N° 9

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 8 octobre 2003

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d'Arabie saoudite sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un protocole).

Par M. Serge VINÇON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. André Dulait, président ; MM. Robert Del Picchia, Jean-Marie Poirier, Guy Penne, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Ernest Cartigny, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Paul Dubrule, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Jean Faure, Philippe François, Jean François-Poncet, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean Puech, Yves Rispat, Roger Romani, Henri Torre, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 e législ . ) : 519 , 940 et T.A. 157

Sénat : 375 (2002-2003)

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L'accord signé à Djeddah, le 26 juin 2002, entre le ministre français des affaires étrangères et le ministre saoudien des finances et de l'économie nationale sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements est de facture classique.

Mais l'évolution récente, tant politique qu'économique, du Royaume tranche avec son histoire antérieure. Ces changements sont de nature à conforter le partenariat stratégique qui unit la France et l'Arabie Saoudite, et à renforcer les échanges économiques entre les pays.

C'est pourquoi la ratification par le Sénat de ce texte -qui a déjà été approuvé par l'Assemblée nationale en juin 2003- revêt une dimension qui dépasse son simple contenu juridique.

I. L'ARABIE SAOUDITE EN MUTATION

A. LE PACTE NATIONAL SAOUDIEN

La péninsule arabique était, au début du XX ème siècle, aux mains des Ottomans, au centre, et des Britanniques, pour la frange côtière située entre le Koweït et le Qatar.

Le roi Abd El Azziz Ibn Saoud, dont la famille, originaire de Riyad, s'était réfugiée au Koweït pour fuir les Ottomans, entreprend la reconquête de sa terre d'origine à la faveur de la Première Guerre mondiale. L'effondrement de l'Empire ottoman, puis l'appui des compagnies pétrolières américaines lui permirent d'y parvenir. Le plus difficile fut d'évincer les Britanniques qui avaient découvert d'importants gisements pétroliers dans la zone qu'ils occupaient.

Les successeurs d'Ibn Saoud affermirent le pouvoir royal, appuyés sur les revenus financiers tirés du pétrole, et sur le magistère moral que leur valait la possession des deux plus grands Lieux Saints de l'Islam, La Mecque et Médine.

Le Royaume pratique le wahhabisme, qui est une forme doctrinaire, puritaine et empreinte de prosélytisme de l'Islam.

C'est ainsi que l'Arabie Saoudite est réputée apporter un soutien actif au projet islamique d'union de tous les musulmans par le financement, dans le monde entier, de mouvements fondamentalistes.

Cependant, le royaume n'est pas à l'abri de contestations internes comme l'a illustré l'intrusion d'un commando se réclamant d'une mouvance intégriste dans la Grande Mosquée de La Mecque, en 1979.

Les attentats perpétrés aux Etat-Unis, le 11 septembre 2001, sous l'impulsion d'un saoudien déchu de sa nationalité (Ossama ben Laden), ont rompu les équilibres sur lesquels s'appuyait le royaume.

B. UNE ÉVOLUTION SOUS CONTRAINTE

Devenu, depuis cette date, l'objet de vives critiques de l'allié américain, qui a notamment établi une « liste noire » des individus, groupes et fondations islamiques soupçonnés d'alimenter le terrorisme, où se retrouvent de nombreux saoudiens, le royaume a été lui-même le théâtre d'attentats meurtriers durant l'année 2003. Les américains ont d'ailleurs sensiblement réduit leur présence militaire, et notamment fermé la base « Prince Sultan », dont les troupes ont été transférées au Koweït. Pour répondre à la menace croissante d'isolement international et d'instabilité intérieure, la monarchie a pris plusieurs initiatives, notamment depuis les trois attentats du 12 mai 2003 qui ont fait trente-cinq victimes.

Une législation réprimant sévèrement le blanchiment d'argent a été mise en place en août 2003. Les extrémistes religieux présents dans le royaume ont été repris en main par la monarchie. Parallèlement, une ouverture politique s'est opérée avec l'annonce, le 13 octobre 2003, de la tenue prochaine d'élections municipales, qui constitueront les premières élections politiques de l'histoire du royaume.

