N° 582

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 juin 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne de M. Michel BILLOUT, Mmes Annie DAVID, Éliane ASSASSI, Nicole BORVO COHEN-SEAT, M. François AUTAIN, Mme Gélita HOARAU, M. Guy FISCHER, Mmes Isabelle PASQUET, Marie-France BEAUFILS, M. Jean-Claude DANGLOT, Mmes Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, M. Thierry FOUCAUD, Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, M. Robert HUE, Mme Marie-Agnès LABARRE, M. Gérard LE CAM, Mme Josiane MATHON-POINAT, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR, Mmes Mireille SCHURCH, Odette TERRADE, MM. Bernard VERA et Jean-François VOGUET présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur les relations entre l' Union européenne et l' État d' Israël ,

Par M. Robert del PICCHIA,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet président ; MM. Denis Badré, Pierre Bernard-Reymond, Michel Billout, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Jean-François Humbert, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, François Marc, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

525 (2009-2010)

Mesdames, Messieurs,

La proposition de résolution que nous sommes amenés à examiner aujourd'hui vise à suspendre l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël.

Je crois que, avant toute chose, il convient de replacer cet accord d'association dans son contexte global afin de pouvoir en apprécier justement les objectifs. Cet accord d'association entre dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen entre l'Union européenne et les pays du sud de la Méditerranée qui a été lancé en 1995 sous le nom de « processus de Barcelone ». Ce partenariat avait pour objectif d'établir une coopération politique, économique et sociale entre l'Union et ses voisins méditerranéens.

Dans le cadre du processus de ce partenariat, des accords d'association ont été mis en place entre la Communauté européenne et les États membres d'une part, et chacun des pays méditerranéens partenaires d'autre part. Ces accords se substituaient aux accords de coopération qui avaient été conclus au cours des années 70. Ils ont pour but de promouvoir un dialogue régulier en matière politique et de sécurité dans le but d'instaurer une meilleure compréhension mutuelle et une coopération politique approfondie. Ils prévoient par ailleurs l'établissement progressif d'une zone de libre-échange en Méditerranée. Sept accords sont ainsi entrés en vigueur au fil des ans :

- en 1998, l'accord avec la Tunisie,

- en 2000, un accord avec le Maroc et un autre avec Israël,

- en 2002, l'accord avec la Jordanie,

- en 2004, l'accord avec l'Égypte,

- en 2005, l'accord avec l'Algérie,

- en 2006, l'accord avec le Liban.

J'ajoute que, en 1997, un accord d'association intérimaire a été signé avec l'Autorité palestinienne. Il a vocation à s'appliquer entre les parties jusqu'à la conclusion d'un accord euro-méditerranéen d'association définitif « dès que les conditions le permettront » . Cet accord intérimaire porte principalement sur les questions commerciales et de coopération ; il ne comporte pas de dialogue politique.

En revanche, il n'existe pas actuellement d'accord d'association avec la Syrie ni avec la Libye. La Syrie a reporté sine die, pour des raisons d'opportunité politique et économique, la signature de l'accord d'association avec l'Union européenne ; l'accord est paraphé, mais il n'est pas signé. Pour la Libye, les négociations se poursuivent et pourraient aboutir à la fin de 2010 ou au début de 2011.

Pour chacun des accords d'association, il existe un Conseil d'association, organisé au niveau ministériel, qui arrête les décisions et formule des recommandations pour atteindre des objectifs fixés. Il existe en outre un comité d'association qui assure une gestion de l'accord et le règlement des différends éventuels. Seul l'accord intérimaire avec l'Autorité palestinienne ne comporte pas ce Conseil ni ce comité, mais seulement un comité mixte pour le commerce et la coopération.

Ce rappel n'est pas inutile car il faut garder à l'esprit que l'accord d'association conclu avec Israël n'est qu'un élément d'un ensemble.

Nos collègues du groupe CRC estiment que l'attitude d'Israël à l'égard de la population palestinienne dans la bande de Gaza doit conduire l'Union européenne à suspendre l'accord d'association qu'elle a conclu avec Israël.

