EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. L'AMBITION COMMUNAUTAIRE : UN MARCHÉ INTÉRIEUR PARACHEVÉ ET UN SERVICE UNIVERSEL POSTAL DE QUALITÉ

La proposition de directive postale présentée le 18 octobre 2006 par la Commission européenne vise à achever le marché intérieur des services postaux en supprimant tout secteur réservé -en monopole- aux opérateurs postaux historiques à compter du 1 er janvier 2009.

Sur quels fondements la Commission avance-t-elle cette proposition et de quelles garanties l'accompagne-t-elle ?

A. UNE AMBITION FONDÉE SUR LES FRUITS DE DIX ANS D'OUVERTURE PROGRESSIVE À LA CONCURRENCE DES MARCHÉS POSTAUX

La directive postale 97/67/CE, modifiée par la directive 2002/39/CE, a entrepris d'ouvrir progressivement à la concurrence les marchés postaux afin de construire un marché intérieur des services postaux. Cette ouverture graduelle a pris la forme d'un abaissement par paliers des seuils de poids et de tarifs des envois en deçà desquels l'opérateur postal historique était autorisé à conserver un monopole.

1. Le secteur réservé : une peau de chagrin

L'article 7 de la directive 97/67/CE autorise en effet les Etats membres, « dans la mesure où cela est nécessaire pour assurer le maintien du service universel », à continuer de réserver des services au prestataire du service universel.

Ces services constituant le secteur réservé consistent en la levée, le tri, le transport et la distribution d'envois ordinaires de correspondance intérieure et de correspondance transfrontière entrante, d'un poids inférieur à 50 grammes et d'un tarif inférieur à deux fois et demi le tarif de base, depuis le 1 er janvier 2006. Ces limites de poids et de tarifs applicables depuis le 1er janvier 2006 ont remplacé les limites de 100 grammes et trois fois le tarif de base appliquées entre le 1er janvier 2003 et le 31 décembre 2005, limites qui s'étaient elles-mêmes substituées aux seuils de 350 grammes et cinq fois le tarif de base fixés en 1997.

La prochaine étape d'abaissement de ces seuils consisterait en leur réduction à zéro, donc à une suppression du secteur réservé. Avant d'envisager une telle suppression, la directive de 1997 imposait à la Commission européenne de procéder à « une étude prospective destinée à évaluer, pour chaque Etat membre, l'impact sur le service universel de l'achèvement du marché intérieur des services postaux en 2009 ». La Commission a réalisé cette étude prospective 1 ( * ) , très succincte, en s'appuyant sur le rapport 2 ( * ) , beaucoup plus fourni, qu'elle avait confié au cabinet Price Waterhouse Coopers (PWC) et qui a conclu, en mai 2006, à la possibilité d'ouvrir complètement les marchés postaux à la concurrence sans mettre en danger le service universel, sous certaines conditions.

C'est sur le fondement de cette étude que la Commission européenne a proposé de confirmer la date de 2009 pour achever le marché intérieur des services postaux. Elle a accompagné sa proposition de la publication, par la même occasion, du rapport 3 ( * ) que l'article 23 de la directive de 1997 lui impose d'établir, tous les deux ans, sur l'application de cette directive.

2. Les bénéfices espérés de la fin du secteur réservé

a) Supprimer les effets collatéraux du secteur réservé

Certes, le secteur réservé présente un avantage essentiel : en assurant à La Poste une rente de monopole, il lui permet de faire bénéficier l'ensemble du pays, en tout point du territoire, de prestations similaires à des prix identiques (ou similaires) et abordables, notamment grâce au contrôle étroit du régulateur sur les prix des services réservés. Mais ce système de monopole a, selon la Commission européenne, des effets plus larges que de garantir une solidarité territoriale essentielle à la cohésion nationale.

La Commission estime ainsi que le maintien des services réservés, en entravant le marché intérieur des services postaux et en interdisant la concurrence sur un segment de marché, induit des distorsions de concurrence et des inefficiences. Le secteur réservé limite notamment l'adaptation des services aux besoins spécifiques individuels des clients.

En résumé, l'on pourrait dire que le secteur réservé garantit une qualité de service uniforme mais ne garantit pas nécessairement la qualité du service.

Or il convient de rappeler ici combien l'envoi postal est un instrument indispensable à la communication et au commerce et comme de nombreuses activités économiques ne peuvent se développer sans des services postaux de qualité. A cet égard, votre commission des affaires économiques, particulièrement attentive aux moyens de conforter la compétitivité de l'économie, n'ignore pas l'importance pour les entreprises, émettrices ou destinataires de 95 % des flux de courrier, d'un fonctionnement optimal des infrastructures postales.

