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Rapport n° 327 (2009-2010) de M. François ZOCCHETTO , fait au nom de la commission des lois, déposé le 24 février 2010

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N° 327

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 février 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de MM. Jacques MÉZARD, Yvon COLLIN, Gilbert BARBIER, Jean-Michel BAYLET, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, Mme Anne-Marie ESCOFFIER, M. François FORTASSIN, Mme Françoise LABORDE, MM. Daniel MARSIN Jean MILHAU, Aymeri de MONTESQUIOU, Robert TROPEANO, Raymond VALL et François VENDASI tendant à assurer l' assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue ,

Par M. François ZOCCHETTO,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest , président ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Patrice Gélard, Jean-René Lecerf, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, M. François Zocchetto , vice-présidents ; MM. Laurent Béteille, Christian Cointat, Charles Gautier, Jacques Mahéas , secrétaires ; M. Alain Anziani, Mmes Éliane Assassi, Nicole Bonnefoy, Alima Boumediene-Thiery, MM. Elie Brun, François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Yves Détraigne, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Pierre Fauchon, Louis-Constant Fleming, Gaston Flosse, Christophe-André Frassa, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Mmes Jacqueline Gourault, Virginie Klès, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, Jean-Pierre Michel, François Pillet, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Richard Tuheiava, Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

208 (2009-2010)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

La commission des lois, réunie le mercredi 24 février 2010 sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président , a procédé à l'examen du rapport de M. François Zocchetto et du texte proposé par la commission pour la proposition de loi n° 208 (2009-2010), présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues, tendant à assurer l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue.

Le rapporteur a rappelé que le Sénat, attentif par tradition à garantir les libertés individuelles, était très préoccupé par la situation actuelle de la garde à vue, comme en avait témoigné l'organisation, à l'initiative de M. Jacques Mézard, le 9 février 2010, d'une question orale avec débat sur ce sujet. Il a noté qu'en dix ans, le nombre de gardes à vue avait doublé et que leurs conditions de déroulement restaient trop souvent déplorables. Il a ajouté que les évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme fragilisaient le régime actuel de la garde à vue au risque de créer une insécurité juridique préoccupante.

Votre commission juge que le statu quo dans cette matière n'est plus possible et qu'une réforme ambitieuse de la garde à vue est indispensable.

Dans cette perspective, elle a jugé que la proposition de loi présentée par M. Jacques Mézard et ses collègues constituait une base cohérente d'évolution du régime de la garde à vue, inscrite dans une démarche constructive. Néanmoins, après avoir rappelé qu'une réforme d'ampleur de la procédure pénale serait prochainement soumise au Parlement, elle s'est demandé si le régime de la garde à vue pouvait être appréhendé, indépendamment des choix qui seraient faits sur le déroulement de l'enquête et, en particulier, du rôle dévolu dans ce cadre au procureur de la République.

Elle a estimé, en tout état de cause, que la réflexion n'était sans doute pas encore mûre sur des sujets délicats tels que l'organisation effective de la défense dans le cas où la présence de l'avocat serait admise pendant les interrogatoires de garde à vue, l'accès de la défense au dossier ou encore la possible évolution des régimes dérogatoires de garde à vue. Aussi a-t-elle souhaité que le débat se poursuive sur ces sujets et se nourrisse des propositions du Gouvernement.

Votre commission a décidé, en conséquence, à ce stade, de ne pas établir de texte et d'adopter une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à se prononcer sur une proposition de loi tendant à assurer l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue présentée par MM. Jacques Mézard et Yvon Collin ainsi que plusieurs membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen.

L'examen de ce texte permet de prolonger le débat organisé, le 9 février dernier, sur la question orale relative au renforcement des droits des personnes placées en garde à vue dont l'initiative revient également à notre excellent collègue M. Jacques Mézard.

En dix ans, le nombre de gardes à vue a doublé. Les conditions de garde à vue restent, en outre, trop souvent déplorables comme l'a souligné en 2009, le premier rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Enfin, les évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme fragilisent le régime actuel de la garde à vue au risque de créer une insécurité juridique préoccupante.

Notre assemblée, attentive, par tradition, à garantir les libertés individuelles se saisit ainsi d'un sujet où les exigences de la sécurité doivent se concilier avec le respect des droits de la personne 1 ( * ) .

Comme l'a montré le débat du 9 février 2010 au Sénat, les préoccupations à l'origine de la proposition de loi dépassent les clivages partisans. L'assemblée nationale ainsi que les plus hautes autorités de l'Etat s'en font également les échos. Voici un an, lors de l'audience solennelle de rentrée de la cour de cassation, le Président de la République appelait de ses voeux la mise en place d'un « véritable habeas corpus à la française ». Le Premier ministre, quant à lui, s'est dit « choqué », au mois de décembre dernier, par le nombre des gardes à vue.

Une réforme est indispensable. Elle se doit d'être ambitieuse. Néanmoins, selon votre commission, elle a vocation à s'inscrire dans la réforme d'ensemble de la procédure pénale, prochainement soumise à l'examen du Parlement et dont la garde à vue est l'un des volets essentiels.

