait que l'amnistie entraînait « sans qu'elle puisse donner lieu à restitution, la remise des peines et des mesures de police et de sûreté », l'Assemblée nationale a considéré que la disparition de la référence aux mesures de police et de sûreté dans le projet de loi introduisait une ambiguïté et qu'il était préférable de reprendre le dispositif de 1995.

Le deuxième alinéa de l'article 14 reprend une disposition introduite par l'article 21 de la loi d'amnistie de 1995 pour tirer les conséquences de la suppression par la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale des frais de justice et le maintien du seul droit fixe de procédure. L'amnistie fait donc désormais obstacle au recouvrement du droit fixe de procédure prévu par l'article 1018 A du code général des impôts.

Le troisième et dernier alinéa , en écho à l'article 133-11 du code pénal, punit d'une amende de 5.000 euros le fait de faire référence à une sanction ou à une condamnation effacée par l'amnistie. Cette peine est aggravée par rapport à celle prévue en 1995, l'amende encourue s'élevant alors à 25.000 francs. Il est en outre prévu qu'une personne morale puisse être déclarée pénalement responsable, la peine encourue étant égale au quintuple de celle prévue pour les personnes physiques, soit 25.000 euros.

Votre commission des Lois vous propose d'adopter l'article 14 sans modification .

Article 15
Neutralité de l'amnistie
sur les autorisations administratives

Cet article énumère une série de dérogations au principe général de remise des peines et des mesures de sûreté.

Le premier alinéa , reprenant une disposition figurant en tête de l'article 18 de la loi de 1995, dispose que l'amnistie n'entraîne pas la restitution ou le rétablissement des autorisations administratives annulées ou retirées par la condamnation. Notons que ces autorisations, telles que la fermeture d'un débit de boissons ou le retrait du permis de chasse, étaient auparavant déjà exclues du bénéfice de l'amnistie par la jurisprudence comme des mesures de sécurité publique et de police.

Cette mention est cependant complétée par une précision nouvelle selon laquelle l'amnistie ne fait pas obstacle à la réparation des dommages causés au domaine public.

Comme dans la loi de 1995, figure ensuite aux dix alinéas suivants une énumération des mesures de police et de sûreté faisant exception au principe de la remise. Il s'agit de :

- la faillite personnelle ainsi que les autres sanctions prises à l'encontre des faillis.

Depuis l'abrogation de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises par l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de commerce, ces sanctions sont prévues par les articles L. 625-1 et suivants dudit code. Afin de couvrir l'intégralité de la période concernée par l'amnistie, le projet de loi vise conjointement le titre VI de la loi du 25 janvier 1985 précitée et le nouveau code de commerce. Les sanctions applicables en matière de faillite personnelle dont l'amnistie n'entraîne pas la remise sont, outre le fait d'être déclaré failli, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler une entreprise.

- l'interdiction du territoire français prononcée à l'encontre d'un étranger reconnu coupable d'un crime ou d'un délit .

Rappelons qu'aux termes de l'article 131-10 du code pénal ladite peine d'interdiction du territoire peut être prononcée à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus et cette interdiction entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion.

- l'interdiction de séjour prononcée pour crime ou délit .

Prévue par l'article 131-31 du code pénal, cette peine complémentaire ou accessoire emporte défense de paraître dans certains lieux et est assortie de mesures de surveillance et d'assistance qui, indissociables de la mesure d'interdiction, ne sont pas couvertes par l'amnistie.

- l'interdiction des droits civiques, civils et de famille prononcée pour crime ou délit .

Rappelons qu'aux termes de l'article 131-26 du code pénal, l'interdiction porte sur le droit de vote, l'éligibilité, le droit d'exercer une fonction juridictionnelle ou d'expertise judiciaire, le droit de représenter ou d'assister une partie devant la justice, le droit de témoigner en justice, le droit d'être tuteur ou curateur. Lorsque l'interdiction du droit de vote ou l'inéligibilité est prononcée, cela emporte interdiction d'exercer une fonction publique.

- l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale prononcée pour crime ou délit .

Cette interdiction, prévue par les articles 131-27 et 131-28 du code pénal, constitue une nouvelle rubrique dans la liste des sanctions dont l'amnistie n'entraîne pas la remise. Il s'agit de faire en sorte que, en dépit de l'amnistie dont elle bénéficierait, une personne condamnée dans le cadre de son activité professionnelle n'ait pas la possibilité, avant l'expiration de la période pour laquelle la sanction a été prononcée, de reprendre l'exercice de cette activité.

