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Rapport n° 394 (2009-2010) de Mme Marie-Hélène DES ESGAULX , fait au nom de la commission des lois, déposé le 7 avril 2010

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N° 394

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat 7 avril 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de Mmes Nicole BRICQ, Michèle ANDRÉ, M. Richard YUNG, Mme Jacqueline ALQUIER, MM. Serge ANDREONI, Jean-Etienne ANTOINETTE, Alain ANZIANI, Bertrand AUBAN, Jean BESSON, Mme Maryvonne BLONDIN, M. Yannick BODIN, Mme Nicole BONNEFOY, M. Yannick BOTREL, Mme Alima BOUMEDIENE-THIERY, M. Martial BOURQUIN, Mme Bernadette BOURZAI, M. Jean-Louis CARRÈRE, Mmes Françoise CARTRON, Monique CERISIER-ben GUIGA, MM. Pierre-Yves COLLOMBAT, Roland COURTEAU, Yves DAUDIGNY, Jean-Pierre DEMERLIAT, Jean DESESSARD, Claude DOMEIZEL, Jean-Luc FICHET, Bernard FRIMAT, Mme Samia GHALI, MM. Jacques GILLOT, Didier GUILLAUME, Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, MM. Yves KRATTINGER, Serge LAGAUCHE, Serge LARCHER, Mmes Françoise LAURENT-PERRIGOT, Claudine LEPAGE, MM. Jacky LE MENN, François MARC, Rachel MAZUIR, Gérard MIQUEL, Jean-Jacques MIRASSOU, Robert NAVARRO, François PATRIAT, Jean-Marc PASTOR, Bernard PIRAS, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Thierry REPENTIN, Daniel RAOUL, Paul RAOULT, François REBSAMEN, Michel SERGENT, Simon SUTOUR, Mme Catherine TASCA, MM. Michel TESTON, Jean-Marc TODESCHINI et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés relative aux règles de cumul et d' incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d' administration et de surveillance ,

Par Mme Marie-Hélène DES ESGAULX,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest , président ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Patrice Gélard, Jean-René Lecerf, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, M. François Zocchetto , vice-présidents ; MM. Laurent Béteille, Christian Cointat, Charles Gautier, Jacques Mahéas , secrétaires ; M. Alain Anziani, Mmes Éliane Assassi, Nicole Bonnefoy, Alima Boumediene-Thiery, MM. Elie Brun, François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Yves Détraigne, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Pierre Fauchon, Louis-Constant Fleming, Gaston Flosse, Christophe-André Frassa, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Mmes Jacqueline Gourault, Virginie Klès, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, Jean-Pierre Michel, François Pillet, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Richard Tuheiava, Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

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Sénat :

291 (2009-2010)


LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 7 avril 2010, sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président, la commission a examiné le rapport de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx sur la proposition de loi n° 291 (2009-2010), présentée par Mme Nicole Bricq et plusieurs de ses collègues, relative aux règles de cumul et d'incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance.

S'appuyant sur le constat objectif de la faible féminisation des conseils d'administration et de surveillance des grandes sociétés, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, a souligné que la proposition de loi avait pour objet de concrétiser l'objectif d'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales, qui figure désormais à l'article premier de la Constitution. Elle a ajouté que l'évolution naturelle et spontanée ne permettrait pas d'atteindre, dans un délai raisonnable, une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, a précisé que la proposition de loi comportait deux volets jugés indissociables par son auteur : la fixation d'un quota d'au moins 40 % de mandataires sociaux d'un même sexe, applicable progressivement dans un délai de six ans, et une limitation plus stricte du cumul des mandats sociaux, destinée en particulier à libérer davantage de mandats au profit des femmes.

Ayant relevé que l'Assemblée nationale avait adopté une proposition de loi portant sur le même sujet le 20 janvier 2010, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, a estimé nécessaire de joindre les deux initiatives, qui s'avèrent convergentes sur le fond, afin d'éviter toute navette inutile. Elle a considéré que la convergence de ces deux propositions de loi attestait de la volonté forte du Parlement de légiférer sur la question de la présence des femmes dans les conseils d'administration et de surveillance.