*

* *

I. L'IMPOSSIBLE STATU QUO

A. UNE MESURE PRIVATIVE DE LIBERTÉ MAIS CRÉATRICE DE DROITS

Mesure privative de liberté mais créatrice de droits, tel est le paradoxe souvent observé de la garde à vue

Pendant 35 ans, le régime de la garde à vue a été marqué par une grande stabilité. Il tenait principalement en trois articles (art. 63, 64 et 77 du code de procédure pénale) :

- la garde à vue n'était pas réservée aux seuls suspects : toute personne, y compris un témoin, pouvait être contrainte à demeurer à la disposition de l'officier de police judiciaire si celui-ci l'estimait nécessaire ;

- la durée était fixée à 24 heures, renouvelable pour une même durée ;

- quelques garanties étaient prévues : le principe d'une audition de la personne par le parquet avant prolongation en cas d'enquête préliminaire, la possibilité d'un examen médical, l'obligation de préciser par procès-verbal les temps d'audition et de repos 2 ( * ) .

Les seules modifications avaient porté sur la durée maximale de la mesure portée à quatre jours en matière de terrorisme ou de trafic de stupéfiants par les lois du 31 décembre 1971 et du 9 septembre 1986.

En revanche, depuis 1993, plus d'une dizaine de lois d'une portée variable ont modifié la définition et le régime de la garde à vue. Les lois des 4 janvier et 24 août 1993, surtout, en ont fait une mesure créatrice de droits en décidant :

- l'exclusion de la garde à vue pour le simple témoin ;

- le renforcement du contrôle de l'autorité judiciaire, avec, en particulier, l'obligation pour l'officier de police judiciaire décidant un placement en garde à vue d'aviser très rapidement le magistrat et l'obligation, en principe, de présenter la personne au magistrat avant toute décision de prolongation ;

- le renforcement des garanties données à la personne gardée à vue (droit d'être examinée par un médecin, de prévenir un proche et, surtout, de s'entretenir avec un avocat) ;

- la possibilité d'annulation de la garde à vue en cas de violation d'une formalité substantielle portant atteinte aux intérêts de la personne.

Ces évolutions tiennent pour une large part à l'extension constante de l'enquête au détriment de l'information judiciaire et à l'exigence corrélative de renforcer les droits des personnes lorsque les investigations sont conduites au cours de la première.

1. Une mesure privative de liberté

Toute personne « à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction » peut être placée, « pour les nécessités de l'enquête » en garde à vue par un officier de police judiciaire (art. 63 et 77 du code de procédure pénale). Cette mesure est possible pour tout crime ou délit puni d'une peine d'emprisonnement en cas de flagrance, et pour toute infraction dans le cadre de l'enquête préliminaire.

La durée de la garde à vue est de 24 heures au maximum. Cependant, ce délai peut être renouvelé pour une même durée, sur autorisation écrite du procureur de la République. En enquête de flagrance, il peut subordonner cette autorisation à la présentation préalable de la personne concernée (art. 63, alinéa 2). En revanche, en enquête préliminaire ou sur commission rogatoire, la présentation préalable est la règle et il ne peut y être dérogé qu'à titre exceptionnel et par une décision écrite et motivée du magistrat -procureur de la République ou juge d'instruction selon les cas (art. 77, alinéa 2, et art. 154, alinéa 2, du code de procédure pénale).

Le législateur a prévu des prolongations supplémentaires dans deux hypothèses prévues par le code de procédure pénale.

- pour les infractions de criminalité organisée (prévues par l'article 706-73), la garde à vue peut être prolongée de deux fois vingt-quatre heures . Lorsque la durée prévisible des investigations restant à réaliser à l'issue de la première prolongation de « droit commun » le justifie, une seule prolongation de 48 heures peut être décidée (art. 706-88 du code de procédure pénale). Ces prolongations sont autorisées sur requête du procureur de la République par le juge d'instruction lorsque la garde à vue a été prescrite sur commission rogatoire, et par le juge des libertés et de la détention en enquête de flagrance ou préliminaire ;

- en cas de risque sérieux de l'imminence d'une action terroriste (ou lorsque les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement), la garde à vue peut être encore prolongée de deux fois 24 heures supplémentaires (art. 706-88).

La garde à vue peut ainsi être portée jusqu'à six jours.

Prolongations possibles du délai initial de garde à vue de 24 heures 1

Prolongations successives de 24 heures

Textes

Cas

Durée totale de la garde à vue

Prolongation selon les règles ordinaires

63, al. 2 ; 77, al. 2 ; 154, al. 2

48 heures

(2 jours)

Première prolongation supplémentaire

706-88, al. 1er

Infractions de criminalité organisée prévues par l'article 706-73

72 heures

(3 jours)

Deuxième prolongation supplémentaire

96 heures

(4 jours)

Troisième prolongation supplémentaire

706-88, al. 7

Infractions terroristes prévues par le 11° de l'article 706-73

120 heures

(5 jours)

Quatrième prolongation supplémentaire

144 heures

(6 jours)

1 Source : F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer -

Traité de procédure pénale, Economica

2. Une situation créatrice de droits

Les garanties apportées à la personne placée en garde à vue sont principalement de trois ordres :

Le contrôle du procureur de la République

Le procureur de la République, ou s'il s'agit d'une commission rogatoire, le juge d'instruction, doit être informé dès le début d'une garde à vue (art. 63 et 77). Ainsi que l'a indiqué le Conseil constitutionnel, « la garde à vue mettant en cause la liberté individuelle dont, en vertu de l'article 66 de la Constitution, l'autorité judiciaire assure le respect, il importe que les décisions prises en la matière par les officiers de police judiciaire soient portées aussi rapidement que possible à la connaissance du procureur de la République [ou du juge d'instruction] afin que celui-ci soit à même d'en assurer le respect » 3 ( * ) . Le procureur de la République contrôle les mesures de garde à vue et visite les locaux de garde à vue chaque fois qu'il l'estime nécessaire et au moins une fois par an (art. 41 du code de procédure pénale).

