Rapport n° 338 (2003-2004) de M. André BOYER , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 9 juin 2004

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N° 338

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 9 juin 2004

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant l'approbation du protocole à la convention du 27 novembre 1992 portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ,

Par M. André BOYER

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. André Dulait, président ; MM. Robert Del Picchia, Jean-Marie Poirier, Guy Penne, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Ernest Cartigny, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Paul Dubrule, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Jean Faure, Philippe François, Jean François-Poncet, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Bernard Mantienne, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Jacques Peyrat, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean Puech, Yves Rispat, Roger Romani, Henri Torre, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 e législ.) : 1510, 1584 et T.A. 288

Sénat : 308 (2003-2004)

Traités et conventions .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L'Assemblée nationale a adopté le 11 mai dernier le présent projet de loi autorisant l'approbation du protocole du 16 mai 2003 à la convention du 27 novembre 1992 portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL).

Le régime international d'indemnisation des dommages liés au déversement d'hydrocarbures par des navires-citernes a été élaboré sous l'égide de l'Organisation maritime internationale (OMI). Il repose sur deux séries d'instruments internationaux : une convention instituant une responsabilité de plein droit du propriétaire du pétrolier, cette responsabilité étant cependant limitée jusqu'à un plafond variant selon le tonnage du navire, et un fonds international d'indemnisation alimenté par les contributions des importateurs d'hydrocarbures, le FIPOL, qui intervient au-delà du plafond de responsabilité du propriétaire mais pour un montant lui aussi plafonné.

En dépit de certaines améliorations qui lui ont été progressivement apportées, le régime international d'indemnisation a montré son insuffisance face aux dommages provoqués par les récentes marées noires, que ce soit celle de l' Erika en 1999 ou, plus encore, celle du Prestige en 2002.

Ces catastrophes ont motivé un ensemble d'actions à l'échelle nationale, européenne ou internationale, destinées à renforcer la prévention de tels accidents et à améliorer les conditions de réparation et d'indemnisation.

Dans le cadre des conventions existantes régissant la responsabilité civile et le FIPOL, de nouveaux plafonds d'indemnisation sont entrés en vigueur au 1 er novembre 2003, mais ils demeurent encore éloignés des montants de dommages constatés au cours des derniers sinistres. Aussi a-t-il été décidé d'instaurer, sur la base d'un protocole facultatif, un troisième niveau d'indemnisation nettement supérieur au plafond actuel du FIPOL. C'est l'objet principal du protocole adopté le 16 mai 2003 qui relève très significativement le plafond d'indemnisation dans le cadre du FIPOL.

I. LE SYSTÈME INTERNATIONAL D'INDEMNISATION DES POLLUTIONS MARITIMES PAR HYDROCARBURES ET SES INSUFFISANCES

Le système international d'indemnisation des pollutions maritimes par hydrocarbures mis en place il y a une trentaine d'années combine deux niveaux distincts et complémentaires :

- la mise en jeu de la responsabilité civile du propriétaire du pétrolier, qui intervient de plein droit en vertu des conventions internationales mais pour des montants limités, variant selon le tonnage des navires ;

- au delà du plafond de responsabilité du propriétaire, l'intervention d'un fonds d'indemnisation financé par les sociétés importatrices de pétrole - le FIPOL - dont les garanties sont, elles aussi, plafonnées.

A. LA RESPONSABILITÉ CIVILE DU PROPRIÉTAIRE DU PÉTROLIER

Le régime de responsabilité civile applicable en cas de marée noire a été instauré par la convention internationale de 1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures , entrée en vigueur en 1975. Cette première convention a été modifiée en 1992 par un protocole ayant pour principal objet l'augmentation du plafond de responsabilité. Le nouveau régime adopté en 1992 s'applique à plus de 90 États, une trentaine d'autres États demeurant sous le régime de la convention initiale de 1969.

