EXAMEN EN COMMISSION

La commission s'est réunie le mardi 12 janvier 2010. A l'issue des observations présentées par le rapporteur, M. Hubert Haenel, le débat suivant s'est engagé :

Mme Catherine Tasca :

Cette proposition de résolution a pour objet d'appeler l'attention sur la situation existante et d'inciter les États membres à modifier leur conception de l'asile. Nous devons amener l'Europe à avoir une vision ambitieuse de la politique de l'asile et à ne pas se contenter du statu quo actuel.

La dangerosité doit être débattue. Nous devons prendre en considération les enjeux mondiaux. Considérer que le bon fonctionnement des systèmes d'asile n'est pas mis en cause par l'afflux de réfugiés, c'est négliger la réalité de la situation en Afghanistan où les civils sont les premiers menacés. Il faut leur apporter des réponses. La France est elle-même un acteur du conflit dans ce pays. Elle doit dans le même temps s'affirmer comme un territoire d'accueil temporaire.

En ce qui concerne le critère de la directive qui exige un afflux massif de réfugiés, il ne faut pas oublier la distance géographique qui sépare l'Afghanistan de l'Europe et qui rend d'autant plus compliqués des déplacements vers notre continent que les Afghans savent qu'ils n'y sont pas accueillis à bras ouverts.

Avec cette proposition de résolution, nous souhaitons dépasser le cadre purement juridique pour promouvoir une plus grande protection temporaire de ces populations.

M. Simon Sutour :

On est dans un débat politique. On a démantelé la « jungle » de Calais mais, en réalité, elle se reconstitue. Les personnes concernées ont été placées dans des centres de rétention administrative, puis remises en liberté par décision judiciaire. Il est nécessaire de traiter ces personnes de manière correcte et humaine. La protection qui leur serait accordée au titre de la directive de 2001 serait temporaire. Un retour vers leur pays serait possible dès que la situation s'améliorerait. Tel a été le cas pour le Kosovo.

M. Denis Badré :

Je comprends la motivation des auteurs de la proposition de résolution. Ces personnes connaissent une situation dramatique et des questions de principe sont en cause. L'Union européenne doit avoir une politique plus forte qui prenne en compte les violences commises dans ces pays, en particulier en lien avec les trafics de drogue.

Afin de mieux comprendre le mécanisme de la protection temporaire, je souhaiterais savoir si elle est accordée indépendamment de la reconnaissance du statut de réfugié et par qui elle est accordée.

Enfin, il me semble qu'un débat pourrait utilement avoir lieu à ce sujet au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et du Parlement européen.

M. Hubert Haenel :

Tout État membre peut demander à la Commission européenne de soumettre une proposition au Conseil tendant à déclencher le mécanisme de protection temporaire. La décision du Conseil, qui est prise à la majorité qualifiée, s'impose alors à tous les États membres. C'est un mécanisme supplémentaire par rapport au statut de réfugié et à la protection subsidiaire. Sa mise en oeuvre ne préjuge pas de la protection qui serait le cas échéant accordée au titre de la Convention de Genève ou de la protection subsidiaire.

La proposition de résolution a le mérite de soulever un vrai problème, en particulier l'enjeu de la protection des populations civiles. Avant 2001, des dispositifs nationaux de protection temporaire avaient été mis en place pour répondre à la situation dans les Balkans. La directive de 2001 a permis de créer un dispositif communautaire qui se substitue aux décisions nationales antérieures. Or, ce dispositif communautaire n'a pas été mis en oeuvre depuis 2001.

M. Didier Boulaud :

Le nombre de réfugiés afghans en Europe apparait faible au regard du nombre très important de ces réfugiés en Iran et au Pakistan. Le souhait des Afghans est de pouvoir rentrer dans leur pays dès lors que les conditions de paix seront réunies. Ce sont donc des situations temporaires qu'il s'agit de régler, comme ce fut le cas par le passé en ce qui concerne le Kosovo.

M. Hubert Haenel :

C'est un problème réel, mais il n'est guère possible d'y répondre en recourant aux instruments juridiques existants relatifs à la protection temporaire.

M. Simon Sutour :

Ce que nous souhaitons, c'est que la France intervienne au niveau européen pour faire évoluer l'approche de ces questions.

Mme Catherine Tasca :

Nous devons souligner que les possibilités ouvertes par la directive de 2001 sont restées lettre morte. Il faut que les choses évoluent.

M. Simon Sutour :

Ce n'est pas parce que les textes sont imparfaits qu'il faut rester inactif.

M. Jean Bizet :

La dimension humaine de cette question doit interpeller. Or, il n'est plus possible aujourd'hui d'avoir une réponse purement nationale. Il faut donc s'interroger sur le mécanisme prévu par la directive de 2001 qui n'a jamais été mis en oeuvre.

M. Bernard Frimat :

L'analyse juridique ne doit pas servir d'alibi pour justifier l'inaction.