Les droits de la personne gardée à vue

En premier lieu, la personne est immédiatement informée , dans une langue qu'elle comprend, de la nature de l'infraction sur laquelle porte l'enquête , des droits dont elle dispose ainsi que des dispositions relatives à la durée de la garde à vue (art. 63-1).

La personne gardée à vue dispose également du droit de faire prévenir par téléphone une personne avec laquelle elle vit habituellement ou un de ses parents en ligne directe, l'un de ses frères et soeurs ou son employeur (art. 63-2 du code de procédure pénale). Elle peut en outre, à sa demande, être examinée par un médecin (art. 63-3).

Par ailleurs, la personne peut demander à s'entretenir avec un avocat , choisi ou désigné d'office par le bâtonnier dès le début de la garde à vue puis, le cas échéant, dès le début de la prolongation 4 ( * ) . Cependant, pour la personne soupçonnée d'avoir commis une infraction de criminalité organisée, ce droit est reporté au début de chacune des deux prolongations supplémentaires -soit à l'issue de la 48 ème heure puis de la 72 ème heure -et, en matière de terrorisme, à l'issue de la 72 ème heure. Lorsqu'en matière de terrorisme, les circonstances permettent une garde à vue de 6 jours, l'entretien avec l'avocat est différé à la 96 ème heure et à la 120 ème heure.

La loi du 15 juin 2000 prévoyait que le gardé à vue devait être informé de son droit à garder le silence. Aux termes de la loi du 4 mars 2002, l'intéressé était informé du choix dont il disposait de répondre ou se taire. La loi du 18 mars 2003 a totalement supprimé ce droit.

Le contrôle du déroulement de la garde à vue

Aux termes de l'article 64 du code de procédure pénale, le procès verbal d'interrogatoire de la garde à vue doit obligatoirement porter mention :

- de la durée de l'interrogatoire ;

- du repos dont a bénéficié la personne interrogée ;

- des heures auxquelles elle a pu s'alimenter ;

- des demandes qu'elle a faites en application des articles 63-2 à 63-4 et des suites qui leur ont été données ;

- du jour et de l'heure du début et de la fin de la mesure ;

- des motifs de la garde à vue.

Par ailleurs, la loi du 5 mars 2007 a prévu l'enregistrement des auditions en garde à vue en matière criminelle 5 ( * ) .

B. DES MODALITÉS D'APPLICATION CRITIQUABLES, DES BASES JURIDIQUES CONTESTÉES

Le dispositif de la garde à vue est fragilisé aujourd'hui par les conditions d'application ainsi que par les évolutions jurisprudentielles de la Cour européenne des droits de l'Homme.

1. Les risques de dévoiement de la procédure

Selon les données statistiques du ministère de l'intérieur, le nombre de gardes à vue s'est élevé en 2009 à 580.108 pour la France métropolitaine dont 100.380 (soit plus de 17 %) de plus de 24 heures. Ainsi, depuis 2001, le nombre de gardes à vue a augmenté de 72 %. Encore ces données ne comprennent-elles ni les gardes à vue effectuées outre-mer -37.500- ni celles concernant les infractions routières recensées de manière différente et estimées à 150.000 par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue.

Il apparaît indispensable que l'observatoire indépendant chargé de collecter et d'analyser les données statistiques relatives aux infractions, créé par la loi pénitentiaire, permette de recueillir sur ce sujet les éléments statistiques permettant une analyse plus rigoureuse de l'évolution du nombre de gardes à vue au cours des dernières années.

Nul ne doute, comme le soulignait notre collègue, Mme Anne-Marie Escoffier, lors du débat organisé le 9 février 2010, que « la cellule de dégrisement et la garde à vue peuvent être, dans certaines circonstances, la seule solution, la solution de sagesse avant de rendre à la personne mise en cause la possibilité de reprendre son véhicule ».

Néanmoins, la très forte augmentation du nombre de gardes à vue au cours des dix dernières années ne permet plus d'éluder la question d'un recours abusif à cette mesure. L'atteinte portée à la liberté individuelle ne saurait, en vertu du principe de proportionnalité qui guide notre état de droit, se justifier pour des faits d'une gravité limitée.

Sans doute, comme le note d'ailleurs le rapport d'activité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour 2008, le choix de retenir le nombre de placements en garde à vue comme l'un des indicateurs de performance de la police et de la gendarmerie nationale n'est-il pas étranger à la progression du nombre de gardes à vue. A titre d'exemple, le calcul du taux d'efficacité du traitement procédural des violences urbaines rapproche, le nombre de personnes faisant l'objet d'un placement en garde à vue avec celui des personnes ayant été interpellées dans le cadre d'opérations de rétablissement de l'ordre public à l'occasion de violences urbaines (la prévision pour 2009 portait ce taux à 85 %). Le ministre de l'intérieur a néanmoins indiqué dans un entretien accordé à la presse 6 ( * ) que « dès 2010, dans le nouveau tableau de bord de la sécurité, le nombre de gardes à vue ne figure même plus comme simple information de l'activité des services ».

