II. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 2 juillet 2008 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'examen du rapport de Mme Patricia Schillinger sur la proposition de loi n° 289 (2007-2008), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre les incitations à la recherche d'une maigreur extrême ou à l'anorexie.

Mme Patricia Schillinger, rapporteure , a rappelé que la table ronde du 3 juin dernier avait montré que la proposition de loi suscite des débats vifs, en partie dus à la confusion qui entoure l'objet de son dispositif : en effet, il n'est pas question de pénaliser l'anorexie mais bien les agissements répréhensibles de tiers qui pourraient la causer ; de même, la brièveté des délais imposés à l'Assemblée nationale pour examiner ce texte fait qu'il présente une incohérence entre son intitulé, qui mentionne la répression de l'incitation à la « maigreur extrême et à l'anorexie », alors que le dispositif voté vise la « maigreur excessive  ».

De plus, les spécialistes s'accordent pour considérer qu'il est impossible d'inciter une personne « saine » à l'anorexie. Devenir anorexique suppose une prédisposition personnelle dont la science ne sait toujours pas dans quelle mesure elle relève de la génétique et/ou du psychologique : on ne devient pas anorexique sous la pression de la société ou par imitation. Prévoir la répression de la provocation à l'anorexie n'a donc pas grand sens. Concrètement, il serait impossible au juge, même avec l'aide d'une expertise médicale, de prouver qu'une provocation a été cause d'une anorexie.

Ceci étant, la proposition de loi comporte un second volet qui réprime la propagande et la publicité, ce qui aura potentiellement beaucoup plus d'effet. Il vise clairement les sites Internet qui se proclament « pro-anorexie » ou « pro-ana ».

Il s'agit là d'une mode venue des Etats-Unis, où elle est née à la fin des années quatre-vingt-dix. Les sites pro-ana affirment que l'anorexie n'est pas une maladie mais un mode de vie. Ils ont une architecture relativement stéréotypée qui a pu faire penser qu'il s'agissait d'un mouvement sectaire, ce qui ne semble pas être le cas. Ce sont des anorexiques, ou des personnes à la limite de l'anorexie, qui tiennent ces sites ; le fait même qu'elles puissent considérer que l'anorexie n'est pas une maladie est d'ailleurs caractéristique de leur trouble.

Or, l'application du dispositif de la proposition de loi, en l'état, aurait pour conséquence de traduire en justice un ou une adolescente et de lui infliger une amende ou une peine pouvant aller jusqu'à deux ans de prison, pour un effet dissuasif nul et le risque d'aggraver l'état des malades.

Ceci étant, le texte transmis ne se limite plus à l'anorexie puisqu'il mentionne désormais l'incitation à la « maigreur excessive ». Cette formule vise non seulement les sites Internet mais aussi les employeurs, les professeurs, les entraîneurs ou les parents, toute personne dont l'attitude est susceptible, en encourageant le jeûne prolongé, de porter atteinte à la santé ou à la vie de ceux qu'ils ont sous leur autorité. Il faut savoir que ces comportements anormaux sont déjà réprimés par le droit : la Cour de cassation a confirmé l'obligation de résultat qui incombe à l'employeur en matière de garantie de la santé de ses employés ; le code pénal réprime tant l'abus de faiblesse que le refus d'aliment à enfant. On pourrait légitimement en conclure que de nouvelles dispositions ne sont pas utiles.

Toutefois, Mme Patricia Schillinger, rapporteure , a fait valoir que l'inaction n'apporterait pas aux parents et aux soignants l'aide dont ils ont besoin pour lutter contre l'anorexie. Celle-ci passe d'abord par la prévention et le rapport esquisse des pistes en ce sens. Au-delà, il est légitime d'interdire les sites pro-anorexie, tout autant, d'ailleurs que ceux faisant l'apologie d'autres troubles du comportement alimentaire, par exemple le mouvement « pro-mia » en faveur de la boulimie ou les « feeders  » qui tirent un plaisir pathologique de la prise de poids, et ceux qui prônent l'atteinte à soi-même, par la scarification par exemple. Ne pas traiter ici ces phénomènes inquiétants reviendrait à devoir les traiter plus tard, dans d'autres propositions de loi qui ne manqueront pas d'être déposées.

