N° 34

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 octobre 2009

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relative aux recherches sur la personne ,

Par Mme Marie-Thérèse HERMANGE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Muguette Dini , présidente ; Mme Isabelle Debré, M. Gilbert Barbier, Mme Annie David, M. Gérard Dériot, Mmes Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Catherine Procaccia, M. Jean-Marie Vanlerenberghe , vice-présidents ; MM. Nicolas About, François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Gisèle Printz, Patricia Schillinger , secrétaires ; M. Alain Vasselle, rapporteur général ; Mmes Jacqueline Alquier, Brigitte Bout, Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mme Jacqueline Chevé, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, M. Jean Desessard, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Guy Fischer, Mme Samia Ghali, MM. Bruno Gilles, Jacques Gillot, Adrien Giraud, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann, MM. Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Jean-François Mayet, Alain Milon, Mmes Isabelle Pasquet, Anne-Marie Payet, M. Louis Pinton, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, MM. René Teulade, François Vendasi, René Vestri, André Villiers.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

1372 , 1377 et T.A. 229

Sénat :

177 rect (2008-2009) et 35 (2009-2010)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le principe de l'inviolabilité de la vie humaine emporte une double conséquence : l'indisponibilité du corps humain et l'impossibilité d'autoriser autrui à porter atteinte à sa vie 1 ( * ) . En conséquence, tout acte de recherche médicale non directement destiné à soigner un malade était considéré avant la « loi Huriet-Sérusclat » du 20 décembre 1988 2 ( * ) , comme illicite et susceptible d'entraîner, pour le chercheur, une condamnation pour coups et blessures ou administration de substances nuisibles.

Or, dans le même temps, la sécurité des personnes imposait de subordonner la mise sur le marché d'un médicament à un examen préalable scientifique approfondi, impliquant nécessairement des essais sur l'homme.

Cette exigence est consacrée de longue date par le droit européen. La convention du 22 juillet 1964 relative à l'élaboration d'une pharmacopée européenne, élaborée sous l'égide du Conseil de l'Europe, a en effet marqué l'amorce du rapprochement des législations nationales sur le médicament afin de parvenir à un même degré de rigueur et donc de qualité. Parallèlement, des normes de droit communautaire ont été élaborées afin de garantir une distribution du médicament conforme aux règles du marché commun. La directive du 26 janvier 1965 et surtout celle du 20 mai 1975, qui l'a complétée et amplifiée, ont imposé des essais cliniques sur des volontaire sains (essais dits de phase I destinés à déterminer les effets d'un médicament sur l'organisme humain ainsi que ses éventuels effets nocifs), dans le cadre des procédures européennes d'autorisations de mise sur le marché (AMM) 3 ( * ) . Un contrôle renforcé a dès lors été mis en oeuvre pour assurer la conformité au cadre légal international des AMM des médicaments en France, grâce à la création de la commission d'autorisation de mise sur le marché des médicaments créée en 1978 4 ( * ) .

La contradiction légale entre l'obligation scientifique - et européenne - de mener des essais et l'interdiction pénale de porter atteinte à la vie humaine n'en était pas pour autant levée. Il en résultait un frein à la recherche et des pratiques peu compatibles avec le droit des personnes qui, dans les faits, étaient rarement informées de leur participation à un essai, élaboré sans regard extérieur et dans le cadre de responsabilités mal définies entre le médecin en charge de la recherche et la société pharmaceutique commanditaire.

Dix ans après l'introduction en droit français de l'AMM du médicament, la loi Huriet-Sérusclat a trouvé un équilibre entre les nécessités de la recherche tournée vers l'intérêt collectif et l'inviolabilité de la vie humaine, entre la protection des chercheurs et celle des personnes. Le régime de responsabilité a tout d'abord été clarifié en obligeant le promoteur public ou privé de la recherche à présenter les demandes d'autorisation des protocoles qui seront effectués pour son compte par le chercheur responsable, dit investigateur, et son équipe. La recherche envisagée est également, depuis cette date, systématiquement soumise à un examen effectué par les comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale. Leur avis, consultatif, a été transformé en autorisation préalable par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique 5 ( * ) et leur nom a été modifié en comités de protection des personnes.

