B. LE CHAMP D'APPLICATION DE LA LOI

1. Une volonté d'encadrement

a) Un dispositif modelé sur celui de la provocation au suicide

La proposition de loi cherche à réprimer les comportements de tiers dangereux pour la santé des personnes. Son dispositif est calqué sur celui réprimant la provocation au suicide et repose sur la même distinction entre provocation et publicité. En effet, la provocation est interprétée de manière étroite et doit s'adresser à une personne en particulier. Tel n'est pas le cas, par exemple, des sites pro-anorexie qui passent en général des mots d'ordre impersonnels ou pratiquent l'apologie. C'est donc pour réprimer ces messages qu'un nouvel article du code pénal visant la « propagande ou la publicité » est envisagé afin d'interdire tout message tendant à promouvoir l'anorexie, quel qu'en soit le support.

b) Des restrictions tendant à protéger le jeûne rituel et les régimes

La proposition de loi a souhaité préciser l'objet de la provocation afin que sa portée ne dépasse pas la sanction des agissements répréhensibles de tiers. En visant « le fait de provoquer une personne à rechercher une maigreur excessive en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l'exposer à un danger de mort ou de compromettre directement sa santé » , il exclut les régimes ponctuels proposés par la presse, de même que les jeûnes rituels qui n'exposent pas les pratiquants à un danger de mort, ni ne mettent leur santé en danger, ou les régimes prescrits par les nutritionnistes ayant pour but d'améliorer la santé de ceux qu'ils suivent.

2. La protection de la santé contre la maigreur excessive

Le champ d'application de la proposition de loi a été élargi à la maigreur excessive dans une double optique : celle de donner un moyen d'appréciation le plus objectif possible de l'état d'anorexie et celle de lutter contre les provocations à la maigreur excessive qui toucheraient des personnes non atteintes par l'anorexie mais qui verraient leur vie mise en danger ou leur santé atteinte. On pense spontanément à la pression exercée par un employeur ou par un enseignant. Dans les deux cas pourtant, la répression est déjà assurée.

a) La protection des employés

L'anorexie se caractérisant par une hypertrophie de la volonté, il est fréquent que les personnes qui en sont atteintes soient particulièrement assidues dans leurs études et obtiennent de ce fait de très bons résultats. Ces résultats scolaires leur permettent de choisir le métier de leur choix. Naturellement, les malades se tournent vers les professions qui correspondent au niveau de contrainte qu'elles s'imposent et où leur apparence physique ne suscite pas d'inquiétude. Une part importante des anorexiques travaille ainsi dans les domaines de la médecine (où elles sont volontaires pour assurer les longues heures de garde sans sommeil ni nourriture), de la recherche, de la danse et, pour celles qui correspondent aux critères physiques en vogue, du mannequinat. Il ne faut donc pas confondre professions attirant les anorexiques et professions susceptibles de déclencher l'anorexie.

Pour la Cour de cassation, la garantie de la santé des salariés constitue déjà une obligation de résultat. Dans son arrêt du 5 mars 2008 P + B + R 21 ( * ) , elle affirme que « l'employeur est tenu, à l'égard de son personnel, d'une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs ; qu'il lui est interdit, dans l'exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés » . En conséquence, si le juge constate qu'une décision de l'employeur est de nature à compromettre la santé des travailleurs, il peut en suspendre la mise en oeuvre. Cette jurisprudence est applicable aux mannequins puisqu'il y a présomption de salariat dès lors qu'ils perçoivent une rémunération.

Reste la question de la provocation à la maigreur excessive au travers des recrutements. En la matière, il apparaît à votre commission que les professionnels du secteur sont les mieux à même de corriger les dérives qui ont pu être constatées. Un prolongement naturel du travail mené sous l'égide de la ministre de la santé et qui a déjà abouti à la charte d'engagement volontaire sur l'image du corps pourrait être un accord entre professionnels de la mode et agences pour ne pas recruter des mannequins dont la maigreur est pathologique. Ces mesures ne peuvent être que souples car imposer, comme c'est le cas dans le cadre de l'accord conclu en Espagne entre la Communauté autonome de Madrid et la Pasarela Cibeles, un couperet pour les IMC de moins de 18, est s'exposer à exclure du marché du travail les quelques maigres constitutionnels qui ont un IMC inférieur sans atteinte à leur santé et qui pourraient légitimement espérer profiter de cet avantage physique dans leur carrière.

b) La protection des mineurs

Notons d'abord que la privation d'aliment à enfant est un délit spécifique réprimé par l'article 227-15 du code pénal. Le fait pour un ascendant de refuser de la nourriture est donc déjà puni.

Les mineurs sur lesquels s'exerce une pression tendant à la maigreur excessive sont aussi protégés par la loi. Ainsi les dispositions de l'article 223-15-2 du même code relatif à l'abus de faiblesse peuvent sans doute trouver à s'appliquer dans le cas ou un professeur ou un parent provoque la maigreur excessive d'un enfant dont il a la charge.

Donc, dans le cas où la maigreur excessive n'est pas causée par l'anorexie mais par l'action d'une personne ayant autorité, les mécanismes juridiques permettant d'assurer la protection de la personne existent déjà.

La proposition de loi tendait à l'origine à empêcher la provocation à l'anorexie. On l'a vu, la caractérisation du délit serait rendue particulièrement difficile par la nature même de cette maladie qui ne peut être provoquée. Lors du débat à l'Assemblée nationale, il a été jugé utile d'étendre l'incrimination afin de protéger ceux que l'on forcerait à être maigres sans qu'ils soient malades. Cette intention paraît particulièrement louable à votre commission. Un examen du droit actuellement applicable semble toutefois laisser penser que de telles dispositions ne sont pas utiles. Lutter contre l'anorexie, comme souhaite le faire la proposition de loi, suppose une approche d'ensemble que l'on peut déjà esquisser.

* 21 Cass. Soc, 5 mars 2008 n° 06-45.888.

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