B. LES CONDITIONS DE LA MISE EN PLACE D'UN MÉCANISME D'INCLUSION CARBONE AUX FRONTIÈRES DE L'EUROPE

Votre rapporteur insiste sur la nécessité de ne pas sous-estimer les difficultés que peut soulever la création d'un tel instrument . Le succès de la mise en place du mécanisme d'inclusion carbone aux frontières repose à la fois sur une bonne appréhension des rapports de force au niveau international et au sein même de l'Union européenne, ainsi que sur une attention particulière réservée aux modalités pratiques de son déploiement.

1. L'impératif de lutte contre la concurrence écologique déloyale des pays tiers

Dans l'hypothèse où, d'une part, l'Union européenne ferait le choix de revenir sur la gratuité de l'attribution des quotas d'émission pour les secteurs exposés à la concurrence internationale et, d'autre part, un mécanisme de compensation aux frontière de l'Union ne serait pas mis en place, alors les produits fabriqués dans les pays tiers qui ne s'imposeraient pas de contraintes environnementales constitueraient une concurrence déloyale à l'égard des produits fabriqués en Europe.

C'est pourquoi votre rapporteur souscrit pleinement aux termes de la présente proposition de résolution, qui dispose que « la France demande que le mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, tel que prévu par la directive 2009/29/CE du 23 avril 2009, soit mis en oeuvre si, à l'issue de la conférence de Copenhague, le partage de l'effort collectif en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre apparaît inéquitable et incompatible avec une concurrence économique loyale » .

La stratégie préconisée consiste donc, en pratique, à neutraliser le caractère bon marché de produits qui proviendraient de pays tiers, afin d'éviter que les industriels et les consommateurs finals se tournent vers ces produits et ne soient donc pas incités à modifier leurs comportements dans un sens écologiquement favorable .

L'écart de « contrainte carbone » nécessite également d'être compensé afin d'empêcher les opérateurs européens d'exporter leurs unités de production fortement émettrices de GES dans des pays tiers. Votre rapporteur est d'avis que de telles pratiques entraîneraient des conséquences économiques et sociales néfastes pour un gain écologique nul, voire négatif : d'une part, une désindustrialisation de l'Europe conduirait le continent à importer des produits fabriqués dans des conditions discutables ; d'autre part, de telles « fuites de carbone » empêcheraient, à plus long terme, l'émergence de processus industriels « vertueux » en Europe.

2. La nécessité d'agir à l'échelle de l'Union européenne en ralliant nos partenaires

Un mécanisme d'inclusion carbone ne peut être conçu qu'à l'échelle de l'Union européenne, pour d'évidentes raisons d'efficacité économique et de règles de fonctionnement du marché intérieur. Votre rapporteur est convaincu que l'Europe est le niveau pertinent d'intervention en matière de lutte contre le réchauffement climatique .

Or, il observe que la Commission européenne a montré des réticences face à une telle éventualité , craignant un regain de protectionnisme dans les relations de l'Union européenne avec ses partenaires commerciaux. Elle considère également que des difficultés pratiques s'opposent à la mise en place de cet instrument, en particulier s'agissant des produits industriels dont le processus de fabrication est dispersé entre plusieurs États.

Votre rapporteur prend bonne note de ces inquiétudes mais ne peut s'empêcher de pointer une contradiction dans la position européenne . D'un coté, sur le plan diplomatique, la Commission européenne fait preuve de réserves. Mais de l'autre coté, au niveau réglementaire, elle ne s'interdit pas de réfléchir à la mise en place d'un mécanisme d'inclusion carbone.

Ainsi, le 25 ème considérant de la directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil évoque une autre solution, par rapport au maintien de quotas gratuits dans les secteurs industriels les plus menacés, qui consisterait à « introduire un système efficace de péréquation pour le carbone afin de mettre sur un pied d'égalité les installations situées dans la Communauté présentant un risque important de fuite de carbone et les installations des pays tiers . Un système de ce type pourrait imposer aux importateurs des exigences qui ne seraient pas moins favorables que celles applicables aux installations de l'Union, par exemple en imposant la restitution de quotas. Il convient que toute action adoptée soit conforme aux principes de la CCNUCC, et notamment au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, compte tenu de la situation des pays les moins avancés (PMA), et qu'elle soit conforme aux obligations internationales de la Communauté, dont les obligations au titre de l'accord OMC ».