La convention internationale sur la responsabilité civile de 1992 s'applique aux dommages par pollution résultant de déversements d'hydrocarbures persistants provenant de la cargaison ou des soutes des navires citernes , dès lors que ces dommages sont survenus sur le territoire, dans les eaux territoriales ou dans la zone économique exclusive d'un État partie.

Elle ne couvre pas les pollutions provoquées par les hydrocarbures non persistants (essence, kérosène, huile diesel légère), ni celles provenant d'hydrocarbures persistants issus des soutes de cargos ou de porte-conteneurs.

La convention fait peser de plein droit sur le propriétaire du pétrolier, même en l'absence de toute faute, la responsabilité pour pollution à l'égard des tiers . Le propriétaire n'est dégagé de sa responsabilité que dans des cas très limités, énumérés par la convention : acte de guerre, catastrophe naturelle, acte de sabotage, négligence des autorités publiques responsables de l'entretien des feux et des aides à la navigation. La faute intentionnelle ou la négligence de la victime ayant contribué au dommage constituent également une cause d'exonération totale ou partielle du propriétaire.

La convention de 1992 canalise les actions en responsabilité, les demandes d'indemnisation ne pouvant être formulées qu'auprès du propriétaire du navire. Les victimes peuvent chercher à se faire indemniser hors du cadre de la convention de 1992 par des personnes autres que le propriétaire, mais cette convention interdit toutefois l'introduction de demandes contre les préposés ou mandataires des propriétaires, les membres de l'équipage, le pilote, l'affréteur, l'exploitant ou l'opérateur du navire ou bien contre toute personne qui est intervenue dans les opérations d'assistance. Par ailleurs, aucune demande de réparation de dommage par pollution ne peut être formée autrement que sur la base de cette convention sur la responsabilité civile. Le propriétaire est tenu d'assurer son navire dès lors que la cargaison dépasse 2.000 tonnes.

En contrepartie de cette responsabilité de plein droit, le propriétaire peut en limiter l'étendue, les plafonds de responsabilité variant selon la jauge du navire. Cette limitation de responsabilité ne s'applique pas en cas de faute intentionnelle ou inexcusable du propriétaire, notion qui est interprétée de manière assez restrictive puisqu'elle ne couvre pas la négligence, même grossière, de l'armateur.

Les sinistres intervenus au cours de la dernière décennie (celui du Nakhodka au Japon et l' Erika en France) ont mis en lumière le caractère extrêmement bas des plafonds de responsabilité des propriétaires de pétrolier . Plusieurs États ont engagé une procédure d'amendement ayant permis, sans procéder à la révision de la convention de 1992 elle-même, d'en augmenter d'un peu plus de 50% les plafonds de responsabilité à compter du 1 er novembre 2003.

Les limites de responsabilité des propriétaires de pétroliers s'établissent comme suit depuis le 1 er novembre 2003:

- 6,6 millions de dollars (4,510 millions de droits de tirages spéciaux) pour un navire dont la jauge brute ne dépasse pas 5.000 unités ;

- 6,6 millions de dollars (4,510 millions de DTS) majorés de 920 dollars (631 DTS) par unité de jauge supplémentaire, pour un navire dont la jauge brute est comprise entre 5.000 et 140.000 unités de jauge ;

- 131 millions de dollars (89,770 millions de DTS) pour un navire dont la jauge brute est égale ou supérieure à 140.000 unités.

B. LE FIPOL

Compte tenu du plafonnement des indemnisations prévues par la convention sur la responsabilité civile, un deuxième niveau d'indemnisation a été défini par la convention internationale portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (convention FIPOL) de 1971. Tout comme la convention sur la responsabilité civile, la convention FIPOL a été modifiée par un protocole en 1992. Durant plusieurs années, deux fonds aux plafonds d'indemnisation différents et ne comptant pas les mêmes États membres ont coexisté. Toutefois, avec l'adhésion progressive d'un plus grand nombre d'États 1 ( * ) (85 États membres à la date de rédaction du présent rapport) à la convention de 1992, la convention de 1971 a cessé d'être en vigueur le 24 mai 2002. Le fonds qui lui était rattaché n'intervient plus désormais que pour des sinistres antérieurs à cette date.