Pour le diriger, le Prince Abdallah -dirigeant de fait depuis le retrait de la scène politique pour raisons de santé du roi Fahd, en 1995- s'appuie actuellement sur un Conseil consultatif, dont les 120 membres sont nommés.

Mais cette politique réprimant les extrémismes et annonçant une ouverture politique suscite de vives résistances au sein du royaume, également secoué par une succession d'attentats. Ceux-ci n'ont tué que leurs auteurs à La Mecque et à Riyad, le 6 novembre 2003, mais ont fait dix-sept morts étrangers dans l'attaque d'un complexe résidentiel proche de Riyad, le 9 novembre 2003.

Cette offensive terroriste exacerbe les dissensions existantes au sein de la famille royale -qui compte plus d'un millier de princes- entre modernistes et conservateurs.

L'agitation ponctuelle de la minorité chiite, qui réside pour l'essentiel dans la province orientale où sont concentrés les gisements pétroliers, constitue également une source de préoccupations pour le pouvoir de Ryad, comme la montée des sentiments anti-américains au sein d'une population majoritairement jeune (65 % des 15 millions de saoudiens 1 ( * ) ont moins de 25 ans). Cette jeunesse, qui a, pour sa majorité, suivi des études supérieures de qualité, que ce soit dans son pays ou à l'étranger, se trouve confrontée à un marché du travail intérieur très étroit, et semble aspirer à un mode de vie moins marqué par les fortes contraintes inhérentes au wahhabisme.

Le Prince Abdallah, sensible à cet état d'esprit, a d'ailleurs entrepris de réserver progressivement aux seuls Saoudiens les postes d'encadrement dans le pays : un plan quinquennal (2000-2005) doit ainsi créer 800.000 emplois pour les nationaux.

II. LE PARTENARIAT STRATÉGIQUE ENTRE LA FRANCE ET L'ARABIE SAOUDITE

A. UN MARCHÉ AUX NOMBREUSES OPPORTUNITÉS

Depuis 1996, date de l'accession au pouvoir de fait du Prince héritier Abdallah, les relations bilatérales s'inscrivent dans le cadre d'un « partenariat stratégique » , qui s'appuie sur une convergence de vue, y compris désormais sur l'Irak. La France a appuyé l'initiative de paix au Proche-Orient du prince Abdallah.

Le Président de la République s'est rendu dans le royaume en novembre 2001, visite précédée par celle du ministre des affaires étrangères en octobre 2001.

Le prince héritier Abdallah s'est pour sa part rendu au G8 d'Evian, et s'est entretenu avec le Président de la République le 1 er juin 2003. C'est à Riyad que M. de Villepin a effectué son premier déplacement dans le Golfe, le 26 juin 2002.

L'Arabie Saoudite a apprécié le soutien que la France lui a apporté lorsqu'elle était mise en cause et notre refus de l'amalgame entre Islam et terrorisme.

Ce dialogue n'implique évidemment pas que notre pays se satisfasse du prosélytisme wahhabite ni de la situation interne du royaume, marquée par une conception des rapports entre individus différente de l'approche occidentale.

Néanmoins, notre pays juge possible de développer nos liens avec le royaume, à l'heure où celui-ci est marqué, d'après le souverain, par « le chômage, la pauvreté, et la nécessité d'une meilleure formation universitaire et technique de la jeunesse ». Le gouvernement royal a récemment entrepris une libéralisation de son économie, avec la création d'une Bourse, et l'abandon du monopole d'Etat sur le transport aérien intérieur en juin 2003.

L'Arabie Saoudite a ainsi mis en place un véritable marché financier fonctionnant suivant les normes en vigueur dans les bourses mondiales, ce qui lui permet de valoriser son premier rang dans le monde arabe, avec une capitalisation de près de 130 milliards de dollars.

Le présent accord de protection des investissements vise à conforter la stabilité juridique nécessaire à nos opérateurs économiques. En 2001, la France a exporté pour 1,55 milliard d'euros vers le royaume, ce qui en faisait son 34 ème client dans le monde, et son 2 ème client dans la région, après les Emirats Arabes Unis. Ce chiffre est réalisé par les ventes d'agroalimentaire (volailles, produits laitiers), de parfums et de produits pharmaceutiques.

