ANNEXE 3

AUDITION DE M. DOMINIQUE PERBEN,
GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE

(mardi 17 juin 2003)

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La commission a procédé à l'audition de M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi n° 314 (2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a expliqué que le projet de loi s'inscrivait dans un triple mouvement : prolonger la modernisation et le rééquilibrage engagé en matière pénale par la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 2 septembre 2002, renforcer la politique de sécurité du gouvernement fondée sur l'action combinée des services de police et de gendarmerie et de l'institution judiciaire et définir un cadre procédural applicable aux formes nouvelles de criminalité.

Il a exposé les trois séries de mesures proposées par le projet de loi relatives, d'une part, à la lutte contre la criminalité organisée, d'autre part, à la répression des infractions en matière économique et financière, sanitaire, environnementale et de discriminations raciales, et enfin à l'amélioration et à la simplification du fonctionnement de la procédure pénale générale.

Sur le premier volet, le ministre a constaté le développement, au niveau international, d'entreprises criminelles organisées et violentes, nécessitant une réponse plus efficace. Il a précisé que le projet de loi dressait une liste d'infractions recouvrant les activités délinquantes et criminelles les plus graves relatives aux atteintes, directes ou potentielles, aux personnes comme aux biens, tout en définissant un régime procédural adapté en matière de poursuite, d'instruction et de jugement de ces affaires.

Convaincu de l'impossibilité, pour les 181 tribunaux de grande instance répartis sur le territoire national, de traiter des dossiers de grande délinquance dans des conditions satisfaisantes, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a prôné la création de juridictions spécialisées couvrant le ressort de plusieurs cours d'appel érigées en véritables « plateaux techniques ». Il a fait valoir l'urgence de cette réforme en parallèle de la réorganisation en cours des services de police judiciaire en 9 directions interrégionales.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a ensuite relevé que le projet de loi tendait à renforcer certaines procédures spécifiques, telles que l'infiltration, la garde à vue, les perquisitions de nuit et les écoutes téléphoniques mises en oeuvre sous le contrôle du parquet et sur autorisation d'un magistrat du siège. Il a fait observer que l'Assemblée nationale, après avoir adopté un amendement permettant la sonorisation et la fixation d'images dans les lieux privés, avait proposé une simplification des régimes applicables en matière de garde à vue, n'excluant pas que ces dispositifs puissent être encore affinés au cours de la navette parlementaire.

Soulignant que le projet de loi tendait également à renforcer la répression des auteurs d'infractions, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a insisté sur l'affermissement du système des repentis proposé par le texte. Rappelant que ce système existait déjà en pratique, il a indiqué que le projet de loi visait, d'une part, à lui donner un cadre légal, et d'autre part, à en étendre le champ d'application.

Le ministre a souligné que la mise en place de règles d'investigation renforcées justifiait l'insertion, dans le projet de loi, de certains aménagements procéduraux, destinés à garantir les droits de la défense tout au long de la procédure.

Sur le volet relatif à la lutte contre les infractions en matière économique et financière, sanitaire et environnementale et de discriminations, le garde des sceaux a annoncé le renforcement des compétences des juridictions spécialisées, instituées depuis 1975 en matière économique et financière, la création de juridictions interrégionales, ainsi que la clarification du statut des assistants spécialisés appelés à assister les magistrats de ces juridictions, conformément aux recommandations du rapport publié en juin 2002 de la mission d'information de la commission des lois du Sénat sur l'évolution des métiers de la justice, présidée par M. Jean-Jacques Hyest et dont M. Christian Cointat était le rapporteur.

Estimant que le projet de loi permettrait de renforcer l'efficacité des deux juridictions spécialisées de Paris et Marseille en matière de santé publique, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a ensuite déclaré que la lutte contre les rejets polluants des navires serait également renforcée grâce à l'extension de la compétence des trois juridictions existantes en matière d'enquête, d'instruction, de poursuite et de jugement des infractions intentionnelles survenues dans la zone économique exclusive, au maintien de la compétence du tribunal de grande instance de Paris pour les affaires présentant une grande complexité et à l'alourdissement des peines encourues en cas de rejets polluants par des navires. Il a ajouté que le texte proposait de réprimer plus efficacement les atteintes aux personnes ou aux biens présentant un caractère raciste comme les délits de discrimination.

