II. LA POLITIQUE FAMILIALE FAIT FACE À DES ENJEUX RENOUVELÉS

A. ACCOMPAGNER LE DÉSIR D'ENFANT DES FAMILLES

1. La démographie française : peut-on encore être optimiste ?

a) Un dynamisme relatif mais encore insuffisant

Avec un taux de natalité d'environ treize naissances pour mille habitants et un indicateur conjoncturel de fécondité de 1,96 enfant par femme, la France se situe au deuxième rang de l'Union européenne derrière l'Irlande pour sa croissance démographique.

Depuis 2000, la natalité française connaît une relative embellie, avec un nombre de naissances systématiquement supérieur à 760.000, alors que ce chiffre était tombé à 710.000 au milieu des années 90. Ainsi, en 2004, les naissances restent à un niveau relativement élevé de 765.000 naissances, en légère progression par rapport à 2003 (+ 3.200 naissances) mais en retrait par rapport aux années 2000 et 2001, où les naissances avaient atteint le chiffre de 770.000, soit un niveau proche de celui du début des années 80.

Naissances vivantes et fécondité de 1980 à 2004

Source : Insee

Si ces résultats sont encourageants, une analyse, sur longue période, met en évidence la diminution régulière de la natalité dans notre pays : le taux de natalité est ainsi passé de 20,5 %o en 1950, à moins de 13 %o aujourd'hui. Par ailleurs, avec un indicateur conjoncturel de fécondité inférieur à deux enfants par femme en 2004, la France n'assure pas le renouvellement effectif de ses générations.

L'examen de la descendance finale des femmes confirme cette analyse. Au cours de la période récente, l'augmentation de la proportion de femmes n'ayant aucun enfant et l'âge plus élevé de la mère à la première naissance font que la descendance finale des femmes parvenant aujourd'hui à la ménopause est insuffisante pour assurer le renouvellement des générations : près de 60.000 naissances devraient manquer à la génération née en 1970 pour assurer son renouvellement.

La démographie française est également caractérisée par une réduction de la taille des familles, causée à la fois par le recul de l'âge de la maternité et par un espacement croissant des naissances : en moyenne, la deuxième naissance intervient un peu moins de quatre ans après la première et les suivantes sont espacées de quatre ans et demi à cinq ans.

Cette situation met en lumière les enjeux de la politique familiale : au dynamisme démographique sont liées des questions aussi importantes que l'avenir des régimes de retraite ou la capacité de la population à intégrer le progrès technique. Il est donc indispensable d'améliorer les conditions d'accueil de l'enfant, en contribuant aux coûts supplémentaires assumés par les familles et, surtout, en favorisant une meilleure conciliation entre vie familiale et professionnelle.

b) L'exception française : un taux d'activité des femmes qui pénalise moins qu'ailleurs la fécondité

Le taux d'activité professionnelle féminine français entre trente et cinquante-quatre ans atteignait 80,7 % en 2004, supérieur à la moyenne européenne, ce qui tend à prouver qu'une activité professionnelle féminine importante n'est pas incompatible avec le maintien d'une fécondité élevée.

A cet égard, la France occupe une position originale en Europe : dans certains pays tels que la Suède, le nombre d'enfants n'a pas d'incidence sensible sur le taux d'emploi des femmes mais le taux de fécondité reste pourtant bas ; dans d'autres, comme l'Allemagne ou la Suisse, le taux d'emploi diminue nettement dès la première naissance, preuve que le travail féminin reste largement incompatible avec la maternité, avec pour conséquence un taux de fécondité particulièrement bas. Près de 40 % des femmes diplômées de l'enseignement supérieur y renoncent d'ailleurs à la maternité pour pouvoir exercer une activité professionnelle.

En France, même si la première naissance a lieu de plus en plus tard, les femmes continuent de donner naissance à au moins un enfant : seule une femme sur dix n'aura, au terme de sa vie féconde, aucun enfant.

Taux d'emploi féminin (25-54 ans) en 2000 selon le nombre d'enfants

(en %)

Sans enfant

Un enfant

Deux enfants et +

Belgique

65,6

71,8

69,3

Danemark

78,5

88,1

77,2

Allemagne

77,3

70,4

56,3

Grèce

53,1

53,9

50,3

Espagne

54,6

47,6

43,3

France

73,5

74,1

58,8

Irlande

65,8

51,0

40,8

Italie

52,8

52,1

42,4

Luxembourg

68,7

65,8

50,1

Pays-Bas

75,3

69,9

63,3

Autriche

76,0

75,6

65,7

Portugal

72,6

78,5

70,3

Finlande

79,2

78,5

73,5

Suède

81,9

80,6

81,8

Royaume-Uni

79,9

72,9

62,3

Source : OCDE

Ces résultats attestent que le modèle familial français, fondé sur l'acceptation d'un taux d'activité féminin important et sur le soutien de la collectivité au libre choix des parents, tant en termes d'activité que de natalité, porte ses fruits en matière de fécondité.

c) Le désir d'enfant inassouvi : les obstacles à la réalisation des projets des familles

Les dernières enquêtes de l'Institut national des études démographiques (Ined) montrent qu'il existe un décalage entre le nombre d'enfant souhaité par les familles et les projets d'enfant finalement réalisés.