Le FIPOL est une organisation intergouvernementale composée d'États. Elle dispose d'une personnalité juridique propre, distincte de celle de l'Organisation maritime internationale.

La charge financière des indemnisations est pour sa part assurée par des contributions sur les importateurs de chaque État membre recevant plus de 150.000 tonnes d'hydrocarbures par an . Le FIPOL ne communique pas le détail des contributions mais seulement leur répartition selon le pays d'appartenance de chaque contributeur. Elle s'établissait comme suit pour l'année civile 2002 : Japon, 18,5% ; Italie, 10% ; République de Corée, 8,7% ; Pays-Bas, 7,9% ; France, 7,2% ; Inde, 6,8% ; Royaume-Uni, 5,4% ; Canada, 5,2% ; Singapour, 4,7% ; Espagne, 4,6% ; Allemagne, 2,8% ; Australie, 2,3% ; autres pays, 15,9%.

Le montant des contributions varie d'une année à l'autre, en fonction des sommes que le FIPOL verse à titre d'indemnisation.

Le FIPOL intervient en complément de l'assureur du navire, lorsque le montant du dommage excède le montant de la réparation fixée par la convention de 1992 sur la responsabilité civile. Il peut être également appelé en substitution du propriétaire du navire, si celui-ci et son assureur se révèlent insolvables, ou si le propriétaire peut invoquer une cause l'exonérant de sa responsabilité.

Le montant maximal payable par le FIPOL a été réévalué selon une procédure identique à celle utilisée pour les plafonds de responsabilité civile. A compter du 1 er novembre 2003, le montant total disponible au titre de l'indemnisation d'un sinistre s'élève à 203 millions de droits de tirage spéciaux (DTS), soit 296 millions de dollars , ce montant incluant la somme versée par le propriétaire au titre de sa responsabilité civile, à laquelle vient s'ajouter la participation du FIPOL.

Quiconque, dans un État membre, a subi un dommage par pollution ou encouru des dépenses au titre d'opérations de nettoyage peut former une demande auprès du FIPOL, qu'il s'agisse de particuliers, d'entreprises, d'autorités locales ou de l'État lui-même. Toutes les victimes sont placées sur un pied d'égalité . Si le plafond d'indemnisation est atteint, son montant est réparti, au prorata, entre les demandeurs, sur la base des créances établies.

La convention précise expressément que le FIPOL est subrogé dans les droits de la victime indemnisée par lui pour se retourner contre le propriétaire ou d'autres opérateurs susceptibles d'être considérés comme responsables du dommage aux termes de la convention sur la responsabilité.

C. LES INSUFFISANCES DU RÉGIME D'INDEMNISATION

Le régime international d'indemnisation des pollutions maritimes par hydrocarbures a fait l'objet de nombreuses critiques à la suite des marées noires de grande ampleur survenues ces dernières années. Ces critiques portent sur l'insuffisance du montant global d'indemnisation garanti aux victimes de dommages, mais aussi sur l'architecture du système lui-même qui, en limitant la responsabilité des propriétaires de pétroliers, ne renforce pas autant qu'il serait souhaitable la prévention des accidents.

En ce qui concerne le montant global d'indemnisation disponible pour les victimes de dommages , on peut remarquer que, tel qu'il se présente depuis la revalorisation de 50% des plafonds d'indemnisation, entrée en vigueur au 1 er novembre dernier, le régime international ne serait toujours pas en mesure de réparer des dommages d'ampleur comparable à ceux survenus à la suite du naufrage de l' Erika , évalués à environ 350 millions d'euros. L'insuffisance est encore plus flagrante au regard des dommages résultant du naufrage du Prestige , évalués à 1,1 milliard d'euros. Il faut rappeler que le montant d'indemnisation disponible pour ces deux sinistres, compte tenu de la date à laquelle ils sont intervenus, se limitait à 171,5 millions d'euros.