- les mesures de démolition, de mise en conformité et de remise en état des lieux .

- la dissolution de la personne morale prévue à l'article 131-39 du code pénal .

La dissolution peut être prononcée lorsque la personne morale a été créée ou détournée de son objet social dans le but de commettre un crime ou un délit dont la commission par une personne physique est punie d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à trois ans. Précisons que la sanction de dissolution n'est pas applicable aux personnes morales de droit public, ni aux partis ou groupements politiques, syndicats professionnels ou institutions représentatives du personnel.

- l'exclusion des marchés publics prévue à l'article 131-34 du code pénal .

Cette sanction a une portée très large puisqu'elle emporte « interdiction de participer, directement ou indirectement, à tout marché conclu par l'Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics, ainsi que par les entreprises concédées ou contrôlées par l'Etat ou par les collectivités territoriales ou leurs groupements ».

A l'initiative de sa commission des Lois, l'Assemblée nationale a complété cette énumération par la confiscation d'une ou plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition.

Par coordination avec l'exclusion du bénéfice de l'amnistie des délits sanctionnés de l'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, de détenir ou de porter une arme, proposée par votre commission des Lois à l'article 5, elle vous soumet au présent article un amendement pour ajouter à la liste des peines dont l'amnistie n'entraîne pas la remise l'interdiction de détenir ou de porter une arme.

Comme en 1995, le projet de loi prévoit enfin à l'avant-dernier alinéa que l'amnistie reste sans effet sur les mesures prononcées sur le fondement d'un certain nombre d'articles de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. Il s'agit en particulier de la remise au service de l'assistance à l'enfance, du placement en établissement ou de la mise sous protection judiciaire. Sur cet avant-dernier alinéa de l'article 15, l'Assemblée nationale a adopté un amendement de clarification rédactionnelle à l'initiative de sa commission des Lois.

Le dernier alinéa , reprenant une mention traditionnelle, autorise les services du casier judiciaire national à conserver l'enregistrement des décisions par lesquelles une des mesures susvisées dont la remise est exclue a été prononcée.

Cela constitue une dérogation au principe d'effacement du casier judiciaire, dérogation rendue nécessaire par le fait que le casier judiciaire sert de support pour la mise en oeuvre des mesures complémentaires à la peine principale.

Votre commission des Lois vous propose d'adopter l'article 15 ainsi modifié .

Article 16
Autres limites à l'effet extinctif de l'amnistie

Cet article regroupe plusieurs dispositions énonçant des limites à l'effet extinctif de l'amnistie et qui constituent des mentions traditionnelles des lois d'amnistie.

Le premier alinéa prévoit que l'amnistie ne fait pas obstacle à l'exécution des jugements ou arrêts intervenus en matière de diffamation ou de dénonciation calomnieuse ordonnant la publication des délits, jugements ou arrêts. Cette publication constitue en effet une des modalités de réparation du préjudice et le principe de la réserve du droit du tiers figurant à l'article 18 impose qu'elle soit effectivement mise en oeuvre.

Le deuxième alinéa dispose que l'amnistie ne fait obstacle ni à la réhabilitation ni à l'action en révision. Il s'agit en effet d'éviter que, paradoxalement puisque l'amnistie est une mesure de clémence, la personne qui s'estime injustement condamnée, ne soit pénalisée. La réhabilitation peut être préférable pour elle compte tenu de sa portée morale et de reconnaissance sociale et dans la mesure où sont effacées toutes les interdictions, déchéances et mesures de sûreté accessoires de la peine.

Le troisième alinéa prévoit que l'amnistie reste sans effet sur les mesures ou décisions prises en application des articles 378 et 379-1 du code civil, c'est-à-dire le retrait de l'autorité parentale, total ou partiel ou encore limité aux attributs que le jugement prononçant la condamnation pénale spécifiée.

Le dernier alinéa introduit une limite nouvelle au principe de l'effacement matériel, dans les fichiers, de la condamnation amnistiée. Est ainsi prévu le maintien dans les fichiers de police judiciaire des infractions amnistiées, que la condamnation définitive ait été prononcée ou que l'instance soit en cours. Il s'agit d'éviter que l'amnistie dont la fréquence sera accrue par l'instauration du quinquennat si toutefois cette tradition perdure, ne compromette l'efficacité de la lutte contre la délinquance.