Les comités de protection des personnes

Les « comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale » (CCPPRB), créés par la loi Huriet-Sérusclat du 20 décembre 1988, sont devenus les « comités de protection des personnes » en application de la loi du 9 août 2004.

Il existe en France quarante comités de protection des personnes chargés de se prononcer sur la conformité aux exigences de la protection des personnes de chaque protocole de recherche biomédicale sur l'être humain.

Sans un avis favorable de leur part, aucune recherche ne peut être engagée.

L'article L. 1123-7 du code de la santé publique présente une liste non limitative de critères au regard desquels les comités se prononcent sur la validité d'un protocole de recherche. Parmi ceux-ci figurent l'information fournie aux personnes sollicitées ainsi que les montants et modalités d'indemnisation des participants lorsque la recherche y donne droit.

Les comités sont composés à parité de deux collèges, l'un de scientifiques et l'autre de membres de la société civile, tous choisis pour leur compétence.

La compétence de chacun des quatorze membres titulaires (et d'autant de membres suppléants) est précisée par l'article R. 1123-4 du code de la santé publique. Il dispose :

Les comités de protection des personnes comprennent quatorze membres titulaires répartis en deux collèges :

Le premier collège est composé de :

1° Quatre personnes ayant une qualification et une expérience approfondie en matière de recherche biomédicale, dont au moins deux médecins et une personne qualifiée en raison de sa compétence en matière de biostatistique ou d'épidémiologie ;

2° Un médecin généraliste ;

3° Un pharmacien hospitalier ;

4° Un infirmier ;

Le deuxième collège est composé de :

1° Une personne qualifiée en raison de sa compétence à l'égard des questions d'éthique ;

2° Un psychologue ;

3° Un travailleur social ;

4° Deux personnes qualifiées en raison de leur compétence en matière juridique ;

5° Deux représentants des associations agréées de malades et d'usagers du système de santé.

Des membres suppléants en nombre égal au nombre de membres titulaires sont désignés pour chaque catégorie dans les mêmes conditions.

Ils sont nommés par le préfet de région après appel à candidature pour un mandat de trois ans renouvelable.

La proposition de loi soumise à l'examen du Sénat propose une nouvelle variation du dispositif avec l'objectif d' unifier les différents types de recherches médicales au sein d'un cadre commun de contrôle . Pareille évolution ne va pas de soi. En effet, elle expose au risque de sacrifier la détermination de principes intangibles aux pressions liées à l'innovation scientifique. De ce point de vue, le fait que la loi fondatrice Huriet-Sérusclat ait été modifiée déjà à sept reprises 6 ( * ) en l'espace de vingt ans, sans qu'aient été pour autant pleinement prises en compte les recommandations faites par le sénateur Huriet lui-même en 2001 7 ( * ) , incite à la prudence. Dans un domaine aussi sensible que la recherche médicale, il est en effet crucial que les acteurs disposent du temps nécessaire pour s'approprier les normes d'encadrement, sans quoi celles-ci ne peuvent être pleinement efficaces. Chaque modification législative entraîne, de plus, l'adoption de multiples textes réglementaires d'importance variable mais auxquels doivent se conformer tant les acteurs de la recherche que les organismes en charge du contrôle, ce qui suscite inévitablement des effets de retard et d'empilement.

A l'inverse, affirmer des principes sans tenir compte de la réalité, ce qui les rend de facto inapplicables, pourrait susciter le retour de pratiques clandestines auxquelles la loi cherche précisément à mettre fin. Ainsi, dès l'origine, la classification des différents types de recherches s'est avérée difficile et a dû évoluer : la distinction entre les recherches « avec » ou « sans » bénéfice individuel direct s'est révélée trop complexe en pratique et a été remplacée par une distinction a priori plus large entre « recherches biomédicales » et « recherches en soins courants » par la loi du 9 août 2004.

