C. UNE ADAPTATION DES CIRCONSCRIPTIONS LÉGISLATIVES MENÉE DANS UN CADRE CONSTITUTIONNEL RENOUVELÉ

1. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a renforcé la transparence des opérations de « redécoupage »

Ces contraintes substantielles se doublent, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, de nouvelles contraintes procédurales . En réécrivant le dernier alinéa de l'article 25 de la Constitution, le constituant a en effet instauré une commission indépendante chargée de se prononcer sur les opérations de redécoupage , afin d'en garantir la transparence et l'impartialité.

Reprenant en partie la proposition n° 64 du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la V ème République, présidé par M. Édouard Balladur, qui préconisait la mise en place d'« un redécoupage transparent, impartial et périodique des circonscriptions électorales », la commission s'inspire par ailleurs de précédents étrangers, et plus particulièrement des exemples allemand et britannique 22 ( * ) .

Composée de trois personnalités qualifiées désignées par le Président de la République, par le Président de l'Assemblée nationale et par le Président du Sénat, et de trois magistrats du Conseil d'Etat, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation, la commission prévue par l'article 25 de la Constitution a vocation à être permanente : ses membres, nommés pour une durée de six ans non renouvelable, se prononcent tout au long de leur mandat sur l'ensemble des « projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs » 23 ( * ) .

La commission dispose d'un délai de deux mois pour rendre son avis. Elle doit obligatoirement être consultée en amont du dépôt des textes , c'est-à-dire au stade de leur élaboration ; ce dispositif garantit une prise en compte effective de ses préconisations.

La responsabilité de cette saisine incombe au Premier ministre, lorsque les textes concernés sont des projets de loi ou d'ordonnance, et au président de l'assemblée parlementaire concernée pour les propositions de loi 24 ( * ) .

Enfin, bien que l'avis de la commission soit purement consultatif, il doit être rendu public , ce qui lui assure une certaine autorité.

L'article 25 de la Constitution après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008

« Une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leur indemnité, les conditions d'éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités.

« Elle fixe également les conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées à assurer, en cas de vacance du siège, le remplacement des députés ou des sénateurs jusqu'au renouvellement général ou partiel de l'assemblée à laquelle ils appartenaient ou leur remplacement temporaire en cas d'acceptation par eux de fonctions gouvernementales.

« Une commission indépendante, dont la loi fixe la composition et les règles d'organisation et de fonctionnement, se prononce par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs. »

Précisés par la loi organique n° 2009-38 du 13 janvier 2009 et par la loi n° 2009-39 du même jour, le fonctionnement de la commission et le statut de ses membres présentent d'importantes garanties de neutralité :

- la désignation du membre de la commission choisi par le Président de la République répond à la procédure de l'article 13 de la Constitution : ainsi, les commissions des lois des deux Assemblées peuvent s'opposer à cette candidature par une majorité des trois cinquièmes 25 ( * ) . Cette procédure a été mise en oeuvre le 8 avril 2009 et a conduit à l'approbation, au scrutin secret, de la candidature de M. Yves Guéna par dix-huit voix « pour » et treize voix « contre » à l'Assemblée nationale, et par dix-huit voix « pour » et deux voix « contre » au Sénat. Les deux autres personnalités qualifiées ont été, quant à elles, approuvées par la commission des lois de l'Assemblée concernée ;

- les membres de la commission sont soumis à un régime strict d'incompatibilités : il leur est interdit d'exercer l'un des mandats électifs prévus par le code électoral ou des fonctions publiques non électives, ainsi que de « recevoir d'instruction d'aucune autorité » 26 ( * ) ;

- une procédure de suspension du mandat est prévue afin d'exclure les membres ayant manqué à leurs obligations ou s'étant placés dans une situation incompatible avec leurs fonctions 27 ( * ) ;

- la commission dispose librement de ses ressources et ne fait l'objet d'aucun contrôle financier 28 ( * ) .

