TRAVAUX DE LA COMMISSION

Audition de Mmes Danièle KARNIEWICZ, présidente du conseil d'administration,
Marie-France LAROQUE, directeur de cabinet de la présidence du cabinet d'administration,
et M. Vincent POUBELLE, directeur chargé des statistiques et de la prospective, de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav)

Réunie le mercredi 15 octobre 2008 , sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission, dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 , a procédé à l' audition de Mmes Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration, Marie-France Laroque, directeur de cabinet de la présidence du conseil d'administration, et M. Vincent Poubelle, directeur chargé des statistiques et de la prospective, de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav) .

Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la Cnav, a d'abord indiqué que le conseil d'administration de la Cnav a donné un avis défavorable, à une large majorité, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Des raisons différentes expliquent cette position. Pour le Medef et la CGPME, revenus récemment au conseil d'administration, ce rejet est justifié, d'une part, par la hausse des cotisations, bien que celle-ci soit en principe gagée par une baisse des contributions à l'Unedic, d'autre part, par l'insuffisance des mesures proposées pour faire face au déficit de la branche vieillesse. Du côté des organisations de salariés et de l'union professionnelle artisanale (UPA), l'avis négatif s'explique par l'absence de mesures propres à redonner confiance aux Français dans leur système de retraite.

En particulier, il est essentiel que le Gouvernement s'engage sur un taux de remplacement du revenu d'activité. Si l'objectif reste celui d'un taux de 50 %, il n'est que de 43 % aujourd'hui et devrait bientôt se trouver à 40 %. Pour relever ce taux, il faudrait réévaluer l'indexation des salaires des années prises en compte pour le calcul des pensions afin de pouvoir augmenter le niveau des retraites. Il est en effet certain que l'évolution de la démographie et l'allongement de l'espérance de vie entraîneront une hausse des dépenses au titre de la vieillesse au cours des prochaines années. C'est pourquoi il paraît difficile de garder un financement uniquement assis sur les salaires. Il est donc impératif d'engager une réflexion sur la définition d'une assiette plus large, sans laquelle une baisse des prestations est inéluctable. Le choix, aujourd'hui, est soit de cotiser plus longtemps, soit de cotiser à un taux plus élevé. En outre, si cette contribution ne se fait pas dans le cadre du système par répartition, elle devra se faire selon d'autres modalités, c'est-à-dire dans le secteur privé. Mais alors, la protection sera moins maîtrisée, plus aléatoire et sans doute plus difficile à mettre en place pour une grande partie de la population. En tout état de cause, si l'on décide d'augmenter les cotisations vieillesse, il faut être parallèlement capable d'apporter une vraie garantie aux salariés sur le montant des retraites qui leur sera versé.

Le conseil d'administration de la Cnav a également soulevé un certain nombre de questions se rapportant à quatre domaines différents. Le premier est relatif aux seuils de solidarité, par exemple pour les pensions de réversion. Il faut en effet veiller à ne pas trop compliquer le système de solidarité et à conserver le caractère contributif de la retraite.

Le deuxième domaine est relatif à l'architecture du système, et plus précisément au choix éventuel d'un régime par points. Un tel système présente en réalité de vraies difficultés car les cotisations y sont, certes, définies mais on ne sait pas « ce qu'on paye ». Il est donc préférable de faire l'inverse, c'est-à-dire de maintenir un système à prestations définies en rendant plus lisible ce qu'on peut en attendre en termes de niveau de retraite. Jouer sur l'inquiétude et l'incertitude de l'opinion revient en fait à faire le jeu du monde concurrentiel et finalement à faire perdre la confiance du public dans le régime obligatoire de base. En définitive, ce sont essentiellement les moyens de financement qui manquent aujourd'hui au régime de retraite des salariés du secteur privé.

Le troisième domaine qui suscite l'inquiétude est celui de la pénibilité. Les trois années de négociation qui viennent de s'achever n'ont débouché sur rien en raison d'un niveau sans doute trop élevé d'exigence de la part des différents partenaires négociateurs. Il semble, de fait, difficile de raisonner de façon systématique à partir des postes occupés par les salariés. En revanche, il paraît pertinent de retenir le lien entre une exposition à une tâche pénible et un état de santé déterminé. On devrait surtout privilégier les actions de prévention et le développement de l'implication de la médecine du travail. En Finlande, par exemple, des progrès très importants ont été enregistrés dans le taux d'emploi des seniors grâce à la confiance placée dans la médecine du travail.

Le dernier secteur préoccupant est celui de l'adossement des régimes spéciaux, même si aucune évolution significative n'a été enregistrée au cours des derniers mois. Pour la RATP, les désaccords avec le ministère des finances sur la prise en charge des avantages familiaux et l'évolution du taux des annuités restent en l'état. Il s'agit en effet de questions de principe car il ne faudrait pas que ce dossier constitue un précédent pour les futurs adossements, comme celui de la Poste pour lequel les enjeux financiers sont bien plus considérables. En effet, pour ce dernier régime qui est un régime de fonctionnaires, il est impératif que l'adossement soit fait au « juste prix », sans aucun décalage. Le problème aujourd'hui semble être celui de savoir qui paiera la soulte dont le montant s'élèvera à plusieurs dizaines de milliards d'euros.