On peut aussi remarquer qu'en cas d'insuffisance des fonds disponibles au regard de l'ampleur des dommages, aucune hiérarchie n'est établie entre les différentes créances, par exemple entre celles résultant d'une cessation d'activité professionnelle pour cause de pollution, celles liées à des diminutions de revenus ou des dommages causés aux biens et enfin les créances publiques.

Mais au delà du montant des réparations et de leur mise en oeuvre, ce système d'indemnisation souffre de bien d'autres insuffisances qui ont été mises en lumière dans le cadre des travaux engagés tant au Sénat qu'à l'Assemblée Nationale à la suite des catastrophes de l' Erika et du Prestige .

De manière schématique, trois types de griefs sont adressés au système international d'indemnisation.

Premièrement, le critère unique retenu par la convention sur la responsabilité civile, à savoir le tonnage du navire, n'est que partiellement pertinent au regard des dommages potentiels. Il serait cohérent de prévoir des plafonds de responsabilité plus élevés pour les navires dont la dangerosité est la plus forte , compte tenu de leur état d'entretien ou des caractéristiques de leur cargaison.

Deuxièmement, le déséquilibre s'est accentué, en terme d'indemnisation, entre la responsabilité du propriétaire et celle des compagnies pétrolières importatrices qui alimentent le FIPOL. La part croissante du FIPOL dans les montants d'indemnisation n'incite guère les armateurs à améliorer la qualité de leurs navires et à veiller aux standards de sécurité, ni leurs assureurs à se montrer plus sélectifs quant aux navires assurés et à leur état d'entretien.

Troisièmement, en instituant des mécanismes de responsabilité automatique et de mutualisation, le système a incontestablement privilégié la simplicité et la rapidité de l'indemnisation, en évitant aux victimes des dommages de demander réparation par le biais de procédures judiciaires longues, complexes et aléatoires. Mais il a de ce fait favorisé une certaine dilution des responsabilités individuelles des différents opérateurs , y compris celle des affréteurs, peu incités à recourir à une flotte de qualité, et il contribue « au laisser-aller » en matière de sécurité, notamment en évacuant la responsabilité d'autres acteurs du transport maritime.

L'INTERVENTION DU FIPOL
DANS LES SINISTRES DE L'ERIKA ET DU PRESTIGE

(source : FIPOL)

Le naufrage de l'Erika (12 décembre 1999)

Au 5 mai 2004, 6 919 demandes d'indemnisation avaient été déposées pour un montant total de 207 millions d'euros . Le montant global disponible à titre d'indemnisation ne s'élève quant à lui à qu'à 185 millions d'euros , dont 13 millions d'euros auprès de l'assureur du propriétaire , le Club P&I Steamship Mutual, et 172 millions d'euros auprès du FIPOL .

Pour permettre au FIPOL de verser des indemnités substantielles aux victimes, le Gouvernement français et TotalFinaElf ont décidé de faire valoir leurs demandes seulement si et pour autant que toutes les autres demandes auraient été payées intégralement, à condition toutefois que la demande du Gouvernement français ait la priorité sur celle de TotalFinaElf. Des paiements d'un montant de 91 millions d'euros, portant sur 5 506 demandes, ont été versés aux demandeurs. 382 autres demandes, représentant un montant de 21 millions d'euros sont soit en cours d'évaluation, soit en attente d'un complément d'information pour que l'évaluation puisse être menée à bien. Au vu de la marge prévisible entre le montant disponible et toutes les autres demandes, le FIPOL a versé au Gouvernement français le 29 décembre 2003 une somme de 10,1 millions d'euros correspondant aux paiements qu'il avait effectués au profit des demandeurs des secteurs du tourisme.