Abordant le troisième volet tendant à renforcer la cohérence, l'efficacité et l'effectivité de la justice pénale, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a expliqué que le principe d'une réponse pénale systématique et diversifiée était consacré, évoquant l'extension de la procédure de composition pénale et la création d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Il a indiqué que cette dernière procédure permettrait au procureur de la République de proposer une peine à la personne, soupçonnée d'un délit puni de cinq ans d'emprisonnement au plus, qui reconnaîtrait en être l'auteur. Il a précisé que le consentement de la personne mise en cause serait recueilli en présence de son conseil, qui aurait accès au dossier, et qu'elle bénéficierait d'un délai de réflexion de dix jours pour accepter la proposition. Il a précisé que la proposition du procureur ferait l'objet d'une homologation par le président du tribunal de grande instance et que la personne mise en cause pourrait faire appel de la décision du président dans les dix jours. Il a enfin souligné que les peines prononcées à l'issue de cette procédure seraient plus faibles que celles susceptibles d'être prononcées par le tribunal, la peine d'emprisonnement ne pouvant être supérieure à six mois, bien que l'Assemblée nationale ait supprimé l'impossibilité, pour la peine d'amende prononcée, d'excéder la moitié de l'amende encourue.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a mis en avant la meilleure prise en considération des victimes, notamment en matière d'information et d'indemnisation. Il a ajouté que l'entraide internationale en matière judiciaire serait également facilitée en vue de l'édification d'un véritable espace judiciaire européen.

Enfin, il a évoqué les amendements de l'Assemblée nationale reprenant des propositions faites par M. Jean-Luc Warsmann, dans son rapport sur l'exécution des peines remis au Premier ministre sur les alternatives à l'emprisonnement et la préparation à la sortie des détenus. Le ministre a indiqué qu'il s'agissait d'accélérer le traitement des fins de peines ou des courtes peines, de prévoir la possibilité de transformer certaines peines d'emprisonnement en peines de travail d'intérêt général, de donner au tribunal la possibilité de prononcer directement une peine de placement sous bracelet électronique et de faciliter l'exécution des peines de travail d'intérêt général.

Après avoir indiqué qu'il avait effectué de nombreuses auditions et plusieurs déplacements dans des juridictions, M. François Zocchetto, rapporteur , a observé que le projet de loi allait enfin doter la justice des instruments d'enquête lui faisant actuellement défaut, conformément aux recommandations de conventions internationales relatives notamment à la modification de l'organisation judiciaire par la création de juridictions spécialisées. A ce titre, il s'est interrogé sur les moyens consacrés à cette réforme, et sur ses conséquences sur la formation des magistrats.

Le rapporteur s'est interrogé sur la modestie de la transposition de la décision-cadre Eurojust, notamment au regard des pouvoirs dévolus par le texte au représentant français au sein de cette institution et, d'autre part, sur l'opportunité de transposer à cette occasion d'autres textes communautaires, tels que celui relatif au mandat d'arrêt européen.

M. François Zocchetto, rapporteur , s'est également interrogé sur l'avenir du juge d'instruction après l'ouverture au procureur de la République de nombreux outils de conduite des enquêtes.

Prenant acte de l'intérêt des magistrats pour la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité instituée par le projet de loi, il a fait état de leurs inquiétudes du fait de sa complexité et a demandé au garde des sceaux s'il ne conviendrait pas de la simplifier et de mieux la différencier de celle relative à la composition pénale, afin d'en assurer le succès.

S'agissant des moyens alloués aux juridictions spécialisées en matière de criminalité organisée, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a souligné que, si la localisation de ces nouvelles juridictions n'était pas encore arrêtée, l'avant-projet de budget pour 2004 prévoyait déjà les moyens nécessaires grâce à l'augmentation des effectifs prévue par la loi d'orientation et de programmation pour la justice. De plus, il a indiqué que la concentration de ressources humaines et logistiques sur cinq à dix « plateaux techniques spécialisés » serait un facteur d'économie et d'efficacité. Il a donc estimé que ce projet de loi permettrait d'économiser les crédits, d'autant plus que la reconnaissance préalable de culpabilité et l'extension de la procédure de composition pénale constituaient autant de mesures simplificatrices.

Estimant difficile de s'improviser spécialiste de la grande criminalité, il s'est déclaré convaincu de la nécessité d'améliorer la formation des magistrats et plus particulièrement de définir des profils adaptés aux fonctions spécialisées. Il a indiqué qu'une réflexion sur l'évolution des formations initiale et continue était actuellement en cours à l'Ecole nationale de la magistrature.

Par ailleurs, le garde des sceaux a considéré que le coût de la prise en charge des repentis, à la charge du ministère de l'intérieur, serait marginal.

Au sujet de la coopération judiciaire, il a reconnu la modestie des pouvoirs du représentant au sein d'Eurojust, mais a estimé qu'elle s'inscrivait dans le cadre d'une évolution progressive vers un collège constituant un futur parquet européen. Il a annoncé le dépôt à l'automne, au Parlement, du texte de transposition de la directive relative au mandat d'arrêt européen.

Abordant le caractère accusatoire ou inquisitoire de la procédure pénale française, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a indiqué qu'il s'agissait en pratique d'un système mixte, comme dans la plupart des pays européens. Il a jugé équilibrée la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité proposée par le projet de loi issue d'une longue maturation et de multiples négociations avec les magistrats et les avocats. Il a rappelé que l'objectif de cette réforme était également d'améliorer le traitement judiciaire des dossiers pour les justiciables en le rendant plus fluide.