M. Hubert Haenel :

Il est en effet essentiel d'insister sur l'aspect humain de la situation des réfugiés afghans en Europe. Nous avons procédé à une analyse juridique des possibilités ouvertes par les textes communautaires. Je relève le souhait qui a été exprimé qu'une nouvelle étape puisse être franchie au niveau européen sur cette question.

*

* *

A l'issue du débat, au bénéfice de ces observations, la commission des Affaires européennes, conformément à l'accord passé entre les groupes politiques sur l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour réservé aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires, a décidé de ne pas apporter de modifications à la proposition de résolution européenne et de la transmettre telle quelle pour examen à la commission des Lois.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 68 paragraphe 1 du Traité sur l'Union Européenne stipulant que « l'Union développe une politique commune en matière d'asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d'un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non-refoulement. Cette politique doit être conforme à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et au protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés, ainsi qu'aux autres traités pertinents »,

Vu la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil,

Vu l'article 15 alinéa c de la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts,

Considérant que les demandes d'asile dans les pays industrialisés ont, selon l'Organisation des Nations Unies (ONU), augmenté de 10 % dans la première moitié de l'année 2009 - et de 20 % en France selon l'Office français de protection des réfugier et apatrides (OFPRA) - que l'Europe a reçu plus de trois quarts de ces demandes et que la France constitue le deuxième pays dans le monde, avec près de 19 400 demandes, vers lequel se sont tournées ces populations vulnérables venant principalement d'Irak (13000), d'Afghanistan (12000) et de Somalie (11000), États qui se trouvent être soit en état de guerre, soit incapables de faire respecter les droits humains les plus fondamentaux,

Considérant les possibles conséquences migratoires de l'instabilité de plusieurs provinces afghanes frontalières du Pakistan, actuellement en situation de guérilla, ayant déjà entraîné la suspension du programme de retour volontaire des réfugiés afghans,

Considérant les propos du Haut Commissaire aux réfugiés des Nations Unies, Antonio Guterres, stigmatisant, le 3 novembre 2009, lors de la 64ème session de l'Assemblée générale de l'ONU, la réduction des possibilités d'obtenir une protection internationale à travers la « tendance générale vers plus de restrictions et moins de droits », dénonçant la responsabilité de « nombre de pays développés en train de limiter l'accès à leurs territoires d'une manière qui ne respecte pas le droit des demandeurs d'asile et des réfugiés selon les règles du droit international [...] Pousser les demandeurs d'asile là où aucune protection n'est disponible ou se décharger vers les pays en développement, qui accueillent déjà quatre cinquièmes des réfugiés dans le monde, n'est ni moral, ni acceptable »,

Attendu que selon l'article 3 paragraphe 3 de la directive 2001/55/CE du Conseil, « l'établissement, la mise en oeuvre et la cessation de la protection temporaire font l'objet de consultations régulières avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés »,

Attendu que l'article 2 alinéa d de la directive 2001/55/CE définit l'afflux massif comme « l'arrivée dans la Communauté d'un nombre important de personnes déplacées, en provenance d'un pays ou d'une zone géographique déterminée »,

Attendu qu'il est fait actuellement une interprétation restrictive des raisons prévues à l'article 15 alinéa c de la directive 2004/83/CE, donnant aux personnes faisant l'objet de « menaces graves et individuelles (...) en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international » le droit à la protection subsidiaire, et considérant que, dans ce contexte, devraient être pris en compte des critères géographique et temporel pour évaluer le risque de menace individuelle et les risques d'évolution, de contagion et de déplacement d'un conflit armé,

Souhaite que la France, conformément à l'article 5 paragraphe 1 de la directive 2001/55/CE sur la protection temporaire et à l'article 15 alinéa c de la directive 2004/83/CE dite « Qualification », puisse transmettre à la Commission européenne une demande en vue de proposer au Conseil d'adopter à la majorité qualifiée une décision constatant la nécessité de déclencher l'octroi de la protection temporaire aux réfugiés afghans en provenance d'Afghanistan et du Pakistan,

Attire, en outre, l'attention sur l'urgence, à l'occasion de l'adoption par les États membres de l'Union du programme pluriannuel de Stockholm, de mettre fin à l'impasse actuelle dans laquelle se trouvent les instruments de protection juridique existants. Ils se révèlent en effet, soit inadaptés à la situation, et ne sont de ce fait, ni utilisés par les États membres, ni même invoqués par les individus auxquels ils sont destinés, soit appliqués de manière restrictive et par là-même détournés du but premier qui a présidé à leur création,

Insiste à cet égard pour que la France se montre ambitieuse dans la promotion auprès de ses partenaires européens d'un Régime d'asile européen commun, fondé sur des normes élevées, permettant de garantir un accès effectif à la protection internationale pour toutes les personnes fuyant les conflits.

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