Quelque 600 demandeurs ont engagé une action en justice contre le propriétaire du navire, son assureur et le FIPOL. Un règlement à l'amiable a été négocié avec environ 270 d'entre eux. Les négociations se poursuivent avec les autres. Le FIPOL a pour sa part engagé une action en justice pour recouvrer les montants versés par celui-ci à titre d'indemnisation, contre les parties susceptibles d'être reconnues responsables du sinistre, à savoir le propriétaire du navire et l'armateur gérant, l'assureur responsabilité, l'affréteur et les sociétés de classification ayant inspecté l' Erika .

Le naufrage du Prestige (13 novembre 2002)

Selon les estimations, le total des pertes subies au titre du sinistre du Prestige, qui a atteint l'Espagne, la France et le Portugal, pourrait être de 1,1 milliard d'euros . Le montant global disponible à titre d'indemnisation s'élève quant à lui à 172 millions d'euros , dont 22 millions d'euros auprès de l'assureur du propriétaire , le London Club P&I et 150 millions d'euros auprès du FIPOL . Compte tenu de l'écart considérable entre le montant des demandes, tel qu'il peut être actuellement estimé, le Comité exécutif du FIPOL a décidé en mai 2003 que les paiements seraient limités à 15% des pertes ou dommages effectivement subis par chaque demandeur . Étant donné les chiffres fournis en février 2004 par les gouvernements des trois États concernés et les incertitudes qui demeurent quant au niveau des demandes recevables, le Comité exécutif a décidé de maintenir ce niveau des paiements.

II. LES AMÉLIORATIONS APPORTÉES PAR LE PROTOCOLE DU 16 MAI 2003

L'insuffisance des réparations dans le cadre des conventions de 1992 a conduit l'OMI, sous la pression des pays de l'Union européenne et en particulier de la France, a relever une nouvelle fois le montant disponible pour les indemnisations dans le cadre d'un nouveau protocole, signé le 16 mai 2003.

Ce protocole instaure un nouveau fonds, le Fonds complémentaire d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, qui vise à compléter, par un troisième niveau d'indemnisation supplémentaire , l'indemnisation offerte en vertu des conventions de 1992 sur la responsabilité civile et sur le FIPOL. L'adhésion au Fonds complémentaire est facultative, et ouverte à tout État partie du FIPOL au titre de la convention de 1992. Ce Fonds complémentaire n'indemnisera qu'au titre des dommages par pollution survenus dans les États membres à la suite de sinistres s'étant produits après sa création.

A. LE FONCTIONNEMENT DU FONDS COMPLÉMENTAIRE

Alors qu'un relèvement des plafonds de responsabilité civile et d'indemnisation du FIPOL avait décidé en octobre 2000 pour une entrée en vigueur le 1 er novembre 2003, il paraissait difficile d'engager rapidement une nouvelle révision des conventions de 1992, d'autant que nombre d'États membres du FIPOL jugeaient ces plafonds suffisants pour couvrir des sinistres pouvant toucher dans leurs pays.

La conférence diplomatique de l'OMI qui s'est déroulée du 12 au 16 mai 2003 est parvenue à un accord sur un autre type de dispositif, à savoir la création d'un fonds complémentaire permettant aux États qui y adhèrent de disposer d'une meilleure couverture des sinistres de nature à assurer une indemnisation rapide et complète de leurs ressortissants.

Ce fonds complémentaire fonctionnera selon des mécanismes similaires au fonds FIPOL de 1992, mais sur une base facultative .

Il interviendra dès lors que l'ampleur du sinistre dépassera le plafond prévu par les conventions de 1992. L'instruction des dossiers devant le fonds complémentaire ne donnera pas lieu à un réexamen de la recevabilité et des évaluations réalisées dans le cadre des deux premiers niveaux d'indemnisation. De même, dans la phase amiable, la demande présentée par les victimes contre le fonds de 1992 vaudra également contre le fonds complémentaire. En revanche, toute action en justice devra nécessairement être intentée contre le fonds complémentaire qui constitue une entité juridique distincte du fonds de 1992.

