C. LES RÉGIMES DE RESPONSABILITÉ CIVILE ET PÉNALE

Le préjudice écologique est appréhendé classiquement par le droit de la responsabilité civile du fait de ses conséquences matérielles ou morales . En revanche, le préjudice écologique « pur », qui désigne le dommage subi par la nature elle-même souffre d'une absence de caractère personnel , alors que tout dommage doit être certain, direct et personnel pour être reconnu réparable par le droit de la responsabilité civile. La preuve du caractère personnel, s'agissant d'atteintes à l'environnement, s'avère difficile.

1. La réparation du préjudice aux biens et aux personnes

Le droit commun de la responsabilité prend en compte, à travers les dispositions du code civil, le dommage aux biens patrimoniaux et aux personnes. Il existe ainsi, à l'heure actuelle :

- un régime de responsabilité contractuelle 27 ( * ) ;

- un régime de responsabilité délictuelle 28 ( * ) , évoqué implicitement par les articles 3§3 et 16§2 de la directive, qui permet la réparation des dommages exclus du champ de la directive (considérant 14) ;

- un régime de responsabilité du fait des produits défectueux 29 ( * ) .

Sur ce fondement, les juges accordent des indemnisations pour des préjudices causés aux biens ou aux personnes par une pollution, comme les réparations des atteintes à la santé des riverains d'une usine polluante, les frais de nettoyage d'une côte souillée ou le coût de rempoissonnement d'une rivière polluée. Pour être réparé le préjudice doit être certain, ce qui peut être source de difficultés en matière environnementale du fait de l'incertitude scientifique. Il doit également être direct et personnel.

2. La reconnaissance prétorienne d'un « préjudice moral » pour atteinte à l'environnement

A l'origine, seules les conséquences personnelles des atteintes à l'environnement étaient prises en compte. Progressivement, le juge judiciaire a admis la réparation des atteintes à l'environnement sans répercussions personnelles. Ainsi les juridictions judiciaires reconnaissent-elles aujourd'hui indirectement un principe de réparation des atteintes à l'environnement en recourant à la notion de préjudice moral . Dès 1982, la Cour de Cassation, dans l'affaire du balbuzard-pêcheur, a considéré que la destruction de ce rapace par des chasseurs avait causé à l'association de protection des oiseaux un « préjudice moral direct personnel en liaison avec le but et l'objet de ses activités 30 ( * ) ». Ce cas fut suivi en 1985 d'un jugement du tribunal de grande instance de Bastia rendu dans l'affaire de la Montedison, une société qui provoqua une pollution en Méditerranée par le rejet de boues rouges et qui fut condamnée à en réparer les effets aux départements de Corse.

Avec le temps, la notion de préjudice moral s'est affinée : il apparaît désormais sous la forme de l'« atteinte directe à l'image de marque », la « réputation des stations touristiques du littoral » ou du « trouble de jouissance ».

De son côté, le juge pénal a évalué le préjudice d'une association au vu de l'ampleur de la pollution, soit, dans une affaire particulière, un franc le mètre carré d'eau polluée 31 ( * ) . Comme le relève une juriste 32 ( * ) , « Semblable traduction du dommage écologique en termes de préjudice moral aux associations permet d'assigner un coût aux faits de pollution et par suite peut avoir une fonction préventive pertinente. En cela elle est opportune. Pour autant, en l'absence d'affectation des dommages-intérêts alloués, elle ne règle pas la question du dommage écologique ».

La voie ainsi ouverte par le juge judiciaire reste toutefois limitée, puisqu'en 2003, les dommages à l'environnement ne représentaient que 2 % des procédures traitées par les parquets 33 ( * ) . En outre, la majorité des décisions est rendue par le juge pénal, du fait du faible coût de l'action civile exercée au pénal : le recours à l'avocat est facultatif, et le Trésor public fait l'avance des frais d'expertise en cas de plainte avec constitution de partie civile.

Pour sa part, le Conseil d'Etat s'est prononcé deux fois contre la reconnaissance du préjudice écologique, en répondant aux associations de pêche demandant la réparation d'un dommage écologique constitué par la pollution de rivières que ce dommage ne peut « par lui-même ouvrir droit à aucune réparation » 34 ( * ) .

3. Le jugement en première instance sur l'Erika

Le récent jugement relatif à l'Erika a été précédé de quelques jugements qui amorçaient une évolution des juridictions vers une admission autonome des dommages causés à l'environnement. Ainsi en 2006 la Cour d'appel de Bordeaux a indemnisé plusieurs associations au titre du « préjudice subi par la flore et les invertébrés du milieu aquatique ». Le TGI de Narbonne a quant à lui, en octobre 2007, indemnisé les préjudices causés à un parc naturel régional consécutif à l'écoulement de produits chimiques dans les eaux maritimes et a évalué le préjudice poste par poste, en distinguant le préjudice « matériel », « moral » et « environnemental subi par le patrimoine naturel » du parc naturel.

Les montants accordés pour l'indemnisation sont très variables, puisqu'ils vont de l'euro symbolique pour la mort d'un rapace ou d'un loup, à 150 euros pour la capture d'un oiseau appartenant à une espèce protégée. L'évaluation à l'euro symbolique montre la difficulté de l'exercice et, de manière générale, le montant des sommes allouées au titre de la réparation des atteintes à l'environnement est faible.

Remis ainsi en perspective, le jugement rendu le 16 janvier 2008 35 ( * ) à propos de l'Erika n'est pas à proprement parler une première mais ce qui est remarquable, c'est le montant de l'indemnisation des dommages causés à l'environnement. Les prévenus ont en effet été condamnés solidairement à verser à 70 victimes 192 millions d'euros, qui s'ajoutent aux 184 millions distribués par le FIPOL, et aux 200 millions pris en charge par la compagnie Total pour restaurer les pompes et pomper les cuves de l'épave. Pour la première fois, la Ligue de protection des oiseaux s'est vue allouer une somme de 75 euros par oiseau mort. Jusque-là, elle n'avait pu prétendre qu'à la prise en compte des dépenses qu'elle avait engagées pour nettoyer et soigner les oiseaux. C'est la première fois qu'un tribunal lui alloue une réparation pour les oiseaux morts équivalente au coût nécessaire pour permettre la nidification et l'élevage des oiseaux de remplacement .

* 27 Articles 1142 et suivants du code civil.

* 28 Articles 1382 et suivants du même code.

* 29 Articles 1386-1 et suivants du même code.

* 30 Cass, 1 ère civ., 16 novembre 1982.

* 31 CA Rennes, 19 décembre 1997, Kerdreux c/ Association nationale de protection des eaux et rivières.

* 32 La réparation du dommage écologique, les perspectives ouvertes par la directive du 21 avril 2004 , Carole Hermon, in AJDA, 4 octobre 2004.

* 33 D'après la circulaire du 23 mai 2005, citée par Laurent Neyret dans le recueil Dalloz 2008, La réparation des atteintes à l'environnement et le juge judiciaire.

* 34 CE, 12 juillet 1969, Ville de Saint-Quentin, CE, 26 octobre 1984, Fédération des associations de pêche et de pisciculture de la Somme.

* 35 TGI Paris, 11 ème ch. Corr., 16 janvier 2008.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page