B. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

La proposition de loi, dans sa rédaction actuelle, a suscité plusieurs critiques. Ainsi la commission nationale consultative des droits de l'homme dans un avis adopté le 20 janvier dernier a critiqué ce texte en déplorant en particulier la restriction « des pouvoirs d'appréciation du juge quant au choix de la peine et de ses modalités ». Votre commission a souhaité tenir compte des observations présentées par les nombreuses personnalités entendues par son rapporteur 29 ( * ) tout en préservant l'objectif d'une lutte plus efficace contre la récidive.

1. L'analyse de votre commission des Lois

Le dispositif proposé par l'Assemblée nationale appelle une appréciation nuancée.

Les aspects positifs

Il comporte, au titre de la répression de la récidive, des dispositions très utiles . Il en est ainsi plus particulièrement de :

- L'extension des délits assimilés au regard de l'application des règles de la récidive légale en raison des liens évidents entre ces infractions ;

- la limitation du nombre des condamnations assorties d'un sursis avec mise à l'épreuve afin de limiter le cumul des sursis préjudiciable à la crédibilité de la sanction ;

- la faculté pour la juridiction de jugement de relever d'initiative l'état de récidive compte tenu de la garantie reconnue à la personne poursuivie d'en être informée et de faire valoir, le cas échéant, avec le concours d'un avocat, ses observations.

Par ailleurs, au chapitre de la prévention , il importe également de relever la possibilité très opportune d'étendre aux psychologues les responsabilités confiées au médecin traitant dans le cadre de l'injonction de soins susceptible d'accompagner le suivi socio-judiciaire.

Cependant, plusieurs des dispositions de la proposition de loi soulèvent certaines interrogations.

Un dispositif perfectible

- Des incertitudes juridiques

En premier lieu, l'obligation faite au juge de décerner un mandat de dépôt à l'audience contre un récidiviste, si elle répond à l'objectif auquel souscrit pleinement votre commission d'une exécution plus rapide des décisions de justice, appelle une double réserve. D'abord, elle affecte le respect de la liberté individuelle (la détention devenant le principe et la liberté l'exception) ainsi que celui de la présomption d'innocence (la personne n'étant pas définitivement condamnée). Ensuite, elle ne vise que les récidives des faits de violence et non les autres hypothèses de récidive justifiables également d'une sanction rapide.

Par ailleurs, l'application du placement sous surveillance électronique mobile aux personnes déjà condamnées à la date d'entrée en vigueur de la soulève certaines interrogations au regard de la non rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

- Des dispositions parfois excessives

La réduction des crédits de peine pour les détenus en état de récidive apparaît excessive alors même que ces condamnés encourent du fait même de l'état de récidive un doublement de la peine.

En outre, l'intégration des irresponsables pénaux, quelle que soit l'infraction commise, dans le fichier des auteurs d'infractions sexuelles, ne met pas seulement en cause la spécificité de ce fichier mais conduit à appliquer à ces personnes un traitement excessivement rigoureux dans la mesure où le texte prévoit leur inscription systématique indépendamment de la peine encourue pour l'infraction commise.

- Le placement sous surveillance électronique mobile : de nombreuses interrogations

Le placement sous surveillance soulève une triple interrogation quant aux modalités pratiques de sa mise en oeuvre, au régime juridique retenu par les députés et, enfin, à l'efficacité d'un tel dispositif.

Les conditions de réalisation de la surveillance électronique mobile présentent, en premier lieu, plusieurs incertitudes. Il convient d'abord de relever que la technique du GPS sur laquelle reposerait ce système dépend aujourd'hui du système satellitaire américain et présente, à ce titre, des limites au regard des principes de confidentialité et d'indépendance dans le traitement des données concernant les personnes condamnées.