L'objet principal du fonds complémentaire est de relever très significativement le montant total disponible pour l'indemnisation des dommages. Avec l'entrée en vigueur du protocole du 16 mai 2003, ce montant total disponible atteindra 750 millions de DTS (1.093 millions de dollars), contre 203 millions de DTS (296 millions de dollars) seulement dans le cadre des conventions de 1992.

Le fonds complémentaire lui-même s'élèvera donc à 547 millions de DTS (797 millions de dollars). Comme le fonds de 1992, il sera alimenté par les contributions des importateurs de pétrole dans les États parties au protocole qui reçoivent au minimum 150 000 tonnes d'hydrocarbures.

Toutefois, un mécanisme de plafonnement temporaire a été prévu : les contributions dues par les importateurs d'un État partie au protocole ne pourront dépasser 20% du total des contributions annuelles dues au fonds complémentaire. En cas de dépassement de ce plafond, les contributions des importateurs de l'état concerné seront réduites au prorata, de telle sorte que leur montant total soit ramené à 20% du montant global défini pour l'année considérée. En contrepartie, les contributions des importateurs des autres pays seront relevées.

Ce mécanisme de plafonnement est transitoire et s'appliquera durant la phase de « montée en puissance » du fonds complémentaire, c'est à dire tant que la quantité totale d'hydrocarbures reçus dans les États parties au protocole restera inférieure à un milliard de tonnes et, en tout état de cause, pour une durée maximale de dix ans après l'entrée en vigueur. Il s'agit d'éviter que la charge des sinistres indemnisés par le fonds complémentaire ne pèse trop lourdement sur un ou deux États tant que le nombre d'États parties demeure relativement limité. Cette clause constituait notamment une condition préalable à l'adhésion du Japon, dont la part contributive par sinistre avoisine les 20 % dans le cadre du fonds de 1992. Le plafonnement temporaire pourrait également bénéficier à l'Italie qui supporterait 23 % des contributions totales en cas d'entrée en vigueur du protocole avec les seuls États de l'Union européenne.

Il faut en outre signaler que le protocole instaure une disposition destinée à inciter les États membres à veiller au bon recouvrement des contributions de leurs importateurs . Il est ainsi prévu que dans le cas où un État n'aurait pas rempli son obligation de faire rapport au fonds complémentaire des quantités d'hydrocarbures réceptionnées par ses importateurs, toute indemnisation serait suspendue jusqu'à régularisation. À défaut de régularisation dans l'année qui suit, toute indemnisation au titre de l'incident sera refusée.

Dans un ordre d'idée similaire, le protocole additionnel instaure une contribution minimale, chaque État partie étant réputé recevoir au moins 1 million de tonnes d'hydrocarbures. Il s'agit ici d'impliquer davantage les États, tant au niveau du recouvrement que dans les organes de décision, qui peuvent parfois être paralysés par fait d'absentéisme.

B. LES MODALITÉS D'ENTRÉE EN VIGUEUR

Les clauses finales du protocole soumettent son entrée en vigueur à une double condition :

- sa ratification par huit États au moins ;

- et l'importation au cours de l'année civile précédente, d'au moins 450 millions de tonnes d'hydrocarbures dans les États parties.

Lorsque ces conditions seront remplies, le protocole entrera en vigueur pour chaque État adhérant trois mois après le dépôt de son instrument de ratification.

Inversement, l'extinction du protocole est prévue si le nombre des États contractants devient inférieur à 7 ou lorsque la quantité totale d'hydrocarbures importée dans ces États devient inférieure à 350 millions de tonnes.

