EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi d'une proposition de loi motivée par l'ouverture de diverses actions en diffamation contre plusieurs témoins convoqués par la commission, créée par l'Assemblée nationale le 28 juin 2006, pour enquêter sur l'influence des mouvements à caractère sectaire et sur les conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs. Ce harcèlement procédurier l'a conduite à adopter, le 3 avril dernier, sur la proposition de son président, M. Bernard Accoyer, un texte qui complète les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, régissant les commissions d'enquête parlementaires. Il institue, au profit des personnes que celles-ci entendent, une immunité relative.

Avant d'aborder la proposition de loi, il apparaît utile de retracer brièvement l'évolution des pouvoirs accordés aux commissions d'enquête ainsi que le statut des personnes qu'elles entendent.

I. VERS UNE « PROFESSIONNALISATION » DE L'ENQUÊTE PARLEMENTAIRE : L'ATTRIBUTION DE POUVOIRS D'INVESTIGATION CONTRAIGNANTS

La commission d'enquête dispose, aujourd'hui, grâce à l'obstination patiente des parlementaires, des moyens propres à lui permettre de conduire la mission que lui a conférée l'assemblée qui l'a créée.

A. DU DROIT COUTUMIER À L'INSTITUTIONNALISATION LÉGISLATIVE

L'institution des commissions d'enquête parlementaires a connu depuis le début de la V e République, de notables évolutions qui ont modifié fondamentalement le statut des personnes dont elles jugent utile de recueillir le témoignage.

En effet, cet « instrument majeur du contrôle parlementaire » avait été sérieusement affaibli par les termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires précitée, qui lui avait retiré les pouvoirs d'investigation contraignants dont elle disposait jusqu'alors :

- apparues au XIX e siècle, au cours des dernières années de la Restauration, les commissions d'enquête fonctionnèrent en dehors de tout cadre juridique jusqu'à la veille de la première guerre mondiale. Elles n'acquirent les moyens véritables de requérir les éléments d'information indispensables à leurs investigations que par l'adoption de la loi du 23 mars 1914 dite Loi Rochette du nom du principal auteur poursuivi dans une vaste escroquerie survenue dans les premières années du XXe siècle. Le législateur reconnut alors aux commissions des pouvoirs similaires à ceux aujourd'hui prévus par l'ordonnance de 1958 (auxquels s'ajoutait la faculté de requérir la délivrance d'un mandat d'amener par le procureur de la République) sous la réserve « d'une décision spéciale de l'assemblée » qui les aura créées ;

- sous la IV e République, ces pouvoirs sont repris dans la loi du 6 janvier 1950 ;

- en revanche, lors de l'avènement de la Ve République , de véritables pouvoirs d'investigation sont refusés aux commissions d'enquête parlementaires qui, ainsi affaiblies, ne disposent plus des moyens de mener efficacement leur mission.

Non contraignante, l'enquête parlementaire allait rapidement échouer. Entre autres, la commission de contrôle 1 ( * ) sur l'ORTF -constituée au Sénat le 14 décembre 1967- se voyait refuser l'audition des agents de l'ORTF ainsi que la transmission de renseignements qu'elle avait demandés.

A la suite de cet insuccès, le président et le rapporteur de cette commission, nos regrettés collègues Etienne Dailly et André Diligent, déposaient une proposition de loi qui, adoptée par le Sénat le 11 juin 1970, allait devenir la loi n° 77-807 du 19 juillet 1977 : ce texte réintroduisit, notamment, dans l'ordonnance de 1958, l'attribution de pouvoirs d'investigation aux commissions parlementaires d'enquête, particulièrement les moyens de contrainte , d'essence judiciaire, dont elles disposaient antérieurement à 1958 pour l'audition des personnes de leur choix.

La dernière étape de l'évolution du statut législatif des commissions d'enquête résulte de l'intervention, en 1991, d'une modification majeure dans l'organisation des travaux des commissions d'enquête : l'adoption du principe de la publicité des auditions auxquelles elles procèdent (loi n° 91-698 du 20 juillet 1991). Jusqu'à cette date, l'ordonnance de 1958 imposait strictement le secret tant aux membres des commissions qu'à toute personne assistant ou participant à leurs travaux, à un titre quelconque (fonctionnaires, témoins...). Seul en était excepté ce qui était publié dans leur rapport qui, lui, était public, à moins que l'assemblée intéressée, réunie en comité secret en décide autrement. Les infractions à cette obligation de confidentialité étaient pénalement sanctionnées.

Ces dispositions demeurent toujours applicables, mais leur champ d'intervention s'est considérablement réduit depuis 1991.

Aujourd'hui, en effet, les auditions des commissions d'enquête sont normalement publiques. Les commissaires peuvent, toutefois, décider librement l'application du huis-clos, soit, à l'ensemble de leurs auditions, soit à certaines d'entre elles.

Les pouvoirs dévolus aux commissions d'enquête, amplifiés par l'ouverture de leurs auditions décidée en 1991, ont considérablement modifié la situation des personnes qu'elles entendent.

* 1 Jusqu'en 1991, l'ordonnance de 1958 distinguait les commissions d'enquête, chargées de recueillir des éléments d'information sur des faits déterminés, des commissions de contrôle créées pour examiner la gestion administrative, financière ou technique de services publics ou d'entreprises nationales.

Cette dichotomie a été supprimée par la loi du 20 juillet, sur la proposition de votre commission des lois.

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