EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat a été saisi, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, d'une recommandation de la Commission européenne au Conseil de l'Union européenne visant à autoriser cette dernière à ouvrir des négociations en vue de l'adoption d'un accord créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets.

Cette recommandation, présentée le 23 mars 2009, fait suite aux progrès réalisés par les présidences slovènes et françaises sur le dossier de l'amélioration du système des brevets en Europe.

En effet, elle s'appuie sur le projet d'accord en cours de négociation au sein du groupe de travail du Conseil sur la question des brevets, qui prévoit la création d'une juridiction internationale unifiée, compétente en matière de brevets européens et de brevets communautaires.

Elle constitue une étape importante pour la suite des négociations, puisqu'elle a fourni au Conseil « Compétitivité » la base juridique nécessaire pour décider, le 28 mai 2009, de solliciter l'avis de la Cour de justice des Communautés européennes sur la compatibilité du projet d'accord envisagé avec le traité CE.

Réunie le 13 mai 2009, la commission des affaires européennes avait adopté une proposition de résolution présentée par notre collègue Richard Yung, dont votre commission des lois a été saisie.

Cette proposition de résolution européenne soutient l'initiative de la Commission européenne et demande au Gouvernement d'agir dans le sens qu'elle indique pour parvenir à un accord global sur la mise en place d'un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets et la création d'un titre de brevet communautaire.

I. LA RECOMMANDATION DE LA COMMISSION AU CONSEIL : UNE ÉTAPE NÉCESSAIRE DANS LA NÉGOCIATION SUR L'AMÉLIORATION DU SYSTÈME DES BREVETS EN EUROPE

A. LE CONTEXTE : LA NÉCESSITÉ D'ABOUTIR SUR LE DOSSIER DES BREVETS EUROPÉENS ET COMMUNAUTAIRES

1. La protection des brevets en Europe : un système à compléter pour qu'il tire pleinement parti de ses nombreux atouts

a) Le système européen des brevets : une efficacité avérée au stade de la délivrance du brevet, mais des surcoûts et une insécurité juridique en matière de contentieux

En principe, le régime juridique du brevet est propre à chaque État, qui définit lui-même ses critères de brevetabilité, ainsi que la procédure de dépôt et d'examen.

Pour obtenir une protection suffisamment étendue de son invention, un inventeur doit donc déposer un brevet par pays. Les contraintes liées à ces dépôts multiples expliquent que, très tôt, ait été envisagée la possibilité d'organiser des systèmes internationaux de brevet.

La Convention de Munich du 5 octobre 1973 dite « Convention sur le brevet européen » (CBE) a ainsi mis en place le système du brevet européen .

Ce système couvre aujourd'hui, avec l'adhésion au 1 er juillet de Saint-Marin, 36 États, dont l'ensemble des États de l'Union européenne. Il repose sur une procédure unique de délivrance des brevets par le biais d'une seule demande auprès de l'Office européen des brevets (OEB).

Une fois délivré, le brevet européen recouvre autant de brevets nationaux que d'États pour lesquels le dépositaire a revendiqué la protection apportée par le brevet. Le brevet européen n'est donc pas un titre unitaire : il demeure régi, après la procédure centralisée de délivrance, par les lois nationales correspondant à chacun des brevets qu'il englobe. Son coût, quant à lui, est proportionnel au nombre de pays couverts.

Le brevet européen ne relève pas de l'ordre communautaire et ne doit en conséquence pas être confondu avec le brevet communautaire. Il s'agit d'un brevet à la carte, dont le champ de protection est variable en fonction du choix du déposant, et qui est susceptible de couvrir des pays non membres de l'Union.

La très grande efficacité du système du brevet européen au stade du dépôt, de l'examen et de l'enregistrement du brevet est unanimement saluée. Elle tient notamment à l'expertise reconnue de l'OEB et à la simplification des procédures administratives que permet cette procédure centralisée.

Néanmoins deux critiques sont généralement formulées à l'encontre de ce système.

La première tient au coût plus élevé du brevet européen par rapport aux brevets américains ou japonais. L'accord de Londres, entré en vigueur au 1 er mai 2008, apporte une réponse à cette préoccupation, puisqu'il a permis de diminuer sensiblement les coûts de traduction des brevets européens en en simplifiant le régime linguistique.

