INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Notre délégation pour l'Union européenne a présenté, le 12 mai 2005, une proposition de résolution sur le projet de décision-cadre relative à certains droits procéduraux accordés aux suspects dans le cadre des procédures pénales dans l'Union européenne (E 2589). Il est apparu rapidement que le projet de décision-cadre se heurtait à de fortes réserves de la part d'une majorité d'Etats membres et que les négociations ne pourraient se poursuivre que sur un texte substantiellement différent de celui sur lequel la délégation s'était d'abord prononcée. Après plusieurs mois de blocage, la présidence allemande de l'Union européenne semble aujourd'hui déterminée à faire aboutir les négociations sur la base d'un projet dont la rédaction, profondément remaniée, répond à plusieurs des critiques formulées initialement. Dans cette perspective, votre commission des lois estime utile de prolonger l'initiative de la délégation et de prendre position, au nom du Sénat, sur le projet de décision-cadre.

I. LE PROJET INITIAL DE LA COMMISSION EUROPÉENNE : UN TEXTE SOURCE DE NOMBREUSES INTERROGATIONS

L'élaboration et la teneur du projet de décision-cadre de la Commission

Le Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 a fait de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice « la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale au sein de l'Union ». Ce principe implique une confiance mutuelle des Etats membres dans leurs systèmes judiciaires respectifs et en particulier dans leur procédure pénale. Tel est le fondement de l'initiative de la Commission européenne qui, après un livre vert du 19 février 2003 1 ( * ) , a pris la forme d'une proposition de décision-cadre déposée le 28 avril 2004 tendant à définir un socle minimal de droits procéduraux accordés aux personnes soupçonnées d'avoir commis des infractions pénales.

Le champ d'application du projet porte sur les procédures pénales définies comme celles « visant à établir la culpabilité ou l'innocence d'une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction, ou à statuer à la suite d'un plaider-coupable à l'égard d'une accusation pénale » ainsi que sur les recours formés à l'issue de ces procédures (art. premier).

Le texte initial de la décision-cadre définit cinq droits principaux au bénéfice des suspects :

- le droit à l'assistance d'un avocat (art. 2 à 5) ;

- le droit à un interprète et à la traduction de documents utiles (art. 6 à 9) ;

- le droit à une « attention particulière » (art. 10 et 11) pour certaines personnes considérées comme vulnérables en raison de leur âge ou de leur « état mental, physique ou émotionnel » ;

- le droit de communiquer (art.  12 et 13) ;

- l'obligation, pour les Etats membres, de veiller à ce que tout suspect soit informé de ses droits par écrit et se voie remettre une « déclaration des droits » dont un modèle figure en annexe du projet (art. 14).

Enfin, le texte prévoit la création d'un dispositif d'évaluation et de suivi de la mise en oeuvre de la décision-cadre, placé sous le contrôle de la Commission européenne (art. 15 et 16) et fondé notamment sur l'obligation pour les Etats membres de collecter des données statistiques.

La proposition de la délégation pour l'Union européenne

Dans l'exposé des motifs de sa proposition de résolution, la délégation pour l'Union européenne avait soulevé deux séries de difficultés.

En premier lieu, elle s'était interrogée sur la base juridique d'un instrument communautaire concernant la procédure pénale.

En effet, aux termes des traités en vigueur, les possibilités d'harmonisation en matière pénale semblent limitées au droit matériel - la définition des incriminations et des peines- dans des domaines limitativement énumérés comme la criminalité organisée, le terrorisme ou le trafic de drogue 2 ( * ) . Le projet de Constitution européenne visait à compléter ces dispositions en prévoyant l'introduction d'une nouvelle base juridique spécifique visant expressément l'harmonisation des droits des personnes dans la procédure pénale (art. III-270). La délégation pour l'Union européenne qui avait élaboré sa proposition de résolution avant l'organisation en France du référendum constitutionnel du 29 mai 2005, avait estimé « préférable d'attendre l'entrée en vigueur du traité constitutionnel pour se lancer dans un processus d'harmonisation de la procédure pénale au niveau européen sur une base réellement établie » 3 ( * ) .

