N° 233

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 9 mars 2005

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la proposition de résolution présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne en application de l'article 73 bis du Règlement par Mme Alima BOUMEDIENE-THIERY sur les propositions de décision du Conseil relatives à la signature, à l'application provisoire et à la conclusion d'un protocole à l' accord euroméditerranéen entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République tunisienne , d'autre part, pour tenir compte de l'adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de la République d'Estonie, de la République de Chypre, de la République de Hongrie, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque (E 2763),

Par M. Robert DEL PICCHIA,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert Del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Francis Giraud, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Jacques Peyrat, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.

Voir le numéro :

Sénat : 159 (2004-2005).

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Lancé en 1995 avec la déclaration de Barcelone, le partenariat euro- méditerranéen, cadre multilatéral d'échanges entre riverains de la Méditerranée, comporte trois volets principaux : un volet politique, récemment complété par les questions de sécurité, un volet économique, avec l'objectif de la création d'une zone de libre-échange d'ici à 2010 et un volet social et culturel. Un instrument financier spécifique est dédié au soutien du processus de Barcelone, MEDA (mesures d'accompagnement), afin de fournir une aide financière en contrepartie des réformes structurelles nécessaires.

Le cadre multilatéral est décliné en accords bilatéraux entre les Etats membres de l'Union européenne et leurs partenaires du Sud et de l'Est de la Méditerranée. Six de ces accords sont en vigueur, deux sont en cours de ratification et les négociations pour la conclusion de l'accord d'association avec la Syrie sont terminées.

Les accords d'association sont des accords mixtes, conclu par la Communauté européenne et ses Etats membres. Le volet commercial, compétence communautaire, peut être mis en oeuvre par anticipation tandis que le volet politique rend nécessaire une ratification de l'Accord par les Etats membres.

Suite à l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux membres, ces accords, ratifiés par les nouveaux adhérents, doivent subir un certain nombre d'adaptations techniques. Celles-ci portent notamment sur la prise en compte des nouvelles langues officielles de l'Union et sur l'aménagement des contingents tarifaires pour certains produits et prennent la forme d'un protocole.

C'est à l'occasion de l'examen du protocole à l'accord euro méditerranéen avec la Tunisie que la Délégation du Sénat pour l'Union européenne a adopté la proposition de résolution qui fait l'objet du présent rapport.

Avant d'en aborder les termes, votre rapporteur évoquera brièvement l'application des accords euro méditerranéens.

I. DIX ANS DE PROCESSUS DE BARCELONE : UN BILAN CONTRASTÉ

A. DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES

Les objectifs du processus de Barcelone, la promotion d'un espace de paix et de prospérité peuvent apparaître ambitieux au regard de la situation qui prévaut, 10 ans après.

La région accuse un retard de développement significatif et se trouve, en dépit d'un potentiel important et d'une richesse relative, marginalisée dans le processus de mondialisation.

Sur le plan politique, une contestation politique se plaçant sur le terrain du religieux affecte de nombreux Etats ; elle y est généralement sévèrement réprimée, tandis que, sur le fond, des concessions préjudiciables aux droits de l'homme et, le plus souvent, aux droits des femmes sont accordées. L'après 11 septembre, en donnant la priorité à la lutte contre le terrorisme, a souvent conduit à restreindre les libertés, à développer les lois d'exception et, sous couvert de lutte contre le terrorisme, à réduire les oppositions.

A la lecture des rapports d'organisations internationales ou des organisations non gouvernementales, aucun des pays de la région ne répond véritablement aux standards occidentaux en matière de respect des droits de l'homme, avec, cependant des situations différenciées. Tout comme ses voisins, l'Etat d'Israël, seule démocratie de la région et respectueuse des droits de l'homme à l'égard de ses citoyens, est aussi régulièrement dénoncée par les organisations oeuvrant pour le respect des droits de l'homme, pour son comportement de puissance occupante dans les territoires palestiniens.

Le volet politique des accords d'association, en l'absence de mécanisme d'évaluation, n'a jamais donné lieu à l'application de sanctions à la différence du mécanisme prévue par l'article 96 de l'accord de Cotonou avec les pays ACP.

Sur le plan économique, les accords d'association ont permis de développer les échanges bilatéraux entre l'Union européenne et ses partenaires, l'UE étant le premier partenaire économique de chacun des pays de la région. Le développement des échanges intra-régionaux n'a quant a lui que faiblement progressé, le rapport sur le développement du monde arabe de 2002 ne les évaluant qu'à 5 % des flux économiques de la région.

L'instrument financier de soutien des réformes, MEDA, a également suscité certaines déceptions, en raison notamment de procédures particulièrement lourdes et de délais importants dans les décaissements. Au 31 décembre 2003, le ratio engagements/paiements pour la période 1995 à 2003, ne s'élevait qu'à 45,2 %. Les paiements ont connu une accélération notable ces dernières années mais l'instrument MEDA peine à accompagner les réformes nécessaires aux restructurations d'économies fortement protégées et faiblement diversifiées.