La seconde critique porte sur le régime juridictionnel associé au système du brevet européen , et elle n'a pas reçu, à ce jour, une réponse satisfaisante.

En effet, le brevet européen n'étant centralisé qu'au stade de la délivrance, il se divise, pour son application, en un nombre donné de brevets nationaux, dont ne peuvent connaître que les États concernés. Ainsi, en cas de contentieux, il appartient au plaignant d'introduire une instance devant les tribunaux de chacun des pays pour lesquels il revendique la protection du brevet.

Cette multiplication des instances est unanimement dénoncée en raison des surcoûts qu'elle occasionne . La commission européenne a ainsi pu chiffrer qu'en moyenne, les frais totaux en cas de litiges parallèles dans les quatre États membres où sont actuellement jugés 90 % des contentieux en matière de brevet (l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas) varieraient entre 310 000 et 1 950 000 euros en première instance et entre 320 000 et 1 390 000 euros en appel 1 ( * ) .

En outre, ce système est source d'insécurité juridique , puisque rien n'empêche que, sur une même question, les réponses apportées par les juridictions nationales saisies divergent sensiblement.

Pour remédier à ces inconvénients, un certain nombre d'États membres de l'Union et de pays tiers parties à la Convention de Munich ont élaboré, sous les auspices de l'OEB, un projet d'accord sur le règlement des litiges en matière de brevets européens, généralement désigné sous le nom de « EPLA » ( European Patent Litigation Agreement ). L'adoption de ce projet a cependant été reportée, dans l'attente de l'avancée des travaux visant à créer un brevet communautaire associé à son propre système juridictionnel.

b) Le brevet communautaire : un projet qui n'a pas encore pu aboutir en dépit de l'harmonisation des législations réalisée au sein de l'Union

L'harmonisation communautaire des législations nationales relatives à la propriété industrielle constitue un élément essentiel de la compétitivité de l'économie européenne et du fonctionnement du marché intérieur.

Elle est déjà à l'oeuvre dans un certain nombre de domaines connexes en vertu de la directive du 21 décembre 1988 sur les marques, de celle du 6 juillet 1998 sur la protection par brevet des inventions biotechnologiques, ou encore de celle du 13 octobre 1998 sur les dessins et modèles.

Participe du même mouvement la création de titres communautaires spécifiques par le règlement du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, par celui du 27 juillet 1994 sur le titre communautaire d'obtention végétale et par celui du 12 décembre 2001 sur les deux types de dessins et modèles communautaires.

La création d'un brevet communautaire, valable sur tout le territoire de l'Union aurait dû parachever cette évolution en apportant une réponse efficace au problème de la dispersion des brevets ainsi qu'à celui de leur coût.

Cependant, pour l'heure, aucune des tentatives de mise en place d'un brevet communautaire n'a abouti . Ainsi la « Convention de Luxembourg » du 15 décembre 1975, modifiée par l'accord de Luxembourg du 15 décembre 1989 n'est jamais entrée en vigueur, faute d'un nombre suffisant de ratifications par les États membres. De la même manière, les projets de règlement européen sur le brevet communautaire 2003/827 et 2003/828 n'ont ni l'un ni l'autre été adoptés par le Conseil.

Ce blocage n'est pas procédural , dans la mesure où le Traité de Nice a prévu, avec les articles 225A et 229A qu'il a intégrés au Traité CE, les bases juridiques nécessaires pour la création d'une structure juridictionnelle compétente en matière de contentieux des brevets communautaires. L'absence d'avancées significatives sur ce dossier en est d'autant plus regrettable.

2. Une voie prometteuse : la création d'un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets européens et communautaires

a) Le projet d'accord : la mise en place d'une juridiction internationale unique, compétente à la fois pour le brevet communautaire et le brevet européen

Au plan européen et communautaire, la situation semblait ainsi, jusqu'à il y a peu, figée : si chacun convenait de la nécessité d'avancer sur ces sujets, certains États membres privilégiaient la solution EPLA et d'autres la solution du brevet communautaire.