En second lieu, la délégation pour l'Union européenne avait jugé inacceptable que le mécanisme d'évaluation et de suivi de l'application de la décision-cadre soit confié à la Commission européenne et non à un organisme indépendant. Ce système, en effet, allait au-delà du simple suivi assuré par la Commission européenne sur les instruments normatifs européens puisqu'il avait vocation à garantir le respect des normes et, selon les termes mêmes de la Commission, à « avertir les autres Etats membres ainsi que les institutions européennes des améliorations et/ou des dégradations éventuelles ». Comme le soulignait notre délégation « dans toute société démocratique, il n'est pas normal que l'activité judiciaire soit placée sous le contrôle de l'exécutif ».

La proposition de résolution de la délégation formulait ainsi une double exigence :

- attendre l'entrée en vigueur du traité pour harmoniser les droits des personnes dans la procédure pénale afin de disposer d'une base juridique incontestable ;

- confier à un organisme indépendant composé de parlementaires nationaux et européens l'évaluation mutuelle de la qualité de la justice.

Au surplus, l'exposé des motifs de la proposition de résolution, relevait les implications pour la législation française de la décision-cadre si elle devait être adoptée en l'état. Le droit à l'assistance d'un avocat « dans les meilleurs délais » imposerait ainsi une adaptation de notre législation nationale qui encadre les conditions d'intervention de l'avocat en garde à vue et ne prévoit, en matière de terrorisme, la présence de l'avocat qu'après un délai de soixante-douze heures de garde à vue.

Ces objections rejoignent pour une large part les critiques exprimées par les Etats membres. Celles-ci s'articulent autour de trois thèmes : l'incertitude de la base juridique, le caractère extensif et excessivement détaillé des droits procéduraux énoncés, les modalités d'articulation de la décision-cadre avec les principes d'ores et déjà reconnus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du Conseil de l'Europe.

La grande majorité des Etats membres s'est toutefois montrée favorable à la poursuite des discussions à condition toutefois que la décision-cadre soit limitée aux droits procéduraux les plus fondamentaux : droits de la défense, droit à l'information sur les principaux droits procéduraux, droit à l'assistance d'un interprète et traduction des documents. Le Conseil « Justice, affaires intérieures » des 27 et 28 avril 2006 a entériné le mandat donné à un groupe ad hoc informel, créé sur proposition française, afin de rédiger un nouveau projet concernant les quatre droits identifiés et limités à des principes aussi généraux que possible. Les débats se sont alors cristallisés sur le caractère contraignant ou non de l'instrument envisagé : au conseil « justice, affaires intérieures » des 4 et 5 décembre 2006, six délégations dont la britannique ont refusé de retenir le principe d'un texte contraignant -basé sur le projet issu des travaux du groupe ad hoc- souhaité par les dix-neuf autres au rang desquelles les délégations française et allemande.

Cependant, l'Allemagne souhaite obtenir un accord sur ce sujet avant la fin de sa présidence de l'Union européenne : elle peut s'appuyer sur l'objectif fixé par les chefs d'Etat et de gouvernement lors du Conseil européen des 15 et 16 juin 2006 de parvenir à « l'achèvement notamment des négociations sur les droits procéduraux des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales ». Cette forte volonté politique s'est accompagnée de réels progrès dans l'élaboration du texte en discussion. Ainsi les principaux griefs formulés à l'encontre du projet initial de décision-cadre sont en passe d'être levés.

* 1 Livre vert sur les garanties procédurales accordées aux suspects et aux personnes mises en cause dans le cadre des procédures pénales dans l'Union européenne.

* 2 Le traité sur l'Union européenne prévoit (art.31) que « L'action en commun dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale vise, entre autres, à : (...) e) adopter progressivement des mesures instaurant des règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue. »

* 3 Dans une proposition de résolution plus tardive, en date du 19 septembre 2006, la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale estime également que le traité sur l'Union européenne ne donne pas compétence à l'Union pour harmoniser les droits procéduraux accordés aux mis en cause dans des procédures strictement internes et recommande de circonscrire le champ d'application du futur instrument aux affaires comportant un élément transfrontalier.

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