Le Danemark et la Norvège ont déjà ratifié le protocole complémentaire. La Finlande s'apprête à le faire. Outre la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Irlande, l'Espagne et le Japon pourraient achever les procédures de ratification au cours de l'été, ce qui laisse espérer une entrée en vigueur pour la fin de l'année 2004.

C. UNE SOLUTION PARTIELLEMENT SATISFAISANTE POUR LE RÉGIME INTERNATIONAL D'INDEMNISATION

Le protocole du 16 mai 2003 portant création d'un fonds complémentaire d'indemnisation semble essentiellement répondre à un impératif immédiat : ne pas se retrouver dans une situation analogue à celle résultant du naufrage du Prestige , dans laquelle des plafonds d'indemnisation insuffisants conduisent à des situations inacceptables pour les victimes, notamment celles qui sont le plus directement touchées par les pollutions.

Les négociateurs ont ainsi privilégié la garantie d'indemnisation sur la recherche d'un meilleur équilibre entre les responsabilités de chaque intervenant , dans une optique de prévention.

Le fonds complémentaire ne couvrira pas les sinistres antérieurs à son entrée en vigueur, et laissera donc pendante la question de l'indemnisation des victimes de la marée noire du Prestige. Il accentue la distorsion, déjà flagrante dans le cadre du FIPOL, entre la responsabilité du propriétaire du pétrolier et celle des importateurs. Il ne remédie pas à certaines imperfections du régime de responsabilité et d'indemnisation prévu par les conventions de 1992, notamment la responsabilité indistincte du propriétaire quelle que soit la dangerosité du navire ou de sa cargaison, l'impossibilité de lever le plafond de responsabilité dans des cas de négligence grave autres que la faute intentionnelle ou inexcusable, l'absence de hiérarchisation des demandes présentées devant le FIPOL.

Aussi faut-il considérer le protocole du 16 mai 2003 comme une réponse dictée par l'urgence, qui devra impérativement être prolongée par une amélioration des conventions de 1992, notamment celle sur la responsabilité civile.

C'est d'ailleurs la position exprimée très clairement par le Gouvernement dans l'exposé des motifs du projet de loi lorsqu'il affirme que « si la réforme de ce système s'arrêtait à ce protocole, la critique qui a pu être formulée à son encontre, à savoir qu' il augmenterait l'irresponsabilité des propriétaires de navires en les déchargeant de presque tout le poids de l'indemnisation , recevrait quelque fondement ». Pour le Gouvernement, le protocole « ne saurait constituer que la première réponse urgente à la situation présente » en l'attente d'une révision, le plus rapidement possible, de la convention sur la responsabilité civile . Le gouvernement ajoute que « l'appui des instances communautaires dans la recherche d'un consensus avec les pays de l'Union ayant des intérêts importants dans le commerce maritime sera déterminant pour le succès de cette révision ».

CONCLUSION

Par leur ampleur, les récentes marées noires de l 'Erika et plus encore du Prestige ont malheureusement démontré les graves lacunes des régimes de prévention et de réparation des dommages provoqués par la pollution maritime par les hydrocarbures.

Cette situation appelle une action résolue, tant à l'échelle nationale qu'au niveau européen et international, dans une très large gamme de domaines : réglementation de la navigation, surveillance du trafic, organisation des secours, traitement des pollutions, réparation des dommages.

On doit constater que depuis les deux derniers sinistres qui ont affecté notre pays, certaines avancées ont été réalisées ou amorcées. À titre d'exemple, on peut citer la mise en place de l'Agence européenne de la sécurité maritime, la publication, par les instances européennes, d'une liste noire de navires, le renforcement des procédures d'inspection des navires, l'accélération du retrait des pétroliers à simple coque, l'amélioration des normes sociales applicables aux équipages, l'aggravation des sanctions pénales à l'encontre des pollueurs. Sur le plan de l'indemnisation des dommages, les plafonds des conventions de 1992 ont été relevés et la création d'un fonds complémentaire initiée.