En outre, les exigences d'une grande sécurité informatique, compte tenu des risques potentiels de récidive des délinquants porteurs de ce bracelet, impliquent a priori un coût plus élevé que l'actuel système fixe de placement sous surveillance électronique. Par ailleurs, le projet nécessiterait d'importants moyens humains, en particulier si le principe d'une surveillance continue devait être retenu. Aucune évaluation chiffrée n'a, du reste, été conduite sur la charge financière liée au placement sous surveillance électronique mobile. Selon les informations communiquées par la direction de l'administration pénitentiaire, le nombre potentiel de délinquants concernés pourrait s'élever à 6.000.

Les incertitudes juridiques ne sont pas moindres. La procédure retenue par l'Assemblée nationale apparaît en effet très complexe.

D'une part, l'articulation des rôles respectifs de la juridiction de jugement et de la juridiction de l'application des peines n'apparaît pas satisfaisante. La seconde peut en effet ne donner aucune suite à la décision prononcée lors de la condamnation.

D'autre part, les modalités d'évaluation de la dangerosité de l'individu semblent excessivement lourdes et complexes. En effet, elles requièrent les interventions successives du juge de l'application des peines et du tribunal de l'application des peines précédées chacune de consultations obligatoires. Le tribunal de l'application des peines doit en particulier recueillir l'avis d'une commission des mesures de sûreté, nouvel organe dont la composition a été renvoyée au pouvoir réglementaire.

Par ailleurs, il semble que la proposition de loi envisage le placement sous surveillance électronique mobile tantôt comme un dispositif réservé aux infractions les plus graves (articles 7 et 8) tantôt comme une simple modalité technique de surveillance (articles 12 et 16).

En outre, même si le placement sous surveillance électronique mobile est sensé contribuer à la « réinsertion » du condamné (art. 131-36-10 nouveau du code pénale), aucun élément du dispositif ne concourt réellement à cet objectif.

En troisième lieu, l' efficacité du dispositif demeure controversée . Selon certains experts, comme le Dr Louis Roure, entendu par votre commission, le port de ce bracelet peut exercer un effet dissuasif. Selon lui, « la crainte et le contrôle constituent les deux attitudes les mieux comprises du délinquant pour éviter de commettre une infraction ». D'autres estiment néanmoins qu'aucun dispositif ne saurait empêcher un déséquilibré de commettre une nouvelle infraction. Il serait donc utile d'évaluer l'impact possible de ce bracelet sur le comportement des délinquants sexuels.

Il apparaît en effet essentiel de ne pas susciter des espoirs excessifs dans un système qui ne pourrait répondre aux objectifs visés.

La technique du bracelet électronique mobile a déjà été expérimentée dans l'Etat de Floride aux Etats-Unis et au Royaume Uni. Il serait sans doute très utile de tirer les leçons de ces expériences.

L'expérience anglaise

Le système de surveillance par GPS a été mis en oeuvre par l'administration pénitentiaire, à titre expérimental, dans trois zones (Manchester, Hampshire et les West Midlands). Il concerne actuellement une centaine de détenus ayant purgé leur peine. Le système permet de localiser ces personnes à tout moment grâce à un émetteur relié à une base centrale. Si la personne pénètre dans une zone interdite, l'information est enregistrée par l'ordinateur. Le surveillant peut alerter les services de police afin de procéder à l'interpellation de l'intéressé.

Cette expérimentation a débuté en septembre 2004 et devrait durer une année. Elle pourrait être prolongée au vu notamment de l'évaluation de son efficacité confiée à l'université de Birmingham.

Le coût du système s'élève actuellement à 68 livres par jour par émetteur. Quelques problèmes techniques sont apparus comme le défaut de signal par temps de forte pluies entre de grands bâtiments ou à l'intérieur d'un bâtiment.

(source : ambassade de Grrande-Bretagne en France)

Une réflexion plus approfondie sur le placement sous surveillance électronique mobile demeure donc encore nécessaire. Au reste, le rapport de la mission d'information de la commission des Lois de l'Assemblée nationale relative au traitement de la récidive des infractions pénales avait souhaité un « vaste débat national » sur le placement sous surveillance électronique mobile.