M. Dominique Leclerc, rapporteur pour la branche vieillesse, a regretté que le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne soit pas à la hauteur des attentes en matière de retraite. Le taux de remplacement des revenus d'activité baisse en effet régulièrement pour être aujourd'hui inférieur à 45 %, du fait principalement de la difficulté à indexer les salaires des vingt-cinq dernières années, référence utilisée pour établir le montant de la pension. Le financement de la protection sociale ne peut plus être assis uniquement sur les salaires ; si le régime contributif doit être maintenu pour la retraite, il n'en est pas de même pour la maladie. En ce qui concerne le problème de la pénibilité, les partenaires sociaux qui n'ont pu s'entendre transmettent aujourd'hui le dossier aux élus. Ceux-ci devront veiller à ne pas dévaloriser le travail et à développer les actions de prévention. Il est aussi essentiel de mieux prendre en compte la réalité du travail dans l'évaluation des carrières longues, ce que va permettre la mesure inscrite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

En ce qui concerne le cumul emploi-retraite, M. Dominique Leclerc, rapporteur pour la branche vieillesse, a souhaité connaître l'avis de Mme Danièle Karniewicz sur les possibilités ouvertes par le Gouvernement. Il a rappelé le souci constant de la commission de parvenir à une harmonisation fiscale et sociale complète des différents modes de départ en retraite. Il a insisté sur le fait que le déficit du fonds de solidarité vieillesse (FSV) est aujourd'hui pris en charge par la Cnav.

Enfin, il a reconnu que si l'instauration d'un régime de retraite par points ne constitue pas forcément la panacée, il permettrait de ne pas laisser perdurer la différence actuellement constatée dans les modes de calcul des pensions des régimes obligatoire et complémentaire.

Mme Danièle Karniewicz a regretté qu'on ne puisse pas actuellement afficher, de manière claire, un taux de remplacement des revenus d'activité. En effet, la Cnav d'un côté et les régimes complémentaires Agirc-Arrco (association générale des institutions de retraite des cadres-association des régimes de retraite complémentaire) de l'autre, ont des modes de gouvernance différents. Il conviendrait de susciter la création d'un mécanisme permettant de présenter un taux de remplacement cumulant ces deux éléments de la retraite. Le système actuel est en effet très anxiogène et les assurés attendent davantage d'information, de pédagogie et de transparence. Elle a réaffirmé son opposition à la mise en place d'un système de retraite obligatoire par points mais elle a insisté sur la nécessaire consolidation entre les deux niveaux actuellement existants.

Sur la pénibilité, il faudrait mettre en place un suivi des facteurs de risque et un suivi du salarié en fonction de son profil de carrière. En effet, le « curriculum laboris » n'existe pas en France, contrairement à d'autres pays. Pour que le cumul emploi-retraite soit acceptable, il faut qu'un certain nombre de conditions soient réunies, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il est en effet impératif qu'une véritable sécurité puisse être apportée au salarié par la définition d'un socle financier de base assuré par la répartition.

L'une des difficultés rencontrées tient au faible taux d'emploi des seniors. A cet égard, la mesure contraignante qui figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 est nécessaire mais la pénalité financière prévue n'est pas un objectif en soi. La Cnav n'attend d'ailleurs pas de recettes particulières de cette disposition mais plutôt le lancement d'un débat dans les entreprises et dans les branches pour faire évoluer les mentalités. De la même façon, le report de l'âge de la retraite n'est pas à ce jour une priorité puisqu'il est plus important de développer le taux d'emploi des salariés jusqu'à soixante ans. Le comportement actuel des salariés montre qu'ils souhaitent très majoritairement pouvoir partir tôt en retraite et négocier des plans sociaux qui leur soient favorables. Les employeurs également se disent gênés par l'arrêt des mises à la retraite d'office et par les pénalités en matière d'emploi des seniors. Il faudra donc veiller à ce que des licenciements ne soient pas effectués pour contourner ces mesures.

M. André Lardeux , après avoir constaté la réticence de Mme Danièle Karniewicz à l'égard d'un régime de retraite par points, a souhaité savoir quel système pourrait assurer la meilleure transparence pour l'assuré. Les systèmes à cotisations définies semblent en effet mieux fonctionner aujourd'hui que ceux à prestations définies. Il s'est ensuite interrogé sur le caractère moral d'une résolution du problème de la pénibilité au travail par l'attribution d'un avantage retraite, alors qu'il semblerait préférable d'améliorer les conditions de travail. Enfin, il a voulu connaître l'impact financier, pour la Cnav, du nouveau prélèvement effectué sur la branche famille et destiné à financer les majorations de retraite pour enfant.