Selon la Commission, l'ouverture complète des marchés permettra, grâce à une concurrence accrue, d'améliorer le service en termes de qualité, de prix et de choix pour les consommateurs et de libérer le potentiel de croissance et de création d'emploi du secteur qui emploie déjà environ 5 millions de personnes. Ce potentiel a été identifié de longue date par l'Union européenne puisque les services postaux font partie de la stratégie de Lisbonne, qui vise l'achèvement du marché intérieur tout en préservant le modèle social européen.

De surcroît, la Commission européenne invite à comparer les gains résultant de la réforme aux coûts de l'inadaptation ou de l'inaction 4 ( * ) , qui peuvent être élevés dans un secteur, comme le secteur postal, dont les perspectives de croissance ne sont pas assurées, notamment du fait de la pression croissante exercée par les supports électroniques concurrents.

Mais l'optimisme de la Commission s'appuie aussi sur le bilan de l'ouverture à la concurrence en Europe depuis 1997 comme sur les exemples de libéralisation anticipée dans certains Etats membres.

b) Poursuivre l'amélioration de l'offre postale

Le président de La Poste française l'a lui-même reconnu devant votre rapporteur : le bilan de l'ouverture des marchés postaux depuis 1997 n'est pas négatif , permettant à la Commission européenne de justifier la poursuite du mouvement.

Effectivement, les opérateurs postaux ont contredit ceux qui prédisaient, il y a quelques années, le déclin inéluctable du secteur, notamment du fait de la substitution du courrier électronique. Les fournisseurs de services postaux ont au contraire tiré parti des innovations technologiques pour améliorer leur productivité et proposer de nouveaux produits, si bien que la substitution ne s'opère pas au rythme prévu. Grâce à cette dynamique de réforme, ils pourraient aussi profiter du potentiel de croissance significatif de marchés comme le publipostage ou la vente à distance.

Ainsi, la qualité de service , que l'article 16 de la directive 97/67/CE invite à mesurer en termes de délais d'acheminement et de fiabilité des services, s'est améliorée de manière substantielle et durable : ainsi, ont été dépassés les objectifs de 85 % de distribution du courrier intracommunautaire dans les trois jours et de 97 % dans les cinq jours 5 ( * ) .

Selon l'analyse de la Commission, la seule perspective de l'ouverture du marché a créé un élan considérable susceptible de produire plus de d'améliorations encore, notamment en matière de fonctionnement opérationnel et d'orientation vers le client. Précisant que la concurrence n'est pas une fin en soi, la Commission y voit un moyen de favoriser encore l'innovation, l'investissement et, in fine , le bien-être du consommateur.

c) Suivre l'exemple édifiant des pays déjà ouverts à la concurrence

Depuis le 1er janvier 2006, le Royaume-Uni a ouvert entièrement son marché postal, rejoignant en cela la Suède (qui l'a fait dès 1993) et les Pays-Bas ont pour leur part confirmé leur intention de procéder eux aussi à l'ouverture complète de leurs marchés avant même la date de 2009 envisagée par la directive postale. Ainsi, la Commission estime que 60 % du secteur postal européen seront effectivement ouverts à la concurrence d'ici à la fin de l'année 2007.

Comme l'a relevé l'ARCEP lors de son audition par votre rapporteur, ces expériences méritent l'intérêt de la France parce que les pays en question ont une forte culture du service public postal. A titre d'exemple, ces pays affichent des niveaux de performance élevés pour l'acheminement des lettres : 91,5 % de lettres distribuées le lendemain au Royaume-Uni, et 95 à 96 % en Allemagne, aux Pays-Bas et en Suède. Même si ce type de comparaison est toujours tributaire des caractéristiques géographiques différentes dans chaque pays -ce qui justifie de ne pas s'attarder sur le cas néerlandais, trop foncièrement éloigné du cas français-, l'écart observé par rapport au niveau français de 80 % est significatif.