Votre commission des Lois vous propose d'adopter l'article 16 sans modification .

Article additionnel après l'article 16
Absence d'effet de l'amnistie sur la procédure
de dissolution civile de certaines personnes morales

Après l'article 16, votre commission des Lois vous propose, par un amendement , d'insérer un article additionnel afin d'empêcher que l'amnistie ne fasse disparaître certaines condamnations prononcées à l'encontre de mouvements sectaires, faisant obstacle à la mise en oeuvre de la procédure de dissolution civile. La loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 prévoit en effet la possibilité d'engager une procédure de dissolution civile de certaines personnes morales lorsqu'elles ont été condamnées à plusieurs reprises pour des infractions limitativement énumérées. Le présent amendement garantit donc la neutralité de l'amnistie au regard de cette procédure et évite ainsi d'affaiblir l'action menée contre les mouvements sectaires.

Article 17
Limites à l'effet rétroactif de l'amnistie

Cet article regroupe une série de dispositions figurant traditionnellement dans les lois d'amnistie ; il reprend très exactement les termes de l'article 20 de la loi d'amnistie du 3 août 1995.

En vertu des deux premiers alinéas , l'amnistie n'ouvre aucun droit à la réintégration dans une fonction, dans un emploi, un grade ou une profession. Mesure d'oubli, elle n'efface pas les conséquences de la sanction sur la carrière. Même lorsque la réintégration a lieu, elle n'implique pas la reconstitution de la carrière.

L'absence de droit à réintégration est une des illustrations du principe de non rétroactivité énoncé par le Conseil constitutionnel en 1988 (décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988) : « l'amnistie ne comporte pas normalement la remise en état de la situation de ses bénéficiaires ».

Une autre illustration de ce principe figure au dernier alinéa de l'article 17 : il s'agit de l'absence de droit à réintégration dans l'ordre des décorations officielles. Toute réintégration n'est cependant pas exclue : elle peut en effet être prononcée au cas par cas, par mesure individualisée, à la demande du garde des sceaux et, le cas échéant, du ministre intéressé, par décret du Président de la République pris après avis du grand chancelier compétent.

A l'inverse, le législateur prévoit traditionnellement un droit à réintégration dans les divers droits à pension. Cela s'applique aussi bien à l'amnistie de droit, à compter de la date de publication de la loi d'amnistie, qu'à l'amnistie par mesure individuelle, à compter du jour où l'intéressé est admis à son bénéfice. Il est précisé que la liquidation des droits à pension se fait selon la réglementation prévue par le régime de retraite applicable aux intéressés en vigueur le 17 mai 2002.

Votre commission des Lois vous propose d'adopter l'article 17 sans modification.

Article 18
Réserve du droit des tiers

Reprenant un principe inscrit à l'article 133-10 du code pénal, le premier alinéa dispose que « l'amnistie ne préjudicie pas aux droits des tiers ». Les victimes conservent donc le droit de faire reconnaître le préjudice subi et d'en obtenir réparation.

Le deuxième alinéa précise les effets de ce principe de la réserve du droit des tiers sur les instances en cours relatives aux intérêts civils. Il prévoit que le dossier pénal est versé aux débats et mis à la disposition des parties.

Enfin, aux termes du dernier alinéa , lorsque la juridiction de jugement a été saisie de l'action publique avant la publication de la loi d'amnistie, elle reste compétente pour statuer, s'il y a lieu, sur les intérêts civils.

Votre commission des Lois vous propose d'adopter l'article 18 sans modification.

Article 19
Condamnations prononcées
par les juridictions étrangères

Comme en 1981, 1988 et 1995, le projet de loi prévoit l'effacement au casier judiciaire des condamnations prononcées par les juridictions étrangères pour les infractions de même nature que celles visées au chapitre Ier, c'est-à-dire les infractions entrant dans le champ de l'amnistie de droit commises avant le 17 mai 2002.

Le second alinéa précise que les contestations relatives à l'effacement au casier judiciaire des condamnations prononcées par des juridictions étrangères relèvent de la compétence de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris. Rappelons que cette même formation de jugement, en vertu de l'article 8 du projet de loi, aura également à connaître des recours contre les décisions rendues par un tribunal aux armées siégeant à l'étranger.

Votre commission des Lois vous propose d'adopter l'article 19 sans modification .

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