B. LE CHOIX DE RÉSERVER À LA LOI SIMPLE LE SOIN DE DÉSIGNER LES COMMISSIONS COMPÉTENTES POUR PRONONCER LES AVIS (ARTICLE 2)

Le projet de loi organique, dans sa version initiale, prévoyait à l'article 2 que la commission permanente compétente pour rendre un avis sur les nominations des membres du Conseil constitutionnel par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale, serait la commission chargée des lois constitutionnelles.

En première lecture, le Sénat a jugé qu'il était également nécessaire de déterminer, dans chaque assemblée, la commission compétente -en l'espèce, la commission chargée des lois constitutionnelles- pour émettre un avis, d'une part, sur la nomination du Défenseur des droits en application du quatrième alinéa de l'article 71-1 de la Constitution et, d'autre part, des personnalités qualifiées membres du CSM, en application du deuxième alinéa de l'article 65 de la Constitution.

Il a toutefois estimé plus conforme à la lettre de la Constitution d'apporter cette précision dans la loi simple et non dans la loi organique -les articles 56, 65 et 71-1 de la Constitution renvoyant expressément au dernier alinéa de l'article 13 dont la dernière phrase prévoit que la « loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés ».

L'Assemblée nationale a souscrit à cette position et a considéré, à juste titre, qu'il convenait également de désigner dans la loi ordinaire la commission permanente compétente dans chaque assemblée pour donner un avis sur la nomination des membres du Conseil constitutionnel en supprimant, par voie de conséquence, l'article 2 du projet de loi organique.

Votre commission ne peut qu'approuver cette coordination.

C. LE NÉCESSAIRE MAINTIEN DU DROIT DE DÉLÉGUER SON VOTE (ARTICLE 3)

En première lecture, les députés ont introduit dans le projet de loi organique un article additionnel afin de compléter l'ordonnance n°58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, afin d' exclure la possibilité de déléguer son vote lors d'un scrutin destiné à recueillir l'avis d'une commission sur un projet de nomination .

Les députés souhaitaient éviter que les résultats du vote soient faussés par le jeu des délégations de vote au profit d'une assemblée. Lors des débats en séance publique, en deuxième lecture, M. Patrice Verchère a précisé les craintes de l'Assemblée nationale « (...) en l'absence de modification du nombre des commissions permanentes au Sénat, resté à six alors que notre assemblée en compte désormais huit ; il existe un véritable risque que certaines commissions permanentes du Sénat pèsent davantage que celles de l'Assemblée nationale lors d'un vote sur une nomination, ce qui serait inacceptable » 4 ( * ) .

Le Sénat avait, pour sa part, souhaité maintenir la possibilité pour chaque assemblée de permettre les délégations de vote et supprimé, en conséquence, l'article 3, rétabli néanmoins en deuxième lecture par l'Assemblée nationale.

Bien que ni la lettre de la Constitution, ni les travaux préparatoires ne permettent de penser qu'une procédure strictement identique doive être retenue dans les deux assemblées pour prononcer l'avis prévu par l'article 13 de la Constitution 5 ( * ) , votre commission estime souhaitable qu'un accord puisse être trouvé par les deux assemblées sur ce point.

L'harmonisation, si le principe en était admis, devrait toutefois aller dans le sens de la possibilité des délégations de vote.

En premier lieu, cette faculté est déjà largement admise à l'Assemblée nationale pour tous les scrutins à l'exception de ceux portant sur les nominations personnelles -sur la base de l'article 13 de l'instruction générale du bureau 6 ( * ) - auxquels ne peut être néanmoins complètement assimilé un avis relatif à une nomination. Il y aurait donc quelque paradoxe à l'interdire dans le cadre de la procédure de l'article 13 de la Constitution alors même que le recours aux délégations permettrait sans doute aux députés de mieux assurer leur représentation lors du vote sur l'avis concernant les nominations et répondrait ainsi aux craintes exprimées sur les effets possibles de la quasi égalité des effectifs entre la commission de l'économie du Sénat et celle des affaires économiques ou du développement durable de l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, votre commission estime utile de préserver une certaine souplesse dans le déroulement de la procédure : dans certains cas, il pourra apparaître utile de laisser s'écouler un délai entre l'audition de la personne par la commission et le moment où celle-ci rend son avis afin de permettre aux parlementaires d'arrêter leur position avec le recul nécessaire, après en avoir débattu, le cas échéant, avec leurs collègues. L'organisation différée du vote pourrait, d'ailleurs, être encouragée par l'exigence introduite par les députés et admise, en première lecture, par les deux assemblées, du dépouillement simultané du scrutin entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Dans cette perspective, la délégation serait particulièrement pertinente pour les parlementaires qui, ayant entendu le candidat, ne pourraient être présents lors du vote.