Fécondité envisagée, fécondité réalisée : un lien complexe

Les enquêtes traditionnelles sur les intentions de fécondité des ménages comportent un biais important : elles comparent à un instant donné les intentions de fécondité et le niveau réel de la fécondité, alors que la réalisation des intentions, par définition, requiert du temps.

C'est la raison pour laquelle, entre 1998 et 2001, l'Insee et l'Ined ont procédé à une enquête d'un genre nouveau sur les intentions de fécondité des ménages, basée sur une approche longitudinale : un groupe représentatif de la population française en âge de procréer a été interrogé, une première fois, en 1998 sur ses désirs d'enfants, puis, à nouveau, cinq ans plus tard, en 2001, afin de comparer ces intentions aux réalisations.

Cette enquête montre que les intentions de fécondité ne sont pas un indicateur fiable des naissances à venir, en premier lieu parce que six personnes sur dix n'ont pas d'intention ferme quant aux enfants qu'elles pourraient avoir dans les cinq ans à venir. En conséquence, le lien entre intentions de fécondité et réalisations ne peut pas se mesurer, puisqu'il n'y avait pas d'intentions claires au départ. Le lien n'apparaît qu'aux extrêmes : plus on était décidé à avoir - ou à ne pas avoir - d'enfants, plus on a réalisé ses intentions.

L'enquête met en lumière d'autres facteurs pesant sur la fécondité des couples et qui atténuent considérablement le poids des projets initiaux d'enfant : ainsi, la probabilité d'avoir un enfant dans les cinq ans dépend de l'âge, de la situation de couple et de la durée de l'union. Il dépend également de facteurs sociaux également, comme la situation de l'emploi, les ressources financières, le niveau d'instruction. Ces facteurs pèsent eux-mêmes sur l'expression des intentions de fécondité.

Un facteur important réside dans le nombre d'enfants déjà nés : à situation sociodémographique et intentions de fécondité comparables, les chances d'avoir effectivement un enfant dans les cinq ans sont aussi élevées pour les personnes ayant déjà un enfant que pour celles n'en ayant encore aucun. Elles baissent en revanche quand on a deux enfants. Mais les chances de poursuivre remontent pour les familles ayant déjà atteint le seuil des trois enfants.

Enfin, fait intéressant, l'enquête montre que, contrairement aux idées reçues, la fécondité est maximale quand les deux conjoints travaillent et qu'elle recule fortement dès que l'un d'eux est au chômage, l'effet dépressif étant particulièrement marqué pour le premier enfant.

Source : INED, Population et sociétés, n° 415, septembre 2005
« Fécondité envisagée, fécondité réalisée : un lien complexe »

Plusieurs facteurs influent sur la réalisation de ces projets d'enfants, et, en tout premier lieu, l'activité professionnelle féminine qui, lorsqu'elle ne s'accompagne pas de mesures permettant de mieux concilier vie familiale et professionnelle, a un impact négatif important sur le taux de fécondité.

Dans le même temps, l'état des moeurs et des mentalités joue un rôle important, dans la mesure notamment où il influe sur le partage des tâches entre hommes et femmes. Ainsi, l'acceptation du congé parental masculin a été un facteur non négligeable de la remontée du taux de fécondité des femmes suédoises.

L'existence de structures de garde facilement accessibles et adaptées aux exigences de la vie professionnelle des parents constitue un élément clé de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale et, par conséquent, influe également sur la réalisation des projets d'enfant. A cet égard, sans juger de son opportunité pour le développement de l'enfant, la possibilité d'une scolarisation précoce des enfants constitue un élément d'encouragement de la fécondité, notamment parce qu'elle permet un moindre écart entre les naissances.

C'est dans ce contexte que la Conférence de la famille pour 2005 a émis ses propositions pour un meilleur accompagnement des familles dans leur désir d'enfant :

« S'agissant, en France, de permettre aux femmes de réussir sur le plan professionnel aussi bien que les hommes sans exclure, dans le même temps, la réalisation complète de leur désir d'enfants :

« - pour le premier enfant, des progrès restent indispensables pour que les jeunes femmes - et les jeunes hommes - puissent bénéficier d'une insertion professionnelle de qualité et de conditions d'articulation entre leurs parcours familial et professionnel leur permettant, si c'est leur souhait, de ne plus retarder la naissance de ce premier enfant ;

« - pour les enfants de rang deux, trois et suivants , dans le respect de la liberté de choix des femmes et des hommes d'interrompre ou non leur activité professionnelle, il s'agit de permettre aux parents qui le souhaitent d'avoir ces enfants sans porter atteinte au développement de leurs parcours professionnel. » 2 ( * )

* 2 Hubert Brin, « Démographie et accompagnement des familles dans leur désir d'enfant », rapport préparatoire à la Conférence de la famille pour 2005.

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