Par ailleurs, notre collègue député M. Georges Fenech a été chargé par le Premier ministre, le 3 janvier 2005, d'une mission temporaire auprès du garde des sceaux afin d'étudier notamment « la définition d'une procédure juridique organisant ce placement et précisant les modalités de son suivi » ainsi que « la faisabilité et la fiabilité technique du dispositif », son « coût estimatif » et le « fonctionnement des dispositifs analogues mis en oeuvre à l'étranger ».

En outre, la commission « santé-justice » présidée par M. Jean-François Burgelin apportera également des éclairages très intéressants, en particulier sur les moyens de mieux prévenir le risque de récidive des personnes reconnues irresponsables sur le fondement de l'article 122-1 du code pénal.

Dans ces conditions, après un large échange de vues, votre commission a estimé à l'unanimité qu'il apparaissait prématuré de retenir le régime juridique prévu par les députés pour placer sous surveillance électronique mobile certains délinquants sexuels ayant purgé leur peine, compte tenu des nombreuses incertitudes techniques et juridiques soulevées par ce dispositif.

Au reste, si l'intérêt du placement sous surveillance électronique mobile devait être confirmé, il aurait sans doute vocation à s'inscrire dans un cadre juridique existant, celui retenu pour le suivi socio-judiciaire . Cette mesure spermet en effet de suivre le condamné après la détention.

La prévention de la récidive des infractions sexuelles constitue pour votre commission un sujet de préoccupation majeur. Comme l'a souligné M. Jean-Pierre Escarfail, président de l'association pour la protection contre les agressions sexuelles lors de son audition par votre rapporteur, certains délinquants sexuels n'expriment à leur sortie de détention aucune sorte de regrets à l'endroit de leurs victimes et menacent même de commettre de nouvelles infractions. Or, aucun moyen ne doit être épargné pour prévenir de tels actes. A cet égard, les possibilités ouvertes par la technique du GPS ne doivent pas être négligées.

A ce stade, votre commission estime que ces possibilités pourraient être opportunément utilisées dans le cadre de la libération conditionnelle . En effet, celle-ci contribue de manière efficace à la prévention de la récidive en évitant les sorties « sèches » de prison.

Or, cette mesure n'est malheureusement pas suffisamment utilisée. La surveillance mobile, dont les contraintes diffèrent de celles de l'actuel bracelet fixe, pourrait être acceptée plus souvent que celui-ci par le condamné dans le cadre de sa libération conditionnelle. La surveillance constitue aussi, en principe, la garantie d'un contrôle mieux assuré pour le juge. A ces deux titres, le placement sous surveillance électronique mobile pourrait encourager le développement de la libération conditionnelle.

2. Les propositions de votre commission des Lois

Votre commission des Lois vous propose vingt-quatre amendements .

Le volet répressif

S'agissant du volet répressif de la proposition de loi, votre commission suggère de :

- donner une définition plus claire de la réitération (article 2) ;

- laisser au tribunal correctionnel la possibilité de décerner un mandat de dépôt à l'audience ; cette faculté ne serait pas limitée aux seules récidives de faits de violence mais serait ouverte à toutes les hypothèses de récidive (article 4) ;

- supprimer l'article 6 tendant à limiter le « crédit de réduction de peine » pour les récidivistes détenus (article 5).

Permettre le placement sous surveillance électronique mobile dans le cadre de la libération conditionnelle.

Compte tenu des arguments évoqués plus haut votre commission vous propose de supprimer les articles 7 et 8 de la proposition de loi instituant le placement sous surveillance électronique mobile ainsi que l'article 16 qui en prévoyait la rétroactivité.

Elle vous soumet en revanche un article additionnel tendant à permettre le recours au suivi socio-judiciaire et au placement sous surveillance électronique mobile dans le cadre de la libération conditionnelle, avec l'accord de la personne condamnée.