2. Des conditions de rétention souvent déplorables

Le nombre de gardes à vue heurterait peut-être moins l'esprit public si ces mesures ne se déroulaient dans des conditions souvent déplorables. Dans son rapport d'activité de 2008, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait dressé un état des lieux très critique sur les locaux de garde à vue. En effet, tout en reconnaissant que des efforts de rénovation avaient été entrepris, il estimait que « la plupart des lieux de garde à vue restent dans un état indigne pour les personnes qui y séjournent, qu'elles soient interpellées ou qu'elles y exercent leurs fonctions . ( ...) Les cellules de garde à vue (et aussi de dégrisement) sont les lieux les plus médiocres des locaux administratifs les plus médiocres(...). Si les mesures prises en 2003 par le ministre de l'intérieur permettent une nourriture régulière (et frugale) des personnes gardées à vue, il ne peut être encore question pour celles-ci de se laver, d'aller aux toilettes sans quémander l'autorisation (accordée ou non), le plus souvent de bénéficier de couverture (propre, de surcroît), a fortiori de s'occuper à quelque chose. Il est même parfois difficile d'attirer l'attention des agents chargés de la garde, en l'absence de dispositif d'appel et en dépit des systèmes de surveillance fréquents ».

Faut-il ajouter certaines mesures de précaution vécues comme une humiliation par les personnes gardées à vue telles que la confiscation des lunettes afin que la personne ne puisse s'ouvrir les veines après avoir brisé les verres. Or, comme le soulignait le président Robert Badinter lors du débat du 9 février 2010, « lorsqu'on prive de ses lunettes une personne atteinte d'une déficience visuelle, elle flotte dans une espèce de brume, elle ne peut plus lire, ou difficilement et elle se trouve placée dans une situation d'infériorité criante face à son interlocuteur ». De même, l'intérêt de l'obligation imposée aux femmes de retirer leur soutien-gorge n'apparaît guère avéré.

Comme l'observait le rapport précité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, « alors qu'une des issues beaucoup plus fréquentes de la garde à vue est désormais la comparution devant le juge (procédure de comparution immédiate) ou devant le magistrat du parquet (par exemple pour la comparution pour reconnaissance de culpabilité -CRPC), il est raisonnable de penser que ces conditions ne facilitent pas la préparation de sa défense par la personne interpellée ».

3. Les coups de boutoir de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme

Deux arrêts récents de la Cour européenne des droits de l'Homme 7 ( * ) ont mis en exergue trois fragilités du régime juridique de la garde à vue quant au rôle confié à l'avocat lors de la garde à vue, à son délai d'intervention et aux motifs justifiant une dérogation à ces délais d'intervention.

Dans l'arrêt Dayanan du 13 octobre 2009, la Cour exige que l'action des avocats s'exerce « librement » et permette à l'intéressé d'obtenir « la vaste gamme d'interventions propres aux conseils » à savoir « la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention » 8 ( * ) .

Jusqu'alors la jurisprudence de la Cour n'avait pas requis la présence de l'avocat pendant les interrogatoires de la garde à vue. Elle avait seulement posé pour principe l'accès à un avocat. L'arrêt Dayanan paraît à cet égard impliquer des exigences supplémentaires même si les juges n'ont pas mentionné l'accès au dossier.

En droit français, l'avocat intervenant en garde à vue doit être informé « de la nature et de la date présumée de l'infraction sur laquelle porte l'enquête » (article 63-4). Il peut s'entretenir avec la personne placée en garde à vue pour une durée n'excédant pas trente minutes dans des conditions garantissant la confidentialité de cet échange (article 63-4). Ainsi, si la présence de l'avocat constitue à la fois un soutien moral ou psychologique pour la personne ainsi qu'un des éléments du contrôle de la mesure, elle ne permet pas, en revanche, d'organiser une véritable défense : l'avocat n'a pas accès au dossier, il n'assiste pas aux auditions et ne peut prendre aucune initiative tant que la garde à vue est en cours, sinon déposer des observations écrites.

En second lieu, reprenant un principe déjà affirmé dans un arrêt Murray c/Royaume-Uni du 8 février 1996, l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008 précise que la personne gardée à vue doit bénéficier de l'assistance d'un avocat dès « le premier interrogatoire par la police ».

Sans doute, aux termes de l'article 63-4 du code de procédure pénale, la personne peut-elle demander à s'entretenir avec un avocat éventuellement commis d'office dès le début de la garde à vue. Cependant, l'officier de police judiciaire n'a en la matière qu'une obligation de moyens : il n'a pas à « rendre effectif » l'entretien demandé selon la formule de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Ainsi, si l'officier de police judiciaire a fait toutes les diligences utiles, retracées dans le procès-verbal, sans réussir à joindre l'avocat ou le bâtonnier ou si l'avocat joint ne se présente pas, la procédure ne sera pas annulée 9 ( * ) . Or, selon les principes constants de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, la protection des droits de l'Homme doit être « effective et concrète ». En particulier, la possibilité actuelle reconnue par le code de procédure pénale de mener un premier interrogatoire avant que le gardé à vue ait pu s'entretenir avec un avocat pourrait ne pas être conforme au respect des droits de la défense tel que l'entend la Cour européenne des droits de l'Homme.

Enfin, la Cour de Strasbourg entend désormais strictement les exceptions au principe de la présence de l'avocat. Ainsi, aucune dérogation n'est possible « sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ». Dans ces conditions, comme le relevait M. Jean-François Renucci, professeur à l'université de Nice Sophia-Antipolis 10 ( * ) , « on peut se demander si les dérogations françaises, dont le caractère général paraît réel, sont bien conformes aux exigences conventionnelles. Le doute est permis, même s'il est possible de rétorquer que, puisque les dérogations concernent des infractions particulières, elles peuvent donc être considérées comme spéciales et non pas générales ».

