Annexe 69 - LES MEMBRANES ET L'EAU POTABLE

Source : SAUR

Annexe 70 - INTÉRÊT ET LIMITES DE LA CHLORATION POUR MAÎTRISER LA QUALITÉ MICROBIOLOGIQUE DE L'EAU DISTRIBUÉE

Rédaction : Jean-Claude Block, Professeur des Universités, CNRS Université Henri Poincaré Nancy

1. Efficacité de la chloration des eaux de distribution en réseau

Les produits à base de chlore (eau de javel, chloramines, dioxyde de chlore) représentent les oxydants les plus largement utilisés pour la désinfection de l'eau de boisson. Le chlore est utilisé durant la phase de traitement. Les plus grosses usines préfèrent souvent l'ozone. Le chlore n'étant utilisé qu'en dernière étape (une post-chloration en quelque sorte) au moment de l'envoi de l'eau traitée dans les réservoirs amont du (des) réseaux. On ne traite plus en préchloration pour ne pas générer trop de produits organo-chlorés type trihalométhanes (THM). Par contre, cette chloration qui se fait en fin de traitement donc, en tête de réseau de distribution est généralement réglée en fonction du résiduel que l'on veut maintenir dans le réseau ou/et au robinet du consommateur. Depuis le 11 septembre 2001, les consignes sont de maintenir un résiduel plus élevé que d'habitude, voisin de 0,2 mg/l.

En réseau de distribution, les produits chlorés ne sont pas utilisés stricto sensu pour traiter l'eau distribuée (tout danger doit avoir été préalablement éliminé par le traitement amont au mieux des techniques disponibles du moment et du lieu) mais pour limiter la multiplication de microorganismes hétérotrophes (c'est-à-dire capables de se multiplier en dégradant la matière organique) saprophytes (c'est-à-dire considérés comme non dangereux, par opposition à pathogènes).

Appliqué en réseau de distribution, le chlore a une efficacité réelle mesurable. Il entraîne une réduction drastique du nombre de bactéries cultivables calculées à partir de 1 ou 100 ml d'eau, comme le prévoient les normes actuelles - ce qui ne veut pas dire que l'échantillon ne contienne pas de mircoorganismes viables. De fait, lorsque l'on complète les analyses classiques normalisées par des méthodes plus sophistiquées, il est facile de montrer qu'il y a toujours croissance des bactéries dans le réseau au niveau du biofilm fixé sur les parois.

L'action de ces désinfectants résulte de l'oxydation des structures des microorganismes. En fonction de la dose appliquée le traitement entraîne soit des lésions réversibles, soit des lésions irréversibles causant de fait la mort cellulaire. L'action bactéricide traduit la réaction du chlore avec les polymères des enveloppes bactériennes. Cette oxydation entraîne un changement de perméabilité et inhibe le transport des nutriments. Les bactéries perdent leur capacité à se développer. Elles restent vivantes mais sont non cultivables en particulier du fait des dommages affligés à la membrane cytoplasmique. Les bactéries blessées par l'oxydant sont incapables de se multiplier donnant ainsi un résultat négatif lors de l'analyse et une fausse sécurité (surestimation de l'effet du désinfectant).

L'oxydant agit relativement bien sur des mircoorganismes en suspension. La désinfection de l'eau par le chlore est donc utile même si imparfaite (beaucoup de ces microorganismes sont réellement abîmés ou tués par le traitement). Par contre, ce chlore n'atteint pas sa cible lorsqu'elle est protégée au sein du biofilm et il est impossible aujourd'hui de désinfecter un réseau public d'eau potable avec des oxydants.

Le chlore est efficace contre des bactéries (exemple, les mycobactéries comme celles que l'on a vues dans une clinique du sport à Paris il y a quelques années sont très résistantes). Certains virus sont aussi sensibles que les bactéries, certains un peu plus résistants. Généralement, les parasites sont un peu plus résistants, mais l'efficacité est toujours liée à la dose et il est possible de désinfecter correctement avec le chlore un échantillon d'eau qui contient virus, parasites et bactéries. La chloration est efficace contre la plupart des bactéries, et dans une moindre mesure contre les virus et contre les parasites.

En bref les désinfectants appliqués jouent le rôle attendu qui est de limiter la croissance des microorganismes mais sans jamais l'interdire.

Dans la situation actuelle même si l'efficacité des produits chlorés est loin d'être absolue aux doses auxquelles il est possible de les utiliser en réseau d'eau potable, ils représentent un groupe de produits sans vraiment de concurrent majeur. A condition d'être utilisé sur des eaux de bonne qualité (avec une faible quantité de matière organique biodégradable), il permet une bonne désinfection des eaux.

2. Limites de la chloration

Réussir une désinfection avec des produits oxydants n'est pas chose aisée en particulier en réseau où l'interface eau-matériau représente un lieu d'accumulation de dépôts organiques et minéraux présentant un fort pouvoir réducteur.