B. UN DIALOGUE PRÉSERVÉ

Les résultats du processus de Barcelone peuvent apparaître contrastés. Il a cependant plusieurs atouts qu'il convient de souligner.

Celui, tout d'abord, d'avoir défini un cadre global de partenariat avec les pays de la rive sud de la Méditerranéen qui intègre des problématiques politiques, économiques, sociales et culturelles dans une perspective de stabilité et de développement et ceci, bien avant les projets de « grand Moyen-Orient » américain ou de « partenariat méditerranéen » de l'Alliance atlantique.

Celui, ensuite, d'avoir préservé une instance de dialogue, sous la forme du forum euroméditerranéen, entre les Etats de la région, singulièrement entre Israël et ses voisins, au cours d'une décennie de déceptions sur le processus de paix israélo-arabe et israélo-palestinien. L'absence de règlement de ce conflit pèse en effet lourdement sur le développement des relations intra régionales.

Celui, enfin, d'avoir identifié les atouts et les difficultés de chacun des pays partenaires, en particulier sur le terrain économique, et d'en dresser des bilans d'étapes réguliers.

C. LA RELANCE DU PROCESSUS

Dans la perspective de l'élargissement à dix nouveaux membres, l'Union européenne a souhaité une relance et une intensification de ses relations avec ses voisins, à l'Est et au Sud. Cette volonté s'est traduite par l'élaboration de la politique européenne de voisinage et son lancement en 2003.

Cette politique se décline en « plans d'actions » par pays, proposés par la Commission et approuvés par le Conseil, qui devraient être approuvés prochainement pour Israël, la Jordanie, le Maroc, la Tunisie et l'Autorité palestinienne. Les négociations se poursuivent avec l'Egypte et le Liban. Elles ne sont pas encore entamées avec la Syrie et l'Algérie, dont les accords d'association ne sont pas encore en vigueur.

La relance du processus politique s'est également traduite par la transformation du forum parlementaire euro méditerranéen en assemblée parlementaire euro méditerranéenne, décidée lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères à Naples en décembre 2003.

II. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

La proposition de résolution examinée par votre Commission a été déposée par la Délégation pour l'Union européenne le 27 janvier 2005 à l'occasion de l'examen du protocole à l'accord euro méditerranéen avec la Tunisie pour tenir compte de l'adhésion des nouveaux membres à l'Union européenne, à l'initiative de notre collègue, Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce protocole ne nécessite pas de ratification parlementaire, laquelle n'est nécessaire pour les accords d'association qu'en raison des dispositions relatives au dialogue politique qu'ils contiennent, les dispositions commerciales étant généralement mises en oeuvre par anticipation.

La proposition de résolution souligne l'importance de ce volet politique dans le dialogue sur les droits de l'homme dont la situation en Tunisie fait l'objet d'un constat partagé, au niveau communautaire mais aussi en bilatéral. L'attention des partenaires de la Tunisie se focalise d'autant plus sur ces questions que la Tunisie figure au rang de « bon élève » pour les questions ayant trait aux réformes économiques et aux négociations commerciales et que le pays a accompli des progrès notables dans la réduction de la pauvreté et le développement économique.

La rédaction du texte est respectueuse de la souveraineté tunisienne et se borne à demander la stricte application des engagements souscrits par les parties à l'Accord d'association. Elle rejoint en cela les positions prises par les institutions communautaires au sein du conseil d'association. .

A. LES DROITS DE L'HOMME EN TUNISIE, UN CONSTAT PARTAGÉ

Le constat formulé par l'exposé des motifs de la proposition de résolution en ce qui concerne la situation des droits humains en Tunisie est partagé, tant par les organisations locales et internationales que par les partenaires du pays.

La liberté d'opinion et la liberté d'expression, singulièrement la situation des journalistes et de la presse, font l'objet de restrictions contraires aux lois nationales et aux conventions internationales auxquelles le pays est partie. La presse y semble en particulier moins libre que dans d'autres pays du monde arabe où elle a connu un développement considérable ces dernières années. L'évolution divergente du pays dans le domaine économique et dans le domaine du pluralisme politique nourrit une insatisfaction qui doit trouver les moyens légaux de son expression sous peine de nuire à la stabilité même du pays.

Le partage de valeurs communes est au fondement de la démarche d'association de l'Union européenne avec des pays tiers, et le respect de droits fondamentaux universels fait partie de ce socle commun.

Il est rappelé à l'article 2 de l'accord d'association, visé par les termes de la proposition de résolution, qui dispose : « les relations entre les parties, de même que toutes les dispositions du présent accord, se fondent sur le respect des principes démocratiques et des droits de l'homme qui inspirent leurs politiques internes et internationales ».

L'article 90, cité par l'exposé des motifs de la proposition de résolution est relatif au respect des obligations nées de l'Accord d'association. Il fixe une obligation générale pour les parties et précise que « si une partie considère que l'autre partie n'a pas rempli l'une des obligations que lui impose le présent accord, elle peut prendre des mesures appropriées (...)».

Sur le fondement des dispositions de l'Accord d'association, les institutions communautaires ont formulé les réserves que leur inspire la situation des droits de l'homme.

