N° 306

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 25 mars 2009

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi de finances rectificative , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, pour 2009 ,

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur,

Rapporteur général

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc, Alain Lambert , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Christian Gaudin, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, Henri de Raincourt, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

1494 , 1511 et T.A. 246

Sénat :

297 (2008-2009)

EXPOSÉ GÉNÉRAL
INTRODUCTION

Le présent projet de loi de finances rectificative est le quatrième dont votre commission des finances a eu à connaître en à peine plus de quatre mois et, déjà, le deuxième de cette année 2009. Si l'on y ajoute le budget 2009 et la loi de programmation des finances publiques 2009-2012, cela fait le sixième texte à caractère budgétaire qu'elle est conduite à analyser à quelques mois d'intervalle. Une telle accumulation n'est que la traduction d'une situation économique mondiale d'une gravité sans précédent depuis la crise pétrolière de 1973, voire depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Malgré des réactions énergiques et globalement coordonnées des gouvernements et banques centrales, le monde s'enfonce à toute vitesse dans la crise. A chaque étape, il nous faut réviser les hypothèses économiques et donc les perspectives budgétaires dans un sens plus défavorable.

• Une spirale dépressive qui n'interdit pas d'espérer un renversement de tendance

Comme ceux qui l'ont précédé, le présent projet de loi de finances rectificative nous amène à dresser des perspectives encore plus sombres sur la conjoncture et à anticiper une détérioration supplémentaire de la situation en termes de croissance et d'emploi.

On ne peut que s'inquiéter des derniers chiffres de croissance avancés par le consensus des économistes, soit un recul du PIB de - 2 % pour 2009. Le gouvernement, de son côté, anticipe toujours une « croissance négative » de - 1,5 %. Il est dans son rôle en ne voulant pas ajouter du pessimisme au pessimisme . Votre commission des finances est dans le sien en évoquant la possibilité d'un recul de l'activité de l'ordre de 3 % en 2009 avec toutes les conséquences que cela comporte sur l'emploi : les derniers chiffres connus pour février font apparaitre une augmentation inquiétante de 80.000 unités du nombre des demandeurs d'emplois dont le total atteint 2,4 millions.

Pour autant, ces anticipations négatives ne doivent pas être prises pour des fatalités. Elles reposent essentiellement sur une projection qui n'intègre que de façon prudente la possibilité d'un renversement de tendance . Ici où là, on peut déceler des signaux positifs, notamment aux Etats-Unis, qui pourraient traduire un assainissement et annoncer que l'on a atteint un « point bas » de la crise . Sitôt la confiance rétablie, l'inversion des anticipations pourrait cependant intervenir rapidement.

Certes, l'on ne voit pas encore poindre les facteurs qui vont permettre à l'économie mondiale de rebondir dans les prochains mois. La gravité de la crise actuelle tient à ce qu'elle est générale. Mondialisation oblige, elle affecte tous les pays ; pour cause de financiarisation, elle concerne désormais , directement ou indirectement, toutes les entreprises qui ont compté sur les marchés pour assurer leur développement . Aujourd'hui, elle touche aussi bien les secteurs financiers que l'économie réelle et c'est l'interaction des crises financière et réelle qui a plongé l'économie mondiale dans une spirale dépressive sans précédent depuis 1929.

• Une action simultanée sur les sphères réelle et financière de l'économie française

La France, comme la plupart des pays industrialisés, a pris la dimension de la crise et a compris qu'il fallait intervenir à la fois et en même temps sur les sphères réelle et monétaire de l'économie . La crise actuelle marque ainsi le retour de l'Etat après des années de dérégulation.

Pour ce qui le concerne, notre pays n'a cessé d'agir sur les deux plans. Le premier projet de loi de finances rectificative pour 2008 a eu pour objet d'associer solennellement la représentation nationale au sauvetage du système bancaire et, partant, à la consolidation d'un système financier international menacé de désintégration. On ne le répétera jamais assez : aider les banques, ce n'était pas venir au secours de ces entreprises elles-mêmes et de leurs actionnaires mais sauvegarder en quelque sorte le poumon de l'économie. Au surplus, les apports de l'Etat sont rémunérés à des niveaux qui auraient été proches de ceux du marché si celui-ci avait fonctionné dans des conditions normales.

Dans un second temps, la deuxième loi de finances rectificative pour 2008 est venue instituer une série de dispositifs spécifiques destinés à améliorer la trésorerie des entreprises . Parallèlement était mis en place un système de « médiation » du crédit destiné à éviter que la perte de confiance dans la solidité et la solvabilité des banques et des entreprises ne vienne accentuer une contraction du crédit -que résume bien l'expression anglaise de « credit crunch »- qui menaçait d'asphyxier l'économie française.