La portée de la récente jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme reste difficile à interpréter. Plusieurs juridictions ont cependant été conduites à annuler des actes accomplis pendant les gardes à vue sur le fondement de la contrariété du droit français à la convention européenne des droits de l'Homme 11 ( * ) . Sans doute, comme Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux, ministre de la justice, l'avait observé lors du débat sénatorial du 9 février 2010 « si la convention européenne des droits de l'Homme est d'application directe, sa jurisprudence ne s'impose qu'aux Etats parties à l'affaire jugée ». Elle notait ainsi que « cette analyse est partagée par de nombreuses juridictions, tant du premier que du second degré ».

Dans l'attente des décisions de cour d'appel et, sans doute, de la Cour de cassation, la situation actuelle n'en est pas moins source d'une insécurité juridique préoccupante.

II. DES EVOLUTIONS NÉCESSAIREMENT INSCRITES DANS LE CADRE D'UNE RÉFORME D'ENSEMBLE DE LA PROCÉDURE PÉNALE

A. LES PISTES DE RÉFORME ACTUELLEMENT ENVISAGÉES

1. Les propositions du rapport du comité de réflexion sur la justice pénale

Le comité de réflexion, présidé par M. Philippe Léger, chargé de formuler des propositions visant à réformer la procédure pénale, dans le rapport remis au Président de la République, le 1 er septembre 2009, préconise trois séries d'évolutions du régime de la garde à vue.

Il recommande d'abord un renforcement de la présence de l'avocat durant la garde à vue , d'une part, avec la possibilité d'un nouvel entretien avec l'avocat à la douzième heure , l'avocat ayant alors accès aux procès-verbaux des auditions de son client et, d'autre part, la présence possible de l'avocat dès lors que la garde à vue est prolongée (c'est-à-dire à l'issue de la vingt-quatrième heure).

Cependant, bien que certains de ses membres aient plaidé en ce sens, la majorité du comité n'a pas souhaité que l'avocat soit présent dès la première heure et assiste à l'ensemble des auditions du gardé à vue.

En effet, elle a considéré « qu'il convient de préserver l'efficacité de l'enquête et que les premières investigations se révèlent souvent déterminantes pour la découverte de la vérité ». De même, le comité a estimé nécessaire de conserver les régimes spécifiques retenus actuellement pour la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants et le terrorisme « sous peine de rendre la justice dangereusement impuissante pour le traitement de ces formes graves de délinquance ». Il a proposé néanmoins, s'agissant du trafic de stupéfiants, que l'avocat intervienne non à la soixante-douzième heure mais à la quarante-huitième heure.

Par ailleurs, il a recommandé l'extension de l' enregistrement obligatoire à toutes les gardes à vue .

Enfin, le comité Léger a suggéré de restreindre les possibilités de placements en garde à vue .

Tout d'abord, cette mesure devrait être limitée aux cas où la contrainte est absolument nécessaire. En effet, comme le rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation, « aucune disposition légale n'impose à l'officier de police judiciaire de placer en garde à vue une personne entendue sur les faits qui lui sont imputés dès lors qu'elle a accepté d'être immédiatement auditionnée et qu'aucune contrainte n'a été exercée durant le temps strictement nécessaire à son audition où elle est demeurée à la disposition des enquêteurs » 12 ( * ) .

Ensuite, le comité a souhaité une limitation fondée sur la nature des faits susceptibles de justifier la garde à vue . Il a préconisé l'interdiction de la garde à vue pour les infractions pour lesquelles aucune peine d'emprisonnement n'est encourue.

Afin de permettre à la justice et aux services de police judiciaire d'élucider les infractions et de poursuivre efficacement leurs auteurs, le comité propose la création d'une retenue judiciaire pour toute personne soupçonnée d'une infraction passible d'une peine d'emprisonnement inférieur à cinq ans. Ce dispositif serait limité à une durée maximale de six heures et comporterait des garanties réduites par rapport à celles de la garde à vue (information du procureur qui pourrait à tout moment décider la levée de la mesure et droit de l'intéressé de s'entretenir avec un avocat). Si, au cours de la retenue, il apparaît que des investigations plus importantes sont nécessaires, la mesure pourrait être transformée en garde à vue -les heures écoulées devant alors être décomptées du délai de la garde à vue.

2. Les grandes lignes de la réforme envisagée par le Gouvernement

Lors du débat sur la question orale présentée par M. Jacques Mézard, la ministre de la justice et des libertés a donné plusieurs indications sur les modifications du régime de la garde à vue envisagées par le gouvernement dans le cadre de la réforme du code de procédure pénale.

En premier lieu, et il faut s'en réjouir, le gouvernement n'a pas repris la suggestion formulée par le comité Léger d'instaurer une retenue qui, faute de garanties identiques à celles de la garde à vue, n'aurait pas contribué à renforcer la protection des libertés individuelles. Mme Michèle Alliot-Marie a en revanche évoqué la possibilité d'une audition par les services de police judiciaire de la personne, avec son accord , pendant une durée qui ne saurait excéder quatre heures.

Le principe de cette audition libre serait réservé aux infractions « ne présentant pas un caractère de particulière gravité ». Par ailleurs, la personne pourrait demander à être placée en garde à vue afin de bénéficier des droits qui y sont associés (information des proches, assistance de l'avocat et, le cas échéant, d'un médecin, connaissance de la nature de l'infraction reprochée...).

En deuxième lieu, le recours à la garde à vue serait limité aux crimes ou délits passibles d'une peine d'emprisonnement .

En outre, en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne pourrait être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites par un gardé à vue qui n'aurait pu bénéficier de l'assistance d'un avocat.