Dans l'attente de l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de la proposition de loi émanant de l'Assemblée nationale, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, a proposé le renvoi en commission de la proposition de loi de Mme Nicole Bricq, afin de permettre l'examen conjoint des deux textes.

La commission a décidé de déposer une motion de renvoi en commission de la proposition de loi.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Notre collègue Nicole Bricq et ses collègues du groupe socialiste, apparentés et rattachés, ont déposé le 16 février dernier une proposition de loi relative aux règles de cumul et d'incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance (n° 291, 2009-2010).

Partant du constat objectif de la sous-représentation des femmes dans les lieux de pouvoir économique que sont les conseils d'administration et les conseils de surveillance des grandes entreprises françaises, notre collègue estime qu'une limitation plus stricte du cumul des mandats sociaux, en contraignant les sociétés à nommer de nouveaux mandataires, serait un levier efficace pour diversifier ces conseils et, en particulier, les ouvrir davantage aux femmes.

D'une nature distincte de la question de la parité en politique, celle de la présence des femmes dans les conseils d'administration et de surveillance relève du principe d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de l'objectif d'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions de direction économique et sociale.

Cette proposition de loi est à rapprocher de celle, déjà adoptée par l'Assemblée nationale le 20 janvier dernier, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle, initiée par nos collègues députés Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann.

Ces deux initiatives parlementaires, convergentes dans leurs objectifs et, en partie, dans leurs moyens, viennent concrétiser pour la première fois la disposition introduite par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 à l'article premier de notre Constitution, selon laquelle « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes (...) aux responsabilités professionnelles et sociales ».

La convergence de ces deux initiatives parlementaires représente un signe politique fort de la volonté du Parlement d'agir dans ce domaine.

I. LA SOUS-REPRÉSENTATION PERSISTANTE DES FEMMES DANS LES LIEUX DE POUVOIR ÉCONOMIQUE

La proposition de loi de notre collègue Nicole Bricq, de même que celle transmise par l'Assemblée nationale, reposent sur le même postulat selon lequel l'évolution naturelle et l'autorégulation des acteurs économiques ne permettront pas d'atteindre dans un délai raisonnable une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes.

A. LA LENTE PROGRESSION DE LA PRÉSENCE DES FEMMES

En 2003, les femmes représentaient seulement 5 % des membres des conseils d'administration ou de surveillance des plus grandes sociétés cotées françaises. En 2009, elles ont franchi le seuil de 10 %. A titre de comparaison, la proportion en 2009 atteignait 24 % en Finlande et 27 % en Suède. En dehors de l'Union européenne, la Norvège, seul Etat européen disposant à ce jour d'une législation contraignante établissant des quotas par sexe dans les organes dirigeants des entreprises 1 ( * ) , atteint la proportion record de 42 % 2 ( * ) . Au cours de la même période de 2003 à 2009, la moyenne des 27 Etats membres de l'Union européenne est passée de 8 % à près de 11 %.

Ainsi, la France se situe à peine dans la moyenne européenne et loin derrière les pays les plus avancés.

Un rapport commandé par la Commission européenne et récemment rendu public 3 ( * ) revient sur la question de la présence des femmes dans les postes à responsabilité économique, considérant que l'accroissement de la place des femmes dans les organes dirigeants des entreprises contribue à l'amélioration de leurs performances économiques. Ce rapport souligne également la lenteur des progrès de la féminisation des instances décisionnelles des grandes sociétés cotées.

Ces données statistiques montrent qu'il existe certes un mouvement naturel et spontané, en France comme en Europe, d'accroissement de la place des femmes, mais que ce mouvement demeure lent. Il ressort des expériences étrangères que seule l'intervention du législateur permet de l'accélérer.

A cet égard, la question du « vivier » des compétences n'a plus de raison d'être aujourd'hui. Sont présentes dans les entreprises suffisamment de femmes qui répondent aux exigences requises de compétences et d'expérience professionnelle pour rejoindre les conseils d'administration ou de surveillance.