Ces garanties ont été renforcées par la décision constitutionnelle du 8 janvier 2009, par laquelle le Conseil a jugé que « l'indépendance reconnue à la commission [impliquait], dans l'intention même du législateur, que ses membres désignés par le Conseil d'Etat, la Cour de cassation et la Cour des comptes soient élus uniquement par ceux qui, à la date de l'élection, exercent un service effectif dans leur corps » et sont, en tant que tels, prémunis contre les influences extérieures. Il a également tiré les conséquences du caractère indépendant de la commission et estimé que celui-ci « [interdisait] que les partis ou groupements politiques soient directement ou indirectement représentés au sein de la commission ».

Ces prescriptions ont été effectivement respectées par les membres de la commission , M. Bernard Castagnède ayant, à ce titre, abandonné la vice-présidence du Parti radical de gauche.

Les membres de la commission prévue par l'article 25 de la Constitution

- M. Yves Guéna, président, désigné par le Président de la République ;

- M. Dominique Chagnollaud, désigné par le Président de l'Assemblée nationale ;

- M. Bernard Castagnède, désigné par le Président du Sénat ;

- Mme Marie-Eve Aubin, élue par le Conseil d'Etat ;

- M. François Assie, élu par la Cour de cassation ;

- M. Jean-Luc Lebuy, élu par la Cour des comptes.

En outre, la procédure prévue par l'article 25 de la Constitution a été intégralement respectée et rapidement mise en pratique : installée par M. François Fillon, Premier ministre, le 22 avril 2009, la commission a été saisie d'un projet d'ordonnance dès le 30 avril et a rendu son avis le 23 juin dernier. Celui-ci a ensuite été publié au Journal officiel du 26 juin.

2. La méthode retenue par le gouvernement a été avalisée par la commission prévue par l'article 25 de la Constitution

La méthode utilisée pour concevoir la présente ordonnance rappelle, à de nombreux égards, celle que le gouvernement avait adoptée en 1986. Il s'agit, dans ce cadre, de ne pas apporter de bouleversements excessifs aux équilibres politiques et institutionnels sur le terrain.

En effet, aux termes de la loi d'habilitation du 13 janvier 2009 :

- les circonscriptions « sont constituées par un territoire continu », sauf dans le cas d'exceptions justifiées par des nécessités géographiques ou démographiques. Comme en 1986, des dérogations à ce principe de continuité sont prévues pour les circonscriptions des villes de Paris, Marseille et Lyon, ainsi que pour les cantons dont la population est supérieure à 40 000 habitants et pour les communes qui comptent plus de 5 000 habitants. Dans le même esprit, les circonscriptions dévolues aux Français établis hors de France ne doivent pas conduire à diviser les circonscriptions d'élection des représentants de l'Assemblée des Français de l'étranger ;

- la méthode des « tranches » est conservée et, pour tenir compte de l'augmentation de la population française, la valeur de chaque « tranche » est relevée à 125 000 habitants ;

- enfin, l'écart maximal de population par rapport à la moyenne départementale est fixé à 20 %.

Le projet initial du gouvernement, ainsi élaboré, ne modifie les limites des circonscriptions que dans quarante-deux départements.

La commission prévue par l'article 25 de la Constitution a marqué son accord avec ces orientations ; elle a notamment estimé que la méthode des tranches « [permettait] la meilleure synthèse entre une règle de calcul reposant sur des critères exclusivement démographiques et une approche tenant également compte de la réalité historique et humaine » et validé la fixation de la tranche à 125 000 habitants.

En outre, la commission a privilégié une vision extensive de sa mission et s'est prononcée sur la délimitation de l'ensemble des circonscriptions , même lorsqu'elles n'étaient pas affectées par le projet du gouvernement.

Ce choix était rendu nécessaire par les deux « lignes directrices principales » que la commission s'est assignée pour mener ses travaux : d'une part, elle s'est « efforcée [...] de réduire les écarts à la moyenne démographique départementale, de façon à ramener ces derniers sensiblement en dessous de l'écart maximal de 20 % admis par le Conseil constitutionnel », et d'autre part, elle s'est « souciée, même lorsque l'équilibre démographique pouvait apparaître satisfaisant, de la pertinence et de l'objectivité des projets qui lui étaient soumis » 29 ( * ) . C'est donc à un contrôle approfondi, visant à s'assurer que le découpage proposé était en stricte adéquation avec les exigences inhérentes au respect du principe d'égalité devant le suffrage, que la commission s'est livrée.

Au terme de ses travaux, elle a donné un avis favorable au projet d'ordonnance pris dans sa globalité.

