N° 431

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 mai 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1), sur la proposition de loi de M. Jack RALITE, Mmes Brigitte GONTHIER-MAURIN, Marie-Agnès LABARRE, MM. Ivan RENAR, Jean-François VOGUET, François AUTAIN, Mmes Éliane ASSASSI, Nicole BORVO COHEN-SEAT, Marie-France BEAUFILS, M. Michel BILLOUT, Mme Annie DAVID, M. Jean-Claude DANGLOT, Mmes Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mme Gélita HOARAU, MM. Robert HUE, Gérard LE CAM, Mmes Josiane MATHON-POINAT, Isabelle PASQUET, Mireille SCHURCH, Odette TERRADE et M. Bernard VERA, visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision ,

Par M. Jack RALITE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Béatrice Descamps , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Claude Carle, Mme Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Mme Catherine Dumas, MM. Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Jean-Claude Etienne, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mlle Sophie Joissains, Mme Marie-Agnès Labarre, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage, M. Alain Le Vern, Mme Christiane Longère, M. Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Philippe Nachbar, Mme Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Roland Povinelli, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

384 (2009-2010)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Votre rapporteur et l'ensemble de ses collègues du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche, ont déposé le 6 avril dernier une proposition de loi n° 384 (2009-2010) visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision.

Ses auteurs considèrent que la loi du 5 mars 2009 (n° 2009-258) relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision, en supprimant en deux étapes la ressource publicitaire de France Télévisions, loin de renforcer le groupe audiovisuel, l'a au contraire affaibli, a considérablement réduit son indépendance, et a mis en péril sa capacité à assumer ses missions de service public.

La diminution des recettes publicitaires, visible dès 2008 du fait de la déstabilisation du groupe liée à l'annonce du président de la République, s'est bien évidemment confirmée en 2009, en dépit d'un résultat très satisfaisant de France Télévisions, grâce notamment aux reports de la publicité des écrans nocturnes du groupe vers ses programmes diurnes. Le problème est que le nouveau mode de financement choisi, afin de compenser les pertes liées à la suppression de la publicité, fondé sur deux taxes non affectées et une dotation budgétaire, est très fortement contesté depuis sa création :

- par la Commission européenne, qui a interrogé la France sur la nature de la dotation budgétaire de 450 millions d'euros attribuée par l'État à France Télévisions, et qui semble également considérer que la taxe sur les opérateurs de communication électronique n'est pas conforme au droit européen ;

- et par les redevables des taxes instituées, qui ont contesté leur conventionalité auprès de l'Union européenne. Les chaînes de télévision privées ont quant à elles obtenu une baisse du taux de la taxe qui leur a été imposée avant même sa première application.

Ces menaces, qui pèsent très fortement sur le financement de France Télévisions, n'ont pas empêché l'État de priver France Télévisions de 35 millions d'euros en 2009, au mépris du montant de dotation voté par le Parlement, au motif que les recettes publicitaires de France Télévisions sur l'année ont été supérieures à celles anticipées. Votre rapporteur s'étonne de cette méthode, alors que les bons résultats sont notamment corrélés au bon travail effectué par le groupe tout au long de l'année, et alors que le groupe anticipait un déficit en 2009.

En deuxième lieu, la remise en cause du financement mixte de France Télévisions a un impact direct sur son indépendance . En effet, le modèle de développement de France Télévisions repose sur un double financement :

- la contribution à l'audiovisuel public, qui est une taxe affectée aux organismes de l'audiovisuel public 1 ( * ) , indexée sur l'inflation depuis la promulgation de la loi de finances rectificative pour 2008 (n° 2008-1443 du 30 décembre 2008), est la ressource principale de France Télévisions ;

- et le chiffre d'affaires lié aux recettes publicitaires réalisées sur l'ensemble de ses antennes.

Supprimer la publicité, c'est donc ainsi non seulement diminuer les ressources de France Télévisions, mais surtout mettre le groupe entièrement sous la coupe de l'État , qui dispose de pouvoirs considérablement renforcés en tant que financeur unique.