B. LES INTERVENTIONS DES INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES

Le Parlement européen a évoqué la question des droits de l'homme en Tunisie à plusieurs reprises par le vote de résolutions. Visant expressément l'Accord d'association dans une résolution du 14 décembre 2000, il a invité la Commission et le Conseil « à mettre en oeuvre tous les moyens prévus par l'Accord d'association entre l'UE et la Tunisie pour obtenir le respect des libertés fondamentales et des droits de l'homme en prévoyant notamment une suspension de cet Accord en cas de poursuites des atteintes aux droits de l'homme ».

Institution mise en place par l'Accord d'association pour les besoins du dialogue politique au niveau ministériel, le conseil d'association est le lieu privilégié pour évoquer ces questions. La cinquième session de ce conseil s'est tenue le 31 janvier 2005 et la déclaration de l'Union européenne évoque dès le premier point « l'attachement, réciproquement reconnu, aux valeurs de la démocratie, du respect des droits de l'homme et de l'Etat de droit ».

Évoquant la politique européenne de voisinage, la déclaration indique que la relation privilégiée qu'elle vise à établir est fondée sur un « engagement réciproque en faveur de valeurs communes, touchant principalement l'État de droit, la démocratie et la bonne gouvernance, le respect des droits de l'homme » et que « la relation sera déterminée par le degré d'engagement en faveur de ces valeurs et principes communs ».

Le plan d'action défini par la Tunisie dans le cadre de la politique de voisinage met un accent particulier sur la poursuite des réformes visant à renforcer la démocratie et l'Etat de droit.

La déclaration se félicite des progrès accomplis par la Tunisie dans plusieurs domaines mais « note que perdurent certaines mesures peu conformes au respect des droits de l'homme, notamment à la liberté d'expression et d'association. Ces libertés conditionnent le processus démocratique et sont de nature à favoriser le développement économique et social ».

Elle évoque ensuite un contentieux persistant entre les autorités communautaires et les autorités tunisiennes et relatif aux fonds attribués par la Commission, dans le cadre de l'Initiative européenne pour la démocratie et les droits de l'homme 1 ( * ) , à la ligue tunisienne des droits de l'homme. Le transfert de ces fonds à leur destinataire est bloqué depuis plusieurs années, ce qui conduit la déclaration finale à des termes particulièrement précis :

« L'UE souhaite approfondir ses relations directes avec la société civile tunisienne, et lance un appel aux autorités tunisiennes pour qu'elles facilitent lesdites relations. Dans ce contexte, nous espérons que les autorités tunisiennes s'attelleront dans les plus brefs délais à rechercher une solution permettant le financement direct, dans la transparence, par l'Union européenne, de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme pour des initiatives déjà identifiées. Nous attachons une grande importance à la mise en oeuvre effective des engagements que la Tunisie a pris par le biais de conventions internationales ainsi qu'à la coopération de la part des autorités tunisiennes avec les mécanismes des droits de l'homme de l'ONU, les ONG des droits de l'homme et le CICR».

Ce paragraphe contraste avec la tonalité générale du document qui atteste des efforts déployés par la Tunisie pour parvenir à un bon niveau de coopération avec l'Union européenne qui ne laisse place qu'à un nombre très limité de difficultés.

C. LA POSITION DE LA FRANCE

La qualité de la relation entre la France et la Tunisie permet un dialogue étroit sur l'ensemble des dossiers bilatéraux, y compris sur celui des droits de l'homme.

A l'occasion des visites officielles du Chef de l'Etat en décembre 2003 et du ministre des Affaires étrangères en juillet 2004, notre pays a réaffirmé son attachement au respect des droits de l'homme. Il appelle régulièrement l'attention des autorités tunisiennes sur des cas individuels.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Le texte sur lequel la proposition de résolution a été déposée n'appelle pas de commentaire particulier de la part de votre Commission.

La Délégation pour l'Union européenne rappelle à l'occasion de l'examen de ce texte que le volet politique des accords d'association, qui nécessite une ratification des Etats membres, bien que moins concret dans ses dispositions par rapport au volet commercial, n'en est pas moins porteur d'obligations et que dans le respect de la souveraineté des partenaires, de leur histoire et de leur culture, sa pleine application doit être recherchée.

Comme votre rapporteur l'a précédemment indiqué, les progrès notables accomplis par la Tunisie en matière économique et sociale appellent un niveau d'exigence accru en matière de libertés et de droits politiques qui émane au premier chef de sa propre société civile. Ils doivent permettre à la Tunisie de partager avec ses partenaires bilatéraux des impératifs communs en matière de droits de l'homme.

Votre Commission préfère l'appellation de « droits de l'homme », référence directe à la Déclaration universelle ou à la Convention de sauvegarde et utilisé à l'article 2 de l'Accord d'association, à celle de « droits humains », utilisé par certaines associations pour privilégier une neutralité de genre.

Sous cette réserve rédactionnelle, elle vous propose d'adopter sans autre modification la proposition de résolution soumise à votre examen.

* 1 Créée en 1992, l'initiative européenne pour la démocratie et les droits de l'homme (IEDDH) est gérée par la Commission et dotée de 100 millions d'euros.

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