La commission a notamment marqué son accord avec la nouvelle répartition des sièges de députés entre les départements.

Afin de tenir compte des évolutions démographiques intervenues depuis le recensement général de 1982, vingt-sept départements perdent au moins un siège, tandis que quinze en gagnent au moins un.

En tout, quarante-deux départements sont donc affectés.

La modification de la répartition des sièges de députés

- Les deux départements qui perdent trois sièges : Paris et le Nord.

- Les deux départements qui perdent deux sièges : le Pas-de-Calais et la Seine-Maritime.

- Les vingt-trois départements qui perdent un siège : l'Allier, la Charente, la Corrèze, la Creuse, l'Indre, la Loire, la Lozère, la Manche, la Marne, la Meurthe-et-Moselle, la Moselle, la Nièvre, le Puy-de-Dôme, les Hautes-Pyrénées, le Haut-Rhin, la Haute-Saône, la Saône-et-Loire, la Seine-Saint-Denis, les Deux-Sèvres, la Somme, le Tarn, le Val-de-Marne, la Haute-Vienne.

- Les onze départements qui gagnent un siège : l'Ain, le Gard, la Gironde, l'Ille-et-Vilaine, l'Isère, le Loiret, la Savoie, la Haute-Savoie, le Val-d'Oise, le Var, le Vaucluse.

- Les quatre départements qui gagnent deux sièges : la Haute-Garonne, l'Hérault, La Réunion et la Seine-et-Marne.

Cette opération fait perdre quatorze sièges aux départements de métropole. Ce faisant, elle tient compte du plafonnement du nombre de sièges de l'Assemblée nationale : c'est ainsi que les quatorze sièges enlevés à la métropole permettent, d'une part, de créer des circonscriptions pour l'élection des députés des Français établis à l'étranger (onze sièges) et, de l'autre, de tirer les conséquences de l'augmentation relative de la population ultramarine par rapport à la population métropolitaine (trois sièges).

3. L'ordonnance tient compte des observations de la commission

Toutefois, la commission a également statué sur chaque département pris individuellement en faisant, lorsque cela lui paraissait nécessaire, des suggestions au gouvernement, voire en lui proposant des découpages alternatifs.

Dans ce cadre, elle a émis un avis favorable, sans réserve, pour quarante-sept départements. Elle a fait de « simples suggestions » pour améliorer la délimitation des circonscriptions de dix-sept départements. Enfin, elle a formulé des propositions complémentaires ou alternatives dans trente-six départements, celles-ci s'accompagnant, dans six cas, de suggestions.

Les principales conclusions de la commission :

- Avis favorable sans réserve dans 47 départements (Ain, Aisne, Allier, Alpes-de-haute-Provence, Ariège, Aveyron, Bouches-du-Rhône, Cantal, Charente, Corrèze, Corse-du-sud, Haute-Corse, Côtes-d'Armor, Creuse, Doubs, Drôme, Eure, Eure-et-Loir, Gers, Hérault, Ile-et-Vilaine, Indre, Isère, Jura, Lot, Lozère, Manche, Marne, Haute-Marne, Nièvre, Orne, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Haute-Saône, Sarthe, Savoie, Haute-Savoie, Deux-Sèvres, Tarn-et-Garonne, Var, Vendée, Haute-Vienne, Territoire de Belfort, Martinique, Guyane) ;

- Suggestions dans 17 départements (Ardèche, Aude, Charente-Maritime, Côte-d'Or, Dordogne, Gard, Haute-Garonne, Landes, Haute-Loire, Lot-et-Garonne, Maine-et-Loire, Mayenne, Meuse, Oise, Vaucluse, Vosges, Seine-Saint-Denis).

- Propositions alternatives dans 36 départements ( Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Ardennes, Aube, Calvados, Cher, Finistère, Gironde, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher, Loire, Loire-Atlantique, Loiret, Meurthe-et-Moselle, Morbihan, Moselle, Nord, Pas-de-Calais, Puy-de-Dôme, Pyrénées-Orientales, Rhône, Saône-et-Loire (à la suite de la communication à la commission d'un second projet amendé), Paris, Seine-Maritime, Seine-et-Marne, Yvelines, Somme, Tarn, Vienne, Yonne, Essonne, Hauts-de-Seine, Val-de-Marne, Val-d'Oise, Guadeloupe, La Réunion).