Je crois qu'il nous faut revenir un instant sur les positions de l'Union européenne à l'égard de cette question. L'Union européenne est fortement impliquée dans le processus de paix au Proche-Orient. Membre du Quartette, elle participe au processus de négociation israélo-palestinien pour parvenir à une solution durable et complète basée sur la co-existence de deux États. D'une part, l'Union européenne souhaite jouer un rôle plus actif dans le processus de paix ; d'autre part, elle est soucieuse de respecter un équilibre dans le traitement d'Israël et des pays arabes. Le deuxième objectif est d'ailleurs certainement une condition pour pouvoir atteindre le premier.

La dernière position officielle de l'Union européenne, qui s'est exprimée dans les conclusions du Conseil Affaires étrangères du 14 juin dernier, c'est-à-dire il y a huit jours, reflète parfaitement cette attitude. L'Union européenne a condamné le recours à la violence durant l'opération militaire israélienne dans les eaux internationales contre la flottille qui tentait de joindre Gaza. Elle a réclamé une enquête immédiate, complète et impartiale sur le déroulement des événements et sur les circonstances qui les ont entourés ; elle a précisé que, pour mériter la confiance de la communauté internationale, cette enquête devait inclure une participation internationale crédible. Les conclusions du Conseil de l'Union mentionnent que la situation à Gaza reste intenable et que le blocus imposé par Israël est inacceptable et politiquement contre-productif. Parallèlement, et vous retrouvez là ce souci d'équilibre qui inspire la politique de l'Union européenne, les conclusions soulignent qu'il faut également tenir compte des préoccupations légitimes de sécurité d'Israël et qu'il faut assurer l'arrêt total de toutes les violences et du trafic d'armes vers Gaza.

Le Parlement européen a également consacré un débat à cette question la semaine dernière et il a adopté une résolution le jeudi 17 juin, c'est-à-dire il y a quelques jours. Sa position rejoint largement celle du Conseil. Il condamne l'attaque contre la flottille par l'armée israélienne, dans les eaux internationales, et réclame une enquête internationale et impartiale. Il invite Israël à mettre fin immédiatement au blocus de Gaza. Mais, et nous retrouvons là ce souci d'équilibre, il exige en contrepartie que toutes les attaques contre Israël cessent immédiatement. En outre, il appelle la Haute représentante et les États membres à prendre immédiatement l'initiative en soumettant un plan de l'Union européenne au Quartette visant la levée du blocus de Gaza et prenant en compte les intérêts de sécurité d'Israël en assurant le contrôle international des points de passage. Il réaffirme également son soutien aux discussions de proximité entre Israël et l'Autorité palestinienne en vue de la reprise des négociations de paix.

Lorsque nous nous penchons sur ce sujet, la véritable question que nous devons nous poser, c'est de déterminer comment l'Union européenne peut peser afin d'aboutir à une amélioration de la situation.

Où en est-on aujourd'hui ?

Israël, à la suite des réactions de la communauté internationale, a décidé la création d'une commission d'enquête qui comprendrait deux observateurs internationaux : l'Irlandais Lord David Trimble, prix Nobel de la Paix en 1998, et le Canadien Ken Watkin, ancien avocat général de l'armée canadienne.

C'est un premier pas positif et ce premier pas résulte des pressions internationales qui se sont exercées sur Israël. Mais, mes chers Collègues, restons lucides, les pressions exercées par l'Union européenne sont secondaires, aux yeux d'Israël, par rapport à celles que peuvent exercer les États-Unis. Je vous avoue que je suis un peu étonné de lire dans la proposition de résolution que « l'Union européenne joue un rôle prépondérant dans la recherche d'une solution pacifique au conflit au Proche-Orient pour une paix juste et durable ». Que l'Union européenne doive jouer un rôle actif dans cette recherche, nous le souhaitons tous. Mais que l'on puisse constater qu'elle joue aujourd'hui un rôle prépondérant en ce sens, permettez-moi de vous dire que c'est prendre ses rêves pour des réalités.