Le placement sous surveillance électronique mobile ne pourrait être prononcé que si la personne faisant l'objet de la libération conditionnelle est soumise aux obligations du suivi socio-judiciaire et a été condamnée pour l'une des infractions pour lesquelles est encouru le suivi socio-judiciaire (à savoir, aujourd'hui, les infractions sexuelles). En outre, compte tenu de la contrainte particulière liée à l'obligation du port d'un émetteur, le placement sous surveillance électronique mobile serait soumis à trois autres conditions d'application. Il ne pourrait être prononcé que pour les infractions punissables d'une peine de dix ans d'emprisonnement et à condition que la personne ait été condamnée à une peine de sept ans d'emprisonnement (ce seuil a été fixé à cinq ans par les députés). En outre, le placement sous surveillance électronique mobile ne serait pas applicable aux mineurs.

En contrepartie, la période de la liberté conditionnelle pourrait être prolongée au delà de la durée de la peine non subie pour une période de trois ans en matière correctionnelle et de cinq ans en matière criminelle, renouvelable une fois.

Le suivi socio-judiciaire

S'agissant du suivi socio-judiciaire , votre commission vous soumet par ailleurs :

- un article additionnel tendant à étendre le domaine d'application du suivi socio-judiciaire à tous les crimes de tortures et d'actes de barbarie. En effet, il semble justifié d'appliquer aux auteurs de ces infractions les mesures de contrôle social prévues par le suivi socio-judiciaire ;

- un amendement tendant à permettre de faire appel aux psychologues dans le cadre de l'injonction de soins non seulement en substitut du médecin traitant mais aussi en complément de celui-ci. Votre commission souhaite ainsi poser le premier jalon de la constitution d'une approche pluridisciplinaire pour le traitement de la délinquance sexuelle (article 13) ;

- un article additionnel tendant à permettre aux psychiatre de prescrire des médicaments limitant la libido même si l'autorisation de mise sur le marché ne prévoit pas cette indication ;

- un amendement de suppression de l'article 14 tendant à intégrer les irresponsables pénaux, quelle que soit l'infraction commise, dans le fichier des auteurs d'infractions sexuelles. Si le suivi de ces personnes constitue une préoccupation légitime, la mise en place d'un fichier spécifique serait sans doute préférable comme l'avait d'ailleurs suggéré le rapport d'information de l'Assemblée nationale. Par ailleurs, les recommandations de la commission santé-justice présidée par M. Jean-François Burgelin dont les conclusions seront prochainement rendues publiques devraient utilement éclairer le Parlement dans ce domaine.

Enfin, votre commission vous soumet dans le cadre d'un nouveau titre « dispositions diverses » un article additionnel permettant de procéder à certaines précisions ponctuelles des dispositions de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Ces mesures permettraient ainsi :

- d'autoriser les perquisitions sans l'assentiment de la personne pour les crimes alors que la loi a réservé ce dispositif aux seuls délits punis d'une peine de cinq ans ;

- d'éviter la saisine automatique du juge des libertés et de la détention lorsqu'une personne a été condamnée en son absence par la juridiction de jugement dans le délai écoulé entre la délivrance du mandat d'arrêt et son arrestation;

- d'éviter la remise en liberté automatique d'une personne arrêtée qui ferait appel de son jugement au motif qu'elle n'aurait pas eu connaissance de la décision de justice ;

- d'appliquer au mandat d'arrêt européen et à la procédure d'extradition les règles applicables à la personne en fuite faisant l'objet d'un mandat d'arrêt national ;

- de prévoir les modalités de désinstallation d'un dispositif de sonorisation de certains lieux ou domicile permis par la loi du 9 mars 2004 dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée.

*

* *

Au bénéfice de ces observations et sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter la proposition de loi.

* 29 Voir en annexe 4 la liste des personnes auditionnées.

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