B. LA LEVÉE DU VERROU CONSTITUTIONNEL

1. La décision du Conseil constitutionnel du 16 mars 2006

Adoptée définitivement par les assemblées le 23 février 2006, la loi relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, dans un titre III relatif à l'accès des femmes à des instances délibératives et juridictionnelles, prévoyait notamment une représentation équilibrée entre les hommes et les femmes dans les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises publiques ou des sociétés privées, avec une proportion maximale de 80 % de représentants d'un même sexe, ce qui revient à un quota de 20 % pour le sexe sous-représenté.

Dans sa décision n° 2006-533 DC du 16 mars 2006, s'appuyant sur l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen 4 ( * ) , le Conseil constitutionnel a censuré d'office ces dispositions, considérant que le principe d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, introduit dans la Constitution par la révision du 8 juillet 1999, ne s'appliquait qu'aux élections à des mandats et fonctions politiques, ainsi qu'il ressortait des travaux parlementaires, et que, « si la recherche d'un accès équilibré des femmes et des hommes aux responsabilités autres que les fonctions politiques électives n'est pas contraire aux exigences constitutionnelles rappelées ci-dessus, elle ne saurait, sans les méconnaître, faire prévaloir la considération du sexe sur celle des capacités et de l'utilité commune ; que, dès lors, la Constitution ne permet pas que la composition des organes dirigeants ou consultatifs des personnes morales de droit public ou privé soit régie par des règles contraignantes fondées sur le sexe des personnes ».

2. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008

Depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V e République, le second alinéa de l'article premier de la Constitution dispose que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes (...) aux responsabilités professionnelles et sociales ». Par son ampleur et par le nombre des articles de la Constitution qu'il se proposait de modifier, ce projet de loi constitutionnelle se prêtait aussi à une telle modification, de nature à lever, comme ce fut le cas en 1999 pour l'accès aux mandats politiques, le verrou posé par le Conseil constitutionnel en 2006.

Cette disposition fut adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, initialement à l'article 34 de la Constitution. À l'initiative de notre collègue Jean-Jacques Hyest, président de votre commission, rapporteur du projet de loi constitutionnelle, le Sénat l'a déplacée pour la faire figurer, avec celle relative à l'égal accès aux mandats électoraux et fonctions électives, à l'article premier de la Constitution.

C. LA CONVERGENCE DE DEUX INITIATIVES PARLEMENTAIRES

La proposition de loi de notre collègue Nicole Bricq rejoint celle, déjà adoptée par l'Assemblée nationale le 20 janvier dernier, à l'initiative de nos collègues députés Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle.

Ces deux propositions de loi, dont la première émane du groupe majoritaire de l'Assemblée nationale et la seconde d'un groupe d'opposition du Sénat, sont les premiers textes examinés par le Parlement ayant pour objet de réaliser l'objectif constitutionnel d'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales, en commençant par les instances de décision des grandes entreprises, à l'instar de la loi de 2006 censurée par le Conseil constitutionnel.

Ces deux textes partagent le même objectif de 40 % de femmes dans les conseils d'administration ou de surveillance des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions, ainsi que dans les organes dirigeants des entreprises publiques. Toutefois, leurs périmètres sont différents concernant les sociétés anonymes. Là où la proposition de loi de l'Assemblée nationale ne concerne que les sociétés cotées, soit près de 700 entreprises, notre collègue Nicole Bricq s'adresse à toutes les sociétés anonymes qui emploient au moins 250 salariés et réalisent un chiffre d'affaires d'au moins 50 millions d'euros.

II. COMMENT ATTEINDRE UNE REPRÉSENTATION ÉQUILIBRÉE ENTRE FEMMES ET HOMMES ?

A titre liminaire, l'article 5 de la proposition de loi prévoit que le conseil d'administration ou le directoire a pour mission de favoriser l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l'entreprise.

A. LES QUOTAS : UN MAL NÉCESSAIRE ?

Compte tenu des règles de composition des conseils d'administration et des conseils de surveillance, il était difficile de prévoir une stricte parité. Aussi le mécanisme des quotas par sexe a-t-il été préféré, dans les conseils d'administration et de surveillance des entreprises privées et publiques. Le quota proposé par notre collègue Nicole Bricq est de 40 % au moins pour le sexe le moins représenté.