Toujours en réponse aux réactions de la communauté internationale, Israël a été amené à annoncer, il y a quelques jours, ce qui apparaît comme un changement de sa stratégie à l'égard de Gaza. D'après les annonces qui ont été formulées dimanche dernier, toutes les marchandises pourraient désormais entrer à Gaza, à l'exception de celles qui figureraient sur une liste de produits qui, tout en étant à usage civil, pourraient être utilisés à des fins militaires.

Israël passerait ainsi d'une liste des marchandises autorisées à entrer à Gaza à une liste des marchandises interdites, ce qui permettrait l'entrée à Gaza de produits tels que les matériaux de construction et les matières premières pour les usines, qui peuvent favoriser le développement économique et le secteur privé à Gaza. Il faut encore attendre pour pouvoir juger de l'importance de ces nouvelles mesures. Tout tiendra bien sûr aux détails d'application. Mais cela va dans le bon sens.

Bien sûr, cela est encore insuffisant et il faut inciter Israël à aller plus loin. Il faudrait notamment que les biens produits à Gaza puissent être exportés vers les marchés extérieurs. Il faudrait aussi que l'allègement du blocus ne concerne pas seulement la voie terrestre, mais aussi la voie maritime.

Mais comment l'Union européenne peut-elle le mieux agir en ce sens ? Est-ce plutôt par la pression constante que permet un dialogue régulier ou est-ce en rompant les contacts, c'est-à-dire en suspendant l'accord d'association ? Suspendre l'accord d'association, est-ce que ce ne serait pas s'exclure purement et simplement du jeu diplomatique ? Est-ce que ce ne serait pas mettre en péril l'ensemble de la stratégie euro-méditerranéenne de l'Union ? Pensez-vous que cela aiderait l'Union pour la Méditerranée à s'affirmer ? Et si l'Union européenne suspendait aujourd'hui l'accord d'association avec Israël ? Ne devrait-elle pas procéder de même demain avec tel ou tel autre État méditerranéen lorsqu'elle constaterait une grave atteinte à la liberté de la presse ou à la liberté d'opinion ? Et devrait-elle agir ainsi demain si des troubles survenaient au Sahara occidental ?

Les mécanismes de dialogue politique qui sont inclus dans les accords d'association ont précisément pour but de permettre à l'Union de constater les progrès dans la voie du respect des droits de l'Homme et des principes démocratiques et de lui donner le moyen de se prononcer, d'avertir, de conseiller et d'exercer une pression. Dans le cadre de l'accord d'association avec Israël, il y a le Conseil d'association au niveau ministériel ; il y a le comité d'association ; il y a neuf sous-comités ; et il y a un groupe de travail informel consacré aux droits de l'Homme. Est-ce qu'il faut vraiment renoncer à tous ces instruments ?

La proposition de résolution qui nous est aujourd'hui soumise vise la résolution du Parlement européen d'avril 2002 dans laquelle celui-ci demandait la suspension de l'accord d'association. Mais je relève que le Parlement européen, dans la résolution qu'il a adoptée jeudi dernier, invite instamment le Conseil de l'Union à convoquer sans délai le Conseil d'association Union européenne/Israël pour discuter de la situation actuelle. Manifestement, le Parlement européen a changé d'attitude depuis 2002. Il a pris conscience aujourd'hui que le dialogue était plus porteur que le refus. Non seulement il n'appelle plus à suspendre l'accord d'association, mais il demande que l'on recoure sans délai aux instruments de dialogue que celui-ci offre à l'Union. C'est à une même évolution que j'appelle aujourd'hui nos collègues du groupe CRC.

Il faut être ferme avec Israël et réagir avec force et détermination chaque fois que cela apparaît nécessaire, mais il faut toujours privilégier le dialogue plutôt que de renoncer aux instruments du dialogue. C'est pourquoi je vous appelle à rejeter la proposition de résolution.

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