Enfin, en cas de prolongation de la garde à vue au-delà de la vingt-quatrième heure, le gardé à vue pourrait être assisté par son avocat pendant toute la durée de la prolongation. L'avocat exercerait alors pleinement sa fonction de conseil en posant des questions ou en formulant des observations.

B. LA PROPOSITION DE LOI : DES DISPOSITIONS PLUS AMBITIEUSES JUSTIFIANT UNE RÉFLEXION APPROFONDIE

La proposition de loi présentée par M. Jacques Mézard ainsi que par plusieurs de ses collègues du groupe du Rassemblement démocratique et social européen bouleverse le régime actuel de la garde à vue.

Constituée d'un article unique, elle tend à modifier l'article 63-4 du code de procédure pénale. Le principe en est simple : la personne gardée à vue, ne saurait, en principe, être entendue sans être assistée de son avocat.

Cette règle se décline avec quelques nuances selon les différentes étapes du déroulement de la garde à vue :

- au début de la garde à vue , la personne gardée à vue est assistée d'un avocat pour la première audition, si elle en fait la demande . En conséquence, l' audition serait différée jusqu'à l'arrivée de l'avocat ;

- à l' issue de cette audition , la personne ne pourrait être entendue, interrogée ou assister à tout acte d'enquête hors la présence de l'avocat sauf si elle renonce expressément à ce droit .

En cas de prolongation, la personne disposerait naturellement de droits identiques : la personne pourrait ainsi demander à faire l'objet d'une audition assistée d'un avocat, si elle en fait la demande.

Enfin, la proposition de loi vise ainsi à supprimer les régimes dérogatoires relatifs à la grande criminalité. Le report à la soixante-douzième heure de l'intervention de l'avocat serait néanmoins maintenu pour les crimes et délits constituant des actes de terrorisme .

L'extension du rôle de l'avocat ne va toutefois pas jusqu'à l'accès immédiat au dossier.

Il est vrai qu'en principe cette mesure est délicate à mettre en oeuvre : en cas d'interpellation, particulièrement dans une enquête de flagrance, le dossier est constitué matériellement au cours de la garde à vue, l'ensemble des procès-verbaux étant rédigés et rassemblés uniquement à la fin de la mesure.

En outre, la proposition de loi prévoit expressément que « l'avocat ne peut faire état auprès de quiconque du ou des entretiens avec la personne placée en garde à vue pendant la durée de cette dernière ».

*

* *

Sans doute, la proposition de loi présentée par notre collègue appelle-t-elle certaines réserves. Ainsi, votre rapporteur est hostile à la suppression des dispositifs dérogatoires concernant les formes les plus graves de criminalité qui, aux termes du texte proposé, seraient réservés aux seules infractions de terrorisme.

Ces dispositions n'en constituent pas moins une base cohérente d'évolution du régime de la garde à vue, inscrite dans une démarche constructive .

Votre commission a rappelé qu'une réforme d'ampleur de la procédure pénale serait prochainement soumise au Parlement. Elle s'est demandé si le régime de la garde à vue pouvait être appréhendé indépendamment des choix qui seraient fait sur le déroulement de l'enquête et, en particulier, sur le rôle dévolu dans ce cadre, au procureur de la République.

Elle a estimé, en tout état de cause, que la réflexion n'était sans doute pas encore mûre sur des sujets délicats tels que l'organisation effective de la défense dans le cas où la présence de l'avocat serait admise pendant les interrogatoires de garde à vue, l'accès de la défense au dossier ou encore la possible évolution des régimes dérogatoires. Aussi a-t-elle souhaité que le débat se poursuive sur ces sujets et se nourrisse des propositions du Gouvernement.

Votre commission a décidé en conséquence, à ce stade, de ne pas établir de texte et d'adopter une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 24 FÉVRIER 2010

_______

M. François Zocchetto, rapporteur, a relevé qu'en dix ans le nombre de gardes à vue avait doublé. Les conditions de garde à vue restent déplorables comme l'a souligné, en 2009, le premier rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Les évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme fragilisent le régime actuel de la garde à vue, créant ainsi une insécurité juridique préoccupante. A l'initiative de M. Jacques Mézard, le Sénat a déjà eu l'occasion de débattre de ce sujet le 9 février 2010. Les plus hautes autorités de l'Etat se sont émues de la situation actuelle de la garde à vue, le Président de la République appelant de ses voeux, lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation en 2009, la mise en place d'un « véritable habeas corpus à la française ».

Le rapporteur a ensuite évoqué les principaux aspects du régime juridique de la garde à vue en observant que, depuis 1993, une dizaine de lois d'une portée variable en avaient modifié les caractères. Les lois du 4 janvier et du 24 août 1993 en ont fait une mesure créatrice de droits. La durée de la garde à vue, fixée à vingt-quatre heures au maximum, peut être renouvelée pour une même durée sur autorisation écrite du Procureur de la République. Le législateur a néanmoins prévu des prolongations supplémentaires dans deux hypothèses :

- pour les infractions de criminalité organisée, la garde à vue peut être prolongée de deux fois vingt-quatre heures ;

- en cas de risque sérieux de l'imminence d'un acte de terrorisme, la garde à vue peut être prolongée de deux fois vingt-quatre heures supplémentaires.

M. François Zocchetto, rapporteur, a relevé que le procureur de la République ou, s'il s'agissait d'une commission rogatoire, le juge d'instruction, devait être informé dès le début d'une garde à vue.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a observé que le principe d'une information immédiate du magistrat avait constitué un progrès et impliquait aussi que l'autorité judiciaire prenne toutes ses responsabilités pour garantir un déroulement correct de la garde à vue.