En retour, la France a importé, la même année, pour 2,24 milliards d'euros d'Arabie Saoudite constitués en totalité par le pétrole brut : le royaume est ainsi le 7 ème fournisseur global de la France, et son 2 ème fournisseur pétrolier, après la Norvège.

Les principales sociétés françaises, qui ont bénéficié, comme les autres sociétés étrangères, de l'adoption en 2000 d'une nouvelle législation saoudienne plus protectrice sont, pour l'essentiel, de grands groupes, comme Danone, Perrier, Saint-Gobain, Thalès (télécommunications), Schneider, ainsi que la Compagnie générale de géophysique (risques sismiques).

Des projets sont en cours, impliquant Bouygues et Total-Fina Elf (gaz). On décompte ainsi près de 60 filiales de sociétés françaises opérant dans le royaume, qui emploient environ 12 000 personnes. Très peu de Français sont expatriés en Arabie Saoudite, notamment du fait de la politique de « saoudisation » des emplois entreprise par le Prince Abdallah, soucieux de limiter l'extension du chômage, et de mieux maîtriser les rouages de son économie. En effet, malgré les revenus considérables tirés du pétrole, dont le royaume est le premier producteur mondial, l'économie est affaiblie par la forte croissance démographique (3,5 % par an), et une dette publique très élevée (173 milliards de dollars en 2002).

En termes réels, la croissance économique, évaluée à 5 % en 2000, se montait à 1,2 % en 2001, et 0,74 % en 2002.

Le royaume se tourne désormais vers les investissements étrangers, avec notamment la perspective de privatiser la production gazière et pétrolière.

Pour évaluer les opportunités d'investissement présentées par ce pays, le MEDEF International organisera à Paris un séminaire sur ce point le 16 janvier 2004.

B. UN ACCORD CLASSIQUE DE PROTECTION RÉCIPROQUE DES INVESTISSEMENTS

La France a entrepris, depuis les années 1970, de donner un cadre juridique stable et normalisé aux relations économiques nouées avec ses principaux partenaires commerciaux.

A ce jour, 87 accords bilatéraux visant à encourager nos investisseurs à s'engager à l'étranger ont ainsi été signés avec des pays extérieurs à l'OCDE. En effet, des mécanismes protecteurs des investissements existent déjà au sein de cet ensemble économique.

L'accord signé avec l'Arabie saoudite s'inscrit donc dans une entreprise de long terme visant à établir des accords de protection des investissements avec nos principaux partenaires économiques, actuels ou potentiels.

Notre ministre des affaires étrangères a mis à profit sa première visite dans la région du Golfe arabo-persique pour signer un accord de ce type avec le royaume saoudien.

Ce texte reprend les clauses « standard » des accords de protection des investissements : définition des termes d'investissement et de revenu (art. 1er), prohibition des entraves, de droit ou de fait, aux activités des investisseurs (art. 2), établissement du traitement dit « national » des investisseurs -c'est-à-dire que les opérateurs de l'Etat partenaire doivent recevoir le même traitement que les investisseurs nationaux- (art. 3). Une exception est prévue, en ce domaine, pour les accords économiques régionaux, ce qui permet à la France de réserver un statut spécifique à ses partenaires de l'Union européenne.

L'article 4 pose le principe de la protection des investissements effectués sur le territoire ou dans la zone maritime de l'Etat partenaire, protection qui établit le droit à une indemnité « prompte, adéquate et effective » en cas d'expropriation motivée par l'utilité publique, seule exception à l'interdiction d'une dépossession des biens.

Enfin, les articles 6 à 10 déterminent les modalités de règlement des litiges éventuels pouvant surgir entre les deux Etats pour l'application de l'accord : les désaccords pouvant être soumis, soit aux tribunaux locaux, soit au Centre international pour le règlement des différends en matière d'investissement international (C.I.R.D.I.).

L'article 11 dispose que l'accord est conclu pour une durée initiale de 10 ans , qu'il reste en vigueur au-delà en cas de non-dénonciation par les Etats parties et décrit la procédure à suivre pour son éventuelle modification.

* 1 La population totale résidant dans le Royaume s'élève à 22 millions, car elle compte 7 millions d'expatriés.

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