Pour répondre au problème complexe de l'interdiction des sites, trois dispositifs sont envisageables pour remplacer celui proposé par l'Assemblée nationale :

- le premier est le plus contraignant. Il consisterait à introduire dans le code de la santé publique, et non dans le code pénal, un nouveau titre consacré à la lutte contre les troubles du comportement alimentaire et composé d'un article unique élargissant le dispositif prévu par l'Assemblée nationale à l'ensemble des troubles du comportement, mais sans l'assortir de sanctions pénales. Les hébergeurs seront donc obligés de fermer les sites Internet qui rendent publiques les méthodes pour entretenir un trouble du comportement alimentaire. L'inconvénient de ce dispositif serait qu'en créant un nouveau titre dans le code de la santé publique, il encouragerait à l'étoffer et contribuerait à l'inflation législative dans un domaine qui demande surtout une meilleure organisation des soins ;

- la deuxième option serait de régler la seule question des sites pro-anorexie en introduisant, dans la loi de 1986 relative à la liberté de communication, un nouvel alinéa les interdisant. Ce dispositif peut toutefois paraître trop restreint et laisserait exister, sans justification, les sites de même nature mais non dédiés à l'anorexie, les pro-boulimie par exemple ;

- une troisième possibilité, la plus efficace semble-t-il, consisterait à élargir l'interdiction des sites à tous ceux faisant l'apologie des troubles du comportement alimentaire et des comportements mettant gravement et directement en danger la santé des personnes, comme la scarification.

Enfin, Mme Patricia Schillinger, rapporteure , a indiqué que deux autres amendements pourraient être retenus : le premier, pour prévoir l'application du dispositif outre-mer, le second, pour modifier le titre de la proposition de loi afin qu'il ne porte plus à confusion.

M. Alain Milon a confirmé que les causes de l'anorexie ne sont pas scientifiquement établies et qu'un doute subsiste sur le caractère purement génétique, psychologique ou chimique de la maladie. Ces incertitudes conduisent à juger dangereux de s'engager sur la voie de la pénalisation. Le troisième dispositif proposé par le rapporteur semble donc le plus adapté, la priorité étant de favoriser la recherche en matière de lutte contre la maladie.

M. Nicolas About, président , a souhaité également que soit prise une mesure d'interdiction des sites proportionnée au danger qu'ils représentent.

M. Pierre Bernard-Reymond s'est dit favorable au fait de compléter l'interdiction prévue par le troisième dispositif proposé par celle des sites faisant l'apologie de l'atteinte à l'intégrité des personnes.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle a souligné la nécessité de retirer le terme d'anorexie, qui porte à confusion, de l'intitulé du projet de loi.

Mme Annie David a estimé nécessaire de soutenir l'action des médecins et psychiatres qui, comme le professeur Philippe Jeammet auditionné précédemment par la commission, mènent un combat quotidien contre la maladie.

M. Alain Vasselle a déclaré partager le sentiment que traiter spécifiquement le cas de l'anorexie reviendrait à devoir légiférer rapidement sur l'apologie de toutes les autres maladies comportant une dimension psychique. Plutôt que de trouver des solutions au cas par cas, il convient à son sens de replacer la question de l'anorexie dans le cadre d'une réflexion globale sur la santé publique.

M. Paul Blanc a jugé impossible d'appliquer des sanctions pénales à des personnes souffrant de maladies mentales. C'est d'ailleurs ainsi que procède le droit pénal qui juge que celles-ci ne sont pas responsables de leurs actes. Pour ces raisons, il est favorable à la troisième option proposée par la rapporteure.