Parmi les droits de la personne gardée à vue, le rapporteur a relevé la possibilité de faire prévenir par téléphone un proche ainsi que le droit de demander à s'entretenir avec un avocat dès le début de la garde à vue puis, le cas échéant, dès le début de la prolongation. Cependant, dans les régimes dérogatoires concernant la criminalité organisée, ce droit peut être reporté au début des prolongations de la garde à vue. Depuis la loi du 5 mars 2007, les auditions en garde à vue, en matière criminelle, font l'objet d'un enregistrement.

M. François Zocchetto, rapporteur, s'est inquiété de la progression considérable du nombre des gardes à vue qui, selon les statistiques officielles pour 2009, s'élevaient à 580 108, chiffre qui ne tenait cependant compte ni des gardes à vue effectuées outre-mer, ni de celles concernant les infractions routières, l'ensemble pouvant être estimé entre 850 000 et 900 000 gardes à vue. Il a noté que le choix de retenir, dans le cadre de la LOLF, le nombre de placements en garde à vue comme l'un des indicateurs de performance de la police et de la gendarmerie nationale, n'était pas étranger à cette évolution. Estimant que la garde à vue restait une mesure utile, il lui est apparu d'autant plus nécessaire qu'il y soit recouru à bon escient.

Le rapporteur a également attiré l'attention sur les conditions souvent déplorables dans lesquelles étaient effectuées les gardes à vue insistant sur des mesures telles que la confiscation des lunettes ou l'obligation faite aux femmes de retirer leur soutien-gorge, vécues comme des humiliations par les intéressés. Les personnes sont ainsi placées dans un état de vulnérabilité ou de dépendance psychologique encore aggravé par le fait que, bien souvent, elles ignorent les raisons réelles justifiant la garde à vue.

M. François Zocchetto, rapporteur, a rappelé, par ailleurs, que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme avait mis en exergue certaines fragilités du régime juridique français de la garde à vue. Ainsi, l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008 précise que la personne gardée à vue doit bénéficier de l'assistance d'un avocat dès « le premier interrogatoire par la police » tandis que l'arrêt Dayanan du 13 octobre 2009 exige que l'action des avocats s'exerce « librement ». Sans doute ces arrêts ne sont-ils applicables qu'à l'Etat -en l'espèce la Turquie- partie à l'affaire jugée, néanmoins, certains tribunaux français ont été conduits à annuler des actes accomplis pendant des gardes à vue sur le fondement de la contrariété du droit français à la Convention européenne des droits de l'homme. Aussi, dans l'attente des décisions des cours d'appel et, sans doute, de la Cour de cassation, la situation actuelle est source d'une insécurité juridique préoccupante.

Evoquant alors les pistes de réforme actuellement envisagées, M. François Zocchetto, rapporteur, a relevé que le comité de réflexion présidé par M. Philippe Léger avait proposé, dans le rapport remis au Président de la République le 1 er septembre 2009, le renforcement de la présence de l'avocat pendant la garde à vue, d'une part, avec la possibilité d'un nouvel entretien avec l'avocat à la douzième heure, l'avocat ayant alors accès aux procès-verbaux des auditions de son client et, d'autre part, la présence possible de l'avocat si la garde à vue était prolongée. Ce rapport, a-t-il indiqué, recommandait également l'extension de l'enregistrement obligatoire à toutes les gardes à vue ainsi que la limitation de la garde à vue aux infractions punies d'une peine d'emprisonnement supérieure à un an.

Le rapporteur s'est montré réservé sur l'une des propositions du rapport, également évoquée par la ministre de la justice et des libertés lors du débat sénatorial sur la question orale, concernant le principe d'une audition de la personne d'une durée de quatre heures qui pourrait avoir pour effet de différer en pratique la reconnaissance des droits reconnus dans le cadre de la garde à vue et, en particulier, l'accès à l'avocat.

M. Pierre Fauchon a observé, sur ce sujet, que cette audition devait être clairement présentée à l'intéressé comme une alternative à la garde à vue.

M. François Zocchetto, rapporteur, s'est dit particulièrement intéressé par la proposition présentée par la garde des Sceaux, prévoyant que, en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne puisse être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites par un gardé à vue qui n'aurait pu bénéficier de l'assistance d'un avocat.

Présentant alors la proposition de loi de M. Jacques Mézard et de plusieurs de ses collègues du groupe RDSE, le rapporteur a indiqué qu'elle reposait sur le principe selon lequel la personne gardée à vue ne saurait être entendue sans être assistée de son avocat. Ainsi, au début de la garde à vue, l'intéressé serait assisté d'un avocat pour la première audition s'il en faisait la demande et, en conséquence, l'audition pourrait être différée jusqu'à l'arrivée de l'avocat. A l'issue de cette audition, la personne ne pourrait être entendue, interrogée ou assister à tout acte d'enquête hors la présence de l'avocat, sauf si elle renonçait expressément à ce droit. Il a observé, par ailleurs, que la proposition de loi visait à supprimer les régimes dérogatoires relatifs à la grande criminalité, à l'exception du report à la soixante-douzième heure de l'intervention de l'avocat pour les crimes et délits constituant des actes de terrorisme.

M. François Zocchetto, rapporteur, a jugé que la proposition de loi abordait un sujet d'actualité important et complexe qui devait également être examiné à la lumière de la réforme de la procédure pénale annoncée par le Gouvernement, dont le régime de la garde à vue constituerait nécessairement un volet important. Il a noté à cet égard que l'avant-projet de réforme serait très prochainement soumis à une concertation et qu'un texte devrait être présenté au début de l'été au Parlement. Il n'a pas écarté, pour sa part, qu'une initiative consensuelle puisse être prise par le Sénat sur la question spécifique de la garde à vue, et a souhaité que, dans cette perspective, le débat et la réflexion se poursuivent encore. Il a ainsi invité la commission à ne pas établir de texte et à adopter une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi.