Votre rapporteur observe également, qu'à l'heure actuelle, les États soutenant le principe de l'instauration d'un tel mécanisme ne sont pas majoritaires. C'est pourquoi il appelle le Gouvernement français à mettre tout en oeuvre afin de convaincre nos partenaires européens d'avancer sur cette voie, si cela s'avérait nécessaire. Á cet égard, il salue l'action menée actuellement par le ministre de l'Écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, qui ne ménage pas ses efforts de conviction et de pédagogie en la matière.

Ce sont surtout les grands pays émergents, au premier rang desquels la Chine, qui expriment la plus grande défiance à l'égard de la mise en place d'une taxe carbone aux frontières de l'Europe . Les raisons avancées en sont connues. D'une part, ils estiment qu'une grande partie du volume de leurs propres émissions est, en réalité, directement dû à la demande des pays industrialisés en produits manufacturés et devrait donc être comptabilisée comme émissions de ces pays 14 ( * ) . D'autre part, ils considèrent que l'instauration d'une telle taxe serait contraire aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en ce qu'elle constituerait une mesure protectionniste déguisée.

Votre rapporteur ne mésestime pas les risques de « représailles commerciales » qu'engendrerait la mise en place d'une taxe carbone aux frontières de la part de pays comme la Chine, l'Inde ou encore le Brésil. Cela explique sans doute en grande partie l'attitude prudente de nombreux partenaires européens de la France, qui craignent à la fois de faire échouer les négociations en cours de la 15 ème conférence des Nations Unies sur le changement climatique, et d'engager une « guerre commerciale » avec des pays aujourd'hui incontournables dans l'économie mondiale.

C'est pourquoi votre rapporteur considère, qu'au delà des précautions diplomatiques visant à rassurer nos principaux partenaires commerciaux, il convient de s'assurer de la faisabilité du mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'Union européenne , sur le plan technique et réglementaire, notamment en répondant à la question de sa compatibilité avec les règles de l'OMC.

3. La nécessaire compatibilité du mécanisme d'inclusion carbone aux frontières avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce

Dans son discours de Genève, prononcé le 15 juin 2009 à l'occasion de la 98 ème session de la Conférence internationale du travail, le Président de la République déclarait que : « la France mettra toute son énergie à lutter contre la tentation du protectionnisme et à défendre l'idée que l'OMC ne peut pas être seule à décider de tout et que chaque institution spécialisée doit avoir sa part dans la définition des normes internationales et dans leur mise en oeuvre. Et lorsque nous serons parvenus, à Copenhague, à un accord ambitieux sur le climat, il faudra que soit créée alors une véritable Organisation mondiale de l'environnement en mesure de faire appliquer les engagements qui auront été pris, je l'espère, par tous » .

Ainsi, en l'absence d'une organisation mondiale de l'environnement que la France appelle de ses voeux, qui disposerait d'un organe de règlement des différends à l'image de celui de l'OMC, la légalité des mesures prises en matière de commerce international et d'environnement dépend encore très largement de l'interprétation de l'OMC.

La présente proposition de résolution estime « qu'un tel mécanisme paraît compatible avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce ». Or, à l'heure actuelle, la doctrine de l'OMC sur cette question repose essentiellement sur le rapport 15 ( * ) que le secrétariat de l'organisation a publié conjointement avec le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). Sont ainsi exposées, sur le fondement de la jurisprudence de l'OMC dans d'autres affaires, les conditions dans lesquelles des limitations commerciales reposant sur des ajustements fiscaux pourraient être envisagées.

a) Une possibilité théorique

Les ajustements fiscaux à la frontière sont aujourd'hui couramment utilisés pour les taxes intérieures sur la vente ou la consommation de produits afin d'appliquer le « principe du pays de destination » selon lequel les produits sont taxés dans le pays où ils sont consommés. Le rapport de l'OMC note toutefois que la question de l'inclusion dans ce champ des taxes sur le carbone « donne lieu à un vaste débat juridique », centré sur les articles II 2 a 16 ( * ) et III 2 17 ( * ) de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1947 modifié.

Sans formellement trancher ce débat, le rapport conjoint PNUE-OMC souligne que, dans l'affaire États-Unis/Fonds spécial, l'institution a constaté qu'une taxe appliquée par les Etats-Unis sur certaines substances (utilisées comme intrants dans le processus de production de certains produits chimiques) et qui frappait directement les produits considérés pouvait faire l'objet d'un ajustement fiscal à la frontière.