Votre rapporteur tient à cet égard à souligner que pas moins de trois grandes juridictions françaises se sont inquiétées en 2009 des risques pesant sur l'indépendance de France Télévisions :

- le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009 sur le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision a ainsi considéré que la suppression de la publicité sur France Télévisions qui « a pour effet de priver cette société nationale de programme d'une part significative de ses ressources, doit être regardée comme affectant la garantie de ses ressources, qui constitue un élément de son indépendance ». Conscient des difficultés à venir dans les rapports entre le Gouvernement et France Télévisions à l'occasion des procédures budgétaires, le Conseil constitutionnel a en outre émis une réserve d'interprétation aux termes de laquelle « dans le respect de l'indépendance de France Télévisions, il incombera à chaque loi de finances de fixer le montant de la compensation financière par l'État de la perte de recettes publicitaires de cette société afin qu'elle soit à même d'exercer les missions de service public qui lui sont confiées ». C'est bien évidemment une juste évaluation de cette compensation qui devra être établie et les parlementaires ne manqueront pas d'y veiller au cours des discussions des prochaines lois de finances. L'analyse faite dans les Cahiers du Conseil constitutionnel insistait à cet égard sur l'importance de l'article 75 de la loi, qui crée un comité de suivi, composé de quatre députés et de quatre sénateurs, chargé notamment de vérifier « l'adéquation des ressources attribuées à la société... avec celles nécessaires à la mise en oeuvre des missions de service public de cette société... Il transmet chaque année au Parlement un rapport sur ses travaux avant la discussion du projet de loi de finances initiale ». Force est de constater que le Gouvernement se refuse à mettre en place ce comité de suivi, puisqu'il n'a pas publié le décret d'application, preuve s'il en était besoin de sa difficulté à communiquer sur la réalité des comptes de France Télévisions ;

- la Cour des comptes elle-même, dans son récent rapport public sur France Télévisions 2 ( * ) , estime que la « situation financière actuelle et prévisionnelle du groupe est très fragile » et s'inquiète de l'incapacité de l'État et du groupe audiovisuel à présenter des éléments rassurants sur les comptes du groupe. Votre rapporteur insiste sur le fait que cette analyse est faite dans le cadre d'une suppression partielle de la publicité et que la disparition totale d'écrans publicitaires ne fera qu'accentuer les difficultés structurelles de France Télévisions ;

- le Conseil d'État a enfin enfoncé le clou dans une décision du 11 février 2010, en estimant que la suppression de la publicité pendant une part substantielle du temps d'antenne était une mesure ayant pour effet de priver France Télévisions d'une part significative de ses recettes et d'affecter la garantie de ses ressources, qui constitue un élément de son indépendance . Rappelant que l'indépendance des médias relève de la compétence du législateur (article 34 de la Constitution), il a annulé les mesures antérieures à la loi du 5 mars 2009, prévoyant la suppression de la publicité sur les chaînes du groupe France Télévisions entre 22 heures et 6 heures.

Plusieurs députés de la majorité se sont également récemment exprimés en faveur d'un maintien de la publicité en journée sur France Télévisions au vu de la situation des comptes de l'État et du groupe audiovisuel.

Coup de grâce final, contre l'avis des représentants de l'État, le propre conseil d'administration de France Télévisions a souhaité le 13 avril dernier suspendre sine die la privatisation de la régie publicitaire, en attendant l'analyse par les parlementaires de dispositions tendant au maintien de la publicité en journée, et notamment de la présente proposition de loi qui fait, à cet égard, figure de précurseur.

Cette succession d'événements paraît imposer au Parlement de se saisir de la question de la publicité sur France Télévisions et plus généralement de son financement.

La présente proposition de loi propose ainsi de maintenir la publicité en journée sur France Télévisions et d'augmenter certaines sources de financement de l'audiovisuel public.

A. LA SUPPRESSION DE LA PUBLICITÉ SUR FRANCE TÉLÉVISIONS

La publicité commerciale est apparue en France, sur l'antenne de la première chaîne de l'Office de radiodiffusion télévision française (ORTF), le 1 er octobre 1968, au moment où la télévision fait irruption dans le quotidien des Français : en effet, alors que seuls 13 % des ménages possèdent un poste en 1960, ils sont 65,5 % à en posséder un en 1968 et 77 % en 1970.

Jusqu'alors, des publicités sans marque ou « propagande collective d'intérêt national » permettaient aux pouvoirs publics, aux groupements de producteurs nationaux ou coopératives de diffuser des messages de promotion, dans le cadre des « publicités compensées ».

Le débat sur la légitimité de la publicité sur les chaînes de télévision publique a démarré à cette époque et sa présence sur les écrans du service public audiovisuel n'a jamais été une évidence.