M. Paul Blanc a regretté que de fortes pressions s'exercent dans le cadre des négociations sur la pénibilité. Il a cité le cas des pompiers qui ont, certes, de nombreuses astreintes à effectuer mais qui ne sont pas en permanence sur le terrain. Il a dénoncé la complicité entre les employés et les employeurs pour organiser des cessations anticipées d'activité, par exemple au titre de la maladie ou de l'invalidité.

M. Guy Fischer a fait état de la très grande inquiétude des retraités face à l'érosion de 15 % de leur pouvoir d'achat en dix ans et à la forte diminution du taux de remplacement de leurs revenus d'activité. Par ailleurs, il a voulu savoir si l'adossement des industries électriques et gazières avait pesé sur le budget de la Cnav ou si la négociation avait été neutre financièrement pour elle. Il s'est interrogé sur le montant perdu par le fonds de réserve pour les retraites (FRR) au cours des dernières semaines, en raison de la crise financière et boursière. Enfin, l'augmentation de la cotisation retraite de 0,3 % donnera-t-elle lieu à une baisse parallèle de la cotisation Unedic ?

M. François Autain a demandé si le transfert de l'excédent du FSV à la Cades sera suffisant pour permettre à celle-ci de faire face aux charges de la nouvelle dette qui lui est transmise.

Mme Danièle Karniewicz a estimé que le moyen le plus sûr de consolider le régime des retraites est d'afficher une très grande transparence, en particulier dans les conséquences des décisions. Il lui paraît légitime que chaque assuré puisse connaître le taux de remplacement de son revenu d'activité et que l'on engage une réflexion sur la période de référence permettant de calculer le montant de la pension de retraite. Elle a une nouvelle fois insisté sur le caractère plus sûr d'un système par répartition et à prestations définies. Néanmoins, il est évident que des efforts devront être engagés pour assurer la préservation de ce système, soit par une durée de cotisation plus longue, soit par un montant de cotisation plus élevé. Elle a estimé que le développement de tout autre dispositif de retraite se traduirait de toute façon par un coût supplémentaire pour les assurés. Elle a également rappelé que le taux de remplacement dans les régimes spéciaux et la fonction publique est de 75 %.

Sur la pénibilité, il est évident qu'il faut d'abord améliorer les conditions de travail, développer la prévention, diversifier les parcours professionnels, alléger la dureté de certains postes en développant des outils adaptés, favoriser les multicarrières et les changements de métier et s'appuyer sur une formation tout au long de la vie. Les risques ne sont plus seulement physiques mais également psychosociaux. Il faut bien avoir conscience qu'aujourd'hui, l'aspiration de la très grande majorité des assurés est de partir le plus tôt possible en retraite. L'évolution de tels comportements sera longue mais nécessaire.

Il est impératif qu'une plus grande lisibilité soit apportée aux besoins de financement de chacune des branches de la sécurité sociale afin de susciter un débat approfondi sur les choix à faire et les efforts de financement à engager. Or, cette réflexion est nettement insuffisante aujourd'hui. Les prochaines décisions devront en effet être construites sur des principes et des logiques. Par exemple, si les majorations des retraites pour enfant sont parfaitement justifiées, la question de leur prise en charge par la branche retraite ou par la branche famille est posée. Ce débat doit en fait être élargi à l'ensemble des avantages familiaux et conjugaux, comme le suggère le conseil d'orientation des retraites (Cor) qui a récemment lancé une série de travaux sur ces questions.

L'adossement du régime des industries électriques et gazières paraît pour l'instant avoir été bien calculé mais ce système a été construit sur une durée de vingt ans, ce qui est un vrai facteur de risque et justifie l'inscription d'une clause de révision applicable à chaque opération d'adossement.

En ce qui concerne le FRR, la crise actuelle entraîne une dépréciation des actifs, dont 60 % sont placés en actions depuis 2004, mais le capital du fonds n'a pas encore été entamé. Le FRR a l'avantage d'avoir été créé pour le long terme. Toutefois, le montant prévisionnel de 150 milliards d'euros ne sera pas atteint en 2020.

M. Vincent Poubelle, directeur chargé des statistiques et de la prospective de la Cnav, a précisé qu'en 2008 l'abondement prévu du fonds est de 1,9 milliard d'euros grâce à la recette issue du prélèvement sur les revenus du capital ; les revenus financiers sont estimés à 2,2 milliards d'euros. Ces montants sont insuffisants pour atteindre l'objectif de 2020 qui nécessiterait un versement annuel de 5 à 7 milliards d'euros.

La dette du FSV envers la Cnav est de 5,8 milliards d'euros, ce qui coûte à la caisse environ 228 millions d'euros de frais financiers. Toutefois, le transfert de la dette du FSV et du déficit de la branche vieillesse à la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) devrait permettre un allégement des charges financières de l'ordre de 700 millions d'euros pour la Cnav.

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