Au-delà de ces considérations de fait, votre commission estime que l'interdiction des délégations de vote soulève de sérieuses objections de droit.

Comme l'avait rappelé le professeur Jean Gicquel lors de son audition par votre rapporteur, le seul type de scrutin pour lequel les délégations de vote sont explicitement proscrites concerne la destitution du chef de l'Etat - a contrario , par exemple, la délégation de vote est possible pour le vote, au Congrès, sur la révision constitutionnelle 7 ( * ) .

En outre cette interdiction qui figure à l'article 68 de la Constitution a été posée par le pouvoir constituant. Dès lors, la référence à une nouvelle hypothèse d'interdiction de délégation de vote dans un texte à caractère organique soulève des interrogations au regard de sa conformité à la Constitution. Votre commission estime difficile de soutenir que la disposition du dernier alinéa de l'article 27 de la Constitution selon laquelle « la loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote » permette d' interdire les délégations de vote pour l'application de l'article 13 de la Constitution. En effet, comme le montre le choix du législateur organique en 1958 et l'interprétation continue qui en a été faite, le dernier alinéa de l'article 27 n'a pas vocation à permettre -fut-ce au législateur organique- d'interdire les délégations de vote pour tel ou tel type de scrutin . Il a pour objet de fixer les cas d'empêchement exceptionnels nécessitant pour le parlementaire de pouvoir se faire représenter pour exercer effectivement la plénitude de son mandat à savoir sa participation au vote.

Les motifs permettant une délégation de vote sont strictement encadrés par l'ordonnance organique du 7 novembre 1958. Ils sont au nombre de six :

- maladie, accident ou événement familial grave empêchant le parlementaire de se déplacer ;

- mission temporaire confiée par le Gouvernement ;

- service militaire accompli en temps de paix ou en temps de guerre ;

- participation aux travaux des assemblées internationales en vertu d'une désignation faite par l'Assemblée nationale ou le Sénat ;

- en cas de session extraordinaire, absence de la métropole ;

- cas de force majeure approuvés par décision des bureaux des assemblées.

Aux termes de l'article 2 de l'ordonnance organique, la délégation répond à des exigences formelles et procédurales précises (ainsi pour être valable, la délégation doit être notifiée au président de l'assemblée à laquelle appartient le parlementaire avant l'ouverture du scrutin ou du premier des scrutins auxquels l'intéressé ne peut prendre part).

La délégation ne constitue donc pas une « facilité » donnée au parlementaire mais un droit qui, dans des hypothèses limitativement énumérées par l'ordonnance organique, lui permet d'assumer son mandat.

Par ailleurs, en l'absence d'un fondement constitutionnel, cette interdiction de délégation serait-elle justifiée au Parlement alors que pour toutes les élections locales et nationales qui ont lieu au scrutin secret les procurations sont généralisées ? L'argument selon lequel pour les nominations le vote serait plus personnel ou la suspicion qui semble peser sur le délégataire dès que le vote est secret résiste mal à cette comparaison avec les droits de l'électeur.

Aussi, à ce stade, votre commission a-t-elle supprimé l'article 3 du projet de loi organique.

* 4 JO, compte rendu des débats, première séance du mardi 2 février 2010.

* 5 Le projet de loi organique initial ne comportait d'ailleurs aucune indication sur les modalités de vote de chaque assemblée. Ainsi que l'avait indiqué M. Henri de Raincourt, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale lors de l'examen en première lecture, « le président Warsmann ayant indiqué lors des débats constituant que « le seul rôle de la loi organique, c'est de déterminer la liste des emplois ou fonctions. Toute la procédure est dans la Constitution », le Gouvernement s'en est tenu à cette position (...). [Il] n'a donc pas souhaité introduire d'autres dispositions relatives à la procédure mise en oeuvre dans chaque assemblée, qui devraient trouver leur place naturelle dans leur Règlement respectif. ».

* 6 Cette disposition n'a pas été soumise au Conseil constitutionnel. Néanmoins, à l'occasion d'une résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat, le Conseil constitutionnel dans une décision du 17 mai 1973, avait estimé qu'il n'était pas possible d'apporter des restrictions aux possibilités reconnues par l'ordonnance organique aux parlementaires de déléguer leur droit de vote.

* 7 Dans sa décision n°86-225 DC du 23 janvier 1987, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs donné une interprétation souple du deuxième alinéa de l'article 27 de la Constitution selon lequel le droit de vote des membres du Parlement est personnel en considérant qu'une procédure d'adoption d'un texte ne pourrait être entachée de nullité que s'il est établi « d'une part, qu'un ou des députés ont été portés comme ayant émis un vote contraire à leur opinion et, d'autre part, que sans la prise en compte de ce ou de ces votes, la majorité requise n'aurait pu être atteinte ».

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