Au début de l'année 2009, est intervenu un premier collectif budgétaire dont l'objet a été de mettre en place un dispositif de relance par l'investissement que le présent projet de loi de finances rectificative vient retoucher en prévoyant des mesures complémentaires destinées, d'une part, à soutenir la demande et d'autre part, à venir en aide au secteur automobile.

• Un projet de loi qui vient opportunément compléter le plan de relance et anticiper des mutations structurelles

Il s'agit d'abord de tirer les conséquences des différentes annonces gouvernementales concernant des mesures d'aide à des catégories de populations fragilisées par la crise. Celles-ci tendent à améliorer le pouvoir d'achat de certaines catégories de population de condition moyenne , dont les revenus restaient trop élevés pour qu'elles bénéficient pleinement de divers mécanismes sociaux qui jouent aujourd'hui le rôle d'amortisseurs de la crise. Tel est le sens qu'il faut donner à la mesure fiscale phare du présent projet de loi de finances rectificative prévu à l'article 1 er tendant à effacer temporairement les deux derniers tiers de l'impôt sur le revenu pour les foyers fiscaux imposés à la première tranche et au tout début de la deuxième.

Mais il s'agit aussi d'instaurer un régime d'aide structurant pour le secteur automobile dont la place dans l'économie française est éminemment stratégique.

A cet égard, la crise actuelle joue bien son rôle de révélateur de certaines mutations structurelles . Les économies développées doivent en effet faire face à une double mutation « industrielle » : celle du secteur financier, dont l'hypertrophie a débouché sur des créations de valeur factices, et celle de certaines industries, à commencer par celle de l'automobile, dont le développement n'avait pas suffisamment intégré certaines évolutions à long terme pourtant prévisibles.

Tous ces ajustements, qui se font aujourd'hui dans la douleur et dans une simultanéité aux conséquences désastreuses sur la conjoncture, auraient pu être anticipés. Il nous faut maintenant rattraper le temps perdu ; c'est ce que fait le présent projet de loi de finances pour le secteur automobile.

Celui-ci ne fait donc que tirer les conséquences de la crise sur les comptes de l'Etat. Dans les semaines qui avaient précédé son dépôt, une série de mesures engageant les finances publiques avaient été annoncées : certaines, comme le « pacte automobile » ou les décisions consécutives au sommet social du 18 février, sont directement liées à la crise mondiale ; d'autres tendent à faire face à des événements exceptionnels, tels que la tempête du 24 janvier. S'y ajoutent d'autres mesures plus diverses, en faveur notamment de la politique agricole et du secteur de la presse, ainsi que, après la première lecture à l'Assemblée nationale, les mesures prises pour apaiser les conflits sociaux outre-mer.

• Une mise en perspective indispensable

Dans ce contexte, votre commission des finances s'est surtout attachée à mettre en perspective les mesures de relance dans l'espace et dans le temps : elle a procédé à des comparaisons internationales et cherché à anticiper les conséquences du plan actuel sur la situation de nos finances publiques à moyen terme.

Plus précisément, elle s'est posé deux questions :

- le plan de relance et les mesures connexes sont-ils adaptés à la situation ?

- comment se présente la soutenabilité de nos finances publiques dans un contexte caractérisé par l'explosion des dettes souveraines ?

« Trop ou pas assez », la question est ouvertement posée. La conviction de votre commission des finances est que la réponse du gouvernement à la crise paraît adaptée . Cette stratégie de riposte graduée est en phase avec une situation mouvante qui, pour l'instant, fait apparaître une détérioration rapide de la conjoncture mais dont le « creux » est sans doute proche d'être atteint.

L'examen attentif et raisonné des chiffres fait apparaître que les mesures de relance sont du même ordre de grandeur en France que dans les autres pays et notamment aux Etats-Unis .

La France n'est pas ce « passager clandestin » de la relance mondiale que certains dénoncent, mais au contraire un pays qui, à ce stade, a engagé un effort massif compte tenu de l'état, il est vrai déjà dégradé depuis des décennies, de ses finances publiques.

Cette mise en perspective est aussi l'occasion de rappeler certains enseignements issus de la théorie économique même si les conclusions que l'on peut en tirer ne vont pas toujours dans le même sens.

D'une part, il convient de souligner que, ce qui est important au regard du multiplicateur keynésien, c'est la variation de la dépense publique et donc l'impulsion budgétaire différentielle : ainsi les 2 points de PIB indiqués dans le cas des Etats-Unis comprennent, pour 1,1 point de PIB, des mesures de relance déjà en vigueur en 2008. L'impulsion budgétaire des Etats-Unis en 2009 est donc de seulement 0,9 point de PIB, ce qui est exactement égal aux mesures des principaux Etats de l'Union européenne , et à peine supérieur aux mesures mises en oeuvre par la France. Celle-ci est en effet créditée d'une impulsion budgétaire de 0,7 point de PIB , selon le FMI, qui fait l'hypothèse que les investissements du plan de relance seront réalisés avec retard et répartis de façon égale entre 2008 et 2009. De ce point de vue, il est probable que des mesures de soutien à l'activité soient encore nécessaires en 2010 .