Après avoir dénoncé les dispositions dérogatoires au droit commun en matière de criminalité organisée proposées par le projet de loi, M. Michel Dreyfus-Schmidt a regretté que l'étude d'impact jointe au projet de loi n'analyse pas les faiblesses du dispositif actuel susceptibles de justifier la présente réforme. Il a déploré l'éloignement géographique pour les victimes du lieu des procès susceptibles de relever des juridictions interrégionales, inconvénient déjà dénoncé pour la cour d'assises spécialisée en matière de terrorisme. Assimilant le choix du gouvernement de retenir une dizaine de sites pour traiter de la délinquance en matière de criminalité organisée à une mesure de centralisation de la justice, il a souhaité connaître les cours d'appel de rattachement de chacune de ces juridictions.

Tout en admettant l'intérêt de prévoir des procédures différentes lorsque la personne reconnaissait sa culpabilité, il a dénoncé la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité, considérant qu'il s'agissait d'un marchandage, et contestant le principe selon lequel l'initiative de la réduction de peine appartenait au parquet. Il a souhaité savoir ce que le projet de loi prévoyait lorsque la personne revenait sur sa déclaration.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a jugé nécessaire une limitation du nombre de régimes de garde à vue. Il s'est également interrogé sur l'opportunité des dispositions relatives à la prise en charge spécifique des repentis et à l'organisation d'infiltrations par les officiers de police judiciaire.

Après avoir déploré les changements trop fréquents intervenus ces dernières années en matière pénale, M. Michel Dreyfus-Schmidt s'est enquis de l'avenir du juge d'instruction et s'est demandé s'il ne fallait pas plutôt prévoir un collège de juges d'instruction pour les affaires de grande criminalité, soulignant l'isolement et la vulnérabilité de ces magistrats.

M. Jacques Larché a souhaité savoir comment l'avocat jouerait son rôle de conseil dans la procédure de la reconnaissance préalable de culpabilité.

Mme Nicole Borvo s'est interrogée sur l'opportunité d'une nouvelle loi réformant la procédure pénale et a affirmé son attachement au système actuel ainsi qu'au rôle du juge d'instruction.

M. Pierre Fauchon a souligné que l'efficacité opérationnelle de la justice s'opposait à un éclatement géographique du parquet du tribunal de grande instance de Paris et a souhaité connaître l'état d'avancement du dossier relatif au relogement de cette juridiction.

En réponse à M. Michel Dreyfus-Schmidt, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a justifié la mise en place de juridictions spécialisées en matière de délinquance et de criminalité organisées par l'impossibilité pour chacun des 181 tribunaux de grande instance de traiter de dossiers particulièrement complexes.

Il est revenu sur la nécessité de concentrer les moyens de la justice pour une plus grande efficacité de la procédure. Il a indiqué que le recours aux nouvelles juridictions spécialisées devrait demeurer exceptionnel, le choix des dossiers s'effectuant au cas par cas, notamment en fonction de la gravité, de la complexité et de la situation géographique des affaires. Il a ajouté que des procédures similaires existaient déjà aux Pays-Bas, en Espagne, en Italie et en Belgique.

Concernant la réforme du régime de la garde à vue, M. Dominique Perben a indiqué que la navette parlementaire serait l'occasion d'améliorer le dispositif voté par l'Assemblée nationale.

Il a ensuite indiqué que la reconnaissance préalable de culpabilité permettrait seulement de parvenir à une solution pour les dossiers les plus simples.

En réponse à M. Jacques Larché, M. Dominique Perben a expliqué que le rôle de l'avocat serait déterminant, celui-ci ayant accès au dossier et pouvant conseiller son client tout au long de la procédure.

Concernant le site judiciaire du tribunal de grande instance de Paris, il s'est déclaré personnellement favorable au maintien de cette juridiction dans l'île de la Cité, cette décision présentant l'avantage de limiter la multiplication des surfaces et des coûts de fonctionnement. Il a annoncé la mise en place d'un établissement public, estimant que ce dossier devait faire l'objet d'une gestion particulière.

En réponse à M. Jacques Larché, qui avait souhaité connaître les modalités de la reconnaissance préalable de culpabilité en cas de pluralité de mises en cause, M. Dominique Perben a précisé qu'il appartenait exclusivement au procureur de la République, et non aux parties, de proposer cette procédure au prévenu, contrairement au « plea bargaining » américain.

M. Robert Badinter a insisté sur la nécessité de maintenir le site judiciaire de Paris sur l'île de la Cité, rappelant que l'acte judiciaire français le plus ancien, datant de 474, avait été pris en ce lieu.

M. Dominique Perben a indiqué que seul le déplacement du tribunal de grande instance de Paris avait été envisagé, et non celui de la Cour de cassation ou de la Cour d'appel. Il a toutefois réaffirmé son souhait de maintenir l'ensemble de ces juridictions sur l'île de la Cité.

En réponse à M. Michel Dreyfus-Schmidt, il a enfin précisé que la cour d'appel de rattachement des juridictions spécialisées serait identique à celle du tribunal de grande instance désigné pour accueillir ces juridictions.

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