Après avoir posé le principe selon lequel le conseil d'administration d'une société anonyme est composé en recherchant une représentation équilibrée entre femmes et hommes, le texte prévoit que la proportion des administrateurs de chaque sexe ne peut être inférieure à 40 % dans les conseils des sociétés de plus de 250 salariés et 50 millions d'euros de chiffre d'affaires (article 6). Lorsqu'il y a huit membres au plus dans le conseil, l'écart entre le nombre d'administrateurs de chaque sexe ne peut être supérieur à deux.

Le conseil comporte en temps normal, hors administrateurs salariés, de trois à dix-huit membres. Dans le cas d'un conseil de trois membres, il devra ainsi y avoir une femme et deux hommes ou vice versa.

Il est prévu que les nominations qui violent cette règle des 40 % sont nulles, sauf lorsqu'elles ont pour effet de tendre vers une représentation plus équilibrée. La nullité de ces nominations entraîne la nullité des délibérations du conseil mal composé, ce qui n'est pas le cas dans la proposition de l'Assemblée nationale en dehors de la période transitoire d'application de la loi. Cette sanction de nullité des délibérations a paru particulièrement lourde à votre rapporteur. Le texte prévoit également qu'aucune rémunération ne peut être versée aux administrateurs lorsque le conseil est composé irrégulièrement.

Lorsqu'un administrateur est une personne morale, son représentant est pris en compte dans le respect des règles de représentation équilibrée.

En cas de vacance, lorsque les règles de représentation équilibrée ne s'en trouvent plus respectées, le conseil d'administration doit procéder à des nominations provisoires dans les trois mois de personnes du sexe sous-représenté.

De même qu'ils ne sont pas pris en compte pour la détermination du nombre des administrateurs, les administrateurs élus par les salariés (quatre ou cinq au plus selon les cas, sans excéder le tiers du nombre des autres administrateurs) ne sont pas pris en compte pour la vérification du respect des règles de représentation équilibrée. Toutefois, si ces administrateurs sont élus par scrutin de liste, chaque liste doit être composée de manière paritaire.

Le président du conseil d'administration rend compte à l'assemblée générale du respect des règles de représentation équilibrée au sein du conseil.

Des dispositions analogues sont prévues pour les conseils de surveillance des sociétés anonymes (article 7), qui comportent également de trois à dix-huit membres, ainsi que pour ceux des sociétés en commandite par actions (article 8).

Par ailleurs, des règles de représentation équilibrée des femmes et des hommes sont fixées pour les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises publiques visées par la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public (article 10), ainsi que pour les conseils d'administration des établissements publics industriels et commerciaux de l'Etat non visés par la loi du 26 juillet 1983 et des établissements publics administratifs de l'Etat (article 11).

Enfin, le conseil d'administration ou le conseil de surveillance d'une société anonyme délibère annuellement de la politique d'égalité salariale, sur la base le cas échéant du rapport prévu par le code du travail sur la situation comparée des conditions d'emploi et de formation des femmes et des hommes ou du plan pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes également prévu par le code du travail (article 12).

B. DÉLAIS DE MISE EN CONFORMITÉ ET SANCTIONS

1. Une entrée en vigueur progressive

La proposition de loi prévoit une mise en oeuvre progressive, avec une entrée en vigueur du quota de 40 % six ans après la promulgation (article 9). Elle prévoit toutefois un palier de 20 % dans les trois ans pour les seules sociétés cotées, écartant ainsi le périmètre des sociétés anonymes de plus de 250 salariés et 50 millions d'euros de chiffre d'affaires. En cas de vacance au sein du conseil avant le délai de trois ans, lorsqu'un sexe n'est pas représenté, des nominations doivent être effectuées pour y remédier.

La durée de six ans coïncide avec la durée légale maximale du mandat d'administrateur.

Ces délais de mise en oeuvre sont similaires à celle prévues par la proposition de loi de l'Assemblée nationale.