Il apparaît aujourd'hui que cette nouvelle répartition, pourtant précisée par décret 8 ( * ) , n'a pas pu s'imposer dans les faits. Or, une définition opérationnelle de la recherche doit figurer dans la loi pour permettre la protection effective des personnes sans nuire au développement de la recherche.

Au-delà de cette confrontation aux faits, les évolutions législatives sont également la conséquence de ce que, pionnière en matière d'éthique médicale, la loi Huriet-Sérusclat a vu son champ d'action étendu à une part de plus en plus importante de la recherche médicale au fur et à mesure que l'intérêt des solutions qu'elle a proposées s'est imposé : l'importance grandissante des comités de protection des personnes en est l'illustration.

I. UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DE LA RECHERCHE

Dans l'acception générale du terme, la recherche scientifique est un travail intellectuel « ayant pour objet la découverte, l'invention, la progression des connaissances nouvelles » 9 ( * ) . En droit, l'article L. 1121-1 du code de la santé publique vise les recherches « organisées et pratiquées sur l'être humain en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales » , l'article L. 1121-2 leur assigne comme objectif « la connaissance scientifique de l'être humain et les moyens susceptibles d'améliorer sa condition » . En outre, élaborée sous l'égide de l'Association médicale mondiale et adoptée en juin 1964, la déclaration d'Helsinki sur les principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains définit précisément, dans son point 7, l'objectif premier de ce type de recherches comme étant « de comprendre les causes, le développement et les effets des maladies et d'améliorer les interventions préventives, diagnostiques et thérapeutiques (méthodes, procédures et traitements) » .

Il en résulte que le progrès de la prise en charge des malades passe nécessairement par la recherche tant clinique que non interventionnelle, qui constitue donc une priorité de santé publique mais qu'il convient de mener dans le respect des principes éthiques.

A. L'IMPORTANCE DES RECHERCHES CLINIQUE ET NON INTERVENTIONNELLE

Votre rapporteur a déjà eu l'occasion de souligner combien recherche fondamentale et recherche clinique sont complémentaires et indissociables 10 ( * ) . Force est cependant de reconnaître que l'évolution thérapeutique a été principalement conduite, au cours des trente dernières années, par « des améliorations continuelles des molécules utilisées et de leur mode d'administration » 11 ( * ) , plus que par la découverte de nouvelles molécules ou de nouvelles formes de thérapie. La recherche clinique est donc la plus immédiatement porteuse d'espoir et de bien-être collectif.

Destinée à permettre l'amélioration de la santé du plus grand nombre, elle conditionne aussi la reconnaissance de l'excellence scientifique des chercheurs français. La mobilisation du potentiel de recherche de notre pays suppose de favoriser tant l'éclosion que la réalisation de leurs projets. En effet, dans un contexte de concurrence scientifique aigüe et à cadre légal constant, c'est de la qualité de la recherche que dépend en large partie la décision d'implantation des protocoles de recherche internationaux conduits par les laboratoires pharmaceutiques.

1. Faciliter la recherche par les promoteurs institutionnels

La recherche destinée à une découverte brevetable, ou y aboutissant car il est impossible de préjuger de son résultat, est la moins difficile à engager et à financer. Les laboratoires pharmaceutiques sont promoteurs de leurs propres recherches et s'associent à des organismes publics pour conduire celles qui leur paraissent intéressantes. Ils peuvent également, une fois une recherche publique menée, prendre en charge le développement des résultats ou faire l'acquisition des brevets.

A l'inverse, les recherches qui ne présentent aucun intérêt commercial immédiat doivent être promues par l'Etat. Elles sont conduites par les promoteurs institutionnels qui sont ainsi définis par l'Afssaps 12 ( * ) :

« On entend par promoteur « institutionnel », toute personne physique ou morale qui prend l'initiative d'une recherche biomédicale [et] ne poursuivant pas un but lucratif. »

En France, il peut s'agir d'un organisme public de recherche, d'une université, d'un établissement public de santé ou d'un établissement de santé privé d'intérêt collectif, d'un établissement public ou de toute autre personne physique ou morale ne poursuivant pas un but lucratif. On parle également de promoteur " non commercial " ou " académique ".