En Suède , l'opérateur historique conserve une forte part de marché domestique (92 % en 2004), après avoir eu du mal à atteindre l'équilibre d'exploitation. La qualité du service s'y est maintenue et, si le prix du timbre est élevé, il convient de relever qu'il incorpore un taux de TVA de 25 %. Votre rapporteur ne peut présenter ces données, fournies par l'ARCEP et attestant du succès de l'ouverture du marché postal en Suède sur le plan de la qualité de service, sans évoquer le bilan beaucoup plus noir dressé notamment par la CGT, lors de son audition au cours de laquelle l'organisation syndicale dénonça le « désert postal suédois ». La présence postale sur le territoire suédois a effectivement évolué parallèlement et, plutôt que de s'atrophier, s'est transformée 6 ( * ) . Le réseau comptait 2200 bureaux en 1990 ; il ne compte aujourd'hui plus que 400 bureaux de poste traditionnels. Mais, désormais, il comprend également 1800 points de contact, assurant tous les services associés aux lettres et colis postaux, et 1000 points de vente (de timbres et enveloppes prépayées) aux plages d'ouverture plus étendues.

Au Royaume-Uni , le régulateur a procédé deux fois à une estimation des coûts liés au service universel, jugeant en 2003 que les bénéfices liés à la position de prestataire du service universel l'emportaient sur les coûts supplémentaires encourus de ce fait, ce qui l'a conduit à décider d'ouvrir le marché en 2006.

Quant à l'Allemagne , elle prévoit d'ouvrir son marché en 2008, au lieu de 2002 initialement, et de confier à Deutsche Post, qui s'est transformée en profondeur depuis 1990 en exploitant la rente de monopole, le soin d'assurer alors le service universel dans des conditions concurrentielles jusqu'à preuve de sa non-viabilité.

C'est dans cet élan d'ouverture donné par plusieurs pays de l'Union européenne que s'inscrit le projet de la Commission d'achever complètement le marché intérieur des services postaux. Ce projet n'oublie pas pour autant les exigences du service universel auquel sont légitimement attachés les citoyens européens.

B. ... ET ACCOMPAGNÉE DE PRÉCAUTIONS POUR MAINTENIR LE NIVEAU DU SERVICE UNIVERSEL SANS ENTAMER LA LIBERTÉ DES ETATS

1. Le maintien d'un service universel de qualité : une exigence à saluer

C'est une grande satisfaction pour votre commission de constater que la proposition de directive de la Commission européenne ne porte nullement atteinte aux contours du service universel définis par l'article 3 de la directive 97/67/CE.

Il n'était pourtant pas acquis que l'exigence en matière de service universel reste intacte dans la perspective d'achèvement du marché intérieur des services postaux. Certains opérateurs postaux avaient effectivement plaidé pour l'affaiblissement du service universel, ce qui aurait desserré d'autant la contrainte pesant sur l'opérateur postal en charge des obligations de service universel.

Le service universel , défini en droit communautaire comme « une offre de services postaux de qualité déterminée fournis de manière permanente en tout point du territoire à des prix abordables pour tous les utilisateurs » consiste donc à la fois en une gamme de services garantis et en des conditions de fourniture de ces services, dans le respect évidemment des exigences essentielles (secret de la correspondance...). Parmi ces conditions, figurent la qualité, le prix et l'accessibilité : au moins cinq jours par semaine, sont garanties, sauf exception, une levée et une distribution au domicile de chaque personne ou dans des installations appropriées (boîtes aux lettres). La gamme de services garantis comprend les envois nationaux et transfrontières de plis jusqu'à 2 kilogrammes et de colis jusqu'à 10 kilogrammes, voire 20, ainsi que les envois recommandés et les envois à valeur déclarée.

La seule novation que propose d'introduire la Commission européenne concernant la prestation du service universel est d'accorder aux Etats membres une plus grande flexibilité dans le choix des modalités de cette prestation : alors que la directive 97/67/CE optait pour la désignation préalable du ou des prestataires du service universel, les Etats membres se verraient dorénavant autorisés à confier la prestation du service universel aux forces du marché et, dans les zones où ceci serait impossible, à prévoir l'attribution de marchés publics pour assurer efficacement ces services.

Sans préjuger des possibilités ainsi ouvertes, et de la perte de lisibilité qu'ont dit craindre les représentants des consommateurs lors de leur audition, votre commission se félicite en tout cas que soit envisagé le maintien d'un socle commun de service universel au même niveau d'exigence dans toute l'Union européenne .

2. Des Etats libres de choisir les modalités de financement de ce service

a) Un financement à la carte pour le service universel

Pour ce qui est du financement des services universels, une seule exigence est posée par l'article 7 de la proposition de directive: le respect, par les Etats membres, de trois principes, la transparence , la non-discrimination et la proportionnalité , lors de l'établissement d'un système de financement partagé du service universel.

Il est aussi précisé que les décisions de mettre en place un tel système de financement doivent être fondées sur des critères objectifs et vérifiables et rendus publiques .