2. Quelles sanctions en cas de composition irrégulière ?

Outre la sanction de nullité des délibérations en cas de composition irrégulière du conseil dans le cadre de son fonctionnement habituel, la proposition de loi prévoit dans le cadre de la période transitoire la nullité des nominations qui contreviennent à la règle des 20 % puis des 40 %. Cette nullité entraîne la nullité des délibérations auxquelles ont pris part les membres nommés irrégulièrement.

Votre rapporteur s'est interrogé sur le caractère proportionné mais également opérant de cette sanction, ainsi que sur sa combinaison avec la sanction de nullité de toutes les délibérations après la période transitoire.

C. LIMITER LE CUMUL DES MANDATS SOCIAUX ?

Alors que la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale ne prévoit qu'un objectif de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes, assorti de délais et de sanctions, la proposition de loi de notre collègue Nicole Bricq a souhaité s'appuyer, pour parvenir plus concrètement à cet objectif, sur une plus forte limitation du cumul des mandats sociaux. En effet, en libérant des postes dans les conseils d'administration ou les conseils de surveillance, des règles plus strictes de cumul de mandats sociaux devraient permettre plus aisément de donner davantage de place aux femmes. Selon notre collègue, ces règles permettraient également de réduire l'endogamie des conseils et de renforcer l'indépendance de leurs membres en limitant les risques de conflit d'intérêts. Force est d'observer, à cet égard, que 20 % des mandataires sociaux des sociétés du CAC 40 concentrent 43 % des droits de vote dans les conseils du fait du cumul des mandats.

Ce raisonnement se limite toutefois au nombre de mandats sociaux qui peuvent être simultanément cumulés, sans prendre en compte les mandats successifs, c'est-à-dire le cumul dans le temps, ni la durée elle-même des mandats. De plus, ces règles plus strictes affecteraient aussi les femmes qui détiennent actuellement plusieurs mandats d'administrateur ou sont membres de plusieurs conseils de surveillance.

Hors le cas des administrateurs personnes morales, sous réserve de dispositions concernant les sociétés contrôlées, le texte limite à trois le nombre de mandats d'administrateur ou de membre d'un conseil de surveillance ou d'un directoire susceptibles d'être cumulés, quel que soit le lieu du siège de la société, qu'elle soit cotée ou non (article premier). Il ajoute qu'une même personne ne peut exercer simultanément plus d'un mandat de président du conseil d'administration, directeur général, président du directoire, membre du directoire, directeur général unique ou président du conseil de surveillance.

Actuellement, sauf dispositions spécifiques concernant les sociétés contrôlées ou non cotées, il peut être cumulé simultanément jusqu'à cinq mandats d'administrateur ou de membre de conseil de surveillance. De plus, il peut être cumulé au total jusqu'à cinq mandats de directeur général, membre du directoire, directeur général unique, administrateur ou membre du conseil de surveillance, étant entendu qu'une même personne ne peut cumuler plus d'un mandat de directeur général et plus d'un mandat de membre du directoire ou de directeur général unique. A cet égard, il semble exister une contradiction dans la proposition de loi concernant le mandat de membre du directoire.

Un délai de trois mois est accordé aux mandataires sociaux concernés pour se mettre en conformité avec les nouvelles règles de cumul, sous peine de démission d'office de tous leurs mandats et d'invalidité de toutes les délibérations auxquelles ils ont pris part (article 3). Votre rapporteur s'est interrogé sur la sévérité de ces sanctions.

Par ailleurs, la proposition de loi prohibe le cumul des fonctions de président du conseil d'administration, directeur général, membre du directoire ou président du conseil de surveillance dans une entreprise privée avec les mêmes fonctions dans une entreprise du secteur public (article 4).

Votre rapporteur a observé que cette question avait déjà été soumise au Sénat, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi présentée par notre collègue Yvon Collin (n° 8, 2009-2010), adoptée le 18 novembre 2009. Le Sénat a adopté ce texte dans une version modifiée selon laquelle la nomination à des fonctions de président du conseil d'administration, de directeur général, de membre du directoire ou de président du conseil de surveillance dans une entreprise publique concurremment à des fonctions similaires dans une entreprise du secteur privé est soumise à l'avis préalable de l'agence des participations de l'État. Le Sénat s'est ainsi déjà prononcé sur cette question.