Bien que seulement consultatif, cet avis a été entendu par le gouvernement : celui-ci a en effet soumis à la commission, immédiatement après qu'elle a statué, un nouveau projet de redécoupage modifiant les délimitations initiales des circonscriptions dans sept départements 30 ( * ) .

La commission s'est à nouveau réunie le 30 juin pour évaluer ce nouveau projet. Elle a émis un avis favorable, sans réserve, pour trois départements 31 ( * ) , partiellement favorable dans un cas 32 ( * ) , et défavorable dans les trois départements restants. Cette seconde consultation a conduit le gouvernement à modifier les délimitations initialement envisagées dans deux départements.

Au total, au terme de ce processus, le pouvoir exécutif a amendé son projet dans vingt-cinq départements pour tenir compte des observations de la commission 33 ( * ) . Neuf de ces modifications concernent des départements dont le gouvernement ne souhaitait pas, au début de ses réflexions, remodeler les circonscriptions 34 ( * ) .

Pour les treize départements pour lesquels il n'a pas été tenu compte des observations de la commission, des fiches justifiant, au cas par cas, le choix du gouvernement ont été communiquées au rapporteur de l'Assemblée nationale 35 ( * ) .

Le gouvernement a toutefois entendu appliquer les préconisations de la commission et du Conseil d'Etat de manière raisonnée : il a ainsi affirmé avoir conduit ses travaux dans le « souci de ne pas refaire l'ensemble de la carte électorale » 36 ( * ) . M. Charles de la Verpillière estimait de même, dans son rapport précité, que « les termes de `mise à jour' employés par le législateur indiquent sa volonté que les modifications introduites par le gouvernement ne soient pas une refonte intégrale de la carte des circonscriptions mais une adaptation de cette carte aux évolutions démographiques intervenues depuis le précédent découpage ».

Ceci explique que certaines des préconisations de la commission n'aient pas été mises en application par le gouvernement.

Le projet final aboutit donc à maintenir près de la moitié des circonscriptions dans leurs limites actuelles : 238 sur 577 restent ainsi inchangées, si bien que, pour reprendre les termes employés par le rapporteur de l'Assemblée nationale, le présent redécoupage « ne peut être accusé de frilosité ou de partialité ».

En outre, il convient de rappeler que le Parlement ne dispose pas de l'avis donné par le Conseil d'Etat sur le projet d'ordonnance, ce dernier étant destiné au seul gouvernement : votre rapporteur est donc dans l'incapacité de déterminer le rôle que cet avis a pu jouer pour forger les choix finaux du pouvoir exécutif.

* 22 Voir l' étude de législation comparée du Sénat sur « L'adaptation des circonscriptions parlementaires à la démocratie » (LC 190, octobre 2008).

* 23 Dernier alinéa de l'article 25 de la Constitution.

* 24 Article L. 567-7 du code électoral.

* 25 Article LO 567-9 du code électoral, issu de l'article 6 de la loi organique n° 2009-38 du 13 janvier 2009.

* 26 Articles LO 142 et L. 567-3 du code électoral.

* 27 Article L. 567-2 du code électoral.

* 28 Article L. 567-8 du code électoral.

* 29 Introduction à l'avis public de la commission

* 30 Il s'agit du Finistère, du Loir-et-Cher, du Pas-de-Calais, des Pyrénées-Orientales, de Paris, de la Vienne et du Val-d'Oise.

* 31 Finistère, Pyrénées-Orientales, Vienne.

* 32 Pour Paris, la commission a en effet formulé un avis favorable sous réserve de la modification de la délimitation de la troisième circonscription.

* 33 Le texte de l'ordonnance reprend intégralement les propositions de la commission dans 14 cas, et partiellement dans 9.

* 34 Il s'agit des Hautes-Alpes, de l'Aube, du Calvados, de l'Indre-et-Loire, des Landes, de la Mayenne, du Morbihan, de l'Essonne et des Hauts-de-Seine.

* 35 Ces fiches figurent en annexe du rapport de l'Assemblée nationale .

* 36 Rapport au Président de la République précédant l'ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009.

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