Mme Patricia Schillinger, rapporteure , a précisé que l'abolition du discernement en droit pénal est une notion très restrictive. En conséquence, on ne peut affirmer a priori que des anorexiques seraient jugés irresponsables des actes de provocation ou de publicité qu'ils auraient pu commettre pour le seul motif de leur maladie.

M. Nicolas About, président , a jugé que l'objectif essentiel est d'empêcher l'accès aux sites Internet qui pourraient faire basculer dans la maladie les personnalités déjà fragiles ou accentuer les crises. Le législateur doit envoyer un signal fort pour que les hébergeurs contrôlent leur réseau et ferment les sites de ce type lorsqu'ils en constatent la présence.

Mme Brigitte Bout a souligné que l'anorexie correspond souvent à une période de mal de vivre et qu'une fois la maladie déclenchée, il est particulièrement difficile de la guérir. Faisant état de sa propre expérience en ce domaine, elle a considéré que la punition est inefficace et qu'il convient plutôt, si l'on veut aider les malades, de faire montre de patience et de sens du dialogue.

Mme Sylvie Desmarescaux s'est associée à l'idée que l'anorexie est liée à la période de fragilité de l'adolescence. Pour limiter les effets dangereux de l'identification des adolescentes aux mannequins, il serait surtout souhaitable d'agir sur le mannequinat et les normes draconiennes qu'il impose aux corps.

Mme Bernadette Dupont a insisté sur le fait que la politique publique en matière d'anorexie doit d'abord passer par la prise en charge de la pathologie et des malades. Elle s'est interrogée sur la possibilité d'introduire des dispositions en ce sens dans la proposition de loi.

Mme Patricia Schillinger, rapporteure , a indiqué que le champ de la proposition de loi ne se prête pas à l'adoption de telles mesures qui trouveront davantage leur place dans un prochain texte relatif à la santé publique. Ceci dit, le rapport écrit comporte des préconisations en matière de prévention.

M. Alain Vasselle s'est interrogé sur le caractère dangereux du piercing et d'autres pratiques de modification du corps.

Pour répondre à cette observation, M. Pierre Bernard-Reymond a confirmé son souhait que soient interdits les sites faisant l'apologie de comportements portant atteinte à l'intégrité physique des personnes.

M. Alain Milon a fait valoir que la notion d'intégrité physique est trop large et que cette définition risquerait d'entraîner des interdictions plus nombreuses que ce qui est souhaitable.

Dans le même souci, M. Gilbert Barbier a souhaité que le texte ne puisse interdire les sites relatifs à la chirurgie esthétique.

En conséquence, M. Jean-Pierre Godefroy a préféré s'en tenir au texte de l'amendement proposé par la rapporteure, en ne retenant que l'atteinte grave et directe à la santé.

A son tour, M. Nicolas About, président , a jugé préférable de ne pas faire référence à la notion d'intégrité physique. Il a proposé que le texte de l'amendement soit modifié pour interdire l'apologie des troubles du comportement alimentaire, de l'automutilation et des comportements mettant en cause gravement et directement la santé des personnes, quel que soit le moyen d'y procéder, et non simplement par voie électronique.

A l'issue de ce débat, la commission a examiné les amendements présentés par la rapporteure.

A l'article unique (incrimination de la provocation à la recherche d'une maigreur excessive), elle a adopté une nouvelle rédaction pour interdire l'apologie des troubles du comportement alimentaire, de l'automutilation et des comportements mettant en cause gravement et directement la santé des personnes, par tout moyen.

Après l'article unique, la commission a adopté un article additionnel étendant le dispositif à l'outre-mer.

Enfin, la commission a modifié l'intitulé de la proposition de loi afin de préciser qu'elle tend à l'interdiction de l'apologie des comportements portant atteinte à la santé des personnes.

Elle a adopté le texte ainsi amendé.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page