Mises à part ces grandes lignes directrices, la proposition de la Commission laisse carte blanche aux Etats membres : ils peuvent financer la prestation des services universels « par un ou plusieurs des moyens prévus aux paragraphes 2, 3 et 4 ou par tout autre moyen compatible avec le traité CE ». Ceci atteste du respect, par la Commission, du principe de subsidiarité , respect d'ailleurs constaté par notre Délégation pour l'Union européenne lors de sa réunion du 28 novembre 2006.

b) Le timbre unique n'est pas remis en cause pour les consommateurs

En outre, aux termes de la proposition de directive, chaque Etat membre garderait la possibilité d'appliquer un tarif unique , sauf pour les envois en nombre. A l'article 12 de la proposition de directive, il serait ainsi précisé : « les prix doivent être axés sur les coûts et stimuler les gains d'efficience ; lorsque des raisons liées à l'intérêt public l'imposent, les Etats membres peuvent décider qu'un tarif unique est appliqué sur l'ensemble de leur territoire national et/ou sur le territoire d'autres Etats membres, pour des services prestés au tarif unitaire et pour d'autres envois 7 ( * ) ».

Votre commission fait observer que le prix unique du timbre pour les consommateurs français n'est donc absolument pas menacé , la cohésion territoriale et sociale qu'il concrétise représentant, sans conteste, une raison d'intérêt public qui justifie de pratiquer un tarif unique sur l'ensemble du territoire national. La proposition de directive conforte donc l'arbitrage rendu par le législateur français dans la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, dont l'article 104 ajoutait un alinéa à l'article L. 1 du code des postes et des communications électroniques disposant que, « hormis les envois de correspondance en nombre, les services postaux constituant le secteur réservé sont proposés au même tarif de base sur l'ensemble du territoire national ». Le décret n°2007-29 du 5 janvier 2007 relatif au service universel postal a récemment confirmé ce point en rédigeant ainsi le premier alinéa de l'article R. 1-1-4 du même code : « Sauf pour les envois en nombre, un tarif unique est appliqué aux envois à destination de l'ensemble du territoire métropolitain » 8 ( * ) .

En revanche, face à une concurrence qui se porte prioritairement sur la distribution du courrier industriel dans les zones denses, accorder une flexibilité tarifaire au prestataire du service universel pour les envois en nombre 9 ( * ) apparaît nécessaire pour lui permettre de répliquer à la concurrence et limiter ainsi les risques relatifs à l'équilibre financier du service universel.

Votre commission peut donc rassurer les consommateurs : le timbre gardera pour eux un prix unique ce qui, comme le soulignait récemment M. François Loos 10 ( * ) , est la garantie d'un égal accès de tous au service public .

Finalement, s'appuyant sur le bilan d'une première décennie d'ouverture à la concurrence des services postaux et confirmant son exigence de service universel, la Commission européenne conclut son étude prospective 11 ( * ) par l'affirmation selon laquelle le service universel peut être garanti avec une ouverture totale du marché en 2009.

Votre commission, avant de pouvoir se ranger à cette conclusion, s'interroge sur les moyens de garantir le service universel, sans l'appui du monopole, le secteur réservé n'étant pas nécessairement le meilleur de ces moyens.

* 1 Etude prospective concernant l'impact sur le service universel de l'achèvement du marché intérieur des services postaux en 2009 - COM(2006)596. Disponible à l'adresse suivante :

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/site/fr/com/2006/com2006_0596fr01.pdf

* 2 Disponible, exclusivement en anglais, à l'adresse suivante :

http://ec.europa.eu/internal_market/post/doc/studies/2006-impact-report_en.pdf

* 3 Disponible à l'adresse suivante :

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/site/fr/com/2006/com2006_0595fr01.pdf

* 4 cf. rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l'application de la directive postale COM (2006) 595.

* 5 Id.

* 6 Données extraites du rapport du Sénat n°344 (2002-2003), « La Poste : le temps de la dernière chance », de M. Gérard Larcher, au nom de la Commission des affaires économiques et du groupe d'études « Poste et télécommunications ».

* 7 Tels les envois de presse, au nom de l'accès à la culture.

* 8 Pour ce qui est des lettres en provenance et à destination des départements d'outre-mer, de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, le tarif appliqué est celui en vigueur sur le territoire métropolitain lorsque ces lettres pèsent moins de 20 grammes.

* 9 Les envois en nombre sont à opposer aux envois égrenés, dont l'origine et la destination sont éparses. Les premiers représentent 46 % du chiffre d'affaires courrier, les seconds 54 %.

* 10 In Le Monde , 16 janvier 2007.

* 11 Cf. note 1 page 2.

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