Il y a une réelle difficulté pour un oxydant relativement puissant comme l'eau de javel à éliminer le biofilm : malgré un traitement choc élevé sur une canalisation déjà nettoyée avec un acide, le nombre de cellules fixées (mortes et vivantes) reste constant, et dès la réalimentation en eau, l'activité et la cultivabilité sont identiques à celles préexistantes à la chloration.

La mauvaise diffusion de l'oxydant au sein du biofilm et plus encore à l'intérieur des cellules formant ce biofilm a pour conséquence que beaucoup de microorganismes échappent au traitement (ils ne sont pas exposés au chlore ou simplement blessés).

L'exposition des bactéries au chlore se traduit par l'activation d'un système de défense. La conséquence de cette réponse cellulaire est une très grande résistance des bactéries à une exposition ultérieure au chlore et la quasi-impossibilité de tuer la cellule par des taux de traitement classiquement utilisés par l'industriel.

La très grande difficulté à inactiver les bactéries fixées sur les parois des réseaux de distribution d'eau par un oxydant résulte à la fois de la non-diffusion de l'oxydant dans des biofilms épais de quelques dizaines de micromètres et de l'induction de leurs mécanismes de résistance à ce stress.

L'utilisation d'oxydants pour désinfecter le biofilm accumulé sur les parois internes des canalisations d'un réseau de distribution d'eau est donc inefficace. Dans les conditions actuelles d'utilisation l'eau de javel (ou les produits chlorés) - en maintenant un résiduel de chlore voisin de 0,2 mg Cl2/L au robinet du consommateur - il est impossible d'éliminer ou même d'inactiver la biomasse fixée. Pire, il est légitime de considérer que le maintien continu d'un oxydant en faible concentration induit plusieurs systèmes de résistance des bactéries et interdit tout espoir de prévention du biofilm dans les réseaux de distribution.

En d'autres termes le chlore appliqué en continu en réseau joue un rôle utile sur la biomasse en suspension dans l'eau, mais masque l'activité bactérienne à l'interface. Dans ces conditions l'arrêt du traitement se concrétise immédiatement par la mesure d'un nombre élevé de microorganimes viables et cultivables dans l'eau.

3. Conclusion

L'introduction, dans les réseaux de distribution d'eau potable, de microorganismes potentiellement pathogènes (contaminations accidentelles révélées par le non-respect des normes, ou contaminations chroniques non détectables du fait des faibles concentrations) est sans doute quasi systématique. De fait, de nombreux agents pathogènes sont régulièrement identifiés comme vecteurs de maladies via l'eau de consommation publique.

La croissance des microorganismes hétérotrophes peut être limitée par des actions adéquates mais jamais interdite. À titre d'exemple, des réseaux d'eaux « ultrapures » restent systématiquement contaminés par une biomasse vivante. Il convient donc de combiner plusieurs actions complémentaires : limiter la quantité de matière organique biodégradable capable de soutenir la croissance de bactéries hétérotrophes, corriger les paramètres induisant une corrosion des matériaux ferreux, fixer la dose efficace du désinfectant sans modifier exagéremment le goût ou l'odeur de l'eau.

L'utilisation de désinfectants en réseau de distribution, appelés ici sous le vocable général produits chlorés ou chlore, exige une eau de bonne qualité (faiblement chargée en matière organique, faiblement turbide, pH correct voisin de la neutralité) pour permettre au pouvoir désinfectant de s'exprimer vis-à-vis des bactéries en suspension dans l'eau.

Par contre la bataille est quasi perdue en ce qui concerne la désinfection de la biomasse fixée sur les parois des canalisations de distribution et qui représente la majeure partie de la biomasse du système. Cette limitation résulte à la fois de la forte consommation de l'oxydant par les dépôts organiques et minéraux très réducteurs accumulés sur la surface, de sa mauvaise pénétration à l'intérieur des biofilms. Même dans des réseaux constamment chlorés, le biofilm peut représenter jusqu'à 10 7 bactéries/cm 2 dont 1 % sont viables et capables de se multiplier, prouvant l'inefficacité réelle du traitement sur ces biomasses fixées.

De ce fait, le principe de précaution actuel peut dans certains cas se révéler préjudiciable pour des actions d'urgence ultérieures. En effet il est aujourd'hui démontré que les microorganismes de l'environnement mettent en jeu un ensemble complexe de mécanismes de résistance au stress oxydant en général et aux produits chlorés utilisés en traitement d'eau potable en particulier. L'application de faibles doses inefficaces sur le biofilm ne fait que mettre en route ces mécanismes de défense interdisant de facto une action désinfectante ultérieure réussie.

La situation n'est pas dramatique, mais elle interpelle acteurs privés et pouvoirs publics pour souhaiter, au-delà des exigences des directives européennes, maîtriser complètement la qualité microbiologique des eaux potables et délivrer en toute sécurité une eau sans risque. Cette démarche passe à la fois par une évaluation objective des risques microbiologiques, par l'emploi de nouveaux produits, mais aussi par une utilisation différente des anciens produits traditionnels (la désinfection en mode discontinu par exemple pouvant dans certains cas éviter l'induction de phénomènes de résistance aux désinfectants).

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