Deux conditions sont nécessaires à la reconnaissance du statut de promoteur institutionnel qui entraîne une taxation moindre de la recherche conduite :

- le propriétaire des données de l'essai clinique est l'organisme ;

- il n'y a pas, au moment de la demande d'autorisation d'un essai clinique, d'engagement entre le promoteur et un tiers l'autorisant à utiliser ces données pour des objectifs de commercialisation.

Un comité national de coordination de la recherche adossé à la fédération hospitalière de France s'assure ainsi de la cohérence des projets menés par les différents centres hospitaliers et universitaires ainsi que du « continuum (recherche fondamentale - recherche clinique) de la recherche biomédicale et en santé » 13 ( * ) . L'un des exemples les plus importants est celui de l'assistance publique des hôpitaux de Paris, AP-HP, promoteur institutionnel de plus de six cents protocoles par an.

C'est presque exclusivement dans le cadre des essais portés par des promoteurs institutionnels que peuvent s'opérer les essais comparatifs entre médicaments ou entre dispositifs médicaux, dont votre commission a eu l'occasion de souligner l'utilité 14 ( * ) et qui ne sont pas obligatoires dans le cadre des demandes d'autorisation de mise sur le marché.

La recherche menée par les promoteurs institutionnels est porteuse de bénéfices thérapeutiques et économiques réels, liés à une meilleure prise en charge des patients. Elle peut justifier un régime légal plus souple dès lors que l'on parviendra à distinguer les différentes catégories de recherches, ce qui n'est pas chose aisée.

* 1 Françoise Alt-Maes, l'apport de la loi du 20 décembre 1988 à la théorie du consentement de la victime, Revue de science criminelle, 1991, p. 244.

* 2 Loi n° 88-1138 relative à la protection des personnes se prêtant à la recherche biomédicale.

* 3 Directives 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques et 75/318/CEE du Conseil, du 20 mai 1975, relative au rapprochement des législations des Etats membres concernant les normes et protocoles analytiques, toxico-pharmacologiques et cliniques en matière d'essais de spécialités pharmaceutiques (spécialement la troisième partie relative aux essais cliniques).

* 4 Elle est aujourd'hui intégrée à l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).

* 5 Loi n° 2004-806 du 9 août 2004, articles 88 et 89.

* 6 Lois n os 90-86 du 23 janvier 1990, 94-630 du 25 juillet 1994, 2002-303 du 4 mars 2002, 2004-801 du 6 août 2004, 2004-806 du 9 août 2004, 2006-450 du 18 avril 2006 et 2008-337 du 15 avril 2008.

* 7 Rapport d'information de Claude Huriet au nom de la commission des affaires sociales, Sénat n° 267 (2000-2001), le fonctionnement des comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale.

* 8 Décret n° 2006-477 du 26 avril 2006.

* 9 Trésor de la langue française, s.v.

* 10 Le sang de cordon : collecter pour chercher, soigner et guérir, rapport d'information établi au nom de la commission des affaires sociales, Sénat n° 79 (2008-2009).

* 11 Christiane Sinding, « Clinique », in Dictionnaire de la pensée médicale, sous la direction de Dominique Lecourt, Presses universitaires de France, 2004.

* 12 Avis aux promoteurs d'essais cliniques de dispositifs médicaux et dispositifs médicaux de diagnostic in vitro sur la mise en place et la conduite en France d'essais cliniques portant sur des dispositifs médicaux et dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, 24 septembre 2008.

* 13 Charte du CNCR-CHU, 12 décembre 2005.

* 14 Cf. les recommandations de la mission d'information sur les conditions de mise sur le marché et de suivi des médicaments, rapport Sénat n° 382 (2005-2006) de Marie-Thérèse Hermange et Anne-Marie Payet, établi au nom de la commission des affaires sociales.

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