L'OMC autorise donc les ajustements fiscaux à la frontière pour les produits importés lorsqu'une taxe intérieure est appliquée sur certains intrants utilisés dans le processus de production. Dès lors, en toute logique, les produits énergétiques fossiles sources d'émissions de GES pourraient, théoriquement, faire l'objet d'un ajustement fiscal à la frontière bien que n'étant pas directement incorporés dans les produits importés.

b) Des difficultés de faisabilité technique

Du point de vue pratique, la mise en place du mécanisme apparaît cependant complexe . En effet, l'ajustement fiscal à la frontière nécessiterait :

- de concevoir un mécanisme permettant d'ajuster le coût des quotas d'émission de CO 2 et de calculer le montant approprié de l'ajustement à la frontière. Or il est techniquement difficile d'évaluer les émissions par produit en tenant compte des fluctuations du prix du carbone liées au système d'échange de droits d'émission ;

- de prendre en compte les situations dans lesquelles les produits importés font l'objet, dans le pays d'origine, de règlements techniques relatifs au changement climatique plutôt qu'à des mécanismes agissant sur les prix, comme les taxes ;

- d'être capable de mesurer précisément la quantité de gaz à effet de serre émise pendant le processus de production qui peut varier en fonction du produit, de l'entreprise et du pays considéré. Il serait toutefois possible d'envisager une approche fondée sur le principe selon lequel les produits importés ont été fabriqués selon « la meilleure technologie disponible », c'est-à-dire, en réalité, la plus courante, dont la définition pourrait être confiée à un organisme indépendant et validée en dernier ressort par l'OMC ;

Face à ces obstacles techniques, il est également possible d'envisager l'inclusion des importateurs des secteurs sous quotas d'émissions dans le système . Cette solution permettrait de répondre au problème de la différence entre le tarif de la taxe et le prix du carbone constaté sur le marché.

c) L'exception environnementale prise sur le fondement de l'article XX du GATT

Votre rapporteur observe que l'article XX du GATT relatif aux « exceptions générales » pourrait être utilisé pour s'assurer de la licéité de certaines restrictions aux échanges dans le cadre de la protection de l'environnement .

L'article XX dispose en effet que « sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans le présent Accord ne sera interprété comme empêchant l'adoption ou l'application par toute partie contractante des mesures (...) b) nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ; (...) g) se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables, si de telles mesures sont appliquées conjointement avec des restrictions à la production ou à la consommation nationales ; (...) »

L'OMC reconnaît donc la possibilité pour les États parties de déroger à certaines de leurs obligations s'il s'agit de prendre des mesures destinées à protéger la santé et la vie des personnes, des animaux et des végétaux.

Dès lors, votre rapporteur souligne que des législations visant à réduire les émissions de GES pourraient être jugées recevables par l'OMC sous certaines conditions :

- de proportionnalité : il doit exister une bonne adéquation entre les moyens et l'objectif environnemental affiché ;

- d'impartialité : les mesures prises doivent s'accompagner de restrictions ou de contraintes équivalentes pour la production domestique ;

- de bonne foi : les mesures envisagées ne doivent pas constituer une restriction déguisée au commerce international.

* 14 Ainsi, un rapport du Centre Tyndall pour la recherche sur le changement climatique a conclu que les exportations nettes chinoises représentaient 1,1 milliard de tonnes de dioxyde de carbone en 2004, soit 23 % des émissions totales de la Chine.

* 15 Commerce et changement climatique, PNUE-OMC, 26 juin 2009.

* 16 Qui dispose « qu'aucune disposition du présent article n'empêchera une partie contractante de percevoir à tout moment, à l'importation d'un produit une imposition équivalant à une taxe intérieure frappant, en conformité du paragraphe 2 de l'article III, un produit national similaire ou une marchandise qui a été incorporée dans l'article importé (...) ».

* 17 Qui dispose que « les produits du territoire de toute partie contractante importés sur le territoire de toute autre partie contractante ne seront pas frappés, directement ou indirectement, de taxes ou autres impositions intérieures, de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent, directement ou indirectement, les produits nationaux similaires. En outre, aucune partie contractante n'appliquera, d'autre façon, de taxes ou autres impositions intérieures aux produits importés ou nationaux d'une manière contraire aux principes énoncés au paragraphe premier (...) ».

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