En dépit de ces initiatives, qui traduisent une certaine prise de conscience, dont le degré est certes variable selon les États, les motifs d'insatisfaction perdurent.

D'une part, l'essentiel des mesures prises ne vaudront que pour l'avenir. Elles demeurent sans effet sur les sinistres passés, notamment ceux, comme le naufrage du Prestige , pour lesquels le régime international de responsabilité et d'indemnisation a démontré ses insuffisances.

D'autre part, elles ne remédient pas à certains défauts graves de la réglementation internationale. Ainsi, bien que permettant une meilleure indemnisation des victimes, le protocole du 16 mai 2003 accentue la dilution de responsabilité qui résultait déjà des conventions de 1992. Une plus grande responsabilisation des acteurs concernés impliquerait à tout le moins un relèvement très substantiel du plafond de responsabilité des propriétaires de navires et des règles individualisant davantage le poids de la réparation dès lors que des négligences ou des fautes ont pu être constatées.

C'est donc en souhaitant une amélioration plus poussée du régime international de responsabilité civile et d'indemnisation que votre commission des Affaires étrangères et de la défense vous demande d'adopter le projet de loi autorisant l'approbation du présent protocole.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent projet de loi lors de sa réunion du mercredi 9 juin 2004, présidée par M. André Dulait, président.

À la suite de l'exposé du rapporteur, M. André Dulait, président, a souligné que la Chine était appelée à devenir l'un des principaux importateurs de pétrole et il s'est interrogé sur sa participation aux régimes d'indemnisation.

M. Louis Moinard, insistant sur la nécessité de mesures préventives, a souhaité savoir si les procédures d'inspection des navires avaient été renforcées depuis les dernières marées noires.

M. Jean-Guy Branger a considéré qu'en matière d'inspection de navires, de très minces progrès avaient été réalisés.

M. Ernest Cartigny s'est interrogé sur les raisons justifiant la mise en place, par les États-Unis, de leur propre régime d'indemnisation des pollutions maritimes par hydrocarbures, indépendamment du FIPOL.

M. André Boyer, rapporteur, a apporté les précisions suivantes :

- la Chine ne participe au FIPOL qu'au titre de la région administrative spéciale de Hong Kong ;

- un effort a été engagé pour renforcer le contrôle des pétroliers ; les effectifs étant insuffisants, des inspecteurs supplémentaires ont été recrutés ; des mesures d'organisation ont été prises pour accentuer le contrôle des navires à risque ; toutefois, ces dispositions ne produisent d'effets que très progressivement ;

- les Etats-Unis ont adopté en 1990 leur propre législation sur la réparation des dommages résultant de marées noires, deux ans avant la révision des conventions de l'OMI sur la responsabilité civile et le FIPOL ; elle se caractérise par la possibilité de mettre en jeu la responsabilité illimitée de l'armateur, ce qui engage ce dernier à veiller particulièrement sur la sécurité ; elle soumet également à certaines conditions préalables l'entrée des pétroliers dans les eaux territoriales américaines.

La commission a ensuite adopté le projet de loi.

PROJET DE LOI

(Texte adopté par l'Assemblée nationale)

Article unique

Est autorisée l'approbation du protocole à la convention du 27 novembre 1992 portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, fait à Londres le 16 mai 2003, dont le texte est annexé à la présente loi. 2 ( * )

* 1 Les États-Unis n'ont pas adhéré aux conventions sur la responsabilité civile et sur le FIPOL. Ils ont adopté en 1990 leur propre législation, l'Oil Pollution Act, qui se caractérise par la possibilité de mettre en jeu la responsabilité illimitée de l'armateur et par l'exigence de diverses conditions préalables pour l'entrée des pétroliers dans les eaux territoriales américaines.

* 2 Voir le texte annexé au document projet de loi n° 1510 (Assemblée nationale - 12 ème législature).

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