En septembre 1999, avant la présentation devant le Parlement d'une nouvelle réforme de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, des auteurs, réalisateurs, universitaires ou journalistes, réunis au sein des « États généraux de la création audiovisuelle », demandaient ainsi dans une lettre ouverte adressée au Gouvernement et aux parlementaires « la suppression totale de la publicité sur France Télévisions et donc l'abandon des recettes commerciales » ainsi que « la création, en contrepartie, d'une contribution culture et communication ».

La loi n° 2000-719 du 1 er août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication a contribué à relancer le débat sans aller jusqu'au bout de la logique. Ce projet de loi, présenté par Mme Catherine Trautmann, alors ministre de la culture et de la communication, puis par notre collègue Catherine Tasca, qui lui avait succédé au moment de son examen en deuxième lecture, a réduit de 12 à 8 minutes par heure la durée des messages publicitaires sur les chaînes publiques. Le projet de loi découlait de la « conception d'un service public dégagé des contraintes de la rentabilité commerciale ».

Le Parlement s'était contenté de diminuer le temps consacré à la publicité, parce que le débat avait achoppé sur la question de la compensation de sa suppression totale et des modalités de son financement .

Le VI de l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 introduit par l'article 28 de la loi du 5 mars 2009 précitée prévoit dorénavant une suppression de la publicité en deux étapes.

La première qui devait s'ouvrir « à compter du 5 janvier 2009 » et permettre de rendre visible très rapidement le nouveau profil du service public de l'audiovisuel, s'est en fait ouverte légalement à la date de promulgation de la loi.

Le conseil d'administration de France Télévisions a cependant choisi, à la demande de l'État, de prendre la décision de supprimer la publicité dès le 5 janvier 2009, soit avant l'examen du texte par le Sénat, et a fortiori avant la promulgation de la loi. Suite à un recours de votre rapporteur, le Conseil d'État a jugé que le courrier envoyé par la Ministre demandant au président-directeur général de France Télévisions de proposer cette suppression était illégal, et a annulé sur cette base la décision du conseil d'administration.

Il reste que la publicité a été supprimée de facto entre 20 heures et 6 heures du matin le 5 janvier 2009 sur France Télévisions. Cette interdiction de diffuser des messages publicitaires :

- ne concerne que les seuls services « de télévision mentionnés au I de l'article 44 » : autrement dit, la publicité est autorisée sur les autres services de communication audiovisuelle édités par France Télévisions, notamment les services de communication audiovisuelle à la demande (télévision de rattrapage et vidéo à la demande) ainsi que sur leurs sites Internet ;

- ne s'applique qu'aux services nationaux de télévision de France Télévisions, à l'exception de ses « programmes locaux » : la publicité est donc autorisée sur l'ensemble des décrochages de France 3, régionaux et locaux ;

- ne s'applique qu'aux « messages publicitaires », le parrainage restant autorisé sur les chaînes du service public ;

- et ne s'applique qu'aux « messages publicitaires autres que ceux pour des biens ou services présentés sous leur appellation générique » : seule la publicité commerciale est donc supprimée.

Le choix d'opérer en deux temps avait pour objet de libérer le plus rapidement France Télévisions de la contrainte publicitaire sans déstabiliser le groupe outre mesure.

Deux problèmes se posaient pour une suppression totale en une fois : l'avenir de la régie d'une part, qui compte plus de 200 salariés, et le remplissage d'une grille libérée de plusieurs heures de publicité d'autre part. La commission pour la nouvelle télévision publique avait au demeurant préconisé cette suppression en deux étapes, avec l'insertion d'une clause de rendez-vous et une suppression totale au moment du passage au tout numérique (le 30 novembre 2011).

Cette deuxième étape concerne les « programmes diffusés [...] entre six heures et vingt heures » et il s'agit bien d'une extension horaire à périmètre inchangé , les mêmes programmes - avec les mêmes exceptions que celles précitées - étant concernés par la modification du régime de diffusion des messages publicitaires.

Votre rapporteur note que l'extinction du signal analogique entraînera une réduction des coûts de diffusion pour France Télévisions. Il reste que ces économies ne correspondront pas aux pertes commerciales qui résulteraient d'une suppression totale de la publicité.

Force est ainsi de constater que le débat ne porte pas aujourd'hui sur la présence ou non de la publicité sur les écrans de France Télévisions, mais bien sur la capacité de l'État à financer de manière pertinente le service public de l'audiovisuel .

* 1 Ceux visés par les articles 44, 45 et 49 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, à savoir France Télévisions, Radio France, l'Institut national de l'audiovisuel et la holding « Audiovisuel extérieur de la France ».

* 2 France Télévisions et la nouvelle télévision publique, octobre 2009.

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