M. Jacques Mézard a rappelé que la proposition de loi avait pour objet de lever une insécurité juridique née d'une situation devenue intolérable. Il a observé que s'il était admis, comme l'avait indiqué la garde des Sceaux, qu'aucune condamnation ne pourrait être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites par un gardé à vue, des dispositions écartant la présence de l'avocat pendant le déroulement de la garde à vue n'avaient plus de justification. Il a marqué la nécessité, pour le Sénat, de prendre une initiative dans ce domaine compte tenu de sa tradition de garant des libertés publiques.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a d'abord rappelé que l'influence du Sénat dans ce domaine pouvait s'exprimer indépendamment d'une proposition de loi et prendre, par exemple, la forme d'un amendement. Il a estimé que la prochaine réforme de la procédure pénale pourrait, en raison de son ampleur, faire l'objet de plusieurs textes distincts dont l'un serait consacré à la garde à vue, cette question pouvant être, selon lui, traitée de manière relativement indépendante de la suite de l'enquête.

M. Jean-Pierre Michel a souhaité qu'un état des lieux puisse être dressé sur les évolutions législatives ayant déjà concerné la garde à vue et, en particulier, sur l'intervention de l'avocat, qui avait permis un réel progrès par rapport à l'état de droit antérieur. Il a jugé, en outre, indispensable que le parquet assume effectivement l'intégralité des responsabilités qui lui sont confiées par le code de procédure pénale pour assurer le contrôle de cette mesure. Il a ajouté que la réforme de l'instruction changerait profondément la nature de la garde à vue, le procureur de la République étant susceptible de mener l'enquête directement dès l'interpellation de la personne. M. Jean-Pierre Michel s'est interrogé sur l'aide judiciaire et les modalités actuelles du fonctionnement des barreaux pour garantir une permanence afin d'assurer l'intervention des avocats dans le cadre des gardes à vue. Il a enfin rappelé que la commission lui avait confié ainsi qu'à M. Jean-René Lecerf une mission sur la réforme de la procédure pénale dont le champ concernait également la garde à vue.

M. Jean-René Lecerf s'est déclaré réservé, pour sa part, sur la communication du dossier à l'avocat, dès lors que celui-ci serait présent pendant le déroulement de la garde à vue. Il a déploré les modalités actuelles de déroulement des gardes à vue et, en particulier, la confiscation de certains objets ou encore la pratique des fouilles dont les conditions présentaient moins de garanties que celles désormais reconnues par la loi pénitentiaire aux personnes détenues, ce qui lui paraissait particulièrement choquant.

M. Alain Anziani s'est interrogé sur les raisons qui conduisaient encore à différer l'examen d'un texte sur un sujet dont chacun s'accordait à reconnaître l'urgence dans un contexte d'insécurité juridique. Il a souhaité que le législateur puisse traiter, en particulier, de la communication du dossier à l'avocat, du statut du gardé à vue ainsi que des moyens dévolus à l'indemnisation de la défense.

Sur la proposition de son rapporteur, la commission a décidé de ne pas établir de texte et d'adopter une motion de renvoi en commission .

* 1 D'autres initiatives ont été prises au sein de notre assemblée : la proposition de loi n°201 rectifié présentée par Mme Alima Boumediene-Thiery, Jean-Pierre Bel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés portant réforme de la garde à vue ainsi que la proposition de loi n°286 présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ainsi que les membres du groupe CRC-SPG, tendant à encadrer la garde à vue.

* 2 Ces dispositions n'étaient pas très contraignantes : selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, leur inobservation ne pouvait, par elle-même, entraîner la nullité des actes de la procédure lorsqu'il n'était pas démontré que la recherche et l'établissement de la vérité s'en étaient trouvés viciés (Crim. 17 mars 1960, B. n° 156).

* 3 Conseil constitutionnel, n° 93-326 DC, 11 août 1993.

* 4 Cette disposition est issue de la loi du 9 mars 2004. La loi du 4 janvier 1993 avait autorisé la présence de l'avocat pour un entretien de 30 minutes.

* 5 La loi du 15 juin 2000 avait déjà prévu un tel enregistrement pour l'audition des mineurs placés en garde à vue.

* 6 Journal du dimanche, 14 février 2010.

* 7 CEDH 27 novembre 2008, Salduz c/Turquie, n° 36391/02 et CEDH 13 octobre 2009 Dayanan c/Turquie, n° 36391/02.

* 8 Affaire Dayanan, prec., §32, in fine.

* 9 Crim. 9 mai 1994, B. n°174.

* 10 L'avocat et la garde à vue : exigences européennes et réalités nationales in Recueil Dalloz 2009, p.2897.

* 11 Ainsi, le 28 janvier 2010, le tribunal correctionnel de Paris a annulé cinq gardes à vue au motif que les avocats des prévenus n'avaient pu exercer pleinement les droits prévus par la convention européenne des droits de l'homme. Selon ce jugement, les auditions des cinq prévenus à compter de la 24ème heure de garde à vue sont irrégulières « dès lors qu'ils n'ont pu bénéficier de l'ensemble des interventions qu'un citoyen européen ou français est en droit d'attendre ».

* 12 Cour de cass, crim, 2 septembre 2003.

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