* * *

Ayant à examiner prochainement la proposition de loi, transmise par l'Assemblée nationale, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle (n° 223, 2009-2010), votre commission a souhaité réunir l'initiative de nos collègues députés, conduits par M. Jean-François Copé et Mme Marie-Jo Zimmermann, et celle de notre collègue Nicole Bricq, de façon à pouvoir les étudier conjointement dans un esprit constructif.

En outre, il lui a semblé préférable et plus logique de poursuivre la navette engagée par la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale, en lui joignant la proposition de loi de notre collègue, plutôt que d'adopter une proposition distincte.

Aussi votre commission vous propose-t-elle, à ce stade, dans l'attente de l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de la proposition de loi émanant de l'Assemblée nationale, d'adopter une motion de renvoi en commission de la proposition de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

Mercredi 7 avril 2010

La commission a procédé à l'examen du rapport de rapport de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx sur la proposition de loi n° 291 (2009-2010), présentée par Mme Nicole Bricq et plusieurs de ses collègues, relative aux règles de cumul et d'incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance.

Après avoir constaté la sous-représentation actuelle des femmes dans les instances dirigeantes des grandes entreprises, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , rapporteur, a indiqué que la proposition de loi, présentée par Mme Nicole Bricq, visait à assurer une plus grande égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, en utilisant notamment le moyen d'une limitation plus stricte du cumul des mandats sociaux. Elle a souligné l'authentique convergence de cette initiative avec la proposition de loi récemment adoptée par l'Assemblée nationale, sur le même sujet, à l'initiative de M. Jean-François Copé et Mme Marie-Jo Zimmermann.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, a considéré que l'évolution naturelle et l'autorégulation ne permettraient pas d'atteindre, dans un délai raisonnable, une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d'administration ou de surveillance des grandes sociétés. Elle a néanmoins noté qu'il n'existait pas de problème de « vivier », les femmes présentant les compétences professionnelles requises étant suffisamment nombreuses dans les entreprises françaises.

Elle a ensuite rappelé que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 avait permis de surmonter la décision du Conseil constitutionnel du 16 mars 2006, qui avait constaté que la Constitution ne permettrait pas d'établir des quotas par sexe dans les organes dirigeants des entreprises.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, a ensuite présenté les principaux aspects de la proposition de loi de Mme Nicole Bricq.

En premier lieu, le texte fixe un objectif d'au moins 40 % de mandataires sociaux de chaque sexe dans un délai de six ans dans les conseils d'administration ou de surveillance des sociétés anonymes, des entreprises publiques et des établissements publics de l'Etat. Elle prévoit également une sanction de nullité des délibérations en cas de composition irrégulière de ces conseils. A cet égard, le rapporteur a jugé nécessaire de revoir cette sanction, particulièrement lourde, en vue d'éviter toute insécurité juridique dans la vie des entreprises.

En second lieu, la proposition de loi vise à limiter davantage le cumul des mandats sociaux, considérant qu'une telle limitation permettrait de rendre davantage de postes disponibles pour des femmes. Le rapporteur a rappelé, à cet égard, que le cumul des mandats était, dans l'esprit de l'auteur de la proposition de loi, directement lié à la question de la présence des femmes dans les conseils. Concernant plus particulièrement le cumul des mandats entre entreprises publiques et sociétés privées, le rapporteur a rappelé que le Sénat avait déjà eu l'occasion de se prononcer, à l'occasion de l'adoption le 18 novembre 2009 d'une proposition de loi présentée par M. Yvon Collin.

Pour conclure, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, est revenue sur la forte convergence existant entre la proposition de loi de Mme Nicole Bricq et celle transmise par l'Assemblée nationale : malgré un périmètre différent, elles se fixent le même objectif de 40 %, avec des modalités similaires de mise en oeuvre. Elle a estimé que ces deux initiatives devaient par conséquent être examinées conjointement, dans un esprit constructif, justifiant ainsi le dépôt d'une motion de renvoi en commission de la proposition de loi de Mme Nicole Bricq dans l'attente de l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de loi émanant de l'Assemblée nationale.