Une solution de compromis a cependant été esquissée , à l'initiative de la Commission, par le projet d'accord pour une Cour des brevets européens et communautaires 2 ( * ) , élaboré sous les présidences slovène et française.

Sur cette base, la Commission a adopté la recommandation 7927/09 visant à ouvrir des négociations en vue de l'adoption d'un accord créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets, qui fait l'objet de la présente proposition de résolution.

Le projet d'accord prévoit la création d'une juridiction internationale commune ayant compétence à la fois pour les brevets communautaires et les brevets européens . La Communauté européenne serait, en tant que telle, partie à la convention internationale qui créerait cette juridiction.

Suivant le modèle du projet EPLA , la Cour commune des brevets serait constituée d'un tribunal de première instance, une cour d'appel et un greffe. Le tribunal de première instance comprendrait une division centrale, des divisions locales et, sur demande conjointe des plusieurs États, des divisions régionales qui se substitueraient aux divisions locales de chacun d'entre eux.

La Cour aurait une compétence exclusive pour le contentieux de la validité et de la contrefaçon des brevets communautaires et des brevets européens .

Les décisions de la Cour s'appliqueraient sur tout le territoire protégé par le brevet en cause. Ceci éviterait la multiplication des instances qu'exige actuellement le brevet européen et permettrait, dans le cadre du brevet communautaire, une protection uniforme sur la totalité du territoire de l'Union.

En l'état actuel de l'accord, il est prévu que la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) puisse être saisie d'une question préjudicielle par les divisions du tribunal de première instance à chaque fois que se posera la question de l'interprétation d'une norme ou d'un acte communautaire. Cette possibilité se muera en obligation au stade de la Cour d'appel. Il convient de noter qu'initialement, un recours en cassation auprès de la Cour de justice a été envisagé, mais cette proposition n'a pas prospéré dans le projet d'accord du 23 mars 2009.

b) Un projet attendu, qui présente de nombreux mérites

La mise en place d'un tel système unifié de règlement des litiges en matière de brevets apporterait une réponse adaptée au principal problème que pose le système actuel : celui de la multiplication des instances.

La Commission considère que le coût global estimé pour le litige devant une cour européenne de brevet varierait entre 97.000 € et 415.000 € en première instance et entre 83.000 € et 220.000 € en deuxième instance, soit une économie estimée, par rapport aux coûts actuels, à 10 à 45% dans le premier cas et 11 à 43% dans le second.

Selon ces mêmes prévisions, la mise en place d'un titre de brevet communautaire unifié pourrait générer des économies du même ordre. La Commission estime ainsi que les fonds privés pourraient bénéficier dès 2013, d'un montant total d'économies évalué entre 148 et 249 millions d'euros 3 ( * ) .

De plus la juridiction unifiée aurait un impact très positif sur la sécurité juridique , pour deux raisons. Tout d'abord, elle permettrait l'émergence d'une jurisprudence unifiée alors que dans la situation actuelle le risque n'est pas négligeable que des juridictions nationales adoptent des solutions antagonistes. Ensuite, la spécialisation des juges et la présence combinée de juristes et de techniciens devrait permettre l'émergence d'une jurisprudence adaptée à la spécificité et à la très grande technicité du droit des brevets. Il s'agit là aussi d'un élément de compétitivité très important.

Pour toutes ces raisons, le projet de système unifié de règlement des litiges en matière de brevet bénéficie d'un vaste soutien de la part des agents économiques intéressés au premier chef .

Ainsi, BusinessEurope (ex-UNICE, Union des industries de la communauté européenne), qui rassemble au niveau européen les grandes organisations nationales d'employeurs, s'est prononcé en faveur de l'initiative portée par la Commission européenne, tout comme l'Association des juges en propriété intellectuelle (IPJA - Intellectual Property Judges Association ) et l'Association des avocats en brevets européens (EPLAW - European Patent Lawyers Association ).

* 1 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil : Améliorer le système des brevets en Europe (COM doc n° 165/07 du 3 avril 2007).

* 2 Conseil doc n° 14970/08 du 4 novembre 2008 et n° 7928/09 du 23 mars 2009.

* 3 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil : Améliorer le système des brevets en Europe, préc.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page