D'autre part, il s'agit aussi de rappeler l'impact négatif que peuvent avoir les déficits publics sur les anticipations des agents . Il y a un risque non négligeable de voir les effets positifs associés à un déficit sur l'activité finalement neutralisés par un repli de la demande privée - les ménages, anticipant des hausses d'impôt, pourraient renforcer leur épargne- ou une hausse des taux d'intérêt par suite d'une crainte d'une résurgence de l'inflation.

Au moment où le déficit budgétaire franchit allègrement le seuil des 100 milliards d'euros - 104,05 milliards d'euros - et où les déficits publics vont sans doute approcher la barre des 7 % du PIB compte tenu des déséquilibres sociaux attendus, il a paru indispensable de rappeler les contraintes pesant sur les Français du fait de la dette publique.

A cet égard, les projections contenues dans le présent rapport qui peuvent paraître quelque peu alarmistes en ce qui concerne les déficits publics à horizon 2012, ont surtout le mérite de nous rappeler que les déficits que nous creusons aujourd'hui au nom de l'urgence ne se résorberont que lentement , même dans les hypothèses les plus optimistes en matière de croissance.

Dans la conjoncture actuelle, en voie de dégradation très rapide, il convient de ne pas céder à une nouvelle forme de tyrannie de l'urgence en se lançant dans des opérations d'une efficacité limitée au regard des hypothèques qu'elles font peser sur nos finances publiques et donc sur notre croissance future. Les mesures annoncées doivent continuer de présenter un caractère réversible et s'inscrire dans une perspective à moyen et long termes de maîtrise de la dépense publique.

La notion de norme de dépense conserve d'autant plus de pertinence que les recettes de l'Etat subissent l'impact du recul de l'activité qui conduit à prendre acte d'une diminution de près de 15 milliards d'euros par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale pour 2009 sans chercher à compenser ces pertes par des hausses d'impôts .

Votre commission des finances considère qu'il faut essayer de faire preuve de sang froid dans une situation de crise dont le monde finira bien par sortir un jour. Plus que jamais, l'argent est rare et doit être dépensé à bon escient. Telle est la responsabilité de notre commission des finances pour qui la crise n'autorise pas à dépenser sans compter. D'autant plus que nul ne sait si les marchés continueront à absorber, sans sourciller, des quantités aussi considérables d'obligations d'Etat.

C'est au nom de cette prudence qu'elle s'est imposé de toucher le moins possible aux dispositifs fiscaux en particulier lorsqu'ils viennent d'être votés. Si la crise ne doit pas justifier l'arrêt des réformes, il ne saurait être question de se lancer dans des bouleversements d'autant plus malvenus qu'ils risqueraient d'être mal compris. Le moratoire que votre commission s'impose en matière fiscale ne doit pas être perçu comme une forme d'attachement au statu quo mais comme la manifestation de prudence justifiée par la fragilité des équilibres économiques et sociaux en période de crise.

I. LA PLUS GRAVE RÉCESSION DEPUIS LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Jamais le monde n'avait connu, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, de crise aussi profonde. La crise est mondiale : « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». La crise est globale, à la fois réelle et financière. La crise, enfin, est morale car il faut, même si toutes les parties prenantes ne le reconnaissent pas explicitement, refonder le capitalisme et, en tout premier lieu, remettre de l'ordre dans le système financier international.

A. UNE CRISE À LA FOIS RÉELLE ET FINANCIÈRE

1. Un recul de la croissance dû en partie au ralentissement économique américain

Pour la France, la crise est tout d'abord une crise réelle , le ralentissement de l'économie américaine ayant entraîné un ralentissement de l'économie mondiale.

Selon les estimations usuelles, un ralentissement de l'économie américaine de 1 point réduit la croissance du PIB de la France et de la zone euro d'environ 0,3 point. La croissance du PIB des Etats-Unis ayant été de 1,3 % en 2008 et devant, selon le consensus des conjoncturistes, être de l'ordre de - 3 % en 2009, alors que son niveau habituel est de l'ordre de 3 %, on peut estimer, en première analyse, que le seul ralentissement de l'économie américaine coûte à la France environ 0,5 point de PIB en 2008 et 2 points de PIB en 2009.

Cependant, cela ne suffirait pas à expliquer que la croissance française ait été de seulement 0,7 % en 2008 et semble devoir être de l'ordre de - 3 % en 2009. La crise de l'économie française ne résulte donc qu'en partie du ralentissement économique américain.

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