Déplorant le dépôt répété de motions de renvoi en commission à l'encontre de propositions de loi émanant de l'opposition, notamment en vue d'attendre de futurs projets de loi ou de futures propositions de loi de l'Assemblée nationale, M. Bernard Frimat a estimé que le texte présenté par Mme Nicole Bricq, qui repose sur une analyse approfondie, était l'occasion d'avancer sur le sujet de la présence des femmes dans les conseils d'administration et de surveillance des grandes sociétés, et méritait à ce titre que le Sénat se prononce. Il a ajouté que l'incertitude pesant sur l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale posait un problème de méthode de travail.

Approuvant ces propos, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a relevé que la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale n'était effectivement pas encore inscrite à l'ordre du jour du Sénat. En outre, elle a estimé qu'il était plus facile aux assemblées de légiférer à destination des milieux économiques, en vue de féminiser davantage les conseils d'administration et de surveillance, que de s'appliquer à elles-mêmes le principe de parité politique qu'elles ont pourtant adopté il y a dix ans.

M. Hugues Portelli a fait observer que l'Assemblée nationale était loin de toujours examiner les propositions de loi adoptées par le Sénat et qu'elle avait tendance, lorsqu'elle les examine, à les dénaturer. Il a plaidé pour que la majorité examine plus souvent au fond les propositions de l'opposition.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx , rapporteur, a indiqué qu'elle avait pris soin de rencontrer Mme Nicole Bricq, afin notamment de lui expliquer la motivation du renvoi en commission, destiné à permettre la jonction avec la proposition de loi émanant de l'Assemblée nationale. Ce renvoi en commission devrait permettre de conduire un véritable travail de fond avant l'examen en séance publique de cette proposition de loi. Elle a ajouté que le texte de Mme Nicole Bricq permettrait utilement de réfléchir sur la question du cumul des mandats sociaux, absente du texte de l'Assemblée nationale.

Evoquant la complexité de cette question du cumul des mandats sociaux, M. Jean-Jacques Hyest , président, a regretté que le temps laissé à la commission avant le passage de la proposition de loi de Mme Nicole Bricq en séance publique ne lui permette pas d'accomplir un travail suffisant, compte tenu de l'ampleur du sujet abordé. Il a insisté, à son tour, sur la nécessité de joindre les deux propositions de loi relatives à la représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d'administration ou de surveillance, en vue d'éviter d'inutiles navettes. A cet égard, il a plus généralement appelé de ses voeux une meilleure coordination des initiatives législatives du Sénat et de l'Assemblée nationale. Il s'est interrogé sur la possibilité de procéder à l'examen au sein d'espaces mensuels d'une durée de quatre heures de sujets d'une telle portée, d'autant plus que, parfois, deux thèmes sont demandés par le même groupe politique.

M. Bernard Frimat a approuvé le principe de la jonction des deux propositions de loi, qui pourrait permettre, en outre, qu'un temps de séance suffisant leur soit consacré. Pour autant, il a réaffirmé son opposition de principe aux motions de renvoi en commission des propositions de loi inscrites à l'ordre du jour du Sénat à la demande du groupe socialiste, a fortiori lorsqu'elles abordent une véritable question de fond dont chacun s'accorde à reconnaître l'importance. Il a souhaité, pour des sujets de cette nature, que puissent être mieux utilisées les ressources de la semaine sénatoriale d'initiative.

Enfin, M. Yves Détraigne a partagé les réticences de M. Bernard Frimat quant à l'usage répété par les commissions de la motion de renvoi en commission à l'encontre des propositions de loi émanant des groupes minoritaires ou d'opposition.

La commission a décidé de déposer la motion, présentée par Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, tendant au renvoi en commission de la proposition de loi.


ANNEXE - LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

- Mme Nicole Bricq , auteur de la proposition de loi

* 1 L'Espagne a adopté en 2007 une législation en ce sens, qui ne sera applicable qu'en 2015.

* 2 Source : Commission européenne.

* 3 « More women in senior positions - Key to economic stability and growth », 25 mars 2010.

* 4 « Tous les citoyens (...) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

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